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28/09/2012 | FRANCE | N°11/08596

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 28 septembre 2012, 11/08596


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 11/08596





SA IVECO FRANCE



C/

[Z]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 22 Novembre 2011

RG : F 09/00118











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2012













APPELANTE :



SA IVECO FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3

]



représentée par Madame [Y] [I] directeur juridique et immobilier et Mme [W] [C], responsable juridique

et



représentée par la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES (Me Joseph AGUERA), avocats au barreau de LYON







INTIMÉ :



[P] [Z]

né le [Date naissance 2] 1954 à [Localité ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 11/08596

SA IVECO FRANCE

C/

[Z]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 22 Novembre 2011

RG : F 09/00118

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2012

APPELANTE :

SA IVECO FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Madame [Y] [I] directeur juridique et immobilier et Mme [W] [C], responsable juridique

et

représentée par la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES (Me Joseph AGUERA), avocats au barreau de LYON

INTIMÉ :

[P] [Z]

né le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 5]

[Adresse 7]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de la SCP TEISSONNIERE - TOPALOFF - LAFFORGUE (Me LAFFORGUE), avocats au barreau de PARIS

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Juin 2012

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Nicole BURKEL, Président de chambre

Hélène HOMS, Conseiller

Marie-Claude REVOL, Conseiller

Assistés pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 28 Septembre 2012, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nicole BURKEL, Président de chambre, et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La S.A. IVECO FRANCE, venant successivement aux droits de la société d'automobiles et de carrosseries d'ANNONAY, de la société SAVIEM, de la société R.V.I. et de la société IRISBUS, construit des véhicules de transports, autobus et autocars, dans son établissement sis à ANNONAY ; un arrêté ministériel du 30 octobre 2007 a inscrit ledit établissement sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1962 à 1993.

[P] [Z] a été embauché au sein de l'établissement d'[Localité 4] du 2 janvier 1973 au 4 avril 2008 en qualité de garnisseur ; il travaillait en atelier ; il vissait les plaques d'amiante sur les trappes moteur ; il a bénéficié de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante à compter du 1er mai 2008 ; il n'est pas atteint d'une maladie professionnelle causée par l'amiante.

[P] [Z] a saisi le conseil des prud'hommes de LYON ; il a réclamé des dommages et intérêts en réparation du préjudice économique lié à son départ anticipé de l'entreprise, des dommages et intérêts en réparation du bouleversement dans ses conditions d'existence, des dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété lié au risque éventuel de contracter une maladie causée par l'amiante et une indemnité au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 22 novembre 2011, le juge départiteur, après avoir recueilli l'avis des conseillers prud'hommes présents :

- s'est reconnu compétent pour statuer sur le litige,

- a débouté le salarié de sa demande fondée sur le préjudice économique, y intégrant le bouleversement dans les conditions d'existence,

- a condamné la S.A. IVECO FRANCE à verser au salarié la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété,

- a condamné la S.A. IVECO FRANCE à verser au salarié la somme de 400 euros au titre des frais irrépétibles,

- a condamné la S.A. IVECO FRANCE aux dépens de l'instance.

Le jugement a été notifié le 23 novembre 2011 à la S.A. IVECO FRANCE qui a interjeté appel par lettre recommandée adressée au greffe le 20 décembre 2011.

Par conclusions visées au greffe le 15 juin 2012 maintenues et soutenues oralement à l'audience, la S.A. IVECO FRANCE :

- soulève l'irrecevabilité de l'action, et, à cet effet, expose que l'anxiété constitue un trouble psychique, qu'elle est par conséquent une pathologie liée à la profession et qu'elle ne peut être indemnisée qu'après souscription d'une déclaration de maladie professionnelle sur décision de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie et, en cas de recours, sur décision des juridictions de sécurité sociale,

- observe, s'agissant du préjudice d'anxiété, qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice certain et d'un lien de causalité entre ces deux éléments,

- observe, s'agissant du préjudice résultant des troubles dans les conditions d'existence, qu'il est soit de nature patrimoniale et dès lors insusceptible d'indemnisation à l'instar du préjudice économique soit de nature extra-patrimoniale et dès lors inclus dans le préjudice d'anxiété,

- objecte que le salarié ne prouve pas la réalité des préjudices dont il réclame réparation,

- demande le rejet des prétentions du salarié et, subsidiairement, la réduction du montant des sommes réclamées,

- sollicite la condamnation du salarié aux dépens.

