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27/03/2014 | FRANCE | N°12/03536

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 27 mars 2014, 12/03536


R.G : 12/03536









Décision du tribunal de grande instance de Lyon

Au fond du 08 mars 2012



3ème chambre



RG : 05/08316

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 27 Mars 2014





APPELANTE :



[K] [I]

née le [Date naissance 3] 1925 à [Localité 1] (RHONE)

[Adresse 1]

[Localité 1]



représentée par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS

ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de la SCP GRELLIER - PEISSE - RAVAZ, avocat au barreau de LYON







INTIMES :



[G] [U]

né le [Date naissance 5] 1972 à [Localité 4] (EURE-ET-LOIR)

[Adresse 3]

[Localité 2]



repré...

R.G : 12/03536

Décision du tribunal de grande instance de Lyon

Au fond du 08 mars 2012

3ème chambre

RG : 05/08316

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 27 Mars 2014

APPELANTE :

[K] [I]

née le [Date naissance 3] 1925 à [Localité 1] (RHONE)

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de la SCP GRELLIER - PEISSE - RAVAZ, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

[G] [U]

né le [Date naissance 5] 1972 à [Localité 4] (EURE-ET-LOIR)

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Maître Séverine BATTIER, avocat au barreau de LYON

[Z] [Y] épouse [U]

née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 6] (VAL-DE-MARNE)

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Maître Séverine BATTIER, avocat au barreau de LYON

[D] [B]

né le [Date naissance 4] 1946 à [Localité 5] (ITALIE)

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

assistée de Maître Michel NIEF, avocat au barreau de LYON

[J] [N] épouse [B]

née le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 3] (RHONE)

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

assistée de Maître Michel NIEF, avocat au barreau de LYON

******

Date de clôture de l'instruction : 11 Juin 2013

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 11 Décembre 2013

Date de mise à disposition : 27 février 2014, prorogée au 13 mars 2014, puis au 27 mars 2014, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier aliéna du code de procédure

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Michel GAGET, président

- François MARTIN, conseiller

- Philippe SEMERIVA, conseiller

assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier

A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [I] est propriétaire d'un ensemble de bâtiments comptant plusieurs logements et deux locaux commerciaux, dont celui concerné par le présent litige, qui a été donné à bail à M. [D] [B] par acte du 23 octobre 1997, en renouvellement ininterrompu d'une location commencée en 1970.

Mme [I] occupe un logement dans cet ensemble, les autres sont destinés à la location.

Par acte du 23 mars 2004, Mme [I] a fait sommation à M. [D] [B], locataire de ce magasin, de respecter les termes du bail, à peine de mise en oeuvre de la clause résolutoire stipulée au contrat.

M. [B] a, quant à lui, délivré au bailleur deux notifications successives de vente de son fonds de commerce, à un acquéreur, puis à un autre.

Mme [I] a saisi le tribunal d'une opposition à chacune de ces cessions.

*

Une ordonnance de référé qui avait ordonné l'expulsion du preneur ayant été réformée, Mme [I] a ainsi agi au fond, d'abord pour obtenir la constatation de la résiliation du bail, puis pour voir accueillir son opposition à la vente du fonds.

M. et Mme [U] se sont portés acquéreurs du fonds, après que M. [P] [B] et Mme [W] [A], initialement pressentis, ont renoncé à cet achat ; ils ont demandé au tribunal de valider leur offre.

*

Les instances ont été jointes et une expertise a été ordonnée durant la mise en état aux fins d'examiner les nuisances dénoncées par Mme [I].

Puis, le jugement entrepris a été rendu en ces termes :

- dit nulle et de nul effet la sommation du 23 mars 2004,

- dit que le bail s'est poursuivi malgré cette sommation,

- déboute Mme [I] de l'intégralité de ses demandes,

- dit non fondée l'opposition de Mme [I] à la vente du fonds de commerce à MM [U],

- dit que le bail commercial entre Mme [I] et les époux [U] s'est renouvelé pour une période de 9 ans à compter du 29 juin 2009,

- déboute M. et Mme [B] de leur demande de dommages et intérêts,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne Mme [I] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.

*

Mme [I] a relevé appel.

Elle soutient que la sommation a été valablement faite et que les infractions au bail n'ont pas cessé, de sorte que sa résiliation est acquise et que l'offre de renouvellement est sans portée.

