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31/05/2012 | FRANCE | N°10/06964

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 31 mai 2012, 10/06964


R.G : 10/06964









Décision du tribunal de grande instance de Lyon

Au fond du 15 septembre 2010



1ère Chambre - Section 2

Cabinet A



RG : 2009/4413











COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 31 Mai 2012







APPELANTE :



[K] [D]

née le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 13] (RHONE)

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 1]



représentée par la SCP

BAUFUME - SOURBE, avocats au barreau de LYON



assistée de la SCP BCF ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON









INTIMES :



[R] [Z]

[Adresse 3]

[Localité 5]



représenté par la SCP BRONDEL TUDELA, avocats au barreau de LYON



assisté de la...

R.G : 10/06964

Décision du tribunal de grande instance de Lyon

Au fond du 15 septembre 2010

1ère Chambre - Section 2

Cabinet A

RG : 2009/4413

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 31 Mai 2012

APPELANTE :

[K] [D]

née le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 13] (RHONE)

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 1]

représentée par la SCP BAUFUME - SOURBE, avocats au barreau de LYON

assistée de la SCP BCF ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

INTIMES :

[R] [Z]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté par la SCP BRONDEL TUDELA, avocats au barreau de LYON

assisté de la SELAFA BLAMOUTIER & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS

SA AXA FRANCE VIE

[Adresse 4]

[Localité 6]

représentée par la SCP BRONDEL TUDELA, avocats au barreau de LYON

assistée de la SCP GRANRUT, avocats au barreau de PARIS

******

Date de clôture de l'instruction : 09 Décembre 2011

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Février 2012

Date de mise à disposition : 03 Mai 2012, prorogée au 24 Mai 2012 puis au 31 Mai 2012, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Michel GAGET, président

- François MARTIN, conseiller

- Philippe SEMERIVA, conseiller

assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier

A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

A la suite d'un très grave accident, Mlle [D] a touché une indemnité d'environ 900 000 euros.

En février 2007, elle en a placé une partie importante sous forme de contrats d'assurance-vie CLER et OPTIAL par l'entremise de M. [Z], agent général d'assurances de la société AXA France Vie.

Constatant, à la fin de l'année 2008, une diminution de valeur de quelques 150 000 euros des fonds placés, Mlle [D] a agi en responsabilité afin de voir dire que M. [Z] a commis une faute en plaçant en actions la plus grande part de l'indemnité perçue en compensation de son handicap, alors qu'il n'ignorait pas que ces sommes avaient une finalité alimentaire et que sa cliente ne recherchait que la sécurité de son placement, de voir dire que la Compagnie AXA est responsable de son agent et de les condamner solidairement à l'indemniser de son préjudice.

*

Le jugement entrepris l'a déboutée de ces demandes, aux motifs essentiels que ses objectifs étaient contradictoires, qu'elle avait été clairement informée de la nature et du régime des placements, qu'elle a opté en toute connaissance de cause pour un placement présentant certains risques, qu'il ne peut être reproché à M. [Z] de n'avoir pas anticipé la chute des marchés et que, faute de connaître la valeur de liquidation finale des placements, le dommage prétendu est hypothétique.

Mlle [D], appelante principale, reprend sa demande initiale, en soutenant :

- que M. [Z] n'a pas rempli son obligation d'information et de mise en garde par la simple remise des notices des contrats d'assurance, dès lors qu'il ne justifie d'aucune information personnalisée et précise soulignant la possibilité de perte de tout ou partie du capital investi,

- qu'il a également commis une faute dans la mesure où il a placé 80 % du capital en actions alors qu'elle recherchait la sécurité de son placement, comme porté dans l'étude personnalisée,

- que son préjudice n'est pas hypothétique, car sa liquidation passe par le rachat nécessaire des contrats inadéquats.

Elle demande en conséquence de condamner M. [Z] et la Compagnie AXA solidairement ou in solidum à lui payer :

- la somme de 634 975 euros, sous déduction des valeurs de rachat des deux contrats, étant précisé qu'elle a déjà procédé à un rachat pour la somme de 170 000 euros en mai 2009, et sous déduction encore des valeurs de rachat des contrats à la date de la décision à intervenir,

- les intérêts légaux à compter de la remise des capitaux investis, avec capitalisation par année entière à compter de cette décision,

- une indemnité de 15 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

*

M. [Z] soutient que Melle [D] était assistée lors de la négociation des placements, qu'elle a reçu toutes les informations nécessaires et qu'elle ne justifie d'aucun préjudice.

