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25/02/2013 | FRANCE | N°12/02686

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 25 février 2013, 12/02686


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEURS





R.G : 12/02686





SA DISTRIBORG FRANCE



C/

[M]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 15 Mars 2012

RG : F 10/02672











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 25 FEVRIER 2013







APPELANTE :



SA DISTRIBORG FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

>
représentée par Me Florence BACHELET, avocat au barreau de BORDEAUX







INTIMÉE :



[R] [M]

[Adresse 2]

[Localité 3]



comparant en personne, assistée de la SCP ANTIGONE AVOCATS (Me François DUMOULIN), avocats au barreau de LYON substituée par la SCP D'AVOCATS MASAN...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEURS

R.G : 12/02686

SA DISTRIBORG FRANCE

C/

[M]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 15 Mars 2012

RG : F 10/02672

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 25 FEVRIER 2013

APPELANTE :

SA DISTRIBORG FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Florence BACHELET, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

[R] [M]

[Adresse 2]

[Localité 3]

comparant en personne, assistée de la SCP ANTIGONE AVOCATS (Me François DUMOULIN), avocats au barreau de LYON substituée par la SCP D'AVOCATS MASANOVIC, PICOT, DUMOULIN (Me Ariane LOUDE), avocats au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Novembre 2012

Didier JOLY, Président et Mireille SEMERIVA, Conseiller, tous deux magistrats rapporteurs, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Didier JOLY, Président

Hervé GUILBERT, Conseiller

Mireille SEMERIVA, Conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 25 Février 2013 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

[R] [M] a été engagée par la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE le 22 avril 1980 en qualité d'employée de bureau.

Elle a évolué ensuite dans la société, devenant adjointe du responsable du service achats/approvisionnement dont elle est devenue responsable début 1994. Elle bénéficiait du statut de cadre depuis janvier 1991.

Son contrat de travail était soumis à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

En août 2003, [R] [M] percevait un salaire mensuel brut de 3 100 € pour 35 heures hebdomadaires de travail.

Ayant demandé à travailler à temps partiel pour être libre le mercredi, elle a perçu en septembre 2003 un salaire mensuel brut de 2 656,88 € pour 30 heures hebdomadaires de travail.

Au fil des années, les effectifs du service que dirigeait [R] [M] ont augmenté, passant de quatre à dix salariés.

De 2002 à 2005, les comptes rendus des entretiens annuels d'évaluation reflètent l'appréciation positive portée sur le travail de [R] [M] par son manager et la satisfaction que retirait la salariée de l'exercice de ses fonctions.

Sur le compte rendu de 2007, il a été noté que l'année avait été difficile en terme de gestion des ressources humaines en raison des congés de maternité et d'une mauvaise ambiance alimentée par certains membres de l'équipe. Néanmoins, [R] [M] avait su réagir en saisissant l'opportunité qu'offrait le renouvellement de l'équipe.

A la suite d'un courriel d'un délégué syndical appelant son attention sur les problèmes relationnels de [G] [B] avec [R] [M], la directrice des ressources humaines, [G] [H], a décidé de procéder à un audit dans le cadre duquel elle a entendu en avril et mai 2008 les salariés et d'anciens salariés du service achats/approvisionnement ainsi que [R] [M] et son manager.

Il en est résulté que la mauvaise ambiance du service était imputable à une voire deux salariées encore présentes mais démotivées, et entretenue par quelques salariées qui avaient quitté le service achats/approvisionnement. Cependant, des affinités trop visibles des managers avec certains membres de l'équipe et des différences de traitement non justifiées ont été relevées.

Au terme de cet audit, la directrice des ressources humaines a émis un certain nombre de recommandations.

Un premier avis d'arrêt de travail a été délivré à [R] [M] jusqu'au 1er décembre 2008.

De nouveaux avis d'arrêt de travail ont été prescrits à la salariée pour la période du 11 mai au 22 mai 2009.

Au cours de la réunion du Comité d'entreprise commun de l'unité économique et sociale DISTRIBORG du 12 juin 2009, au titre des questions diverses, la direction a été informée que depuis quelques années, plusieurs personnes s'étaient déjà plaintes des méthodes de management de [R] [M] et que de nombreux salariés s'étaient encore manifestés pour demander si des mesures seraient envisagées afin de régler le problème que [W] [Y] rencontrait au service approvisionnement avec sa responsable. La direction a répondu qu'elle était consciente de ce problème et reviendrait vers le Comité d'entreprise ultérieurement.

