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03/05/2013 | FRANCE | N°12/01458

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 03 mai 2013, 12/01458


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 12/01458





SAS FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS



C/

[G]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 24 Janvier 2012

RG : F 09/00535











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 03 MAI 2013













APPELANTE :



SAS FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS

[Adres

se 2]

[Localité 2]



représentée par Me Cyril GAILLARD, avocat au barreau de PARIS







INTIMÉE :



[V] [G]

née le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 3])

[Adresse 1]

[Localité 1]



comparant en personne, assistée de la SCP ANTIGONE AVOCATS (Me Pierre MASANOVIC),...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 12/01458

SAS FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS

C/

[G]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 24 Janvier 2012

RG : F 09/00535

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 03 MAI 2013

APPELANTE :

SAS FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Cyril GAILLARD, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

[V] [G]

née le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 3])

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparant en personne, assistée de la SCP ANTIGONE AVOCATS (Me Pierre MASANOVIC), avocats au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 08 Mars 2013

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Nicole BURKEL, Président de chambre

Marie-Claude REVOL, Conseiller

Michèle JAILLET, Conseiller

Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 03 Mai 2013, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nicole BURKEL, Président de chambre, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS, venant successivement aux droits de la société CURTY et compagnie, de la société CEFILAC, de la société CURTY et de la société CURTY PAYEN, fabrique des joints destinés à l'étanchéité des moteurs automobiles sur son site de [Localité 4] ; jusqu'en 1994, elle utilisait de l'amiante blanche pour la fabrication des joints ; un arrêté ministériel du 3 juillet 2000 a inscrit l'établissement de [Localité 4] sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1916 à 1994.

[V] [G] a été embauchée au sein de l'établissement de [Localité 4] du 17 avril 1978 au 31 août 2001 en qualité de sténodactylo et de secrétaire ; elle a bénéficié de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; elle n'est pas atteinte d'une maladie professionnelle causée par l'amiante.

[V] [G] a saisi le conseil des prud'hommes de LYON ; elle a réclamé des dommages et intérêts en réparation du préjudice économique lié à son départ anticipé de l'entreprise, des dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété lié au risque éventuel de contracter une maladie causée par l'amiante et une indemnité au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 24 janvier 2012, le conseil des prud'hommes :

- s'est reconnu compétent pour statuer sur le litige,

- a débouté la salariée de sa demande fondée sur le préjudice économique,

- a condamné la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS à verser à la salarié la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété,

- a condamné la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS à verser à la salariée la somme de 400 euros au titre des frais irrépétibles,

- a prononcé l'exécution provisoire,

- a condamné la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS aux dépens de l'instance.

Le jugement a été notifié le 25 janvier 2012 à la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS qui a interjeté appel par lettre recommandée adressée au greffe le 24 février 2012.

Par ordonnance du 14 mai 2012, le Premier Président a débouté la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire et l'a condamnée à verser à la salariée la somme de 100 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'affaire appelée à l'audience du 12 octobre 2012 a été renvoyée à la demande des parties.

Par conclusions visées au greffe le 8 mars 2013 maintenues et soutenues oralement à l'audience, la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS :

- allègue ses très importantes difficultés financières,

- reconnaît qu'elle a fabriqué des joints avec un matériau à base d'amiante jusqu'en 1994, année au cours de laquelle elle a abandonné toute utilisation d'amiante et a fait décontaminer son site de [Localité 4],

- qualifie la procédure qui s'est déroulée devant le conseil des prud'hommes de rocambolesque et attentatoire à ses droits sans en tirer de conséquences juridiques,

- demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande fondée sur le préjudice économique,

- soutient que l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante constitue une réparation forfaitaire de l'intégralité des dommages susceptibles de découler pour un salarié de son exposition à l'amiante au cours de sa carrière professionnelle et que le versement de cette allocation exclut toute autre indemnisation,

- en tire pour conséquence, que le salarié ne peut ni réclamer la réparation d'un préjudice économique, ni celle d'un préjudice d'anxiété, ni celle d'un bouleversement dans les conditions d'existence,

- au subsidiaire, fait valoir que les conditions de mise en oeuvre de sa responsabilité civile ne sont pas réunies et qu'un préjudice ne peut être réparé forfaitairement,

