R.G : 10/08446
Décision du Tribunal de grande instance de Lyon
Au fond du 06 septembre 2010
Quatrième Chambre
RG : 2008/10760
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 20 Septembre 2012
APPELANTE :
Société ATLAS SAHARA TREK
[Adresse 23]
[Adresse 23]
[Localité 5] (MAROC)
représentée par Maître Annick DE FOURCROY, avocat au barreau de LYON
assistée de Maître Jean-Marc BOCCARA, avocat au barreau de PARIS
INTIMES :
[M] [B], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur légal de la personne et des biens de son fils mineur [F] [B], né le [Date naissance 1]/2000
né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 22] (ILE-DE-FRANCE)
[Adresse 20]
[Localité 9]
représenté par la SCP BRONDEL TUDELA, avocats au barreau de LYON
assisté de la SELARL DANA & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
SAS ATALANTE
[Adresse 4]
[Localité 7]
représentée par la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER, avocats au barreau de LYON
assistée de Maître Didier SARDIN, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître Emily THELLYERE, avocat au barreau de LYON
SA GAN EUROCOURTAGE IARD
[Adresse 11]
[Localité 10]
représentée par la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER, avocats au barreau de LYON
assistée de Maître Didier SARDIN, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître Emily THELLYERE, avocat au barreau de LYON
Société OUYAHYA IDEAL TOUR
[Adresse 6]
[Localité 21] (MAROC)
non assignée, non représentée
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SARTHE
[Adresse 2]
[Localité 8]
non assignée, non représentée
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Date de clôture de l'instruction : 04 Mai 2012
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Mai 2012
Date de mise à disposition : 20 Septembre 2012
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Michel GAGET, président
- François MARTIN, conseiller
- Philippe SEMERIVA, conseiller
assistés pendant les débats de Chantal RIVOIRE, greffier
A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Lors d'un voyage organisé au Maroc, [L] et [R] [B] ont pris place dans un véhicule qui devait assurer leur transfert entre [Localité 21] à [Localité 12] ; le véhicule a été accidenté ; ils ont trouvé la mort dans l'accident.
Agissant en son nom personnel et en tant que représentant légal de son fils [M], M. [B], époux survivant de [L] [B] et père [Z], a assigné la société Atalante, agence de voyage à laquelle le séjour avait été acheté, ainsi que son assureur la SA GAN Eurocourtage IARD en indemnisation de leurs préjudices économiques et moraux, sur le fondement de l'article L. 211-17 du code du tourisme et, subsidiairement, de l'article 1382 du code civil ; la Caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a été appelée en déclaration de jugement commun.
La société Atalante et Le GAN ont formé un recours en garantie contre les sociétés marocaines Atlas Sahara Trek, organisatrice du voyage au Maroc et Ouyahya Ideal Tour, en soutenant qu'un préposé de cette dernière conduisait le véhicule au moment de l'accident ; ces parties n'ont pas comparu devant le tribunal.
Le jugement frappé d'appel a retenu que les demandeurs étaient recevables et fondés à réclamer réparation sur le fondement de l'article L. 211-17 précité ; il décide par ailleurs qu'en droit français comme en droit marocain, la société Atlas Sahara Trek est responsable des conséquences de la violation de son obligation contractuelle de sécurité, mais qu'il n'est pas établi que le chauffeur du véhicule accidenté était un préposé de la société Ouyahia Ideal Tour.
En conséquence, il condamne in solidum la société Atalante et Le GAN à payer à M. [B], en nom propre la somme de 85 824,33 euros, en sa qualité de représentant légal de son fils, celle de 60 000 euros, et une indemnité de 1 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; il rejette ses autres réclamations.
Ce jugement condamne la société Atlas Sahara Trek à relever et garantir la société Atalante et Le GAN et à leur payer une indemnité globale de 800 euros au titre des frais irrépétibles.
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La société Atlas Sahara Trek a relevé appel principal.
Elle expose qu'elle n'a reçu l'assignation que tardivement et demande de lui donner acte qu'elle se réserve d'appeler diverses parties en garantie.
Elle considère que l'action de M. [B] est soumise au droit marocain, dont il n'a pas respecté les termes pour l'introduction de sa demande, considère que le transporteur est seul responsable et que d'ailleurs, la faute incombe à [L] [B] et à son fils, qui n'avaient pas bouclé leur ceinture de sécurité ; elle ajoute que la loi marocaine limite l'indemnisation des préjudices.
La société Atlas Sahara Trek conclut, au visa de l'article 6 de la Convention de sauvegarde, de la loi du 5 juillet 1985, de la Convention de La Haye du 4 mai 1971, de l'article 85, alinéa 3, du Dahir formant code des obligations, du Dahir du 2 octobre 1984 relatif à l'indemnisation des victimes d'accidents causés par des véhicules terrestres à moteur et du code de la route :
- déclarer son appel recevable et bien fondé,
- réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
- débouter la société Atalante et Le GAN de leurs demandes et les condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
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La société Atalante et Le GAN soutiennent que seul M. [B] étant acheteur du forfait touristique, les demandes qu'il forme sur un fondement contractuel sont irrecevables, puisque les plaignants sont victimes par ricochet et qu'il en va de même de ces demandes, en tant qu'elles sont fondées sur l'article 1382 du code civil alors que la loi marocaine est seule applicable en raison du lieu de survenance de l'accident et qu'elle impose d'ailleurs des formalités amiables qui n'ont pas été mises en oeuvre ; ils contestent en outre la réalité et le chiffrage des divers postes de préjudice et demandent de réformer le jugement et de débouter les demandeurs.