Le procès-verbal de la réunion a été diffusé à l'ensemble des salariés.

Un avis d'arrêt de travail a été prescrit à [R] [M] pour la période du 25 juin au 13 juillet 2009.Il a été constamment renouvelé jusqu'à la rupture du contrat de travail.

Dans un courriel adressé le 3 juillet 2009 aux membres de la direction de la société, [R] [M] s'est dite victime d'une cabale dans laquelle les victimes n'étaient pas celles qui criaient le plus fort, avec des nouveaux rebondissements à rythme régulier....toujours plus grotesques, toujours plus malhonnêtes, toujours plus hallucinants.

La direction a ensuite exprimé ses regrets pour la forme qu'avait prise la mise en cause de [R] [M], admettant que celle-ci n'aurait pas dû être visée nominativement dans le procès-verbal. Elle a cependant diffusé un communiqué qui ne se désolidarisait pas des faits du 12 juin 2009.

Par lettre recommandée du 18 novembre 2009, la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE a convoqué [R] [M] le 1er décembre en vue d'un entretien préalable à son licenciement. Celle-ci a de nouveau été convoquée le 30 novembre pour le 11 décembre 2009, mais ne s'est rendue à aucun des entretiens 'pour des raisons psychologiques'.

Par lettre recommandée du 12 janvier 2010, l'employeur lui a notifié son licenciement dans les termes suivants :

[...] Votre absence prolongée fragilise donc très fortement les approvisionnements pour l'entreprise qui a un besoin vital d'un manager présent et dédié à cette activité.

[...] Vous comprendrez que cette situation ne peut pas perdurer.

Il nous faut donc procéder à votre remplacement définitif.

La désorganisation du service liée à vos absences répétées et renouvelées nous oblige donc, dans l'intérêt de l'entreprise, à vous remplacer par l'embauche d'un nouveau responsable du service approvisionnements. [...]

[R] [M] a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon le 2 juillet 2010.

* * *

LA COUR,

Statuant sur l'appel interjeté le 4 avril 2012 par la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE du jugement rendu le 15 mars 2012 par le Conseil de prud'hommes de LYON (section encadrement) qui a :

- dit et jugé que le licenciement de [R] [M] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamné la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à payer à [R] [M] les sommes suivantes :

dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse 77 135,28 €

indemnité compensatrice de préavis7 200,00 €

indemnité compensatrice de congés payés afférents720,00 €

article 700 du code de procédure civile 1 400,00 €

- condamné la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE au paiement de rappels de salaires au titre de la différence entre la rémunération à temps partiel de [R] [M] et une rémunération à temps plein pour la période allant de juin 2004 à juin 2009 pour un montant brut de 32 160,00 € et au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés afférents pour un montant brut de

3 216,00 €,

- condamné la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE au paiement d'un rappel de salaires au titre des 12 journées de RTT annuelles qui ont été supprimées à [R] [M] pour les années 2005 à 2010 pour un montant brut de 6 220,58 € et au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés afférents pour un montant brut de 622,05 €,

- débouté [R] [M] du surplus de ses demandes,

- débouté la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE de ses demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur de 30 000 €, outre l'exécution provisoire de droit prévue par l'article R 1454-28 du code du travail et fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de [R] [M] à 3 750,00 €,

- ordonné le remboursement, en application de l'article L 1235-4 du code du travail, par la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à Pôle Emploi, des indemnités de chômage versées au salarié, du jour de la rupture de son contrat de travail au jour du jugement, dans la limite de trois mois d'indemnités ;

Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 5 novembre 2012 par la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE qui demande à la Cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il porte condamnation de la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE et le confirmer pour le surplus,

- constater que le licenciement de [R] [M] est valide au regard des dispositions conventionnelles et repose bien sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter [R] [M] de toutes demandes ayant pour origine le licenciement prononcé,

- débouter [R] [M] de son appel incident et de toutes ses demandes, fins et conclusions exposées en cause d'appel,

- à titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions ses demandes indemnitaires,

- condamner [R] [M] à verser à la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 5 novembre 2012 par [R] [M] qui demande à la Cour de :