Elle conclut :

Vu les articles 1728, 1730, 1741 du code civil et L. 145-41, L'. 145-47, L. 145-48 et L. 145-49 du code de commerce,

Vu le bail du 23 octobre 1997,

Vu la sommation du 23 mars 2004,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 8 mars 2012,

- dire et juger que la titularité du fonds de commerce est distincte de celle du bail commercial,

- dire et juger que la communauté de biens entre les époux [B] n'a pas d'effet sur la titularité du bail qui reste au seul nom de M. [B],

- en conséquence,

- dire et juger que la sommation en date du 23 mars 2004, délivrée à M. [B] doit produire tous ses effets, en particulier que Mme [I] pourra faire valoir les clauses du bail à propos du changement de la nature de l'activité (boucherie, charcuterie, traiteur), de la modification du caractère 'mixte' des locaux (professionnel et habitation) ainsi que des nuisances sonores et olfactives qui en découlent,

- dire et juger irrecevable l'intervention de Mme [B], née [N], pour défaut de qualité dans la procédure en résiliation du bail commercial,

- dire et juger que de la sommation du 23 mars 2004, la résiliation est acquise, faute pour M. [B] d'avoir régularisé sa situation en conformité avec le bail,

- dire et juger que M. [B] a changé la nature de l'activité de boucherie, seulement autorisée par le bail en réalisant une extension de son activité de boucherie à celle de charcuterie-traiteur, au mépris des dispositions de la clause 1°) du bail et des dispositions des articles L. 145-47 et L. 145-48 du code de commerce, ce qui constitue de facto un manquement à ses obligations contractuelles, qui entraîne la résiliation de plein droit du bail par la clause résolutoire,

- dire et juger que M. [B] a modifié la destination intérieure des lieux et procédé à des installations nouvelles sans autorisation du bailleur pour exercer son activité de charcuterie traiteur, soit au mépris de la clause 14°) du bail et des dispositions légales, ce qui constitue un manquement à ses obligations contractuelles, qui entraîne la résiliation de plein droit du bail par la clause résolutoire,

- dire en conséquence que, sans analyser le caractère connexe ou pas des activités, le bail est résilié de plein droit,

- dire et juger que le fait pour M. [B] d'exercer une activité de charcuterie-traiteur, qui engendre des nuisances olfactives et sonores, constitue un manquement à ses obligations contractuelles, qui entraîne la résiliation de plein droit du bail par la clause résolutoire,

- constater la résiliation du bail et déclarer M. [B] occupant sans droit ni titre depuis le 23 avril 2004,

- dire et juger que le bail commercial de M. [B] a donc cessé d'exister au 23 mars 2004,

- dire et juger en conséquence, que l'offre de renouvellement du bail des époux [U] est nulle,

- ordonner l'expulsion de M. [B] et de tous occupants de son chef et notamment les époux [U], ainsi que la séquestration, à ses frais, risques et périls, des marchandises et objets garnissant les lieux dans les garde-meubles qu'il plaira au tribunal de désigner, dans le mois de la signification de la décision sous peine d'astreinte de 800 euros par jour de retard,

- fixer l'indemnité d'occupation à compter du 23 avril 2004 jusqu'à libération des lieux, remise des clés et état des lieux, à la somme de 752,93 euros par trimestre, outre les charges, et condamner à payer la dite indemnité,

- dire et juger recevables et bien fondées les oppositions de Mme [I] à la vente du fonds de commerce de M. [B], d'abord à M. [P] [B] et Mme [A] et ensuite aux époux [U],

- condamner M. [B] à payer à la Mme [I] la somme de 60 160 euros au titre de son préjudice économique à réactualiser au jour du jugement,

- condamner M. [B] à payer à Mme [I] la somme de 59 400 euros au titre de son préjudice de jouissance qui sera réactualisé au jour du jugement,

- condamner M. [B] à payer à Mme [I] la somme de 8 000 eros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamner M. [B] à payer à Mme [I] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens et aux frais d'expertise.

*

M. et Mme [B] exposent que l'activité de boucherie - charcuterie est exercée dans les lieux depuis les années 1970 et que c'est en cet état qu'ils ont acquis le fonds ; ils estiment que le commandement est irrégulier et qu'en toute hypothèse, il n'y a pas lieu à résiliation.