- relève que le préjudice résultant du bouleversement dans les conditions d'existence s'apparente soit à un préjudice économique déguisé soit au préjudice d'anxiété,

- dénie qu'elle a commis une faute dans la mesure où elle a respecté les réglementations relatives à l'hygiène et à la sécurité de ses salariés et a cessé d'utiliser l'amiante avant même que ce matériau soit interdit,

- estime que les salariés ne prouvent pas leurs préjudices soit qu'ils n'aient aucune pièce, soit qu'ils versent des pièce fabriquées pour les besoins de la cause et invoque la faiblesse du risque encouru par les salariés,

- ajoute que pour être indemnisé le préjudice d'anxiété doit être permanent,

- demande le rejet des prétentions du salarié et sa condamnation à rembourser la somme versée en exécution du jugement entrepris,

- à l'infiniment subsidiaire, souhaite que l'indemnisation de chaque salarié soit objectivement et précisément évaluée et individualisée en fonction du poste occupé et de la durée d'emploi et sollicite une expertise sur l'importance du préjudice d'anxiété,

- réclame la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation du salarié aux dépens.

Par conclusions visées au greffe le 8 mars 2013 maintenues et soutenues oralement à l'audience, [V] [G] qui interjette appel incident sur le montant des dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété, abandonne sa demande au titre du préjudice économique et forme une demande nouvelle au titre du bouleversement dans les conditions d'existence :

- invoque l'article L. 4121-1 du code du travail qui lui permet d'engager la responsabilité contractuelle de l'employeur qui a failli à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de son salarié et protéger sa santé et de réclamer l'indemnisation de son entier préjudice,

- affirme qu'elle a été exposée à l'amiante dans le cadre de son activité professionnelle et en veut pour preuve l'inscription de l'établissement où elle travaillait sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et les maladies professionnelles causées par l'amiante dont ont souffert certains de ses collègues,

- prétend que son employeur connaissait les dangers causés par l'amiante et ne l'a pas protégée des poussières d'amiante,

- déclare subir un préjudice d'anxiété et un préjudice découlant du bouleversement dans ses conditions d'existence et soutient que le droit à réparation de ces préjudices résulte nécessairement et sans avoir à justifier d'autres éléments de la seule inscription de la société employeur sur la liste des établissements ayant exposé leurs salariés à l'amiante,

- souligne qu'elle a eu connaissance de la maladie et du décès de plusieurs de ses collègues de travail,

- précise qu'elle effectue des examens radiologiques pulmonaires dont le dernier date du 15 juin 2010,

- réclame la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété et la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice résultant du bouleversement dans ses conditions d'existence,

- sollicite, en cause d'appel, la somme complémentaire de 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de l'employeur aux dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le droit d'agir en indemnisation :

L'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 a créé le dispositif spécifique de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et a subordonné le versement de cette allocation, outre à des conditions d'âge, au fait que le salarié ait travaillé dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant la période où l'amiante y était utilisée.

Ce dispositif permet au salarié de cesser son activité avant d'avoir atteint l'âge de la retraite ; il est destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante et nullement à réparer les préjudices qui peuvent résulter de l'exposition à l'amiante.

Dès lors, ce dispositif qui n'est pas indemnitaire n'est pas exclusif de toute indemnisation et n'interdit pas au salarié d'agir en réparation de ses préjudices consécutifs à son exposition à l'amiante.

Sur le bien fondé de l'action en indemnisation :

L'article L. 4121-1 du code du travail fait peser sur l'employeur l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Le danger inhérent aux poussières a été stigmatisé par un décret du 10 mars 1894 qui exigeait que les poussières soient évacuées au fur et à mesure de leur production et que soit installés dans les ateliers des systèmes de ventilation aspirante ; plusieurs décrets ultérieurs ont édicté des réglementations de plus en plus strictes pour préserver les salariés des poussières ; le danger sur la santé des salariés causé par l'amiante a été admis par le droit du travail et le droit de la sécurité sociale ; ainsi, la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de l'amiante a été inscrite au tableau des maladies professionnelles le 2 août 1945 ; l'asbestose qui trouve sa cause dans l'inhalation de poussières d'amiante a été inscrite au tableau des maladies professionnelles le 31 août 1950 ; le décret du 17 août 1977 a pris des mesures particulières d'hygiène pour les établissements où les salariés étaient exposés aux poussières d'amiante et a notamment exigé un contrôle de l'atmosphère, la mise en place d'installations de protection collective et la mise à la disposition des salariés d'équipements de protection individuelle.