A titre principal :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

- le réformer également en ce qu'il a débouté [R] [M] de ses demandes de rappels de salaires, de prime exceptionnelle, de dommages-intérêts en raison de l'exécution déloyale du contrat de travail et du non-paiement des astreintes,

- statuant à nouveau, dire et juger que le licenciement prononcé le 12 janvier 2010 est nul par application des articles L 1132-1, L 1152-2 et 3 du code du travail,

- condamner la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à payer à [R] [M] les sommes suivantes :

dommages-intérêts pour licenciement nul77 135,28 €

dommages-intérêts pour non-paiement des astreintes depuis 20031 500,00 €

dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail 20 000,00 €

rappel de salaire (maintien du salaire août 2009)945,80 €

congés payés afférents94,58 €

rappel de salaire (maintien du salaire octobre/novembre 2009)2 508,07 €

sous déduction des indemnités journalières perçues

congés payés afférents94,58 €

rappel de 'prime exceptionnelle'2 611,32 €

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement entrepris ayant jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et ayant alloué à [R] [M] la somme de 77 135,28 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dans tous les cas :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à régler à [R] [M] les sommes suivantes :

rappel de salaire 4/5ème temps plein juin 2004/juin 200932 160,00 €

congés payés afférents3 216,00 €

indemnité compensatrice de préavis7 200,00 €

indemnité compensatrice de congés payés afférents720,00 €

rappel de RTT années 2005 à 20106 220,58 €

congés payés afférents622,05 €

- condamner la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à régler à [R] [M] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement nul :

Attendu qu'aux termes des articles L 1152-1 à L 1152-3 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi, ou refusé de subir, les agissements précédemment définis ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ; que toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ;

Attendu qu'aux termes de l'article L 1154-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application des articles L 1152-1 à L 1152-3, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;

Que [R] [M] soutient qu'en 2007, la direction de la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE n'a pas réagi lorsqu'une partie de son service s'est liguée contre elle ; qu'elle a, par son attitude, encouragé la mise à l'écart de [R] [M] et la remise en cause de ses compétences et de son autorité ; que l'audit de 2008 n'a pas été confié à un prestataire extérieur, mais réalisé par la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE elle-même ; que celle-ci a tenté d'en faire une enquête à charge contre la salariée ; que l'attitude condamnable de l'employeur s'est poursuivie en 2009, ce dernier ayant visé le procès-verbal de réunion du Comité d'entreprise du 12 juin 2009 et l'ayant diffusé à l'ensemble du personnel de la société et de ses filiales, soit environ six cents salariés ; que l'employeur a entériné à nouveau le contenu de ce procès-verbal par un communiqué du 9 juillet 2009 ; que selon l'intimée, cette attitude avait pour but d'atteindre si fortement [R] [M] qu'elle ne reviendrait pas de son congé de maladie ;

Qu'il y a beaucoup d'excès dans les dires de [R] [M] lorsqu'elle prête à la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE une démarche persévérante depuis 2007 pour provoquer son départ ; que l'examen des pièces communiquées révèle une réalité beaucoup plus nuancée ; que, d'abord, la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE n'avait nulle obligation en 2008 de confier l'audit de son service à un prestataire extérieur ou d'autoriser [R] [M] à assister aux auditions au risque d'empêcher la libre expression de ses subordonnés ; que les procès-verbaux d'audition de ces salariés révèlent que la directrice des ressources humaines a conduit l'audit avec objectivité ; que les conclusions de celui-ci sont d'ailleurs globalement favorables à [R] [M] ;