Il demande de déclarer irrecevable la demande présentée à son encontre, dans la mesure où il n'est intervenu qu'en qualité de mandataire de l'assureur, subsidiairement de la dire mal fondée.

Il réclame paiement d'une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

*

La Compagnie AXA soutient que l'action est irrecevable car le préjudice est incertain, rien ne permettant de savoir si, au jour de rachat, la valorisation des contrats sera ou non supérieure au montant des primes ; elle estime qu'à tout le moins il y a lieu de surseoir à statuer en l'attente de ce rachat.

Elle considère, sur le fond, que l'information donnée à Melle [D] a été claire et suffisante et qu'elle a seulement changé de stratégie après la souscription.

Elle demande donc à titre subsidiaire de confirme le jugement et de lui allouer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

Mlle [D] demandant à être dégagée de ses obligations contractuelles, le préjudice dont elle demande la cessation résultant de l'exposition à une perte des fonds placés ; ce préjudice est né et actuel à la différence de celui, hypothétique, pouvant résulter de la valeur finale de réalisation des contrats ; dans ces limites, sa demande est recevable et il n'y a pas lieu de surseoir à statuer.

Le tribunal a indiqué les conditions dans lesquelles l'information sur les contrats proposés a été donnée à Mlle [D] ; ses motifs sont adoptés en ce qu'ils montrent que ni M. [Z] ni la société AXA n'ont cherché à dissimuler les caractéristiques des investissements proposés et notamment le risque d'une valeur liquidative en baisse.

Mais l'assureur et son agent général n'étaient pas seulement tenus de cette obligation d'information ; ils étaient encore débiteurs envers Mlle [D], qui n'était pas un investisseur averti, d'une obligation de conseil, peu important qu'elle soit ou non assistée par un tiers.

M. [Z], qui a été contacté en tant que conseil financier, était également tenu, à ce titre, de cette même obligation.

Il y a lieu en conséquence d'examiner si l'orientation vers les placements en question étaient cohérents avec les objectifs poursuivis par le client et si ce dernier avait pu prendre toute la mesure des risques engendrés par ces options.

Quant à cette cohérence, le tribunal a retenu que les objectifs de Mlle [D] étaient difficiles à concilier, voire contradictoires ; mais ces objectifs étaient à la mesure des contraintes nées, pour une personne de 25 ans ayant perdu l'usage de ses jambes, des nécessités d'assurer tout à la fois des revenus, une sécurisation de son épargne et une disponibilité partielle en capital en fonction de ses choix de vie ultérieurs, personnels et professionnels ; c'est cette situation même qui justifiait un conseil personnalisé sur la logique de l'ensemble des placements au regard de leur capacité respective à servir la poursuite de l'un de ces objectifs tout en garantissant que les autres ne seraient pas entièrement sacrifiés.

D'ailleurs, l'étude sociale et patrimoniale dressée par M. [Z] correspondait bien aux objectifs ainsi recensés : épargner les capitaux, garantir des revenus réguliers en période de démarrage éventuel d'activité, permettre un investissement en capital ainsi qu'une disponibilité immédiate, protéger la capacité de subvenir aux besoins sans être totalement tributaire des versements sociaux.

Ses propositions étaient en conséquence tout à fait logiques : investir une somme de 283 800 euros dans le contrat CLER, avec les avantages fiscaux et sociaux, voire successoraux, correspondant, placer 300 000 euros (puis 51 175 euros supplémentaires) afin de constituer un complément de retraite et sécuriser l'investissement.

L'étude mentionne enfin un projet d'acquisition immobilière, dont Mlle [D] fait grief à M. [Z] de ne pas avoir considéré l'incidence.

Mais, d'une part, le total des investissements laissait un disponible de 300 000 euros environ sur le total de l'indemnité perçue.

