AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 13/05436
SARL FOREZIENNE D'ABATTAGE
C/
[V]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTBRISON
du 24 Juin 2013
RG : F 12/00192
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 28 MARS 2014
APPELANTE :
SARL FOREZIENNE D'ABATTAGE
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Valérie DEMICHEL, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[J] [V]
né le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 1] (42)
[Adresse 1]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Valérie MALLARD de la SELARL MALLARD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
PARTIES CONVOQUÉES LE : 23 Juillet 2013
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 31 Janvier 2014
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Nicole BURKEL, Président de chambre
Marie-Claude REVOL, Conseiller
Catherine PAOLI, Conseiller
Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 Mars 2014, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nicole BURKEL, Président de chambre, et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Attendu que le conseil de prud'hommes de Montbrison, section industrie, par jugement contradictoire du 24 juin 2013, a :
- dit que le licenciement de monsieur [V] est sans cause réelle et sérieuse
- condamné la société Forezienne d'Abattage à payer à monsieur [V] une indemnité de 9000 euros au titre de l'article L. 1235-3 du code du travail
- débouté l'avocat de monsieur [V] de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relatif à l'aide juridictionnelle
- débouté les parties du surplus de leur demande
- condamné la société Forezienne d'Abattage aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés comme il est dit en matière d'aide juridictionnelle;
Attendu que la cour est régulièrement saisie par un appel formé par la société Forezienne d'Abattage par lettre recommandée postée le 1er juillet 2013 et réceptionnée au greffe le 2 juillet 2013 ;
Attendu que monsieur [V] a été engagé par la société Forezienne d'Abattage suivant contrat à durée déterminée du 25 août au 24 novembre 2009 puis par contrat à durée indéterminée du 25 novembre 2009, en qualité d'ouvrier d'abattoir ;
Que son revenu mensuel brut est de 1500 euros ;
Attendu que monsieur [V] a été placé en arrêt maladie à compter du 20 janvier 2011; Qu'il a souscrit une déclaration de maladie professionnelle le 5 octobre 2011 au titre du tableau 98, pathologie prise en charge par la CPAM le 24 avril 2012;
Attendu que monsieur [V] a été placé en arrêt maladie professionnelle à compter du 2 septembre 2011 jusqu'au 16 juin 2012, date de consolidation retenue par la CPAM ;
Qu'il a fait l'objet de deux visites de reprise les 12 et 27 juillet 2012 où il a été jugé inapte à son poste de travail mais apte à un autre pas de station debout immobile prolongée, pas de port de charge, pas de position de travail penché en avant;
Que par lettre du 27 juillet 2012 le médecin du travail a confirmé à l'employeur qu' étant donné l'état de santé actuel du salarié qu'il n'y a pas de poste de reclassement possible dans l'entreprise et « l'inaptitude définitive de M. [V] à tous les postes de l'entreprise »;
Attendu que par lettre du 3 août 2012, la société Forezienne d'Abattage a informé monsieur [V] être dans l'impossibilité de le reclasser au sein de l'entreprise ou du groupe;
Attendu que monsieur [V] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 16 août 2012, par lettre du 6 août 2012 ;
Qu'il a été licencié par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 août 2012 pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement ;
Attendu que monsieur [V] a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'absence de consultation des délégués du personnel sans qu'il soit justifié de l'établissement d'un procès-verbal de carence et pour défaut de reclassement;
Attendu que monsieur [V] a déclaré à l'audience être âgé de 25 ans à la date de rupture des relations contractuelles, avoir perçu des allocations chômage et en percevoir toujours n'ayant pas retrouvé de travail ;
Attendu que la société Forezienne d'Abattage, qui appartient au groupe Deveille composé de quatre sociétés, emploie plus de 11 salariés ;
Que la convention collective applicable est celle du commerce en gros des viandes ;
Attendu que la société Forezienne d'Abattage demande à la cour par conclusions écrites, déposées le 31 janvier 2014, visées par le greffier le 31 janvier 2014 et soutenues oralement, au visa de l'article L. 1226-10 du code du travail de :
- infirmer le jugement entrepris