Qu'il ressort des pièces et des débats que la dégradation de la situation du service approvisionnements est antérieure à 2007 ; qu'en 2004, l'effectif de huit salariés atteint par le service impliquait déjà la formation et l'intégration des derniers arrivés dans la nouvelle équipe et la réorganisation du service par la valorisation du rôle d'un adjoint de la responsable ; que cinq nouvelles personnes étaient à intégrer et l'entretien d'évaluation de 2005 a été l'occasion pour le supérieur hiérarchique de [R] [M] de souligner comme points à améliorer l'instauration d'un climat de confiance et d'un travail d'équipe efficace ; qu'en 2006, la cohésion de l'équipe demeurait à consolider, la création de clans, pouvant nuire à la qualité des relations et à la performance, étant à redouter ; que le climat s'est encore dégradé en 2007 en raison de deux départs de salariées en congé de maternité et de la grande difficulté qu'a eue l'employeur à remplacer celles-ci ; que les problèmes du service approvisionnements étaient donc déjà connus de la direction de la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE au début de l'année 2008 ; que [R] [M] a été clairement désignée comme auteur de harcèlement dans des courriers dactylographiés signés par [S] [U], ancienne salariée du service approvisionnements, [P] [T] et [G] [B], en poste dans le service, le 20 février 2008 ;  que l'audit effectué au printemps 2008 a confirmé la constitution de clans au sein du service ; qu'il a aussi démontré que seule une petite minorité de salariées, qui n'étaient pas les moins anciennes, posaient problème ; que la directrice des ressources humaines a émis des recommandations ; que la suite donnée à celles-ci n'est pas connue ; qu'en tout cas, pour la période antérieure à 2009, [R] [M] n'établit pas de faits permettant de présumer l'existence du harcèlement qu'elle allègue ;

Que le 12 juin 2009, la réunion du Comité d'entreprise commun DISTRIBORG, dont [P] [T] était membre, et auquel assistait le délégué syndical qui avait déjà saisi la directrice des ressources humaines en 2008, a été l'occasion pour certains de ses membres de mettre en cause les méthodes de management de [R] [M] et 'le problème entre le manager et [W] [Y]' ; que la Cour a cherché en vain quel texte légal permettait au Comité d'entreprise de l'unité économique et sociale de considérer qu'il était dans ses prérogatives d'alerter la direction sur le management d'un des chefs de service d'une société de l'unité économique et sociale et d'évoquer à cette occasion des cas individuels ; qu'il lui appartenait au contraire de confier au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail une étude sur une situation qui relevait de sa compétence, ce que l'inspectrice du travail n'a pas manqué de relever dans un courrier à la directrice des ressources humaines en date du 23 octobre 2009 ; que l'évocation des méthodes de management de [R] [M] au titre des 'questions diverses' a été consignée au procès-verbal qui a ensuite été diffusé au sein de l'unité économique et sociale ; qu'il n'importe que le procès-verbal ait été établi par le secrétaire du comité et diffusé par ce dernier ; que la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE a en effet adhéré à la stigmatisation dont [R] [M] avait nominativement été l'objet à cette occasion puisque son président directeur général a signé un communiqué approuvant la démarche du Comité d'entreprise, la rédaction du procès-verbal et souhaitant que la collaboration entre le Comité d'entreprise commun et la direction perdure 'avec cet esprit' ; que l'article L 1152-1 du code du travail n'exige pas que les agissements de harcèlement répétés soient de nature différente ; que la mise en cause de [R] [M] au cours de la réunion du Comité d'entreprise, la diffusion du procès-verbal aux salariés de l'unité économique et sociale puis d'un communiqué le 9 juillet 2009 constituent des faits distincts qui ont entretenu sur une période d'un mois la publicité des problèmes de management du service approvisionnements imputés à [R] [M], à l'origine pour celle-ci d'un sentiment d'injuste discrédit dans l'ensemble de l'entreprise, qui ont altéré la santé de la responsable de ce service et qui laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Que pour tenter de prouver que ces agissements n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement, la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE communique :

une lettre de [W] [Y] datée du 19 mai 2009, dans laquelle cette salariée, qui avait sollicité un congé sabbatique le 13 mai, explique cette demande par la succession des moments de stress, pressions gratuites et réprimandes injustifiées subies au cours de l'année écoulée, mais se ravise et exprime le souhait d'une solution amiable afin de mettre un terme à son contrat de travail,

la lettre de démission remise par [W] [Y] à l'employeur le 11 juin 2009 après le refus par la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE d'une rupture amiable de son contrat de travail ;

Que ces pièces n'établissent pas à elles seules l'imputabilité de la décision de [W] [Y] au comportement fautif de [R] [M], qui serait d'ailleurs indifférent pour apprécier l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en effet, celui-ci résulte non du reproche fait à l'intimée de manquements réels ou imaginaires aux obligations inhérentes à ses fonctions de manager, mais de sa 'mise au pilori' au su de l'ensemble des salariés de l'unité économique et sociale ; que la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE n'a apporté aucune justification sérieuse de la large publicité donnée à un cas individuel ;

