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26/01/2012 | FRANCE | N°10/07054

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 26 janvier 2012, 10/07054


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 10/07054





[M]



C/

SA CODECHAMP







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

du 30 Juillet 2010

RG : 07/00293





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 26 JANVIER 2012







APPELANTE :



[I] [M]

née en à

[Adresse 1]

[Localité 3]



comparant en

personne, assistée de la SELAS FIDAL (Me Sabrina BOUSSOUR), avocats au barreau de MACON





INTIMÉE :



SA CODECHAMP

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Me Alain LEBOUGRE, avocat au barreau de PARIS





PARTIES CONVOQUÉES LE : 19 mai 2011



DÉBATS EN...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 10/07054

[M]

C/

SA CODECHAMP

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

du 30 Juillet 2010

RG : 07/00293

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 26 JANVIER 2012

APPELANTE :

[I] [M]

née en à

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparant en personne, assistée de la SELAS FIDAL (Me Sabrina BOUSSOUR), avocats au barreau de MACON

INTIMÉE :

SA CODECHAMP

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Alain LEBOUGRE, avocat au barreau de PARIS

PARTIES CONVOQUÉES LE : 19 mai 2011

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Novembre 2011

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Jean-Charles GOUILHERS, Président

Hervé GUILBERT, Conseiller

Françoise CARRIER, Conseiller

Assistés pendant les débats de Fabienne BEZAULT-CACAUT, Greffier placé.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 26 Janvier 2012, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président, et par Marie BRUNEL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 30 juillet 2010 par le Conseil de Prud'hommes de VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE, dont appel ;

Vu les conclusions déposées le 17 novembre 2011 par [I] [M], appelante;

Vu les conclusions déposées le 17 novembre 2011 par la S.A. CODECHAMP, intimée;

Ouï les parties en leurs explications orales à l'audience du 17 novembre 2011 ;

La Cour,

Attendu que suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 16 janvier 2004 [I] [M] a été embauchée par la S.A. CODECHAMP en qualité de directrice commerciale, position III A (convention collective ingénieurs et cadres de la métallurgie) avec reprise de l'ancienneté dont elle bénéficiait dans cette entreprise pour y avoir exercé auparavant des fonctions de responsable commerciale ;

qu'il convient de préciser pour une bonne compréhension du litige, que la société CODECHAMP est spécialisée dans la conception, la fabrication et la vente de codeurs optiques ayant des applications dans les domaines militaire, spatial, nucléaire et industriel, et que ces produits étant majoritairement destinés à l'exportation, certains d'entre eux sont soumis à une réglementation douanière très stricte qu'il est parfaitement inutile de détailler ici contrairement à ce que les parties ont estimé utile de faire sur des dizaines de pages de leurs conclusions respectives ;

Attendu que le 9 septembre 2007 [I] [M] a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour le 19 septembre suivant, ce avec mise à pied conservatoire;

qu'elle a été licenciée pour faute grave le 8 octobre 2007 ;

qu'il lui est reproché en substance par son employeur d'avoir méconnu la réglementation applicable à l'exportation de certains produits sensibles ce qui a entraîné contre l'entreprise l'ouverture d'une enquête douanière et l'a exposée à des sanctions pénales et financières tout en la privant de la possibilité d'exporter ses produits ;

Attendu qu'à l'audience du 17 novembre 2011 l'appelante prie la Cour de surseoir à statuer aux motifs que le Tribunal Correctionnel de GUÉRET doit se prononcer sur les poursuites douanières engagées contre la société CODECHAMP mais qu'il a été annoncé que la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières entendait se désister de son action, et que la société CODECHAMP ne lui a communiqué certaines des pièces qu'elle détient que tronquées ou en partie masquées sous le prétexte du 'secret défense' ;

Mais attendu que l'issue de poursuites douanières qui auraient pu être engagées contre la S.A. CODECHAMP n'a pas un caractère déterminant sur la solution du litige soumis à la Cour, laquelle devant veiller à la loyauté des débats, appréciera comme il se doit la production de pièces tronquées ou censurées et ne manquera pas de tirer toutes les conséquences de l'utilisation de tels procédés ;

qu'il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer ;

Attendu qu'il convient de rappeler que seule la lettre de licenciement fixe les limites du litige soumis à la Cour ;

qu'il est reproché à la salariée dans cette missive :

- de ne s'être point rendue à l'entretien préalable fixé au 19 septembre 2007 et de n'avoir pas restitué le matériel appartenant à l'entreprise qui avait été mis à sa disposition,

- de ne s'être jamais souciée des procédures douanières et, d'une façon plus générale, des procédures d'exportation, de n'avoir jamais alerté l'employeur sur les procédures à suivre ni sur ses obligations d'exportateur non plus que sur les conséquences possibles du non-respect de la réglementation,

- d'avoir par ses négligences fautives, entraîné la soumission de la S.A. CODECHAMP à une enquête douanière ;

Attendu que la convocation à un entretien préalable à son éventuel licenciement est un droit reconnu par la loi au salarié qui est entièrement libre de son choix d'en user ou non;

que l'employeur ne saurait donc présenter comme fautif le fait, pour le salarié, de ne s'être point présenté à cet entretien préalable ;