- dire et juger que le licenciement de monsieur [V] repose sur une cause réelle et sérieuse et le débouter de l'intégralité de ses demandes
- condamner monsieur [V] à 2500 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, 2000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile et aux entiers dépens;
Attendu que monsieur [V] demande à la cour par conclusions écrites, déposées le 3 janvier 2014, visées par le greffier le 31 janvier 2014 et soutenues oralement, de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la société Forezienne d'Abattage aux entiers dépens d'instance
- statuant à nouveau, dire et juger que la société Forezienne d'Abattage ne s'est pas acquittée de son obligation de consulter les délégués du personnel sur le reclassement conformément aux exigences de l'article L. 1226-10 du code du travail
- condamner la société Forezienne d'Abattage à lui verser la somme de 21000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamner la société Forezienne d'Abattage à lui verser la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens;
Attendu que pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie en application de l'article 455 du code de procédure civile aux conclusions déposées et soutenues oralement;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que la société Forezienne d'Abattage fait valoir au soutien de son appel avoir été dans l'impossibilité de consulter les délégués du personnel sur le reclassement de monsieur [V] du fait de la carence de ceux-ci en son sein, rappelant avoir organisé des élections en juin 2010 qui se sont soldées par des procès-verbaux de carence des 25 juin et 8 juillet 2010, les avoir transmis le 20 juillet 2010 à l'inspection du travail et avoir affiché le procès-verbal de carence comme en attestent madame [G] et monsieur [F] ;
Qu'elle conteste toute violation des dispositions de l'article L1226- 10 du code du travail ;
Attendu que monsieur [V] soutient au contraire l'absence de consultation obligatoire des délégués du personnel, reprochant à l'employeur de ne pas justifier de l'organisation des élections lui interdisant de se prévaloir de procès-verbaux de carence valables et légitimes, de ne pas avoir affiché les procès-verbaux de carence ni de les avoir transmis dans le délai de 15 jours à l'inspection du travail ;
Qu'il conteste la pertinence des attestations versées aux débats ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que l'inaptitude présentée par monsieur [V] est d'origine professionnelle ;
Attendu que selon l'article L1226-10 du code du travail, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ;
Que cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications que ce dernier formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ;
Que l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail ;
Attendu que l'avis des délégués du personnel doit donc être recueilli avant que la procédure de licenciement d'un salarié déclaré par le médecin du travail inapte à son emploi en conséquence d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, soit engagée;
Que l'employeur ne saurait se soustraire à cette obligation dont l'inobservation est sanctionnée par l'indemnité prévue à l'article L1226-15 du code du travail au motif de l'absence de délégués du personnel dans l'entreprise dès lors que leur mise en place était obligatoire en application de l'article L. 2312-2 du code du travail et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi ;
Que seul un procès-verbal de carence établi à l'issue du second tour de scrutin est de nature à établir le respect par l'employeur de ses obligations en matière d'organisation d'élections de délégués du personnel ;
Attendu que la société Forezienne d'Abattage (SFA) verse aux débats :
- un « procès-verbal de carence (1er tour) » établi sur papier sans entête daté du 25 juin 2010 et signé par messieurs [L], [W] et [K], membres du bureau de vote, sur lequel il est indiqué que « le bureau de vote réuni pour le 1er tour de scrutin le 24 juin 2010 de 10heures à 12 heures sur le site de la société SFA a constaté la carence de candidature syndicale dans l'ensemble des collèges » et précisé « affiché le 25 juin 2010 »
- un « procès-verbal des élections des délégués du personnel - membres suppléants » établi sur l'imprimé Cerfa signé par messieurs [L], [W] et [K], membres du bureau de vote et sur lequel il est noté pour le second tour le 8 juillet 2010 carence
- un courrier commun adressé par lettre recommandée postée le 20 juillet 2010 à l'inspection du travail par les sociétés Deveille et Forezienne d'Abattage aux fins de transmission du « procès-verbal de carence du collège unique du 1er et 2ème tour dûment signé par les représentant du bureau de vote, c'est-à-dire les deux plus âgés et le plus jeune de l'entreprise »