Qu'en conséquence, la Cour retire des pièces et des débats la conviction que [R] [M] a été victime de harcèlement moral ; qu'il en résulte que le licenciement motivé par une absence prolongée elle-même due au harcèlement est nul ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;

Sur les conséquences de la nullité du licenciement :

Attendu que le salarié, dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est au moins égal à celui prévu par l'article L 1235-3 du code du travail ; qu'il ressort d'un relevé de situation de Pôle Emploi du 4 avril 2012 que [R] [M], qui est âgée de cinquante-et-un ans, percevait encore l'allocation d'aide au retour à l'emploi en mars 2012 ; qu'au vu des éléments que la Cour trouve en la cause, l'indemnité due à la salariée en réparation du préjudice consécutif au licenciement nul sera fixée à la somme de 58 000 € ;

Attendu que le remboursement des indemnités de chômage ne peut être ordonné en cas de nullité du licenciement hormis en application de l'article L 1235-4 du code du travail, en cas de nullité du licenciement en conséquence de la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi ;

Attendu que le salarié dont le licenciement est nul peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis même lorsqu'il est dans l'impossibilité d'effectuer celui-ci ; que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ;

Sur la demande de rappel de salaire sur la base d'un travail à temps plein :

Attendu qu'il résulte de l'article L 212-4-3 (alinéa 1) du code du travail, dont les dispositions sont désormais codifiées sous l'article L 3123-14, que tout contrat de travail non écrit est présumé conclu pour un horaire normal ; qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve que le salarié a été engagé pour un temps de travail réduit ; que la production de bulletins de salaire est insuffisante pour établir l'existence d'un contrat de travail à temps partiel ;

Que la nécessité d'un écrit est rappelée par les articles 6-4 et 6-7 de la convention collective nationale applicable ;

Qu'en l'espèce, il résulte de la demande de travail à temps partiel de [R] [M] et de la réponse de l'employeur que le passage de la salariée à temps partiel s'est fait dans l'équivoque, sans accord des parties sur l'ensemble des conséquences de cette modification et sans avenant au contrat de travail ; que dans son courriel du 19 septembre 2003, l'employeur, considérant que le temps de travail d'un cadre s'évalue en jours, alors même qu'aucune convention de forfait n'avait été conclue avec [R] [M], rappelle 'une règle indispensable au bon fonctionnement du service' : 'un cadre ne travaillant pas une journée par semaine aura un contrat à quatre cinquième, qu'il travaille 7h30 ou 8h ou plus dans la journée' ; qu'il poursuit en interrogeant [R] [M] sur la faisabilité de cette baisse significative de sa présence par rapport à l'organisation de son service ; qu'il s'en évince que dans l'esprit de la directrice des ressources humaines, l'absence de [R] [M] le mercredi n'impliquait pas l'intangibilité des horaires de travail de la salariée les autres jours de la semaine ; que la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE ne communique aucune donnée relative aux horaires de travail effectivement réalisés par la salariée à compter de septembre 2003 ; qu'elle ne justifie d'aucune mesure propre à pallier l'absence de [R] [M] le mercredi ; qu'elle ne fait pas tomber la présomption de travail à temps complet résultant, en l'absence d'écrit, des dispositions légales et conventionnelles susvisées ; qu'au contraire, [R] [M] démontre qu'elle n'a pu disposer de tous les mercredis et qu'elle réalisait les autres jours des horaires de travail importants ;

Que [R] [M] n'étant pas employée effectivement à temps partiel, le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 32 160 € à titre de rappel de salaire avec les congés payés incidents ; qu'il sera également confirmé sur l'octroi d'un rappel d'indemnité compensatrice de jours de réduction du temps de travail, [R] [M] devant être replacée à cet égard dans la situation où elle se trouvait avant sa demande de travail à temps partiel restée sans suite concrète ;

Sur la demande de rappels de salaire au titre du maintien du salaire (août, octobre, novembre 2009) :

Attendu que le jugement entrepris n'est pas incompréhensible comme le soutient [R] [M] ; qu'il appartenait à tout le moins à la salariée de communiquer les relevés d'indemnités journalières permettant le calcul de l'indemnité complémentaire mise à la charge de l'employeur par la convention collective applicable et la vérification du bien fondé de ses demandes ;