D'autre part, Melle [D] a acquis un terrain constructible, le 16 juin 2009 et obtenu un prêt pour financer cet achat, ainsi que l'édification d'une maison ; son apport personnel est chiffré dans l'acte de vente à 245 300 euros.

Il en résulte qu'il n'est pas établi que l'investissement privait Mlle [D] de la possibilité de donner suite à son projet immobilier ; en tout cas, la nécessité pour elle de procéder à un rachat du contrat OPTIAL pour dégager cet apport personnel résulte d'une affirmation qui n'est pas appuyée sur des éléments probants.

Les investissements proposés étaient cohérents avec les objectifs poursuivis et Mlle [D] a reçu toute information et tout conseil utile sur le choix du type et du montant des placements.

En revanche, cette étude se contente de vanter les avantages attendus des solutions proposées, sans jamais exposer les risques corollaires, y compris par mention expresse des caractéristiques défavorables des placements proposés ; elle ne répond pas à l'obligation de donner un conseil clair, opérant et suffisant quant à la mesure de ces risques.

Or, M. [Z] a placé 80 % des fonds confiés dans des valeurs exposés à ce risque de perte en capital.

Si, en soi, l'orientation d'une part de l'épargne vers cette solution raisonnablement dynamique n'appelle pas d'objection, la mesure de cette orientation n'est pas cohérente avec les objectifs évidents et connus de sécurisation du capital.

Mlle [D] est fondée à soutenir que le conseil adéquat et nécessaire à l'arbitrage du risque pris, pour une telle proportion du placement, entre un investissement exposé et un placement sécurisé ne lui a pas été donné.

M. [Z] a ainsi manqué à son devoir de conseil et la société AXA, mandant, doit répondre de sa responsabilité aux côtés de ce dernier, par application de l'article L. 511-1 du code des assurances.

Le tribunal a relevé que le préjudice lié à une perte d'investissement est hypothétique, puisqu'il dépend de la valeur liquidative à l'échéance des contrats.

Par ailleurs, il a déjà été souligné que Mlle [D] n'établit pas qu'elle a été tenue de racheter une partie du contrat OPTIAL afin de dégager l'apport personnel nécessaire à l'acquisition de son logement.

Mais le dommage tient à l'obligation où se trouve actuellement Mlle [D] de continuer à être exposée, non pas à un risque général de décote boursière, mais à un risque particulier et inattendu lié à la forme prise par une part excessive de son placement .

Elle est en droit d'obtenir d'être soustraite à ce risque.

Elle est en conséquence fondée à voir cesser ses engagements et à se faire restituer les sommes qu'elle a investies, sous déduction de la valeur liquidative, ainsi qu'elle le demande ; cette valeur liquidative devra donc être appréciée à la date du présent arrêt ; en revanche, la somme de 170 000 euros, dont le retrait est sans rapport avec le préjudice justifié, sera exclue de toute réclamation, de sorte que le capital représentatif de l'investissement est de 464 975 euros ; les intérêts moratoires sur le solde courent à compter de l'assignation valant mise en demeure.

Aucune circonstance ne justifie que les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile soient écartées.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

- Dit l'action de Mlle [D] recevable,

- Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer,

- Infirme le jugement entrepris,

- Statuant à nouveau, dit que Mlle [D] est fondée à obtenir la cessation des contrats CLER et OPTIAL souscrits auprès de la société AXA France Vie par l'intermédiaire de M. [Z],

- Condamne en conséquence M. [Z] et la société AXA France Vie in solidum à payer à Mlle [D] la somme de 464 975 euros avec intérêts légaux à compter du 17 février 2009, sous déduction de la valeur liquidative de chacun des contrats au jour du présent arrêt,

- Condamne in solidum M. [Z] et la société AXA France Vie à payer à Mlle [D] les intérêts légaux sur le solde ainsi obtenu à compter du 17 février 2009,

- Dit que ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil,

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [Z] et la société AXA France Vie in solidum à payer à Mlle [D] une somme de 3 000 euros,

- Condamne M. [Z] et la société AXA France Vie in solidum aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

Joëlle POITOUXMichel GAGET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 10/06964
Date de la décision : 31/05/2012

Références :

Cour d'appel de Lyon 01, arrêt n°10/06964 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-05-31;10.06964 ?
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