AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 13/01272
Me [D] [W] - Mandataire liquidateur de SAS JARDIN D ULYSSE
C/
[L]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 17 Janvier 2013
RG : F 10/01596
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 15 AVRIL 2014
APPELANTE :
Me [W] [D] (SELARL MJ SYNERGIE) - Mandataire liquidateur de la SAS JARDIN D ULYSSE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Christophe RAMBAUD, avocat au barreau de LYON substitué par Me Marie-caroline BILLON-RENAUD, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[H] [Q] [L]
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparante en personne, assistée de Me Malika BARTHELEMY BANSAC, avocat au barreau de LYON substitué par Me Lucie BOYER, avocat au barreau de LYON
PARTIE INTERVENANTE :
AGS CGEA DE CHALON-SUR-SAONE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 3]
représenté par Me Céline MISSLIN de la SELARL JUSTICIAL AVOCATS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 25 Février 2014
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Didier JOLY, Président
Mireille SEMERIVA, Conseiller
Agnès THAUNAT, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 Avril 2014, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
EXPOSE DU LITIGE :
Le 12 août 2003, la société JARDIN D'ULYSSE qui a pour activité le commerce de gros de meubles, arts de la table et objets de décoration, a engagé [E] [L] en qualité d'agent de comptabilité, catégorie employée, niveau III, échelon 2.
En 2006, [E] [L] a été promue au niveau VI, échelon 2, catégorie ETAM, puis, sur la base d'un nouveau contrat de travail du 1er septembre 2009 prévoyant une période probatoire de 4 mois, chef comptable groupe, niveau VIII, échelon 3, statut cadre, la rémunération étant fixée à une part fixe de 2 900 € sur 13 mois outre une part variable pouvant atteindre 7 000 € bruts par an pour 212 jours travaillés, la relation de travail étant soumise à la convention collective du commerce de gros.
Le 4 janvier 2010, la société JARDIN D'ULYSSE lui a soumis un avenant à son contrat reportant le point de départ de la période probatoire au 4 janvier 2010 et portant sa durée à 6 mois en indiquant qu'au cas où elle s'avérerait insatisfaisante, [E] [L] retrouverait sa situation antérieure soit agent de comptabilité, catégorie agent de maîtrise, niveau VI, échelon 2.
Par courrier du 5 janvier 2010, [E] [L] a confirmé son acceptation de la formation en management proposée mais a refusé de signer l'avenant soumis et le courrier rédigé en son nom le 24 décembre 2009 renouvelant sa période probatoire.
Elle a ajouté que, comme le rappelait l'avenant non accepté, son prédécesseur avait laissé un retard considérable dans son travail et qu'elle ne pouvait garantir le délai nécessaire pour le résorber et parvenir à une «activité dite normale». Elle a réaffirmé son investissement professionnel et sa «volonté de répondre à ses nouvelles fonctions».
Le 18 janvier 2010, elle a demandé des informations sur la rupture conventionnelle. L'employeur lui a répondu qu'il s'agissait d'une rupture d'un commun accord et qu'il ne la souhaitait pas.
[E] [L] a été placée en arrêt de travail du 21 janvier au 28 mars 2010. Elle a repris son poste le 29 mars 2010.
Le même jour, par lettre recommandée avec avis de réception, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société JARDIN D'ULYSSE en faisant état d'une trop lourde charge de travail, d'une absence de soutien et de formation pour ce nouveau poste et d'un harcèlement.
Le 21 avril 2010, elle a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon, section encadrement, d'une demande tendant à faire produire à cette prise d'acte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le 27 avril 2010, la société JARDIN D'ULYSSE a contesté les termes de sa prise d'acte, dénié toute faute de sa part et indiqué considérer ce départ comme une démission.
Par jugement du 18 octobre 2011, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société JARDIN D'ULYSSE.