Sur la demande de dommages-intérêts en raison du non-paiement des astreintes :

Attendu qu'il ne résulte d'aucune pièce que [R] [M] était soumise à des astreintes avant 2009 ; que pour l'année 2009, la salariée communique un tableau qui fait apparaître qu'elle a été d'astreinte une fois au mois de février, son congé de maladie l'ayant empêchée d'assurer celle qui avait été planifiée en août ;

Attendu que selon l'article 5.10.2.5. de la convention collective applicable, en fin de mois, l'employeur doit remettre à chaque salarié concerné un document récapitulant le nombre d'heures d'astreinte effectuées par celui-ci au cours du mois écoulé, ainsi que la compensation correspondante ; que le principe d'une compensation n'étant pas discutable, la Cour fixera celle-ci à 100 € ;

Sur la demande de prime exceptionnelle :

Attendu que l'erreur n'étant pas créatrice de droit, aucune conséquence ne peut être attachée au fait que la déduction effectuée sur le solde de tout compte pour un montant de

2 611,32 € figure sous le libellé 'prime exceptionnelle' ; qu'il résulte des pièces que [R] [M] verse elle-même aux débats que la Caisse primaire d'assurance maladie a considéré que son congé de maladie n'était plus médicalement justifié à compter du 4 janvier 2010 ; qu'il en est résulté un trop perçu d'indemnités journalières et un trop perçu de prestations versées par l'APICIL pour un montant de 3 686,56 €, selon courrier de cet organisme en date du 30 avril 2010 ; que la retenue de 2 611,32 € effectuée sur le solde de tout compte s'explique par ce trop perçu ; que [R] [M] sera donc déboutée de ce chef de demande ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

Attendu que selon l'article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi ;

Que manque à cette obligation l'employeur qui fait mine de faire droit à la demande d'un salarié de travailler à temps partiel, mais lui maintient une charge de travail incompatible avec sa nouvelle durée théorique de travail, et qui n'observe pas les dispositions de l'article 5.3 de l'annexe IV de la convention collective nationale applicable, aux termes duquel les charges et horaires de travail du personnel d'encadrement doivent être compatibles avec ses aspirations et ses responsabilités familiales, culturelles, sociales, syndicales et civiques ;

Qu'en conséquence, la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE sera condamnée à payer à [R] [M] une somme de 8 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

1°) condamné la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à payer à [R] [M] les sommes suivantes :

rappel de salaire 4/5ème temps plein juin 2004/juin 200932 160,00 €

congés payés afférents3 216,00 €

indemnité compensatrice de préavis7 200,00 €

indemnité compensatrice de congés payés afférents720,00 €

rappel de RTT années 2005 à 20106 220,58 €

congés payés afférents622,05 €

article 700 du code de procédure civile 1 400,00 €

2°) débouté [R] [M] de ses demandes de rappels de salaires au titre du maintien du salaire en août, octobre et novembre 2009 et de prime exceptionnelle,

3°) condamné la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE aux dépens de première instance ;

Infirme le jugement entrepris dans ses autres dispositions,

Statuant à nouveau :

Dit que [R] [M] a été victime de harcèlement moral et que le licenciement qui en résulte est nul,

En conséquence, condamne la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à payer à [R] [M] la somme de cinquante-huit mille euros (58 000 €) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au licenciement nul, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2012,

Dit que les dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail, relatives au remboursement par l'employeur à PÔLE EMPLOI des indemnités de chômage versées au salarié, ne sont pas applicables,

Condamne la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à payer à [R] [M] la somme de huit mille euros (8 000 €) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au manquement de l'employeur à l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi, avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt,

Condamne la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE à payer à [R] [M] la somme de cent euros (100 €) à titre d'indemnité compensatrice de l'astreinte assurée en février 2009, avec intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2010,

Y ajoutant :

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la S.A.S. DISTRIBORG FRANCE aux dépens d'appel.

Le greffierLe Président

S. MASCRIERD. JOLY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 12/02686
Date de la décision : 25/02/2013

Références :

Cour d'appel de Lyon SA, arrêt n°12/02686 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-02-25;12.02686 ?
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