R.G : 08/08853Décision du tribunal de grande instance de Villfranche-sur-SaôneAu fond du 27 novembre 2008
RG : 07/00251
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 02 Février 2012
APPELANTE :
SARL CDI-B226 rue Paul CausseretOINGT - B.P. 169620 LE BOIS D'OINGT
représentée par la SCP LAFFLY - WICKY
assistée de la SELARL CABINET RATHEAUX SELARL, avocats au barreau de LYON
INTIMEES :
SA LA REDOUTEBlanchemaille59082 ROUBAIX CEDEX 2
représentée par Maître Christian MOREL
assistée de la SELARL André BERTRAND et Associés, avocats au barreau de PARIS
SA CA CONSUMER FINANCEvenant aux droits de la Société FINAREF128-130 boulevard Raspail75006 PARIS
représentée par la SCP LIGIER DE MAUROY ET LIGIER
assistée de la SELAS MARCCUS PARTNERS, avocats au barreau de PARIS
SA CREAPRIM85 bis rue du Molinel59700 MARCQ-EN-BAROEUL
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET
assistée de la SCP BIGNON LEBRAY, avocats au barreau de LILLE,
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Date de clôture de l'instruction : 17 Mai 2011
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Novembre 2011
Date de mise à disposition : 02 Février 2012
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :- Michel GAGET, président- François MARTIN, conseiller- Philippe SEMERIVA, conseiller
assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier
A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
La société CDI-B est propriétaire de la marque "La Pierrade" enregistrée en 1986 afin de désigner notamment des appareils de cuisson ; elle a consenti une licence exclusive d'exploitation de cette marque pour ces produits à la société Tefal.
La société CDI-B a assigné la société La Redoute en contrefaçon de cette marque, pour avoir présenté dans son catalogue un appareil de cuisson sous les mentions "votre pierrade" ou "la pierrade".
Cette dernière a appelé la société Finaref en garantie, au motif qu'elle était seule conceptrice de l'annonce litigieuse ; celle-ci a appelé en cause la société Créaprim, pour lui avoir, en tant que spécialiste de l'organisation d'offres promotionnelles, vendu cet appareil sous les dénominations "raclette - grill - pierrade".
Après jonction des instances, le jugement entrepris a d'abord déclaré irrecevables la demande de renvoi préjudiciel et la demande reconventionnelle en nullité de la marque, au visa de l'article 480 du code civil et aux motifs que de précédentes décisions ont autorité de chose jugée sur ces questions.
Puis, le tribunal a :
- constaté la contrefaçon de la marque par la société La Redoute,
- débouté la société CDI-B de sa demande de publication,
- condamné la société La Redoute à payer à la société CDI-B une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamné la société Finaref à relever et garantir la société La Redoute pour la moitié des condamnations et la société Créaprim à garantir la société Finaref pour la moitié des sommes ainsi mises à sa charge,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société La Redoute à payer à la société CDI-B une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société La Redoute aux dépens et dit que la société Finaref supportera la moitié des dits dépens, dont elle sera relevée et garantie pour moitié par la société Créaprim.
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Appelante principale, la société CDI-B approuve la décision des premiers juges en ses éléments qui lui sont favorables ; au besoin, elle conteste, au fond, la pertinence de la demande de question préjudicielle ainsi que celle des critiques prises d'un défaut de distinctivité du signe enregistré ou de la dégénérescence, de son fait, de sa marque.
Elle discute en revanche l'appréciation "symbolique" de son préjudice et demande, au vu notamment de la notoriété de sa marque et des investissements perdus et au regard d'une sommation restée vaine, faite à la société Finaref de communiquer les éléments comptables justifiant de l'importance de sa commande :
- de faire interdiction à la société La Redoute de reproduire de quelque manière que ce soit la marque "La Pierrade" en l'associant à l'un des produits ou services visés à l'enregistrement et ce sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée, chaque reproduction constituant une atteinte distincte,
- de dire que la Cour se réservera la liquidation de l'astreinte,
- de condamner la société La Redoute au paiement de la somme de 1 000 000 d'euros à titre de dommages-intérêts,
- d'ordonner la publication de l'arrêt dans cinq publications au choix de la société CDI-B ainsi que dans cinq annonces sur internet aux frais avancés de la société La Redoute dans les limites de 4 575 euros HT par insertion et par annonce,
- de condamner chacune des sociétés La Redoute et Finaref à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
*La société La Redoute soutient :
- qu'un signe qui a cessé d'être distinctif, quelles qu'en soient les raisons, ne peut être protégé en tant que marque et qu'il convient de questionner la CJUE sur le sens à donner aux textes ambigus de la directive sur les marques,
- que les décisions précédentes n'ont pas autorité de chose jugée, faute d'identité d'objet,
- que si le signe a été déposé sous l'empire de la loi de 1964, c'est bien au regard de la loi actuelle qu'il convient d'en examiner la distinctivité, qui doit s'apprécier au jour de l'action en contrefaçon,
- que la marque en cause ne remplit pas ses fonctions,
- qu'elle est en effet devenue générique et est en outre descriptive, car elle désigne une caractéristique du produit.