A titre subsidiaire, ils demandent à être garantis par les sociétés Atlas Sahara Trek et Ouyahya Ideal Tour et en tout état de cause, réclament une indemnité de 4 000 euros pour frais irrépétibles, à charge de qui la devra.
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M. [B] considère qu'il est recevable à agir sur un fondement contractuel ,en tant qu'acheteur et participant au voyage ; en toute hypothèse, il estime que la société Atalante a commis une faute contractuelle qui cause un dommage réparable par la voie de l'action délictuelle.
Il demande de confirmer partiellement le jugement, mais de le réformer pour condamner en outre la société Atalante et Le GAN in solidum à lui payer les sommes de 81 170,46 euros et 10 443,98 euros (préjudice économique respectif), 33 373 euros (frais et droits de succession) et 50 000 euros (perte de revenus de M. [B]), ainsi qu'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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La Caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe dont la cour n'a pas la preuve qu'elle ait été assignée dans cette instance a écrit, cependant, qu'elle n'entend pas intervenir et qu'elle n'a pas assumé de remboursement de soins aux victimes.
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La société Ouyahya Ideal Tour n'a pas été assignée.
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MOTIFS DE LA DÉCISION
' Le contrat a été souscrit auprès de la société Atalante le 8 décembre 2006 ; les participants au voyage, désignés notament dans les factures qui mentionnent une 'réduction enfant', sont [L], [M], [R] et [F] [B].
De la convention passée entre les sociétés Atalante et Atlas Sahara Trek, il ressort que ce séjour intitulé 'Maroc Château de sable' incluait des excursions, transports et nuitées et s'étalait sur huit jours ; il était conclu à un prix tout compris et constituait ainsi un forfait touristique.
Ce contrat était régi par les articles L. 211-1 et suivants du code du tourisme, en leur rédaction applicable en la cause, et notamment par l'article L. 211-16 de ce code ; l'accident s'est produit au cours d'un transport effectué dans le cadre de l'exécution de cette convention.
Selon ce texte, l'opérateur de voyages et de séjour est responsable de plein droit envers 'l'acheteur' de la bonne exécution des obligations résultant du contrat.
' Au vu de ces éléments, M. [B] et son fils [F], dont il est l'administrateur légal, comme d'ailleurs les deux autres membres de la famille, sont 'acheteurs' au sens de ce texte, participants pris en charge tous ensemble, au titre du même contrat, par l'opérateur.
Ils sont ainsi créanciers contractuels de la société Atalante, notamment en ce qui concerne le respect de son obligation de sécurité envers l'ensemble des participants liés par le même contrat : leur action n'est pas celle de victimes par ricochet, mais de victimes directes du manquement à cette obligation.
Au demeurant, à supposer même fondée la contestation élevée par la société Atalante et son assureur; le principe même d'une obligation indemnitaire serait malgré tout acquis.
En admettant en effet, que subissant un préjudice produit par un dommage infligé à autrui et n'agissant ni en qualité de cessionnaires, ni en qualité d'héritiers, ils n'auraient d'action qu'en tant que victimes par ricochet, ils seraient pareillement recevables et fondés à obtenir le bénéfice du régime spécial de responsabilité pesant sur l'opérateur, car si la loi du 13 juillet 1992 n'institue expressément la présomption qu'elle crée qu'en faveur de l'acheteur, il ne s'en déduit pas qu'au regard des tiers, le principe de responsabilité de l'opérateur serait différent ; à l'instar des autres textes nationaux et internationaux consacrant le principe d'une responsabilité de plein droit, cette loi consacre, notamment pour ce qui est de la sécurité, une obligation de résultat dont l'opérateur répond envers toute victime, directe ou par ricochet.
Enfin, à supposer encore que, bien que parties au contrat, les demandeurs doivent être tenus pour des tiers à une prétendue relation contractuelle particulière nouée entre la société Atalante et chacun des autres participants au séjour, ils pourraieent invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement leur a causé un dommage, sans autre obligation que d'établir que la violation de l'obligation de sécurité leur a causé préjudice, ce qui est le cas.
Cette action délictuelle serait alors exactement formée au visa de la loi française, qui pose et régit l'obligation dont la violation est reprochée et la responsabilité de l'opérateur de voyages n'étant pas subsidiaire, M. [B] n'était pas tenu d'agir au préalable contre le transporteur et son assureur.
' En conséquence, M. [B] et son fils disposent d'une action contractuelle directe et il convient de confirmer le jugement retenant qu'ils bénéficient de la présomption posée à l'article L. 211-16 précité, devenu l'article L. 211-17 du code du tourisme, tout en soulignant à titre surabondant qu' en toute hypothèse, une autre approche de la question n'aurait pas d'incidence pratique sur le principe de responsabilité, puisqu'ils ne seraient pas tenus de prouver une faute.