- une attestation de monsieur [F], établie le 3 mai 2013 qui se présente comme secrétaire et qui précise « le procès-verbal du 2ème tour a été affiché le 9 juillet 2010 » - une attestation de madame [G], établie le 3 mai 2013 qui se présente comme comptable et qui précise « le procès-verbal du 2ème tour a été affiché le 9 juillet 2010 » ;
Attendu que la société Forezienne d'Abattage ne verse aux débats aucun procès-verbal de carence établi à l'issue du second tour de scrutin ;
Que sur l'imprimé Cerfa renseigné versé aux débats, qui concerne les membres suppléants, il est expressément rappelé, qu'en cas de carence un procès-verbal de carence doit être dressé ;
Que si la société Forezienne d'Abattage produit un courrier de transmission adressé à l'inspection du travail, elle ne produit pas le document qu'elle indique avoir transmis ;
Qu'elle ne justifie pas plus en cas de perte de ce document, susceptible de pouvoir être le procès-verbal de carence établi à l'issue du second tour de scrutin, s'être rapproché de l'inspection du travail pour obtenir une attestation de transmission ;
Attendu que la société Forezienne d'Abattage ne justifie pas plus de l'organisation de ces élections de délégués du personnel ni de l'affichage du procès verbal de carence ;
Qu'à partir des livres d'entrée et sortie du personnel versés aux débats par l'employeur, il apparaît que monsieur [F] [M] occupe les fonctions de « secrétaire matière » depuis le 19 novembre 2007 au sein de la société Sas DI et non de la société SFA alors que le nom de madame [G] n'apparait pas ;
Que les attestations de deux personnes, dont aucun élément ne permet d'établir qu'elles soient salariées de la société SFA, rédigées en des termes identiques se limitant à affirmer l'effectivité d'un affichage le 9 juillet 2010 sans autres indications notamment de localisation, plus de 21 mois après la survenue de l'évènement, ne présentent pas de garanties suffisantes pour emporter la conviction de la cour ;
Attendu que la société Forezienne d'Abattage ne démontre pas avoir été placée dans l'impossibilité de consulter les délégués du personnel et a donc violé les dispositions de l'article L1226-10 du code du travail ;
Que le licenciement dont monsieur [V] a été l'objet est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; Que la sanction en résultant est définie à l'article L1226-15 du code du travail qui prévoit le versement d'une indemnité ne pouvant être inférieure à 12 mois de salaire ;
Attendu que la cour dispose d'éléments suffisants pour allouer à monsieur [V] au regard des conditions particulières ayant entouré la rupture des relations contractuelles de travail et des difficultés de reconversion professionnelle rencontrées par ce dernier, pour allouer à monsieur [V] une indemnité définitive devant lui revenir personnellement, pouvant être justement évaluée à la somme de 20000 euros ;
Attendu que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement de monsieur [V] dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamné la société Forezienne d'Abattage aux dépens ;
Qu'il doit être infirmé en ses autres dispositions ;
Attendu que la société Forezienne d'Abattage doit être déboutée de sa demande au titre de l'article 32-1du code de procédure civile, en l'absence de preuve d'une faute qui soit de nature à faire dégénérer en abus le recours exercé par le salarié ;
Attendu que les dépens d'appel doivent être laissés à la charge de la société Forezienne d'Abattage qui succombe en ses demandes et doit être déboutée de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que les considérations d'équité justifient que soit allouée à monsieur [V] une indemnité de 1500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement par arrêt contradictoire
Reçoit l'appel
Confirme le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement de monsieur [V] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société Forezienne d'Abattage aux dépens
L'infirme en ses autres dispositions
Condamne la société Forezienne d'Abattage à payer monsieur [V] :
- la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article L1226-15 du code du travail
- la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
Déboute la société Forezienne d'Abattage de ses demandes en application des articles 32-1 et 700 du code de procédure civile
Condamne la société Forezienne d'Abattage aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Christine SENTIS Nicole BURKEL