AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 12/01995
[F]
C/
SAS METRO CASH AND CARRY
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 05 Mars 2012
RG : F 10/01519
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 14 JANVIER 2013
APPELANT :
[M] [F]
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 7]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Malik NEKAA, avocat au barreau de LYON substitué par Me Matthieu ALLARD, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SAS METRO CASH AND CARRY
MME [W] [Z], responsable des ressources humaines (pouvoir)
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparant en personne, assistée de Me Inès CHATEL CHALAOUX, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 09 Octobre 2012
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Didier JOLY, Président
Mireille SEMERIVA, Conseiller
Catherine PAOLI, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Janvier 2013, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
[M] [F] a été engagé par la S.A.S. METRO CASH & CARRY France en qualité de manager de rayon (agent de maîtrise, classe 5) suivant contrat écrit à durée indéterminée du 18 mai 2009, soumis à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire. Il a été affecté au rayon 'fruits et légumes' de l'entrepôt de [Localité 11].
Son salaire mensuel brut a été fixé à 2 200 € sur treize mois pour 34 heures 30 minutes de travail hebdomadaires outre 1 heure 43 de pause payée.
Du 18 mai au 13 juin 2009, [M] [F] a reçu une formation à [Localité 5], portant notamment sur le contrôle et la mise à jour des stocks.
La période d'essai a été reconduite d'un commun accord pour une nouvelle période de deux mois.
Le 3 novembre 2009, [M] [F] a sollicité la prise de dix jours de réduction du temps de travail sur la période du 16 au 27 novembre. Il a été autorisé à s'absenter.
Par lettre recommandée du 1er décembre 2009, la S.A.S. METRO CASH & CARRY France a convoqué [M] [F] le 10 décembre en vue d'un entretien préalable à son licenciement et l'a mis à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée du 15 décembre 2009, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
Lors de l'inventaire général annuel effectué en date du samedi 7 novembre 2009, il est apparu un écart de - 6 060 euros sur votre rayon, entre les stocks physiques et les stocks théoriques.
Le mardi 17 novembre 2009, un inventaire intermédiaire fait état d'un nouvel écart additionnel de - 4 361 euros.
A la fin du mois de novembre 2009, le résultat des différents inventaires réalisés fait état d'un écart entre le stock réel et le stock théorique du rayon dont vous avez la charge de - 22 339,83 €.
Par ailleurs, à la lumière de nos recherches complémentaires, il est apparu que certaines entrées de marchandises n'étaient volontairement pas toutes enregistrées, en particulier avant l'inventaire annuel, en date des 5 et 6 novembre pour un montant de 3 518,47 euros.
Or cet écart est la résultante d'une action volontaire de votre part. Vous avez en effet délibérément falsifié certaines entrées de marchandises en ajoutant fictivement dans vos stocks une telle valeur.
Dans le cadre des procédures en vigueur et conformément aux fonctions que vous occupez, vous devez réaliser des inventaires justes. Ce travail doit être effectué hebdomadairement afin de suivre la démarque et réactualiser les stocks. Cette opération technique, essentielle à la mission d'un manager de rayon, consiste à compter les stocks physiques et à les comparer aux stocks théoriques. Cette démarche obligatoire sert notamment à disposer en permanence de valeurs de stocks fiabilisées afin de passer des commandes pertinentes et idoines.
Nous vous rappelons qu'en tant que manager de rayon, vous êtes responsable des inventaires permanents, intermédiaires et annuels. A ce titre, vous devez être à même de garantir les résultats de votre rayon notamment en suivant et en optimisant les résultats journaliers et mensuels, mais aussi en fiabilisant les stocks en procédant aux modifications le cas échéant.
Or, en falsifiant volontairement vos inventaires et les entrées de marchandises, vous n'avez pas exécuté votre contrat de travail de bonne foi et avez violé toutes les procédures et règles en la matière, ce qui est parfaitement intolérable.
Enfin, l'exemplarité dont vous devez faire montre en tant que manager de rayon vis-à-vis de vos équipes vous a également fait défaut, ce que nous ne pouvons accepter.
Vous avez reconnu avoir falsifié des entrées de marchandises. Vos arguments tentant de justifier de votre comportement ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation.
C'est dans ces conditions que nous sommes contraints de vous notifier par la présente, votre licenciement pour faute grave pour les motifs susvisés. [...]
[M] [F] a contesté le motif de son licenciement par une lettre du 29 décembre 2009 dont les termes ne sont pas connus.
La S.A.S. METRO CASH & CARRY France lui a répondu le 25 janvier 2010 qu'il n'apportait aucun élément nouveau susceptible de modifier son appréciation.
[M] [F] a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon le 16 avril 2010.
