AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 10/08342
SA DEMATHIEU & BARD
C/
[E]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 26 Octobre 2010
RG : F 09/00733
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 12 DECEMBRE 2012
APPELANTE :
SA DEMATHIEU & BARD
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
représentée par Me Joseph AGUERA de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, substitué à l'audience par Me Olivier GELLER de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON,
INTIMÉ :
[X] [E]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparant en personne assisté à l'audience de Me Valérie MALLARD de la SELARL MALLARD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Octobre 2012
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre
Hervé GUILBERT, Conseiller
Christian RISS, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 Décembre 2012, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre, et par Marie BRUNEL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 26 octobre 2010 par le Conseil de Prud'hommes de LYON , dont appel ;
Vu les conclusions déposées le 10 octobre 2012 par la S.A. DEMATHIEU & BARD, appelante, incidemment intimée ;
Vu les conclusions déposées le 28 mars 2012 par Hervé MOYNE, intimé, incidemment appelant ;
Ouï les parties en leurs explications orales à l'audience du 10 octobre 2012 ;
La Cour,
Attendu que suivant contrat de travail à durée indéterminée du 5 juin 1990, [X] [E] a été embauché par la S.A. DEMATHIEU & BARD en qualité de maçon coffreur, la relation contractuelle étant soumise à la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics ;
que se plaignant de ce que l'employeur n'appliquait pas les dispositions de ladite convention collective nationale relatives aux indemnités de grand déplacement, le salarié a saisi la juridiction du Travail en lui demandant de condamner la S.A. DEMATHIEU & BARD à lui payer :
- la somme de 1 411,74 € à titre de rappel d'indemnités de grands déplacements pour l'année 2004,
2° la somme de 17 977,08 € à titre de rappel d'indemnités de grand déplacement depuis janvier 2005,
3° la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui a été causé par le non-respect des dispositions conventionnelles ;
Attendu que par jugement du 26 octobre 2010 le Conseil de Prud'hommes de LYON a:
- condamné la S.A. DEMATHIEU & BARD à payer à [X] [E] :
1° la somme de 1 411,74 € à titre de rappel d'indemnité de grands déplacements pour l'année 2004,
2° la somme de 17 977,08 € à titre de différentiel de salaire entre les petits et les grands déplacements sur chantiers identifiés comme tels depuis janvier 2005,
3° la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant du non-respect des dispositions de la convention collective nationale,
- ordonné l'exécution provisoire de sa décision ;
Attendu que la S.A. DEMATHIEU & BARD a régulièrement relevé appel de cette décision le 19 novembre 2010 ;
qu'elle soutient essentiellement à l'appui de sa contestation que la convention collective nationale institue une présomption simple de dépenses supplémentaires de logement au profit de l'ouvrier en grand déplacement, mais que le bénéfice de l'indemnité de grand déplacement suppose que ces frais supplémentaires soient effectivement supportés par l'intéressé et que tel n'est pas le cas lorsque celui-ci choisit de regagner chaque soir son domicile nonobstant la distance à parcourir et l'absence de moyens de transport en commun;
qu'elle ajoute que les indemnités de grands déplacements constituent des frais professionnels exclus de l'assiette des cotisations de sécurité sociale sous réserve qu'il soit justifié qu'elles correspondent à des dépenses effectivement exposées par le salarié, la présomption simple de frais supplémentaires engagés par l'ouvrier en grand déplacement étant réfragable ;
qu'elle indique qu'à la suite d'un contrôle de l'U.R.S.S.A.F. elle a dû s'acquitter d'un rappel de cotisations de 78 950 €, les inspecteurs ayant considéré que les indemnités forfaitaires de grands déplacements ne pouvaient être exclues de l'assiette des cotisations de sécurité sociale dès lors que les ouvriers concernés regagnaient chaque soir leur domicile;
que, selon elle, cette situation de fait n'est pas prévue par la convention collective et que dès lors c'est à l'employeur qu'il appartient de fixer forfaitairement le barème d'indemnisation applicable aux grands déplacements et qu'en l'espèce ce barème, résultant d'un accord d'entreprise du 29 décembre 2004, est supérieur à l'indemnité de petit déplacement ;
Attendu que la société appelante demande en conséquence à la Cour de réformer le jugement critiqué en ce qu'il a alloué à [X] [E] un différentiel d'indemnités de grands déplacements, de débouter l'intimé de ses prétentions sur ce point et de le condamner à lui rembourser la somme versée à ce titre en vertu de l'exécution provisoire ;
Attendu que formant appel incident, [X] [E] conclut à ce qu'il plaise à la Cour condamner la S.A. DEMATHIEU & BARD à lui payer la somme de 18 315,54 € à titre de rappel d'indemnités de grands déplacements ainsi que la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts, et de confirmer pour le surplus la décision attaquée ;
qu'il fait principalement valoir à cet effet que la convention collective nationale impose le versement de l'indemnité dont s'agit au salarié dès que celui-ci se trouve en situation de grand déplacement, peu important à cet égard que le salarié rentre effectivement à son domicile chaque soir, et que l'appelante entretient une confusion complète sur ce point entre le droit du travail et le droit de la sécurité sociale ;