La société La Redoute demande en conséquence d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a retenu la contrefaçon, de poser deux questions préjudicielles à propos du sens à donner aux articles 3-1 d) et 12.2 a) de la directive 89/104 (devenue 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil), subsidiairement de prononcer la nullité de cette marque et en tout état de cause la déchéance des droits pour dégénérescence, de condamner éventuellement la société CA Consumer Finance, aux droits de la société Finaref, à la garantir de toute condamnation et de condamner la société CDI-B à lui payer une somme de 10 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive outre celle de 5 000 euros pour ses frais irrépétibles.
*La société CA Consumer Finance, précédemment Sofinco, a repris l'instance en exposant avoir "racheté" la société Finaref.
Elle soutient :
- qu'elle n'était pas partie aux instances retenues par la tribunal comme faisant obstacle à ses demandes d'annulation de la marque,
- que cette marque est générique,
- que le terme a été employé en l'espèce dans son sens usuel,
- qu'il n'est pas de préjudice.
La société CA Consumer considère par ailleurs que la société La Redoute ne saurait rechercher sa garantie, alors qu'elle connaissait ces droits de marque, et qu'en toute hypothèse, elle doit être relevée par la société Créaprim, dans la mesure où elle s'est bornée à reprendre la dénomination proposée par cette dernière.
Elle conclut à l'infirmation du jugement et au rejet de la demande de dommages-intérêts formée à son encontre par la société Créaprim.
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Celle-ci soutient qu'elle n'est pas à l'origine de la contrefaçon, qu'elle n'est pas à l'origine de la diffusion de l'annonce litigieuse, qui ne relève que de la responsabilité de l'annonceur, et que la société Finaref "jumelle" de la société La Redoute ne pouvait ignorer les droits de marque.
Elle objecte en outre la solution consacrée, en cas d'usage du signe entre professionnels par CJCE, C-2/00, Hölterhoff ("l'article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque ne peut pas invoquer son droit exclusif lorsqu'un tiers, dans le cadre de tractations commerciales, révèle que le produit provient de sa propre fabrication et n'utilise la marque en cause qu'à la seule fin de décrire les propriétés spécifiques du produit qu'il propose, si bien qu'il est exclu que la marque utilisée soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance du dit produit").
Elle s'en remet à la sagesse de la Cour quant à l'opportunité d'une question préjudicielle et demande d'infirmer le jugement, de la mettre hors de cause et de condamner la société CA Consumer à lui payer une somme de 5 000 euros pour procédure abusive et une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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MOTIFS DE LA DÉCISION
La marque française 1 348 820, sur laquelle se fonde l'action en contrefaçon est :
LA PIERRADE
Il s'agit donc d'une marque verbale couvrant l'association de ces deux mots.
Les produits et services visés dans l'enregistrement sont : "appareils d'éclairage, de chauffage, de production de vapeur, de cuisson, de séchage, de ventilation ; ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine ; hôtellerie et restauration".
Sur les fins de non-recevoir :
• La décision par laquelle le tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône a, dans le cadre de son jugement du 20 octobre 2005, refusé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ne tranche rien du principal, ni ne statue sur une exception de procédure.
Ce refus de surseoir à statuer n'a pas non plus autorité de la chose jugée au principal.
Il est en conséquence loisible à une juridiction ultérieurement saisie d'évaluer l'utilité d'une question préjudicielle et le chef de jugement déclarant irrecevable la demande de renvoi préjudiciel doit être infirmé.
• Un jugement n'a autorité de chose jugée que relativement à la contestation qu'il tranche.
Lorsqu'il se prononce sur une action en dégénérescence de marque, le juge décide si, du fait de son propriétaire, une marque est devenue, au plus tard au moment où les débats sont clôturés, la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service.
Mais le processus de dégénérescence étant évolutif, cette décision ne fait pas obstacle à la recevabilité d'une action soumettant la question à un juge statuant ultérieurement.
Le chef du jugement entrepris déclarant irrecevable la demande reconventionnelle en nullité de marque pour dégénérescence doit être infirmé.