La juridiction prud'homale, par jugement du 17 janvier 2013, faisant droit à la demande présentée par [E] [L], a :
- condamné la société JARDIN D'ULYSSE représentée par Me [Z] en qualité d'administrateur et M [W] en qualité de mandataire judiciaire à la sauvegarde, à lui payer les sommes de
' 10 700 € à titre d'indemnités compensatrice de préavis et 1 070 € au titre des congés payés afférents,
' 6 326,22 € à titre d'indemnité de licenciement,
' 21 400 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
' 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 900 €,
- rejeté le surplus des demandes.
Par jugement du 19 octobre 2012, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire qu'il a convertie, le 31 janvier 2013, en liquidation judiciaire, Me [W] étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Me [W] en qualité de mandataire liquidateur de la société JARDIN D'ULYSSE a interjeté appel de cette décision par déclaration du 15 février 2013.
Aux termes de ses conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 25 février 2014, il demande à la Cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- débouter [E] [L] de ses demandes,
- dire que la prise d'acte produit les effets d'une démission,
- dire que [E] [L] n'établit pas de faits précis et indiscutables permettant de présumer l'existence du harcèlement,
- condamner [E] [L] à payer une indemnité de préavis à hauteur de
10 000 € et des dommages-intérêts pour rupture abusive du même montant outre une somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles.
Dans ses écritures régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 25 février 2014, [E] [L] conclut à la confirmation de la décision déférée et à l'allocation d'une indemnité de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Centre de gestion et d'études AGS CGEA de Chalon sur Saône, aux termes de ses écritures reprises à l'audience du 25 février 2014, forme les demandes suivantes :
- réformer le jugement dont appel,
- statuer ce que de droit sur les indemnités dues à Me [W] ès qualités,
- ordonner à [E] [L] de rembourser les sommes avancées par le CGEA,
subsidiairement,
- fixer à 8 700 € outre congés payés l'indemnité compensatrice de préavis,
-minorer les dommages-intérêts susceptibles d'être alloués à [E] [L] au titre du licenciement abusif,
en tout état de cause,
- rappeler les limites légales de sa garantie.
MOTIFS DE LA DECISION :
A l'appui de sa prise d'acte, [E] [L] invoque divers griefs et un harcèlement qu'elle traite comme un grief complémentaire sans en tirer de conséquence sur le plan indemnitaire ou sur la nature de la rupture.
Ainsi, elle cite un manque de formation, une augmentation de tâches sans les moyens nécessaires pour les traiter, un dénigrement et un harcèlement moral.
Lors de son acceptation du poste de chef comptable lui permettant d'accéder au statut cadre, [E] [L] n'a manifesté ni crainte ni réticence ainsi qu'en atteste son courriel du 31 juillet 2009 où elle exprime son enthousiasme à relever ce défi.
Pendant les mois qui ont suivi sa prise de poste, elle n'a fait aucune observation sur la charge de travail ou la formation aux nouvelles tâches à assumer.
Lorsque la société JARDIN D'ULYSSE, en janvier 2010, lui a proposé une prolongation de la période de probation, elle a refusé une telle perspective et la signature d'un avenant concrétisant cette prorogation.
On peut en déduire qu'elle estimait à cette date avoir pris la mesure de ses nouvelles responsabilités et entendait les assumer sans risquer un retour à ses anciennes fonctions d'agent de maîtrise.
Dans son courrier du 5 janvier 2010, elle a confirmé son acceptation d'une formation en ces termes : «par la présente, je donne suite aux différents échanges oraux que nous avons eus ces derniers jours au sujet de la formation de management qui m'est proposée et vous confirme l'accepter».
Ainsi, elle adhère à la proposition faite par la société JARDIN D'ULYSSE. Elle n'indique pas en avoir fait la demande antérieurement et la tonalité de son courrier ne traduit pas une lenteur particulière de l'employeur à répondre à un besoin impérieux.
Il convient de souligner que c'est dans ce même courrier qu'elle refuse la signature de l'avenant soumis et la prorogation de sa période de probation manifestant sa capacité à s'opposer, le cas échéant, aux demandes de l'employeur.