Ils demandent :

Vu l'exploit de Me [M], huissier de Justice, en date du 6 avril 2005, portant notification du départ en retraite de M. [D] [B] et de la cession de son fonds de commerce à M. [P] [B] et Mme [W] [A] et ce par application de l'article L. 145-51 du code de commerce,

Vu l'exploit de Me [L], huissier de justice, en date du 30 juillet 2007 réitérant l'intention de M. et Mme [B] de bénéficier de leur droit à la retraite et la cession de leur fonds de commerce à M. et Mme [U],

Vu les avis d'échéances de loyers adressés par la bailleresse à M. [B] fin 2004 et courant du 1er trimestre 2005, sans réserve,

Vu l'absence de dénonciation de la sommation du 23 avril 2004 à Mme [J] [B], commune en biens avec son mari, détentrice du fonds de commerce de la cause et épouse de M. [B] au titre du bail d'habitation et l'absence de poursuite en résiliation de bail avant la notification du départ en retraite du 6 avril 2005,

- confirmant le jugement,

- dire et juger inopposable à Mme [B] la sommation du 23 avril 2004 et partant, irrecevable la demande de résiliation de bail à son encontre,

- constater la poursuite de l'exécution du bail commercial sans réserve, en tout cas depuis la sommation du 23 avril 2004 jusqu'à la notification par exploit introductif d'huissier du 6 avril 2005 du départ en retraite de M. [B],

- débouter par conséquent Mme [I] de l'intégralité de ses demandes,

- à titre subsidiaire,

Vu l'exploitation des consorts [V] ' [T] et M. [R] en activité de boucherie charcuterie avec un bail commercial consenti par la Régie Morellon, mandataire des consorts [I] en boucherie uniquement,

Vu la reprise de cette erreur lors de l'acte authentique du 9 mai 1970 portant acquisition par M. [B] d'une fonds de commerce de boucherie charcuterie-traiteur,

Vu l'absence de preuve d'un changement de destination des lieux en 2003,

Vu la qualité de bailleresse de Mme [I] et son obligation de délivrer un local conforme à la destination du fonds de commerce,

Vu les conclusions du rapport d'expertise de M. [Q] précisant que les nuisances acoustiques ne sont pas liées à l'activité de boucherie et que les nuisances olfactives peuvent représenter un inconvénient normal de voisinage car le laboratoire n'a pas d'équipement d'évacuation des odeurs,

- rejeter l'intégralité des demandes de Mme [I] comme non fondées,

- dire et juger en toute hypothèse que l'opposition formée par Mme [I] à l'encontre de la vente du fonds de commerce de M. et Mme [B] à M. et Mme [U] n'est pas davantage fondée,

- condamner Mme [I] à titre reconventionnel à payer à M. et Mme [B] les sommes suivantes':

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en compensation du préjudice subi par M. [B] du fait de l'opposition abusive de Mme [I] aux droits acquis par application de l'article L. 145-51 du code de commerce,

- 10 000 euros à titre de participation article 700 du code de procédure civile.

*

M. et Mme [U] exposent qu'ils ont acquis le fonds exploité dans les lieux'; ils s'associent à l'argumentation de M. et Mme [B] en ce qui concerne la nullité de la sommation du 23 mars 2004 et l'exploitation ancienne d'une boucherie-charcuterie dans les lieux ; ils soutiennent qu'aucune déspécialisation n'est intervenue, pas plus que de modification des lieux et que les troubles prétendus ne sont pas établis.

Il précisent que la précarité de leur situation juridique leur ferme les possibilités de crédit bancaire et concluent à la confirmation du jugement.

A titre subsidiaire, ils demandent de constater l'absence de résolution du bail et la validité de leur offre de renouvellement, et de condamner Mme [I] à leur payer une somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

' M. et Mme [B] ont acquis ensemble le fonds de commerce.

M. [B], seul, a contracté un bail avec M. [I]'en 1970 ; ce bail a été renouvelé, toujours par le seul M. [B], en 1997.

Peu important qu'elle soit coexploitante et copropriétaire du fonds, Mme [B] n'est pas partie au bail.

Une telle qualité ne se déduit pas plus du fait qu'elle est l'épouse du preneur commercial et que Mme [I] connaissait ces deux circonstances.

Cela n'implique pas la création ni la reconnaissance d'un lien de droit entre le bailleur et Mme [B], alors que l'époux de cette dernière, qui connaissait tout autant la situation, a seul signé le bail renouvelé du 23 octobre.