Par conclusions visées au greffe le 15 juin 2012 maintenues et soutenues oralement à l'audience, [P] [Z] qui interjette appel incident :

- invoque l'article L. 4121-1 du code du travail qui permet d'engager la responsabilité contractuelle de l'employeur qui a failli à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de son salarié et protéger sa santé,

- affirme qu'il a été exposé à l'amiante dans le cadre de son activité professionnelle et en veut pour preuve l'inscription de l'établissement où il travaillait sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, les enquêtes réalisées par la Direction Régionale du Travail et la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail et les comptes rendus des réunions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail,

- prétend que son employeur connaissait les dangers causés par l'amiante,

- argue de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui reconnaît un préjudice d'anxiété au salarié victime d'une exposition à l'amiante et de la jurisprudence de la Cour d'Appel de PARIS qui retient un préjudice résultant du bouleversement dans les conditions d'existence distinct du préjudice économique,

- réclame la somme de 15.000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété et la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice résultant du bouleversement dans ses conditions d'existence,

- sollicite, en cause d'appel, la somme complémentaire de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'action :

En vertu des articles L. 142-2 et L. 461-5 du code de la sécurité sociale, toute maladie professionnelle dont la réparation est demandée doit être déclarée à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie et les litiges afférents sont portés devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.

En vertu de l'article L. 1411-1 du code du travail, le conseil des prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail ; en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat et la violation de cette obligation se résout par des dommages et intérêts.

L'ancien salarié de la S.A. IVECO FRANCE n'allègue d'aucune pathologie d'origine professionnelle et il n'est produit au dossier aucun élément, notamment de nature médicale, de nature à établir que le salarié souffre d'une maladie provoquée par le travail ; il invoque une anxiété ; or, l'anxiété est une émotion et n'est pas une maladie ; elle dégénère en trouble psychologique et en pathologie seulement lorsqu'elle devient envahissante et entraîne une souffrance significative ; l'ancien salarié réclame des dommages et intérêts à raison d'un manquement par l'employeur de son obligation de sécurité née du contrat de travail ; il ne réclame donc pas l'indemnisation d'une maladie d'origine professionnelle mais la réparation d'une violation des obligations issues du contrat de travail.

Il s'ensuit que la procédure propre aux maladies professionnelles ne s'applique pas à la cause et que le litige relève de la compétence du conseil des prud'hommes.

En conséquence, l'action est recevable.

Le jugement entrepris doit être confirmé.

Sur le bien fondé de l'action :

L'article L. 4121-1 du code du travail fait peser sur l'employeur l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Par jugement du 8 juin 2007, le tribunal administratif de LYON a ordonné l'inscription de l'établissement d'ANNONAY de la société IVECO sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1962 à 1993 ; il a motivé sa décision par le constat que la S.A. IVECO FRANCE fabriquait des autocars et des autobus dans son établissement d'[Localité 4], réalisait et entretenait des opérations de calorifugeage afin d'assurer la protection thermique de l'habitacle et de l'environnement du moteur, utilisait des plaques contenant de l'amiante pour l'isolation des trappes du groupe moteur, des planchers, des appareils de chauffage et des cordons d'amiante pour les échappements ; une enquête effectuée sur l'établissement d'[Localité 4] de la société IVECO par le bureau VERITAS a conclu le 7 décembre 2004 que la mise en oeuvre de matériaux de calorifugeage contenant de l'amiante a exposé de façon très significative les personnels des ateliers de montage et que le personnel des ateliers du site de fabrication a été exposé de façon importante aux fibres d'amiante de 1964 à 1980 et que cette exposition a pu être importante jusqu'en 1989 voire 1993 ; une enquête du service médical a conclu le 3 mai 2007 que, de 1964 à 1989, au moins 1.179 salariés ont été potentiellement exposés à l'amiante sur le site d'[Localité 4].