Une action personnalisée et immédiate avait été anticipée, [E] [L] produisant une proposition du formateur en ce sens datée du 4 janvier 2010.
Cette formation a été ajournée et [E] [L] adjointe à la formation en management de tous les cadres en mars 2010 à raison des doutes qu'elle a émis sur son souhait de persévérer dans ce poste voire même dans la comptabilité ainsi qu'elle le retranscrit elle même dans le compte rendu EDP (espace de parole) du 15 janvier 2010 suivi de sa demande de rupture conventionnelle.
Elle a reçu le programme débutant en mars mais ne l'a pas suivi compte tenu de son absence pour maladie puis de la rupture de son contrat de travail.
Le grief tiré d'une absence de formation au management ne peut en conséquence être retenu, la société JARDIN D'ULYSSE ayant pris toutes les dispositions utiles comme tout au long des années précédentes au vu des nombreuses formations dispensées à la salariée depuis son entrée dans l'entreprise en comptabilité, TVA, management ETAM, italien, anglais...
Dans un long courriel du 15 janvier 2010 adressé à [I] [X], directeur général, et [R] [M], directrice administrative et financière, [E] [L], après avoir rappelé les inquiétudes de deux salariées du service et constaté leur désir de démission ajouté au souhait de départ d'une autre personne en contrat de qualification, en a déduit la nécessité de recruter et de former une nouvelle équipe quasiment au complet (3 sur 5) et a fait part de son «manque d'assurance». Elle a indiqué «le travail à accomplir nécessite bien plus d'expérience que je n'en possède à ce jour et je n'ai pas les techniques de management suffisantes pour réussir à structurer une équipe au complet. Ne pouvant répondre à vos demandes, par souci d'honnêteté, et pour pénaliser le moins possible la société, je vous confirme mon souhait de quitter mes fonctions dans le cadre d'une rupture de contrat conventionnelle. Je déposerai une lettre de demande d'information à la rupture conventionnelle de contrat à [U] [A] dès le lundi 18 janvier 2010. Si toutefois vous veniez à être en désaccord avec ma demande, je continuerais à faire preuve de motivation et à fournir un travail conséquent comme je l'ai toujours fait au sein de votre société, mais je me décharge de toutes responsabilités au regard des résultats comptables à venir étant donné la situation actuelle.»
Elle ne fait alors pas état de manquements de l'employeur mais seulement de la confrontation à une situation professionnelle qu'elle a des difficultés à assumer.
Il n'a jamais été nié que le service avait accumulé un certain retard. Cela transparaît de tous les écrits produits et notamment de l'avenant soumis à la signature de la salariée. Mais cette charge de travail a été prise en compte et la société JARDIN D'ULYSSE déployé divers moyens pour l'assumer et la résorber.
Dans un courrier du 20 janvier 2010 en réponse à son courriel du 15, la société JARDIN D'ULYSSE, par la voix de [I] [X], a résumé les mesures prises pour lui assurer une aide dans ses divers domaines de compétences (recrutement, formation de l'équipe, établissement des situations mensuelles et formation en management) et a conclu qu'elle ne pouvait en conséquence se décharger de la responsabilité des résultats comptables représentant l'essence même de son poste de chef comptable.
L'ensemble des courriels échangés au cours de la période novembre 2009 janvier 2010 entre les parties confirme cette aide et ce soutien. Aucun reproche ne lui est fait. L'objectif est la recherche d'un plan de résorption du retard.
Pour arguer d'un dénigrement et d'un harcèlement, [E] [L] invoque des pressions, un désaveu de son action par ses supérieurs auprès de ses collaborateurs, des convocations régulières et un passage du tutoiement au vouvoiement pour l'isoler et la mettre à l'écart.
Elle ne fournit aucun exemple de pressions dont elle aurait fait l'objet.
Aucune remarque ne lui a été faite sur son refus de signer l'avenant proposé.