Par ailleurs, la cotitularité du bail entre époux ne trouve pas à jouer, M. et Mme [B] ne prétendant ni n'établissant que la partie affectée à l'habitation, d'ailleurs modeste en superficie et reconvertie par leurs soins en dépendance du commerce, constituerait le logement familial.

Si donc Mme [B] tient de sa qualité de coexploitante et copropriétaire du fonds un intérêt suffisant à intervenir à l'instance en résiliation du bail, afin de voir statuer sur sa qualité de preneur, sa demande n'est pas fondée, cette qualité ne se déduisant ni des termes du bail, ni de la pratique des parties, ni d'aucune circonstance pouvant induire un effet légal de cotitularité,

Par conséquent, la sommation a été régulièrement délivrée au seul preneur ; elle n'avait pas à l'être à Mme [B] ; elle est valable.

' Selon le bail, la destination des lieux est le 'commerce de boucherie et habitation personnelle'et le preneur s'est engagé à '1°) : ne pas changer la destination des lieux loués' ainsi que '14°) : ne pas changer l'aspect extérieur des lieux loué ni lieur distribution intérieure ni faire des travaux, transformations ou installations nouvelles sans l'autorisation écrite du bailleur ou de son mandataire' et enfin, '44° : ne rien utiliser et ne se servir d'aucune machine ou appareil qui puissent apporter au voisinage quelque nuisance par les mauvaises odeurs, la malpropreté, les vibrations, trépidations et bruits ou de toute autre manière'.

Ces stipulations servent de fondement aux griefs développés par Mme [I], exprimés dans le commandement du 23 mars 2004, qui formule trois griefs :

1 : Violation de la destination, dans la mesure où, selon constat d'huissier, sont offerts à la vente des 'merguez, andouillettes, barbecue, salade de calamars, taboulé, salades variées, langue de boeuf, gratin dauphinois, gâteau de foie de volaille, cuisses de lapin, cuisses de canard, quiche, aspic, ainsi que des plats cuisinés : macédoine, jardinière, calamars, museau, nems, roulées, saucissons briochés, pommes dauphines ...'.

A ce propos, un constat, dressé le 1er avril 2005 montre que ce type de commerce continue à cette date et l'huissier, outre les constatations déjà faites auparavant note encore : 'crêpes, croque-monsieur, foie gras maison, salades diverse et variées, carottes râpées, etc, ainsi que 'saucisses de Francfort, garniture de choucroute, farce à la tomate, tripes maison, cervelle de veau, tête de veau, etc'.

Il fait état d'une ardoise portant la liste de différents plats proposés à la vente et précise qu'au moment où il notait sa présence, 'une dame du magasin l'a ôtée', mais qu'il a 'pu relever que la liste concernait des plats exclusivement cuisinés, tels que langue de boeuf farcie, etc' ; enfin, il note que sont présentées des bouteilles de vin rouge bouchées, des bocaux de légumes, tels que haricots' et des 'saucissons secs'.

2 : Violation de la stipulation concernant les travaux pour avoir installé, en l'absence de toute autorisation, une armoire frigorifique dans le laboratoire, qui provoque des nuisances sonores et des vibrations, notamment dans l'appartement de Mme [I]

3 : Manquement résultant enfin du fait de 'stationner quotidiennement son véhicule dans la cour de l'immeuble, bien que disposant de deux places de stationnement et en outre d'avoir fait installer au printemps 2003, sans autorisation préalable, une climatisation avec passage dans les murs porteurs, qui entraîne une surchauffe préjudiciable pour l'immeuble et une nuisance pour le logement situé à l'aplomb'.

La question du stationnement n'est plus invoquée, de sorte qu'il n'est pas prétendu que la clause résolutoire trouverait à jouer en ce qui la concerne.

' S'agissant du grief pris de la violation de la destination, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.

Or, il résulte des nombreuses attestations convergentes produites aux débats que le commerce exploité dans les lieux était une boucherie- charcuterie, et cela depuis des décennies, du vivant de M. [I], lorsqu'il a donné à bail aux exploitants précédents, puis lorsque M. et Mme [B] leur ont succédé.

Cela n'est d'ailleurs pas contesté par Mme [I].

A aucun moment il n'a été question, durant cette très longue période, d'une extension prohibée de l'activité permise.

En soi, il pourrait s'agir d'une tolérance, qui ne serait pas susceptible de créer quelque droit.

