R.G : 10/00942
Décisions :
- tribunal de grande instance de Lyon du 20 novembre 2007
Quatrième Chambre
RG : 2005/14264
- Cour d'appel de Lyon
du 22 janvier 2009
Troisième Chambre Civile
Section A
RG : 2007/07914
- Cour de Cassation
du 04 février 2010
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 10 Mai 2012
APPELANTS :
[H] [F]
né le [Date naissance 6] 1941 à [Localité 16] (ISERE)
[Adresse 9]
[Localité 11]
représenté par Maître Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON
assisté de la SCPA LACHAT - MOURONVALLE, avocats au barreau de GRENOBLE
[G] [F]
né le [Date naissance 7] 1945 à [Localité 16] (ISERE)
[Adresse 1]
[Localité 10]
représenté par Maître Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON
assisté de la SCPA LACHAT - MOURONVALLE, avocats au barreau de GRENOBLE
[X] [M] épouse [F]
née le [Date naissance 5] 1945 à [Localité 16] (ISERE)
[Adresse 1]
[Localité 10]
représentée par Maître Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON
assistée de la SCPA LACHAT - MOURONVALLE, avocats au barreau de GRENOBLE
INTIMES :
SA LE CREDIT LYONNAIS
prise en son siège central :
[Adresse 3]
[Localité 15]
prise en son siège social de [Localité 13] :
[Adresse 2]
[Localité 13]
représentée par Maître Annick DE FOURCROY, avocat au barreau de LYON
assistée de la ASS TARDIEU GALTIER LAURENT ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
[S] [L]
né le [Date naissance 4] 1966 à [Localité 17] (SEINE-ET-MARNE)
[Adresse 12]
[Localité 14]
cité à domicile par acte de la SCP [V] et [N] [C], huissiers de justice associés à [Localité 17], en date du 21 juin 2010,
non comparant
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Date de clôture de l'instruction : 13 Janvier 2012
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 Février 2012
Date de mise à disposition : 10 Mai 2012
Audience tenue par Michel GAGET, président et François MARTIN, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier
A l'audience, Michel GAGET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Michel GAGET, président
- François MARTIN, conseiller
- Philippe SEMERIVA, conseiller
Arrêt rendu par défaut par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement du 20 novembre 2007 rendu par le tribunal de grande instance de Lyon qui déboute les consorts [F] de toutes leurs demandes à l'encontre du Crédit Lyonnais et de [S] [L] à la suite de l'escroquerie dont ils ont été victimes ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 4 février 2010 qui casse l'arrêt rendu par cette Cour le 22 janvier 2009 et confirmatif en toutes ses dispositions du jugement du 20 novembre 2007, mais seulement en ses dispositions déboutant les consorts [F] des demandes qu'ils avaient formées en réparation de leur préjudice personnel ;
Vu la déclaration de saisine de la Cour faite le 10 février 2010 par les consorts [F] ;
Vu les conclusions en date du 4 novembre 2011 des consorts [F] qui sollicitent ce qui suit :
1. Dire recevable et bien fondée leur demande en rectification de l'omission de statuer ;
En conséquence dire que le dispositif de l'arrêt du 22 janvier 2009 doit être complété de la façon suivante :
'Dit et juge que la liquidation judiciaire de la société [F] est bien la conséquence directe et immédiate de l'escroquerie commise par son fournisseur Daso.
Dit et juge toutefois que [H], [G] et [X] [F] ne justifient pas d'un préjudice personnel direct, distinct de celui de la société dont ils étaient les associés salariés et cautions.
En conséquence déboute [H] [F] et son épouse [X] [M], [G] [F] de toutes leurs demandes à l'encontre de la SA Le Crédit Lyonnais et de [S] [L]'.
2. Subsidiairement dire que la liquidation judiciaire de la société [F] est bien la conséquence directe et immédiate de l'escroquerie commise par son fournisseur Daso, avec la complicité de [S] [L], préposé du Crédit Lyonnais.
