AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 12/01879
[W]
C/
[Adresse 3]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 06 Mars 2012
RG : F 09/02855
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 16 MAI 2013
APPELANT :
[F] [W]
né le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Me Kabaluki BAKAYA, avocat au barreau de LYON
Intimé dans le RG n° 12/03198 (Fond)
INTIMÉ :
[M] [Y]
né le [Date naissance 2] 1972 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par la SELARL ACO (Me Thierry PETIT), avocats au barreau de LYON
Appelant dans le RG n° 12/03198 (Fond)
PARTIES CONVOQUÉES LE : 04 Mai 2012
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Novembre 2012
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre
Hervé GUILBERT, Conseiller
Christian RISS, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 16 Mai 2013, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre, et par Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 6 mars 2012 par le Conseil de Prud'hommes de LYON , dont appel ;
Vu les conclusions déposées le 7 novembre par [F] [W], appelant, incidemment intimé ;
Vu les conclusions déposées le 2 novembre 2012 par [M] [Y], intimé, incidemment appelant ;
Ouï les parties en leurs explications orales à l'audience du 7 novembre 2012 ;
La Cour,
Attendu que suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er août 2008, [F] [W] a été embauché en qualité de boulanger par [M] [Y] exploitant en nom personnel un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie à [Localité 4] ;
que ledit contrat de travail stipulait une durée mensuelle de travail de 169 heures et une rémunération mensuelle nette de 1 600 € ;
qu'il y était précisé que les horaires de travail étaient susceptibles d'être modifiés selon les nécessités du service sans que le salarié puisse refuser ces modifications et que, le cas échéant, des heures supplémentaires pourraient être demandées à celui-ci en fonction des nécessités de l'entreprise et en conformité avec les dispositions légales et réglementaires ;
Attendu que trois avenants successifs ont modifié les horaires de travail du salarié qui comportaient des heures de nuit majorées, ainsi que son jour de repos hebdomadaire ;
Attendu que par lettre recommandée du 23 mai 2009, l'employeur a informé le salarié d'une nouvelle modification de ses horaires de travail ne comportant plus d'heures de nuit majorées, ce à effet du 8 juin 2009 ;
qu'il était précisé dans ladite lettre que ce changement entraînerait une baisse de rémunération qui serait compensée par une prime mensuelle dégressive ;
que par lettre du 3 juin 2009, le salarié a refusé cette modification de ses horaires de travail ;
Attendu que par lettre recommandée du 11 juin 2009, l'employeur a proposé au salarié de travailler selon les nouveaux horaires précisés dans sa précédente missive du 23 mai 2009, sa rémunération mensuelle étant toutefois maintenue à 1 600 € pour 39 heures hebdomadaires de travail ;
que [F] [W] a refusé de signer l'avenant proposé ;
que le 23 juin 2009, il a réclamé à l'employeur le paiement de 666 heures supplémentaires effectuées au cours de la période de septembre 2008 à avril 2009 ;
Attendu que par lettre recommandée du 2 juillet 2009, après un entretien préalable qui s'est tenu le 27 juin 2009, [M] [Y] a notifié à [F] [W] son licenciement à raison de son refus de la modification du contrat de travail liant les parties ;
Attendu que le 7 juillet 2009, [F] [W] a saisi la juridiction du Travail en lui demandant de condamner [M] [Y] à lui payer des dommages et intérêts à des titres divers, des rappels de salaires et des indemnités de différentes natures ;
que le défendeur a conclu au débouté de toutes les prétentions de son ancien salarié ;
Attendu que c'est à la suite de ces circonstances que par jugement du 6 mars 2012, le Conseil de Prud'hommes de LYON a notamment :
- condamné [M] [Y] à payer à [F] [W] la somme de 9 890 € à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre celle de 989 € pour les congés payés y afférents,
- condamné le même à lui payer :
1° la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour omission de la mention du droit à priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement,
2° la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour omission de la mention relative au droit individuel à la formation dans la lettre de licenciement,
- débouté [F] [W] du surplus de ses prétentions ;
Attendu que le susnommé a régulièrement relevé appel de cette décision le 7 mars 2012 ;
Attendu, sur les heures supplémentaires, que les tableaux des heures de travail prétendument effectuées de septembre 2008 à avril 2009 rédigés et établis par l'appelant lui-même sans qu'il fasse connaître les bases qui lui ont permis de reconstituer son activité professionnelle quotidienne sur la période considérée, ne peuvent constituer un élément de nature à permettre à la Cour de prendre sa demande en considération ;
qu'il est à cet égard indifférent que le sieur [C] [X] atteste de ce qu'il effectuait les mêmes horaires que l'appelant et qu'il ait été lui-même rémunéré pour des heures supplémentaires alors que les horaires effectivement réalisés par ledit sieur [X] ne sont pas connus et qu'en outre l'intéressé était aussi en litige avec l'intimé devant la juridiction prud'homale lorsqu'il a rédigé son attestation que la Cour estime dépourvue de toute valeur probante ;