Le jugement rejetant l'action en nullité de marque pour défaut de caractère distinctif a autorité de chose relative sur ce point.
Un arrêt définitif rendu par cette Cour le 20 juin 1991 ayant rejeté la demande d'annulation de la marque "La Pierrade", formée par la société La Redoute pour défaut de caractère originairement distinctif, cette même action entre mêmes parties, fondée sur la même cause, est irrecevable.
En conséquence, le chef de jugement déclarant irrecevable la demande reconventionnelle de la société La Redoute en nullité de marque pour défaut de caractère distinctif doit être confirmé.
Mais cette solution n'épuise pas le débat portant sur la validité de la marque, puisque la société Finaref conclut à son annulation, en ce qu'elle utilise un signe qui serait la désignation nécessaire et générique d'un appareil de cuisson.
Or, elle n'était pas partie aux précédentes instances, de sorte que l'autorité de la chose jugée ne peut lui être opposée et il n'est pas prétendu que sa demande se heurterait à quelque autre cause d'irrecevabilité.
En conséquence, la validité de la marque doit être évaluée en ce qui concerne l'exigence de distinctivité, sur la demande de la société Consumer Finance.
Validité originelle de la marque :
Le dépôt étant intervenu en 1986, l'examen doit être mené au regard de la loi du 31 décembre 1964 qui disposait que ne peuvent être considérées comme marques celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire et générique du produit et du service et celles qui sont constituées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou du service, ou la composition du produit
Pour soutenir "qu'au jour du dépôt précité, il était usuel d'utiliser le terme pierrade pour désigner un appareil et/ou un mode de cuisson sur pierre chauffante", la société Consumer Finance "fait sienne l'argumentation développée par la société La Redoute".
Mais cette dernière ne soutient rien de tel : elle fait valoir que "pour apprécier la validité de la marque, il convient de se placer à la date de la présente demande en nullité", se réclamant ainsi des principes commandant d'ailleurs, non pas la validité du dépôt, mais l'appréciation du risque de confusion au regard d'une notoriété ultérieurement acquise par la marque.
Dès lors, à supposer même que les règles de procédure autorisent la société Consumer Finance à se référer à des conclusions dont elle ne reprend pas les termes, il n'existe dans les écritures de la société La Redoute aucune argumentation susceptible de soutenir sa propre thèse.
Faute d'aucun moyen en ce sens, la demande de nullité de la marque pour défaut originaire de caractère distinctif ne peut donc prospérer.
Dégénérescence :
Les produits et services couverts dans l'enregistrement ont un rapport avec l'art culinaire et la demande porte plus précisément sur les appareils de cuisson destinés au grand public.
La fonction essentielle de la marque étant de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service marqué en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance, il en résulte que, dans l'hypothèse de l'espèce où des intermédiaires, telle la société La Redoute, interviennent dans la distribution au consommateur final des produits ou services concernés, les milieux intéressés dont le point de vue doit être pris en compte pour apprécier si le mot pierrade est devenu usuel sont composés, certes, du consommateur final, ici le grand public, mais aussi, compte tenu des caractéristiques concrètes du marché en cause, de l'ensemble des professionnels qui interviennent dans la commercialisation.
Du point de vue du grand public, la démonstration est amplement faite que ce mot est quotidiennement, massivement et couramment utilisé pour désigner un appareil de cuisson caractérisé par le recours à une pierre chauffée.
De nombreuses recettes de cuisine, des annonces de revente sur internet et même une entrée de dictionnaire en font usage, et il n'est aucune trace que le public ait conscience d'employer ainsi un mot protégé en tant que marque.
Mais cela ne suffit pas à en conclure que la marque est devenue usuelle ; ces circonstances manifestent seulement que les produits et services considérés ont eu un grand succès, qu'ils présentaient une originalité et qu'il n'existait pas de mot pour les nommer auparavant, de sorte que le public les identifie par le vocable sous lequel ils ont été initialement offerts à la vente.
Il ne s'en déduit pas que les autres opérateurs économiques du secteur sont dans la même situation, ni qu'ils s'en trouveraient autorisés à profiter des investissements à l'origine de ce succès pour concurrencer le premier intervenant en recourant à ce signe pour désigner des produits et services identiques ou similaires.
Le principe de dégénérescence suppose en effet de mettre en balance les intérêts en présence : ceux du titulaire de marque à sauvegarder la fonction essentielle de celle-ci et ceux de ces autres opérateurs à disposer de signes susceptibles de désigner leurs produits et services, ce qui peut inclure les signes devenus, non pas même nécessaires, mais usuels dans le secteur.