En conséquence dire que le Crédit Lyonnais et [S] [L] engagent leur responsabilité vis-à-vis des requérants ;
Condamner in solidum le Crédit Lyonnais et [S] [L] à verser les sommes suivantes :
- A [H] [F] :
38 112 € au titre de la perte des parts sociales de la société [F], ou subsidiairement sur la perte de chance d'avoir pu conserver son salaire
85 980 € au titre de la perte de salaires, ou subsidiairement sur la perte de chance d'avoir pu conserver son salaire
46 553 € au titre de la perte du compte courant ou subsidiairement sur la perte de chance d'avoir pu obtenir le remboursement du compte courant
22 112,36 € au titre des sommes dues à la banque Laydernier, ou subsidiairement sur la perte de chance de voir la société [F] débiteur principal s'acquitter de ces sommes et échapper ainsi à la mise en oeuvre du cautionnement
197 400 € au titre des sommes dues à la BFCC, ou subsidiairement sur la perte de chance de voir la société [F] s'acquitter de ces sommes et échapper ainsi à la mise en oeuvre du cautionnement
11 657 € au titre des frais liés au suivi de la procédure de liquidation judiciaire
15 000 € au titre des répercussions sur son état de santé
- A [G] [F] :
38 112 € au titre de la perte des parts sociales de la société [F], ou subsidiairement sur la perte de chance d'avoir pu conserver son salaire
6 098 € au titre de la perte de salaires, ou subsidiairement sur la perte de chance d'avoir pu conserver son salaire
21 142 € au titre de la perte du compte courant ou subsidiairement sur la perte de chance d'avoir pu obtenir le remboursement du compte courant
21 717,33 € au titre des sommes dues à la banque Laydernier, ou subsidiairement sur la perte de chance de voir la société [F] débiteur principal s'acquitter de ces sommes et échapper ainsi à la mise en oeuvre du cautionnement
100 000 € au titre de la perte de chance d'avoir pu conserver les biens immobiliers [Adresse 8]
4 180 € au titre des frais liés au suivi de la procédure de liquidation judiciaire
15 000 € au titre des répercussions sur son état de santé
- A [X] [F] :
10 000 € au titre des préjudices personnels
- Au profit de [H] et [G] :
41 438 € au titre des sommes dues à la SA Billon Frères
- Au profit de [H], [G] et [X] [F] :
257 033 € au titre des sommes dues à la Banque Populaire de la Région Dauphinoise ou subsidiairement sur la perte de chance de voir la société [F] débiteur principal acquitter ces sommes et échapper ainsi à toute
mise en oeuvre de l'acte de cautionnement
67 743 € au titre des sommes dues à la BFCC
300 000 € au titre de la perte de chance d'avoir pu constituer un capital immobilier et des revenus fonciers afférents
100 000 € au titre du préjudice moral subi du fait de la perte de l'entreprise familiale et des tracas occasionnés
3. Le mal fondé des demandes du Crédit Lyonnais
4. Le paiement de la somme de 15 000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions du Crédit Lyonnais en date du 19 décembre 2011 qui conclut à titre principal à la confirmation de la décision attaquée aux motifs que la cause de la liquidation judiciaire directe de la société [F] résulte d'un état d'endettement qui a amené les banques à refuser tous nouveaux concours en raison d'une situation irrémédiablement compromise et que les préjudices personnels dont les consorts [F] demandent réparation trouvent leur cause dans cette situation irrémédiablement compromise de ma société et non dans les agissements de [S] [L] ;
Vu les mêmes conclusions dans lesquelles, à titre subsidiaire, il sollicite ceci :
1. Dire que les consorts [F] sont irrecevables et infondés à solliciter la réparation des préjudices subis par la perte de valeur de leurs parts sociales et la perte des biens acquis par l'intermédiaire des SCI qui ne sont que le corollaire du dommage causé aux sociétés et ne présente pas pour les associés un caractère personnel et direct susceptible de réparation
2. Dire que les consorts [F] ne justifient pas d'un lien de causalité direct et certain entre les agissements du préposé du Crédit Lyonnais et les préjudices personnels (perte d'emploi, de comptes courants, mise en oeuvre des garanties etc.) dont ils demandent réparation.
3. Dire que ces préjudices sont la conséquence de la situation désespérée de la société, des engagements de garantie pris par les appelants et se seraient inévitablement produits même en l'absence de l'escroquerie dont le préposé du Crédit Lyonnais s'est rendu complice ;
4. Dire en outre que ces préjudices ne sont pas justifiés dans leur quantum ;
5. Confirmer la décision entreprise ;
6. Les condamner au paiement d'une somme de 10 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs que les pertes personnelles et le préjudice moral dont ils sollicitent réparation n'ont pas pour cause directe les agissements de [S] [L] mais la situation financière de l'entreprise familiale depuis 1993, dans un secteur en détresse depuis des années et le fait qu'ils étaient garants des engagements de la société ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 13 janvier 2012 ;
Les conseils des parties ont donné leurs explications orales à l'audience du 8 février 2012 après le rapport de Monsieur le Président Michel Gaget.
DECISION
[S] [L] a été assigné le 21 juin 2010 à la personne de son épouse et n'a pas comparu. Il est donc statué par arrêt de défaut en application de l'article 474 du code de procédure civile,
Vu les articles 1382 et 1384 alinéa 3 du code civil ;
Il appartient aux consorts [F] d'établir qu'il a existé entre les préjudices personnels dont ils se plaignent un lien direct de causalité avec la faute commise par [S] [L], préposé du Crédit Lyonnais.
D'autre part, compte tenu des écritures échangées dans cette procédure d'appel, il appartient au préalable à la Cour de rechercher si la faute de [S] [L] a eu un rôle causal dans la cessation des paiements de la société [F] et la liquidation judiciaire de cette société.
Il ressort du débat et des productions les faits suivants :
1. La SARL [F], entreprise familiale crée en 1946, victime d'une escroquerie commise par la société Karl's Daso avec la complicité de [S] [L], préposé du Crédit Lyonnais, a déclaré sa cessation des paiements le 24 janvier 1997, puis a été mise en liquidation judiciaire le 3 février suivant par le tribunal de grande instance.