Attendu qu'à défaut, pour l'appelant, de fournir le moindre élément pouvant laisser supposer qu'il ait accompli des heures supplémentaires au-delà de celles qui ont été régulièrement rémunérées par l'employeur, il échet de réformer la décision critiquée et de débouter [F] [W] de toutes les prétentions s'y rapportant, y compris celles relatives au travail dissimulé ;
qu'en effet, si la preuve de l'accomplissement d'heures supplémentaires n'incombe pas spécialement au salarié ou à l'employeur, encore faut-il que le salarié qui prétend n'avoir pas été rempli de ses droits fournisse au juge un minimum d'éléments permettant d'envisager la possibilité de l'accomplissement d'heures supplémentaires qui n'auraient pas été rémunérées ;
qu'en l'espèce, force est de constater qu'aucun élément de cette nature n'est produit par l'appelant qui, en fait, se borne à des affirmations et demande à être cru sur parole ;
Attendu, sur la rupture du contrat de travail, que la lettre de licenciement du 2 juillet 2009 fixe les limites du litige ;
que cette missive indique que les nécessités de réorganisation de l'entreprise qui comporte deux magasins de boulangerie, dont l'un récemment ouvert, entraînent un changement des horaires de fabrication afin de répondre aux attentes de la clientèle, et par voie de conséquence, une modification des horaires de travail du personnel, en particulier de celui qui contribue à la fabrication du pain et des produits divers offerts à la vente, de sorte que le refus du salarié de la modification des ses horaires de travail justifie la rupture des relations contractuelles ;
Attendu que dans la lettre de licenciement précitée, l'employeur a indiqué expressément que le changement de répartition des horaires de travail proposé au salarié constituait une modification du contrat de travail ;
que le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail ne peut constituer, comme le soutient à tort l'intimé, un motif personnel de licenciement ;
que le licenciement du salarié concerné, fondé uniquement sur son refus d'une modification de son contrat de travail découlant de la nécessité de réorganiser le fonctionnement de l'entreprise, est par nature économique ;
Attendu que la lettre de licenciement du 2 juillet 2009, contrairement à ce que soutient l'appelant, est parfaitement explicite et suffisamment motivée en ce qu'elle précise que l'entreprise comportant désormais deux points de vente situés dans deux localités différentes, il convient d'adapter la production aux désirs de la clientèle en offrant à celle-ci des produits frais tout au long de la journée et non plus seulement le matin ;
que dès lors que le salarié refuse une modification de son contrat de travail justifiée par l'évolution de l'entreprise et son adaptation au marché, le motif économique retenu par l'employeur pour justifier la rupture du contrat de travail doit être reconnu bien fondé ;
Attendu, cependant que la lettre de licenciement du 2 juillet 2009 ne comporte aucune mention relative à la recherche d'un reclassement quelconque du salarié ou à l'impossibilité de son reclassement ;
que dès lors, le licenciement ne peut qu'être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
qu'il sera donc alloué à [F] [W] dont il convient de souligner qu'il a retrouvé un nouvel emploi dès le 4 juillet 2009, la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Attendu, sur l'indemnité compensatrice de préavis, que le salarié a lui-même demandé le 4 juillet 2009 à être dispensé de son préavis, ce que l'employeur a accepté le lendemain, 5 juillet 2009 ;
que le salarié ne peut donc prétendre à aucune indemnité compensatrice de préavis ;
Attendu, sur l'irrégularité de la procédure, que l'intimé n'est pas en mesure de justifier de ce que le salarié a été convoqué à l'entretien préalable dans les formes prescrites par la loi ;
qu'en effet la lettre de convocation du 20 juin 2009 qu'il produit aux débats, prétendument remise en main propre contre décharge ne comporte pas la signature du salarié ;
qu'il est cependant constant et non contesté que celui-ci s'est rendu à l'entretien préalable fixé au 27 juin 2009 ;
Attendu, dans ces conditions, qu'il échet d'allouer à [F] [W] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts ;
Attendu, sur l'absence de mentions relatives à la priorité de réembauchage et au droit individuel à la formation, qu'il est constant que ces mentions font défaut dans la lettre de licenciement alors que la rupture du contrat de travail repose nécessairement sur un motif économique ;
que la décision querellée a justement évalué le préjudice résultant de ces omissions et qu'il sera donc confirmé de ces chefs ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
Attendu que les appels principal et incident étant reconnus fondés, les dépens seront partagés par moitié entre les parties ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme, déclare recevables tant l'appel principal que l'appel incident ;
Au fond, les dit l'un et l'autre justifiés ;
Réformant, déboute [F] [W] de toutes ses prétentions relatives au payement d'heures supplémentaires et à des dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
Déclare le licenciement de [F] [W] par [M] [Y] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne [M] [Y] à payer à [F] [W] la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef ;
Le condamne à lui payer la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement ;
Confirme pour le surplus le jugement déféré ;
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
Partage les dépens par moitié entre les parties .
Le Greffier, Le Président,
Evelyne FERRIER Jean-Charles GOUILHERS