Mais en l'occurrence, le bailleur habite le même immeuble et il n'est pas contesté que Mme [I] était cliente de la boutique.

Il s'agit là d'actes positifs de reconnaissance de la licéité de l'activité du preneur.

En réalité, compte tenu de l'ancienneté du commerce, du caractère public de son exploitation et de l'approbation du bailleur, au quotidien, c'est à juste raison que M. [B] soutient que la mention du bail, 'boucherie', procède d'une erreur.

Elle s'entendait bien, dans l'intention commune des parties au bail, comme visant l'activité du preneur, qui est, et a toujours été, celle de boucher-charcutier, de même que celle de son cédant.

Les deux activités sont si connexes, et leur association si fréquente dans l'esprit du public, qu'on ne peut tirer argument d'une stipulation convenue entre contractants non juristes, qui ont simplement repris ce qui avait été convenu auparavant.

Des termes du contrat, tel que son sens résulte de la pratique des parties, il doit être conclu que la destination des lieux était bien la boucherie-charcuterie.

' Mais M. [B] a développé une autre activité, celle de traiteur.

En effet, la préparation de plats à emporter relève essentiellement de l'activité de traiteur, peu important qu'ils soient ou non livrés à domicile et qu'il ne soit pas prétendu que M. [B] fournit des produit ou repas pour des réceptions ou autres festivités.

Au contraire, la charcuterie concerne essentiellement la préparation de la chair de porc.

Certes, dans la réalité de ce type de commerce, les préparations spécifiquement charcutières sont souvent associées à l'offre de produits simples en rapport avec cette activité principale.

Or, s'il ressort de la description donnée par les divers constats d'huissier que certaines des préparations sont de celles que l'on s'attend à trouver dans une charcuterie (salades divers et variées, taboulé, carottes râpées, macédoine, quiches, aspic, voire gratin dauphinois ou gâteau de foie de volaille ...), d'autres caractérisent nettement une activité de traiteur : salade de calamars, cuisses de lapin, cuisses de canard, nems, crêpes, croque-monsieur, foie gras maison, langue de boeuf farcie, gratin de courge, fondant de flétan aux écrevisses, brandade de morue, rognons au madère ....

Il ne s'agit plus là de charcuterie, même conçue de manière assez extensive, mais d'une activité que la destination contractuelle des lieux n'autorise pas.

Il en résulte que Mme [B] était fondée à faire délivrer commandement de cesser cette infraction au bail dès lors :

- que le bail stipule clairement que les lieux sont loués à usage de boucherie et cette définition doit être comprise comme sous-entendant la permission de se livrer à la préparation et à la vente de produits de charcuterie,

- que, de ce point de vue, il n'était pas nécessaire de recourir à une procédure de despécialisation,

- que la réalité d'une exploitation ancienne de produits de charcuterie dans les lieux n'implique au contraire aucune novation en faveur d'une activité de traiteur.

D'une part, en effet, les attestations versées aux débats par M. [B] ne sont pas assez précises pour permettre de considérer que les 'plats préparés' dont il est question sont de la nature de ceux qui font l'objet des constats dressés depuis 2003 ; il peut s'agir de 'plats' relevant de l'activité charcutière.

D'autre part, M. [B] soutient que la préparation ne s'effectue pas sur place ; cela est nettement dementi par les constatations de l'expert judiciaire, qui a relevé la persistance de fortes odeurs de cuisine dans les appartements voisins, et aucune pièce ne démontre que ces plats sont en réalité achetés à des tiers, et simplement commercialisés dans la boutique.

Contrairement, enfin, à la thèse du preneur, le bail ne s'est pas poursuivi après la sommation délivrée le 23 mars 2004, du seul fait de la perception sans réserve des loyers jusqu'à la délivrance de l'assignation en référé, le 12 septembre 2005.

Cette seule circonstance ne vaut pas preuve de l'accord de Mme [I] pour renoncer aux effets de cette sommation, ce délai n'étant pas tel qu'il induise à lui seul une telle renonciation et le preneur occupant effectivement les lieux de sorte que, loyer ou indemnité d'occupation, une contrepartie était due.

Enfin, que la situation ait ou non évolué depuis 2003 l'activité de traiteur n'a jamais été autorisée, elle a été adjointe à celle permise par le bail, sans que le consentement du bailleur soit caractérisé.