Le danger inhérent aux poussières a été stigmatisé par un décret du 10 mars 1894 qui exigeait que les poussières soient évacuées au fur et à mesure de leur production et que soit installés dans les ateliers des systèmes de ventilation aspirante ; plusieurs décrets ultérieurs ont édicté des réglementations de plus en plus strictes pour préserver les salariés des poussières ; le danger sur la santé des salariés causé par l'amiante a été admis par le droit du travail et le droit de la sécurité sociale ; ainsi, la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de l'amiante a été inscrite au tableau des maladies professionnelles le 2 août 1945 ; l'asbestose qui trouve sa cause dans l'inhalation de poussières d'amiante a été inscrite au tableau des maladies professionnelles le 31 août 1950 ; le décret du 17 août 1977 a pris des mesures particulières d'hygiène pour les établissements où les salariés étaient exposés aux poussières d'amiante et a notamment exigé un contrôle de l'atmosphère, la mise en place d'installations de protection collective et la mise à la disposition des salariés d'équipements de protection individuelle.

La société IVECO a été destinataire d'une information individualisée sur les risques encourus par ses salariés du fait de l'emploi d'amiante ; ainsi, le 15 juin 1977, la société FERLAM a écrit à la société SAVIEM qu'un certain nombre de responsables prévention, hygiène et sécurité des sociétés importantes ont adressé à leurs divers établissements des instructions leur recommandant de supprimer ou de limiter l'utilisation des produits d'amiante et que cette position qui peut paraître justifiée par les soucis de protéger la santé du personnel 'est pourtant un peu entière' ; le service de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, suite à une visite du site du 19 octobre 1975 qui a permis de constater des dépôts de poussières, a demandé le 4 novembre 1976 la réalisation d'un dispositif d'aspiration pour capter les poussières ; ce même service a réitéré sa demande le 19 décembre 1977 et a renvoyé expressément au décret du 17 août 1977.

Il s'évince de ces éléments que la S.A. IVECO FRANCE a exposé ses salariés aux poussières d'amiante même après qu'elle ait été informée des risques causés par ce matériau.

La S.A. IVECO FRANCE ne verse aucune pièce sur les mesures de protection qu'elle a prise pour préserver ses salariés des dangers provoqués par l'amiante et dont elle avait connaissance.

En conséquence, la S.A. IVECO FRANCE a failli à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale de ses travailleurs.

Le salarié qui a été exposé à l'amiante et n'a pas développé une maladie est en droit de réclamer la réparation des préjudices que lui a occasionnés ce manquement de l'employeur ; se plaçant hors du champ de la législation sur les risques professionnels, le salarié doit rapporter la preuve de la réalité et de l'étendue des préjudices dont il réclame l'indemnisation.

[P] [Z] est né le [Date naissance 2] 1954.

Concernant sa situation personnelle, il produit sa lettre de démission, le courrier en réponse de l'employeur, le certificat de travail, le reçu pour solde de tout compte, les bulletins de salaire correspondant à la dernière année travaillée, la notification d'attribution de l'allocation des travailleurs de l'amiante et des attestations sur son travail.

Les pièces démontrent qu'il travaillait à l'atelier finition et vissait des plaques d'amiante sur les trappes moteur et qu'il a perçu à son départ de l'entreprise la somme de 29.198,70 euros.

Il ne verse aucune pièce sur son état de santé, sur une éventuelle anxiété, sur un suivi médical et sur ses conditions d'existence.

Il n'allègue ni ne démontre avoir entretenu des relations personnelles avec un salarié qui est tombé malade ou est décédé suite à une exposition à l'amiante.

[P] [Z] ne prouve donc pas que son exposition ancienne à l'amiante lui génère un sentiment d'anxiété ni modifie ses conditions d'existence.

En conséquence, [P] [Z] doit être débouté de ses demandes de dommages et intérêts.

Le jugement entrepris doit être infirmé.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

L'équité commande de débouter [P] [Z] de ses demandes présentées en première instance et en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

[P] [Z] qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Le jugement entrepris doit être infirmé.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a reçu l'action en indemnisation,

Infirmant pour le surplus et statuant à nouveau,

Déboute [P] [Z] de ses demandes de dommages et intérêts,

Déboute [P] [Z] de sa demande présentée en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens de première instance à la charge d'[P] [Z],

Ajoutant,

Déboute [P] [Z] de sa demande présentée en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens d'appel à la charge d'[P] [Z].

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Christine SENTIS Nicole BURKEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 11/08596
Date de la décision : 28/09/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-09-28;11.08596 ?
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