Il convient d'ailleurs de relever que, sur cet avenant qu'elle n'a pas accepté, elle a ajouté de façon manuscrite la mention suivante «l'employeur s'engage à accepter une rupture de contrat conventionnelle en accord entre les parties si l'employé MLT en fait la demande». Sans y souscrire, elle a néanmoins fait un ajout aux mentions de cet écrit.
Alors qu'il lui avait été demandé de trouver des solutions avec les membres de son équipe pour éviter à l'avenir les erreurs comptables détectées dans les documents remis, [E] [L] a convoqué individuellement ses collaborateurs et leur a notifié un avertissement oral qui a été très mal reçu par eux. Sa direction lui a alors indiqué qu'elle avait outrepassé ses droits en usant d'un pouvoir disciplinaire dont elle ne disposait pas.
Il ne s'agit pas de désaveu mais de rappel des prérogatives de chacun dans un service déjà malmené par la charge de travail et le retard.
Au travers des courriels versés au débats, il apparaît que dans tous leurs échanges, [E] [L] et [I] [X] directeur général, se vouvoient.
Au contraire les relations avec [R] [M] se font sur le mode du tutoiement. Les seuls exemples de vouvoiement que donne [E] [L], le 9 novembre 2009 et le 12 janvier 2010, outre qu'ils se situent à des moments très éloignés et ne traduisent donc pas une modification des relations des parties, correspondent à des courriers où [R] [M] s'adresse non seulement à [E] [L] mais à un autre salarié.
Cet exemple est sans portée.
Enfin, il est exact que lors de son arrêt de travail pour maladie, la société JARDIN D'ULYSSE a compté des jours de carence puis n'a pas réglé de complément de salaire en indiquant «cadre depuis moins d'un an».
Par courriers des 16 et 19 février 2010, rappelant que son contrat de travail du 1er septembre 2009 remplaçait et annulait le précédent sauf pour son ancienneté dans l'entreprise, [E] [L] a estimé avoir plus de trois ans d'ancienneté et pouvoir bénéficié, selon l'accord 'entreprise, d'un complément de salaire sans carence.
Le 25 février, la société JARDIN D'ULYSSE lui a indiqué qu'après examen de sa demande il y était fait droit, et s'est excusée de l'erreur commise. La régularisation a été opérée avec la paie du mois de février.
Aucun des manquements visés par [E] [L] n'est établi hormis la mauvaise lecture de son ancienneté pour le maintien du salaire pendant l'arrêt maladie, erreur rapidement reconnue et réparée.
Il lui a été proposé un poste représentant pour elle une promotion. Elle l'a accepté avec plaisir puis a, en l'occupant, réalisé qu'il impliquait des fonctions qu'elle assumait difficilement comme l'encadrement et le recrutement.
Ce poste était chargé et comptait du retard. la société JARDIN D'ULYSSE, en ayant conscience, lui a donné de l'aide, proposé et organisé une formation qui n'a pas été suivie en raison de l'absence de [E] [L] puis de son départ.
Aucun manquement n'étant établi, la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par la salariée produit les effets d'une démission.
Le jugement sera réformé en ce sens.
Lorsque la prise d'acte de la rupture du contrat de travail rompt celui-ci, le salarié peut être condamné à indemniser l'employeur pour non-respect du préavis.
Il convient en conséquence de condamner [E] [L] à payer à Me [W] la somme de 10 700 € à titre de dommages-intérêts.
En revanche, ne caractérisant pas le préjudice subi au delà de ce délai pour la remplacer, la demande de dommages-intérêts pour rupture abusive sera rejetée.
Le présent arrêt constituant une décision de justice faisant naître le droit à restitution des sommes versées en exécution des chefs réformés, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution formée par le CGEA.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau,
Dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par [E] [L] produit les effets d'une démission,
Déboute [E] [L] de ses demandes,
La condamne à payer à Me [W] en qualité de mandataire liquidateur de la société JARDIN D'ULYSSE la somme de 10 700 € à titre de dommages-intérêts pour non respect du préavis,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [E] [L] aux dépens.
Le greffierLe Président
S. MASCRIERD. JOLY