Elle ne pouvait l'être, pas même au sens le plus pratique du terme, puisque l'expert judiciaire a constaté que les locaux ne sont pas compatibles avec cette activité, faute d'être équipés de manière adéquate.

Elle s'est poursuivie au-delà du délai d'un mois suivant la délivrance de la sommation.

Les conditions posées par la clause résolutoire stipulée au bail sont donc remplies.

Mme [I] est fondée à voir constater la résiliation du bail et à obtenir l'expulsion des occupants, sans qu'il y ait lieu toutefois d'entrer dans tous les détails d'exécution qu'elle suggère et qui relèveront de la juridiction compétente, si des difficultés surviennent.

Un délai doit être ménagé pour cette expulsion.

L'indemnité d'occupation sera égale au loyer et charges courants.

' M. et Mme [U] ne sont ainsi titulaires d'aucun droit opposable au bailleur et ne sont pas fondés à obtenir le renouvellement du bail résilié avant leur achat du fonds.

Il en résulte que l'opposition de Mme [I] à la cession du fonds est justifiée.

Pour autant, ils subissent ainsi les conséquences du litige principal ; les dépens ne sont pas à la leur charge.

' Les autres griefs ne sont pas détachables de celui fondant cette résiliation : ils en constituent la suite même et n'ont pas à être examinés de façon spécifique.

' Le préjudice subi par M. et Mme [B] est considérable, mais résulte du fait qu'aucune tentative de remise en ordre soit de la situation concrète, soit de l'environnement juridique de l'exploitation, par recours aux procédures légales de despécialisation, n'a été tentée en temps utile.

Mme [I] demande paiement de dommages et intérêts , mais :

- il ne résulte pas de l'attestation de l'agence immobilière que le défaut de location des logements soient dus aux nuisances produites par le commerce ; les divers occupants des lieux témoignent d'ailleurs de manière si contradictoire sur ce point qu'il ne peut être retenu que ce sont ces nuisances qui expliquent la situation,

- il en va de même, au regard de ces attestations, de la prétendue minoration de loyer concernant un autre appartement, qui est loué au petit-fils de la bailleresse, car le principe même de cette minoration ne peut être mise en relation avec des troubles non avérés, plutôt qu'avec d'autres considérations, familiales en l'espèce,

- le préjudice moral existe, une campagne de presse et des manifestations professionnelles ayant été menées pour dénoncer la situation créée par le bailleur ; pour autant, le présent arrêt, qui tire les conséquences que la Cour estime devoir attacher aux fait et principes en débat, constitue une réparation morale, adéquate et suffisante, en confirmant le bien-fondé de sa thèse.

' Les dépens sont à la charge de M. et Mme [B].

Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

- Infirme le jugement entrepris,

- Statuant à nouveau,

- Dit Mme [B] recevable, mais non fondée en son intervention,

- Dit que la sommation du 23 mars 2004 est régulière,

- Dit que M. [B] a procédé à une despécialisation sans autorisation, en se livrant à une activité de traiteur qui a perduré au-delà d'un délai d'un mois suivant cette sommation,

- Constate la résiliation du bail conclu entre Mme [I] et M. [B] a effet du 23 avril 2004,

- Dit qu'en conséquence, l'offre de renouvellement de bail émanant des époux [U] est dépourvue de portée,

- Ordonne l'expulsion de M. [B] et de tout occupant de son chef, à l'expiration d'un délai de quatre mois suvant la signification du présent arrêt.

- Fixe l'indemnité d'occupation à compter du 23 mai 2004 jusqu'à libération des lieux, remise des clés et état des lieux, à la somme de 752,93 euros par trimestre, outre les charges, et condamne l'occupant au paiement de cette indemnité,

- Dit recevables et bien fondées les oppositions de Mme [I] à la vente du fonds de commerce de M. [B],

- Déboute M. et Mme [U] de leur demande de validation de leur offre de renouvellement de bail,

- Déboute Mme [I] des ses demandes de dommages et intérêts,

- Condamne M. et Mme [B] à payer à Mme [I] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne M. et Mme [B] aux entiers dépens de première instance et d'appel des instances jointes, ainsi qu'aux frais d'expertise et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

Joëlle POITOUXMichel GAGET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 12/03536
Date de la décision : 27/03/2014

Références :

Cour d'appel de Lyon 01, arrêt n°12/03536 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-03-27;12.03536 ?
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