Or, il n'est pas même prétendu que, du point de vue des professionnels du secteur de la fabrication et de la commercialisation des appareils de cuisson et autres produits et services désignés dans l'enregistrement, le signe serait devenu usuel.
Aucun élément, tel que factures référençant ainsi des produits non marqués, éléments de communications, programmes promotionnels, références pour des produits ou services associés ne permet de constater que ces professionnels traiteraient le terme comme tel et il est établi qu'une fraction significative des milieux intéressés identifie grâce à la marque le produit comme provenant d'une entreprise déterminée.
Dès lors, la première condition de la dégénérescence, si même elle est remplie à l'égard du grand public, ne l'est nullement au regard de l'ensemble des professionnels du secteur et, à leur égard, la marque demeure propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.
Cette condition n'est pas remplie.
A supposer même le contraire, il conviendrait encore que le signe soit devenu usuel par le fait de l'activité ou l'inactivité du titulaire de marque.
La société La Redoute objecte que le titulaire d'une marque devenue usuelle ou générique par usage généralisé doit être déchu de ses droits "quelle que soit l'énergie développée par son propriétaire pour la défendre".
Mais l'article L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il s'interprète à la lumière de l'article 12 § 2 a) de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 portant codification de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, subordonne bien la déchéance des droits de marque au cas où c'est par le fait de l'activité ou de l'inactivité du titulaire que le signe est devenue la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour lequel elle est enregistrée.
La lecture qu'en propose la société La Redoute aboutit à supprimer cette condition et ne peut être admise.
Même à admettre que le mot pierrade est devenue la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service, ce ne serait pas du fait de son titulaire et, faute que cette seconde exigence soit remplie, il n'y aurait pas plus lieu de constater sa dégénérescence.
Les principes ainsi mis en oeuvre paraissent assez sûrs au regard des solutions d'ores et déjà dégagées par la Cour de Justice de l'Union européenne (notamment, 4 mai 1999, C-108/97, Windsurf Chiemsee ; 4 octobre 2001, C-517/99, Merz et Krell ; 29 avril 2004, C-517/99, Björnekulla ; 27 avril 2006, C-145/05, Levi's) pour écarter le recours à une question préjudicielle.
- Réalité de la contrefaçon :
La société CDI-B a fait constater le 9 janvier 2007 que la société La Redoute offrait à sa clientèle, dans son catalogue printemps - été 2007 "votre pierrade-grill-raclette en cadeau" et "la pierrade grill raclette 4 personnes".
Dans cette seconde phrase, la marque est reproduite en tous ses éléments ; le signe est utilisé pour désigner des produits identiques à ceux figurant dans l'enregistrement sous le terme "appareils de cuisson" ; le risque de confusion va de soi et la contrefaçon est caractérisée.
Dans la première, la marque est imitée, puisque l'article "la" ne figure pas dans l'annonce incriminée.
Pour autant, ce simple article produit un effet distinctif négligeable, de sorte que de façon visuelle, conceptuelle et phonétique, l'imitation du seul mot propre à retenir concrètement l'attention et à demeurer présent à l'esprit lorsqu'il n'a pas les deux signes en même temps sous les yeux expose le consommateur raisonnablement informé, qui est d'ici d'attention très moyenne puisqu'il s'agit en l'occurrence de produits de grande consommation, offerts en cadeau qui plus est, à un risque de confusion en raison de cette ressemblance très marquée.
Or, c'est bien au regard de ce consommateur que doit s'évaluer le risque de confusion puisque lui seul, à l'exclusion des professionnels du secteur, y est exposé et que les annonces litigieuses lui étaient destinées.
L'identité des produits désignés achève de créer l'évidence de ce risque ; la contrefaçon est caractérisée.
- Préjudice :
Le catalogue en question a été imprimé à huit millions d'exemplaires.
Le jugement entrepris a notamment retenu que les actions en contrefaçon engagées par le titulaire de marque ne sont pas destinées à protéger une entreprise et son infrastructure, mais bien les seuls intérêts économiques de son "inventeur", par ailleurs "non productif".
Quoique l'article L. 722-6 du code de la propriété intellectuelle ne fût pas applicable à la date des faits concernés, la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle était, elle, entrée en vigueur depuis le 21 mai 2004.
Si une directive non transposée à bonne date peut être invoquée contre l'Etat défaillant, dans la mesure où elle édicte des obligations claires, précises et inconditionnelles, elle ne peut pas être invoquée contre un particulier.