Attendu que l'article 8.10 de la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics stipule qu'est réputé en grand déplacement l'ouvrier qui travaille dans un chantier métropolitain dont l'éloignement lui interdit, compte tenu des moyens de transport en commun utilisables, de regagner chaque soir le lieu de résidence, situé dans la métropole, qu'il a déclaré lors de son embauchage et qui figure sur son bulletin d'embauche ;
Attendu qu'il est constant et non contesté que ladite convention collective définit les zones de petits déplacements jusqu'à 50 kilomètres entre le siège social de l'entreprise ou une agence régionale ou un bureau local et le chantier considéré ;
que dès lors que la distance séparant le point de départ ainsi défini et le chantier est supérieure à 50 kilomètres, l'ouvrier affecté à ce chantier est en situation de grand déplacement si les moyens de transports en commun utilisables ne lui permettent pas de regagner chaque soir sa résidence ;
Attendu que l'article 8. 12 alinéa 4 de la convention collective nationale précitée précise que pendant la durée des congés payés et celle des voyages périodiques, seuls les frais de logement dans la localité continuent à être remboursés, sous réserve de justification d'une dépense effective ;
qu'il résulte de ces stipulations combinées que l'ouvrier en situation de grand déplacement doit bénéficier de l'indemnité y afférente sans avoir à justifier des dépenses effectivement engagées exception faite des frais de logement et seulement pendant la durée des congés payés ou des voyages périodiques ;
Attendu à cet égard que la société appelante ne saurait se prévaloir d'un accord d'entreprise signé avec deux syndicats le 29 décembre 2004 aux termes duquel les déplacements effectués sur une distance comprise entre 50 et 100 kilomètres entre le siège de l'agence régionale et le chantier auquel l'ouvrier est affecté, donneraient lieu, selon que l'intéressé choisit de regagner ou non chaque soir son domicile, à l'application :
- soit du barème fixé par cet accord,
- soit à une indemnité de grand déplacement ,
la salarié devant confirmer son choix par écrit et s'engager dans le second cas à apporter la preuve de frais des frais de logement exposés sur place ;
Attendu en effet, qu'un accord d'entreprise ne peut avoir pour conséquence de soumettre les salariés à des conditions d'emploi plus restrictives que celles prévues par la convention collective nationale ;
Attendu, par ailleurs, que la société appelante ne peut davantage exciper des règles applicables au calcul des cotisations de sécurité sociale dont la mise en oeuvre ne peut avoir pour effet de restreindre les droits que les salariés tiennent de la convention collective nationale ;
Attendu que la société appelante ne peut donc exiger des salariés qu'ils apportent la preuve d'un découché effectif lorsqu'ils sont en situation de grands déplacements ;
que les salariés ne sont en effet tenus de justifier que des frais supplémentaires de logement pendant les congés payés ou les voyages périodiques et qu'en dehors de ces cas, l'indemnité de grand déplacement qui a un caractère forfaitaire leur est due quel que soit leur choix de loger sur place ou de regagner leur domicile ;
Attendu qu'il ressort de ce qui précède que c'est à bon droit que les juges de première instance ont considéré que la S.A. DEMATHIEU & BARD a méconnu les obligations pesant sur elle en vertu de la convention collective nationale relatives aux indemnités de grands déplacements ;
Attendu que la société appelante ne conteste pas le calcul des sommes qui lui sont dues tel que présenté par l'intimé ;
qu'il convient en conséquence de réformer la décision querellée et d'allouer à [X] [E] la somme 18 315,54 € à titre de rappel d'indemnités de grands déplacements pour la période de janvier 2005 à février 2010 ;
Attendu, sur le préjudice, que l'intimé fait justement observer que le manque à gagner résultant pour lui de la violation de la convention collective nationale par l'employeur représente une somme mensuelle d'environ 300 €, ce qui est assez considérable comparé à un salaire mensuel moyen d'environ 1 500 € ;
que le préjudice ainsi causé au salarié a été insuffisamment apprécié par les juges du premier degré ;
qu'il échet de réformer également de ce chef et de condamner l'appelante à payer à l'intimé la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que pour assurer la défense de ses intérêts devant la Cour, l'intimé a été contraint d'exposer des frais non inclus dans les dépens qu'il paraît équitable de laisser, au moins pour partie, à la charge de l'appelante ;
que celle-ci sera donc condamnée à lui payer une indemnité de 1 200 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme, déclare recevables tant l'appel principal que l'appel incident ;
Au fond, dit le second seul justifié ;
Réformant, condamne la S.A. DEMATHIEU & BARD à payer à [X] [E] la somme de 18 315,54 € à titre de rappel d'indemnités de grands déplacements pour la période de janvier 2005 à février 2010 ;
La condamne à lui payer la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Confirme pour le surplus le jugement déféré ;
Condamne la S.A. DEMATHIEU & BARD à payer à [X] [E] une indemnité de 1 200 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
La condamne aux dépens.
Le GreffierLe Président