Il y a également lieu de constater qu'aucun fait susceptible de constituer une cause d'exonération n'est établi, ni même allégué.
La société Atalante et son assureur doivent réparation des dommages.
' Ils sont en droit de recourir contre la société Atlas Sahara Trek, qui ne conteste pas être débitrice à leur égard d'une obligation de résultat quant à la sécurité des voyageurs.
Cette dernière, tout en exposant qu'elle n'a reçu l'assignation qu'avec retard, ne poursuit pas la nullité du jugement.
Elle objecte par ailleurs les fautes commises par le transporteur et les victimes ; mais, d'une part, la faute de conduite, voire le défaut d'entretien du véhicule, ne peuvent être retenus en l'espèce comme constitutifs d'un cas de force majeure au regard, tant de la loi française que de la loi marocaine ; d'autre part, le seul fait que le procès-verbal de gendarmerie ne mentionne pas l'état des ceintures de sécurité après l'accident ne permet pas de tenir pour certain qu'elles n'étaient pas correctement utilisées, de sorte qu'aucune faute des victimes n'est établie.
L'appel formé par cette société est recevable mais, faute d'aucun moyen susceptible de conduire à son exonération, il n'est pas fondé.
La société Atlas Sahara Trek doit garantie à la société Atalante et au GAN.
' La société Ouyahya Ideal Tour n'a pas été appelée en cause devant la Cour ; il ne peut être statué à son égard.
' S'agissant de l'indemnisation :
La loi applicable au contrat conclu entre l'opérateur et les plaignants est la loi française, que désignent la nationalité des parties, le lieu de conclusion et la langue employée, peu important que la prestation s'effectue à l'étranger.
La réparation du préjudice contractuel résultant de sa mauvaise exécution n'est donc pas régie par la loi applicable à l'action extracontractuelle, notamment en ce que ce que cette dernière prévoit des règles de formes et des limites d'indemnisation.
La convention passée entre la société Atalante et la société Atlas Sahara Trek est, faute d'expression formelle d'une intention sur ce point, soumise à la loi du lieu d'exécution de la prestation caractéristique, qui est l'élément de rattachement le plus adéquat au regard des activités des parties, qui consistent, pour l'une, à faire organiser le séjour sur place et pour l'autre, à l'organiser.
Conformément à l'article 263 du Dahir formant code marocain des obligations et des contrats, les dommages-intérêts sont dus, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution et encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de la part du débiteur.
La société Atlas Sahara Trek ayant manqué à son obligation de résultat envers la société Atalante quant à la sécurité des passagers, sa garantie est due pour l'ensemble des dommages auxquels cette dernière est elle-même tenue envers les victimes, sans préjudice de ses recours éventuels, qui ne sont pas l'objet de la présente instance.
Quant au montant des indemnités, il y a lieu d'adopter les motifs du jugement entrepris en ce qui concerne le préjudice économique, dans la mesure où le revenu disponible est supérieur à celui dont elle disposait auparavant, et pour ce qui est des frais de succession, qui ne constituent pas un préjudice réparable.
S'agissant du temps désormais passé par M. [B] à s'occuper de tâches ménagères au détriment de son activité professionnelle, il convient d'ajouter aux motifs du jugement que la réclamation supposerait tout d'abord la preuve que [L] assumait ces activités dans une proportion telle que sa disparition vient créer des difficultés réelles et, par ailleurs, que ces activités sont d'un niveau tel qu'elles ont une incidence effective sur l'activité de son époux survivant ; à défaut, ce préjudice ne peut être retenu, même en son principe.
Les préjudices moraux ont été adéquatement chiffrés en première instance, notamment au vu du caractère quasi-simultanée des deux décès.
' Il convient de confirmer le jugement entrepris, dans les limites de l'appel.
Les intérêts moratoires dus par la partie tenue à garantie sur les sommes payées par les obligés principaux en exécution provisoire du jugement courent à compter des conclusions du 25 mars 2011, qui constituent la mise en demeure de procéder au remboursement.
Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
- Statuant dans les limites de sa saisine,
- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- Condamne la société Atlas Sahara Trek au paiement des intérêts au taux légal échus depuis le 25 mars 2011 sur les sommes payées au titre de l'exécution provisoire,
- Déclare le présent arrêt commun à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe,
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum la société Atalante et la société GAN Eurocourtage IARD à payer à M. [B] la somme de 1 000 euros et à M. [B] ès qualités la somme de 1 000 euros au titre de l'instance d'appel ; condamne la société Atlas Sahara Trek à payer à ce titre à la société Atalante et à la société GAN Eurocourtage IARD la somme globale de 2 000 euros,
- Condamne la société Atalante, la société GAN Eurocourtage IARD et la société Atlas Sahara Trek in solidum aux dépens et dit que dans leurs rapports, leur charge finale incombera à la société Atlas Sahara Trek ; dit que ces dépens seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
Joëlle POITOUXMichel GAGET