L'établissement de [Localité 4] de la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS a été inscrit sur la liste des établissements dont les salariés ont été exposés à l'amiante entre 1916 et 1994.

La salariée verse des résultats d'analyse dont il résulte qu'ont été retrouvés :

* sur 170 prélèvements moins d'une fibre d'amiante par centimètre cube et sur 22 prélèvements une à deux fibres d'amiante par centimètre cube en 1985,

* sur 224 prélèvements moins d'une demi fibre d'amiante par centimètre cube et sur 4 prélèvements plus d'une fibre d'amiante par centimètre cube en 1992.

Il s'évince de ces éléments que la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS a exposé ses salariés aux poussières d'amiante même après qu'elle ait été informée des risques causés par ce matériau.

La S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS ne verse aucune pièce sur son organisation et son fonctionnement ; elle ne justifie nullement qu'elle a mis en oeuvre une quelconque mesure pour protéger ses salariés des dangers provoqués par l'amiante et dont elle avait connaissance.

En conséquence, la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS a failli à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale de ses travailleurs.

Se plaçant hors du champ de la législation sur les risques professionnels, la salariée, pour obtenir une indemnisation, doit rapporter la preuve de la réalité et de l'étendue des préjudices que lui a causés le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; la seule inscription de la société employeur sur la liste des établissements ayant exposé leurs salariés à l'amiante ne permet pas de présumer l'existence du préjudice d'anxiété et du préjudice découlant du bouleversement dans les conditions d'existence.

D'une part, aucun texte légal n'instaure une telle présomption.

D'autre part, aucun élément factuel ne conduit à établir un lien automatique et nécessaire entre l'exposition à l'amiante et un ressenti anxieux ou un bouleversement dans les conditions d'existence ; ainsi, il est versé aux débats par les salariés un document émanant du service médical de l'assurance maladie RHONE-ALPES et faisant état des résultats du suivi médical qui a été opéré entre octobre 2003 et décembre 2005 sur plusieurs centaines de personnes ayant été exposées à l'amiante ; une enquête psychologique menée en NORMANDIE a montré que 'le fait de savoir que l'on a été exposé à l'amiante est associé chez 22 % des personnes à une augmentation significative de l'anxiété' ; la faiblesse de ce pourcentage interdit de reconnaître obligatoirement un préjudice d'anxiété aux salariés ayant été exposés à l'amiante ; enfin, les salariés ne versent aucune étude relative aux conséquences de l'exposition à l'amiante sur les conditions d'existence.

[V] [G] a été reconnue travailleuse de l'amiante par l'attribution de l'allocation de cessation anticipée d'activité ; elle justifie qu'elle a passé le 15 juin 2010 un examen radiologique pulmonaire qui a retrouvé des lésions d'emphysème.

Elle ne verse aucune autre pièce.

[V] [G] ne prouve donc pas que son exposition ancienne à l'amiante lui génère un sentiment d'anxiété ni modifie ses conditions d'existence.

En conséquence, [V] [G] doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété.

Le jugement entrepris doit être infirmé.

Le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement ; il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande de restitution formée par la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS laquelle est sans objet.

[V] [G] doit également être déboutée de sa demande nouvelle de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant du bouleversement dans les conditions d'existence.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

L'équité commande de débouter les parties de leurs demandes présentées en première instance et en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

[V] [G] qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Le jugement entrepris doit être infirmé.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme dans les limites de l'appel le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Déboute [V] [G] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété,

Juge n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées par la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS à [V] [G] en exécution du jugement infirmé,

Déboute les parties de leurs demandes présentées en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens de première instance à la charge de [V] [G],

Ajoutant,

Déboute [V] [G] de sa demande nouvelle de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant du bouleversement dans les conditions d'existence,

Déboute les parties de leurs demandes présentées en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens d'appel à la charge de [V] [G].

LE GREFFIER LE PRESIDENT

Malika CHINOUNE Nicole BURKEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 12/01458
Date de la décision : 03/05/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-05-03;12.01458 ?
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