Il n'en demeure pas moins qu'il appartient au juge national d'interpréter les dispositions nationales, dans toute la mesure du possible, à la lumière de la directive.
Or, en l'espèce, il ne fait pas de doute que la société La Redoute, déjà condamnée pour des atteintes aux marques "Pierrade" savait fort bien qu'elle se livrait à une activité contrefaisante en reproduisant ou imitant la marque dans ces conditions.
Les dommages-intérêts adaptés au préjudice réellement subi doivent tenir compte de tous les aspects appropriés, tels que :
- les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la société CDI-B, dans la mesure où, loin d'avoir une activité "non productive", cette dernière participe à l'identification loyale des produits sur le marché, qu'elle doit répondre envers son licencié de la garantie des droits dont elle lui cède l'usage et qu'elle exerce à ce titre une activité économique,
- des bénéfices injustement réalisés par le contrevenant qui, en l'espèce, profite des investissements de son concurrent, et même de son inventivité originaire,
- du préjudice moral causé à la société CDI-B, obligée de défendre à des actions dont le seul but est de nier un droit dont la valeur réside précisément dans la large association faite par le public entre le signe et les produits auxquels il s'applique.
En fonction de ces critères et de la très importante diffusion des annonces contrefaisantes, le préjudice réellement subi doit être fixé à la somme de 100 000 euros.
Il y a lieu en outre d'ordonner une mesure de publication de cette décision.
En revanche, une interdiction sous astreinte de faire usage du signe ne s'impose pas, l'usage précisément incriminé ayant cessé et la contrefaçon étant interdite de façon générale.
- Recours :
La société La Redoute fait valoir qu'elle n'a jamais eu le moindre pouvoir décisionnel ou correctif sur les publicités incriminées, diffusées d'ordre et pour le compte de la société Finaref dans le bute d'encourager à l'ouverture d'un compte auprès d'elle.
Mais elle avait connaissance, une semaine avant l'insertion, du texte proposé par son partenaire ; elle est un professionnel de la commercialisation des appareils de cuisson ; elle connaissait la marque "La Pierrade", elle avait déjà été condamnée pour l'avoir contrefaite ; elle est, enfin, l'entreprise qui a diffusé les annonces contrefaisantes.
Dans ces conditions, peu important qu'elle n'ait pas disposé de pouvoir décisionnel, elle était en mesure, même au regard du bref délai qui lui était ménagé, d'attirer l'attention de la société Finaref sur le caractère incorrect de l'insertion.
En s'abstenant de toute réaction, elle a commis une faute qui est exclusivement à l'origine des actes de contrefaçon et des dommages qui en sont découlés.
Son recours contre la société Consumer Finance ne saurait être accueilli.
Le recours de cette dernière contre la société Créaprim est sans objet ; il ne revêt cependant aucun caractère abusif.
Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
- Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de la société La Redoute en nullité de la marque "La Pierrade" pour défaut de caractère distinctif et en ce qu'il a fait application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Le réforme pour le surplus,
- Statuant à nouveau,
- Dit n'y avoir lieu à question préjudicielle,
- Dit les sociétés La Redoute et Consumer Finance recevables mais mal fondées en leurs demandes en nullité et déchéance des droits de marque,
- Dit qu'en insérant dans son catalogue printemps - été 2007 des annonces mentionnant "votre pierrade-grill-raclette en cadeau" et "la pierrade grill raclette 4 personnes" la société La Redoute a commis des actes de contrefaçon de la marque française 1 348 820 "La Pierrade",
- La condamne à payer à la société CDI-B une somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- Ordonne la publication du présent arrêt, par extrait dans cinq publications au choix de la société CDI-B ainsi que dans cinq annonces sur internet aux frais avancés de la société La Redoute dans les limites de 4 575 euros HT par insertion et par annonce,
- Dit n'y avoir lieu à interdiction d'usage du signe sous astreinte,
- Déboute la société La Redoute de son recours à l'encontre de la société CA Consumer Finance,
- Dit sans objet le recours de la société CA Consumer Finance à l'encontre de la société Créaprim,
- Rejette la demande de dommages-intérêts de la société Créaprim,
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société La Redoute à payer à la société CDI-B la somme supplémentaire de 6 000 euros et à la société CA Consumer Finance la somme de 3 000 euros ; condamne la société CA Consumer Finance à payer à la société Créaprim une somme de 3 000 euros,
- Condamne la société La Redoute aux entiers dépens de première instance et d'appel, hors ceux afférents à la mise en cause de la société Créaprim, qui resteront à la charge de la société CA Consumer Finance ; dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Joëlle POITOUX Michel GAGET