2. Les associés de la société, [H], [G] et [X] [F], ont assigné [S] [L] et le Crédit Lyonnais devant le tribunal de grande instance de Lyon, en paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts, affirmant que l'escroquerie commise avait entraîné la liquidation judiciaire de la société, la poursuite des membres de la famille [F] en qualité de cautions solidaires de ses engagements et la perte de salaires et de biens personnels.
3. La cassation de l'arrêt du 22 janvier 2009 est intervenue au motif que la Cour avait constaté que l'escroquerie dont la société avait été victime, commise par la société Karl's Daso avec la complicité du préposé du Crédit Lyonnais, était la cause directe et certaine de sa liquidation judiciaire et qu'elle n'en avait pas tiré les conséquences légales quant aux préjudices des consorts [F].
Les consorts [F] soutiennent que la liquidation judiciaire de la société [F] est bien la conséquence directe et immédiate de l'escroquerie commise par Daso avec la complicité de [S] [L], préposé du Crédit Lyonnais.
Le Crédit Lyonnais conclut, en revanche, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les agissements de [S] [L] et les préjudices personnels des consorts [F] dont la société a été mise en liquidation judiciaire en raison de sa situation économique et financière irrémédiablement compromise dont l'origine causale est l'état d'endettement de cette société qui n'a pas été provoqué par les agissements de [S] [L].
Il ressort des pièces versées au débat que la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Bourgoin-Jailleu a prononcé le 3 février 1997 la liquidation judiciaire de la société [F] sans période d'observation, ce qui démontre qu'il était impossible de mettre en place une procédure de redressement judiciaire qui aurait permis à la société [F] de revenir à meilleur fortune.
Le montant des effets impayés par le client DASO et donc débités du compte de la société [F] s'élevait à 537 218,30 F. C'est ce débit qui a entraîné le blocage du compte et l'interdiction d'émettre des chèques.
Les consorts [F] font état d'un carnet de commande à hauteur de 5,5 millions de francs et d'un stock important de tissus lui permettant de faire face à ces importantes commandes. Ils décrivent une situation plutôt positive, malgré une baisse du chiffre d'affaire de la société suite à la liquidation d'une société sous-traitante.
Mais il ressort des bilans fournis que la société [F] a eu deux résultats négatifs de 386 495 F et 1 730 514 F respectivement en 1992 et 1993 , puis a eu des résultats positifs deux années de suite en 1994 et 1995, mais limités à 383 173F et 151 327 F.
De plus, ces bilans font apparaître d'importantes dettes financières au titre des emprunts et dettes auprès des établissements de crédit, ce qui peut expliquer que la banque ait prononcé une interdiction bancaire après la survenance de l'escroquerie.
Ainsi, le bilan de 1993 fait apparaître 3 589 764 F d'emprunts et dettes auprès des établissements de crédit et des capitaux propres négatifs de - 970 145,12 F.
Le bilan de 1994 fait apparaître 2 928 380F d'emprunts et dettes auprès des établissements de crédit et le bilan de 1995 mentionne 2 980 763 F au même titre.
Enfin, le défaut de paiement de DASO, ne représentait qu'environ 10% du chiffre d'affaire annuel de la société, qui est d'environ 8 000 000 F chaque année.
La déclaration de cessation des paiements du 24 janvier 1997 fait d'ailleurs apparaître des dettes s'élevant à plus de 4 millions de francs, alors que ce même document cite un encours avec le client DASO d'environ 990 000 F.
Cette même déclaration de paiement fait apparaître un passif total de 4 293 823 F et un actif de 2 402 300 F constitué principalement du stock. Ce stock a par ailleurs été évalué par le commissaire priseur lors de l'inventaire le 19 février 1997 à 855 164,90 F.
Donc les dettes de la société DASO et l'escroquerie dont [S] [L] s'est rendu coupable n'auraient pas entraîné de telles conséquences si la société [F] avait été dans une situation financière totalement obérée.
La liquidation judiciaire n'est donc pas une conséquence inévitable de l'escroquerie dont la société [F] a été victime.
En conséquence, les fautes de [S] [L], préposé du Crédit Lyonnais ne sont donc pas la cause directe des différents préjudices invoqués par les consorts [F], associés, salariés et cautions. Ces préjudices découlent directement de la liquidation judiciaire de la société.
De plus, tous les préjudices personnels que les consorts [F] réclament dans leurs écritures d'appel ont pour origine et cause la liquidation judiciaire, imputable à la situation financière de la société, gravement obérée avant l'escroquerie.
Le jugement du tribunal de grande instance du 20 novembre 2007 est donc confirmé.
Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts [F] qui succombent sont condamnés au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant dans les limites de la cassation prononcée pour la réparation des préjudices personnels des consorts [F] :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 20 novembre 2007 ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à condamnation de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;
Condamne solidairement [H], [G] et [X] [F] au paiement des dépens de l'instance ;
Autorise ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande à recouvrer les dépens d'appel dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
Joëlle POITOUXMichel GAGET