* * *
LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté le 14 mars 2012 par [M] [F] du jugement rendu le 5 mars 2012 par le Conseil de prud'hommes de LYON (section commerce) qui a :
- dit et jugé le licenciement de [M] [F] dénué de faute grave mais pour une cause réelle et sérieuse,
- condamné, en conséquence, la S.A.S. METRO CASH & CARRY France à payer à [M] [F] les sommes suivantes :
rappel de salaire pendant la mise à pied1 300,00 €
congés payés afférents130,00 €
indemnité compensatrice de préavis2 200,00 €
congés payés afférents220,00 €
dommages-intérêts pour licenciement vexatoire1 000,00 €
article 700 du code de procédure civile 900,00 €
- débouté [M] [F] du surplus de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire que celle de droit conformément à l'article R 1454-28 du code du travail,
- fixé à 2 200 € la moyenne des trois derniers mois de salaire ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales à l'audience du 9 octobre 2012 par [M] [F] qui demande à la Cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la faute grave ne pouvait être retenue à l'encontre de [M] [F],
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le licenciement de [M] [F] était fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- statuant à nouveau, dire et juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de [M] [F],
- condamner la S.A.S. METRO CASH & CARRY France à verser à [M] [F] les sommes suivantes :
la somme de 2 200 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
la somme de 220 € au titre des congés payés afférents,
la somme de 28 600 € à titre de dommages-intérêts en raison de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
la somme de 8 800 € à titre de dommages-intérêts compte tenu du caractère vexatoire du licenciement, les faits imputés relevant de la diffamation,
- en tout état de cause, condamner la S.A.S. METRO CASH & CARRY France à payer à [M] [F] la somme de 2 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales à l'audience du 9 octobre 2012 par la S.A.S. METRO CASH & CARRY France qui demande à la Cour de :
- infirmer le jugement entrepris,
- statuant à nouveau, débouter [M] [F] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner [M] [F] à rembourser à la S.A.S. METRO CASH & CARRY France les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire de droit du jugement déféré, soit la somme de 3 037,93 € nets,
- condamner [M] [F] à verser à la S.A.S. METRO CASH & CARRY France la somme de 1 500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur le motif du licenciement :
Attendu que selon l'article L1232-6 du code du travail, lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par une lettre recommandée avec avis de réception qui comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués ; que ces motifs fixent les limites du litige lorsque le licenciement est contesté devant le juge du contrat de travail ;
Qu'en l'espèce, il ressort de la fiche de fonctions du manager de rayon que celui-ci est notamment responsable des inventaires permanents, intermédiaires et annuels (préparation, saisie des corrections...) ; qu'il en résulte que la constatation d'un écart important ou d'écarts répétés entre les stocks physiques et les stocks théoriques est susceptible de caractériser une insuffisance professionnelle justifiant le licenciement du manager de rayon ; qu'en revanche, lorsque l'employeur a notifié à ce dernier un licenciement pour faute grave en raison de la falsification volontaire des inventaires, le juge ne peut, sans méconnaître les limites du litige retenir l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement fondée sur l'insuffisance professionnelle du manager de rayon ; que le grief fait par [M] [F] à la décision déférée à la Cour est donc justifié ;
Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi du litige, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis ;
Qu'en l'espèce, la S.A.S. METRO CASH & CARRY France ne démontre pas que [M] [F] a reconnu, lors de l'entretien du 10 décembre 2009, avoir volontairement omis d'enregistrer en stocks des livraisons du fournisseur Lyon Sélect et avoir néanmoins comptabilisé les produits livrés lors de l'inventaire général des 5 et 6 novembre 2009 ; qu'en revanche, il ressort des pièces communiquées par la société intimée que celle-ci, ne trouvant pas d'entrée de marchandises correspondant à une facture n°11642 de la S.A. Caluire Légumes en date du 12 novembre 2009, a demandé à ce fournisseur, le 19 novembre 2009, de lui adresser une preuve de livraison (bordereau de livraison émargé) ou un avoir annulant cette facture ; que par télécopie du 11 décembre 2009, la société Caluire Légumes a répondu que sur la livraison du 5 novembre, [M] [F] avait demandé au fournisseur de faire un avoir et de la facturer la semaine suivante, soit le 12 novembre ; qu'il est indifférent que les entrées de marchandises relèvent de l'adjoint de [M] [F], M. [E] ; qu'en effet, l'appelant a pris lui-même l'initiative de ne pas enregistrer une livraison intervenue le premier jour de l'inventaire général et de créer ainsi un écart entre le stock physique et le stock théorique ; que de la part du responsable des inventaires, une telle omission délibérée, impliquant la participation de la société Caluire Légumes, et sur laquelle le salarié ne s'est pas expliqué, revêt un caractère fautif et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Qu'en revanche, la S.A.S. METRO CASH & CARRY France n'a pas été en mesure de démontrer que le comportement fautif de [M] [F] s'était poursuivi à une échelle telle que la totalité des écarts de stocks procédaient d'une action volontaire du salarié ; que dans ces conditions, le maintien de l'appelant dans l'entreprise pendant la durée du préavis n'était pas impossible ; que le jugement qui a écarté la faute grave et alloué à [M] [F] une indemnité compensatrice de préavis et un rappel de salaire sur la période de mise à pied, avec les congés payés afférents, sera confirmé ;
Sur la demande de dommages-intérêts fondée sur le caractère vexatoire du licenciement :
Attendu que l'énoncé du motif du licenciement n'a pas de caractère vexatoire dès lors qu'il est établi qu'une fois au moins, [M] [F] a omis volontairement d'enregistrer une entrée de marchandises ; que le salarié sera débouté de sa demande de dommages-intérêts, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef ;
PAR CES MOTIFS,
Reçoit l'appel régulier en la forme,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la S.A.S. METRO CASH & CARRY France à payer à [M] [F] la somme de mille euros (1 000 €) à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,
Statuant à nouveau :
Déboute [M] [F] de ce chef de demande,
Confirme le jugement entrepris dans ses autres dispositions,
Y ajoutant :
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne [M] [F] aux dépens d'appel.
Le greffierLe Président
S. MASCRIERD. JOLY