Attendu par ailleurs qu'il ne peut être reproché à la salariée de n'avoir pas restitué les matériels appartenant à l'entreprise qu'elle détenait au jour de l'entretien préalable puisqu'elle faisait alors partie du personnel de la S.A. CODECHAMP et qu'en écrivant le contraire dans la lettre de licenciement du 8 octobre 2007 l'employeur laisse entendre que la décision de licenciement était déjà arrêtée avant même la date fixée pour l'entretien préalable ;

qu'au reste, ces objets, régulièrement détenus par la salariée à la date du licenciement, ont été restitués à l'employeur quelques jours après celui-ci ;

que ce grief, parfaitement artificiel, ne peut être retenu ;

Attendu les prétendues négligences de la salariée sur l'observation de la réglementation et des procédures douanières, qu'il ressort des pièces communiquées de part et d'autre que la S.A. CODECHAMP a fait l'objet de diverses procédures douanières dès le 28 novembre 2006, date à laquelle la dame [Y], Président Directeur Général, a été entendue par les services des Douanes ainsi qu'elle le sera à nouveau les 13 et 14 février 2007 ;

Attendu que la direction de la S.A. CODECHAMP qui aurait dû être alertée par la mise en oeuvre de ces procédures douanières ne démontre pas avoir alors fait quelqu'observation que ce soit à la salariée sur ce sujet ;

Attendu d'autre part que s'il incombait à l'appelante, chargée de la commercialisation de la production de la S.A. CODECHAMP, de connaître les contraintes douanières et réglementaires liées à l'exportation de matériels sensibles, ce afin de conduire les transactions en parfaite conformité avec la réglementation applicable aux produits vendus, il n'entrait en revanche aucunement dans ses attributions de déterminer la classification de ces produits ni d'obtenir les autorisations nécessaires à leur exportation ;

qu'il n'est aucunement démontré par la société intimée que l'appelante aurait à cet égard méconnu les instructions, informations et recommandations qui auraient pu lui être données par la direction générale de l'entreprise, et notamment qu'elle aurait ignoré, même par simple négligence, les spécificités douanières de l'une ou l'autre des fabrications qu'elle était chargée de commercialiser ;

Attendu par ailleurs que l'appelante démontre par les pièces qu'elle produit aux débats qu'elle a, après la prise de contrôle de la S.A. CODECHAMP par une société SEMIP, été marginalisée et totalement supplantée dans ses attributions par l'un des cadres dirigeants de ladite société SEMIP, de sorte que les personnes qui étaient placées formellement sous son autorité et qui notamment devaient veiller à la conformité des transactions avec la réglementation douanière ne prenaient plus leurs ordres que du sieur [O], étranger à la S.A. CODECHAMP, et que la direction refusait de la tenir informée des questions liées aux procédures douanières sous prétexte de 'confidentialité';

qu'enfin, il est à noter que l'employeur n'a jamais assuré aucune formation au bénéfice de la salariée en matière de réglementation douanière régissant les produits fabriqués et exportés par l'entreprise ni en matière de relations avec l'administration des Douanes ;

Attendu que ce grief n'est donc pas établi ;

Attendu, sur le grief tiré de l'engagement d'une enquête douanière à l'encontre de la S.A. CODECHAMP, outre qu'il n'est pas démontré que l'ouverture de cette enquête soit exclusivement ou même partiellement imputable à l'appelante, il convient de relever que l'employeur a été averti de l'ouverture de cette enquête par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de l'administration des Douanes du 25 avril 2007 ;

que dès lors, en application des dispositions de l'article L 1332-4 du Code du travail, l'employeur n'avait plus la possibilité d'engager des poursuites disciplinaires contre la salariée fondées sur la seule ouverture de cette enquête douanière au-delà du 25 juin 2007;

Attendu en conséquence qu'il échet d'infirmer la décision critiquée et de déclarer abusif le licenciement dont [I] [M] a fait l'objet de la part de la S.A. CODECHAMP ;

Attendu qu'il sera en conséquence fait droit aux demandes de la salariée relatives à l'indemnité de licenciement, à l'indemnité de préavis, au rappel de salaire correspondant à la mise à pied et aux congés payés y afférents ;

Attendu, sur le préjudice moral consécutif à la mise à pied conservatoire, que celle-ci était injustifiée et a revêtu un caractère vexatoire manifeste ;

qu'il sera donc octroyé de ce chef à l'appelante la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts ;

Attendu que le licenciement abusif dont l'appelante a fait l'objet lui a causé un préjudice particulièrement important puisqu'il a gravement porté atteinte à sa réputation professionnelle et que l'intéressée est toujours sans emploi actuellement ;

que la société intimée sera donc condamnée à lui payer la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts ;

Attendu qu'ainsi qu'il a été dit supra, il ressort des pièces produites aux débats la preuve de ce que l'appelante a, peu à peu, été évincée de ses fonctions par un tiers à la société et que ses attributions ont été progressivement vidées de leur contenu à un point tel que ses subordonnés ne recevaient plus d'instructions que de ce tiers et ne référaient plus qu'à lui de l'accomplissement de leur tâche ;

que l'employeur a ainsi, de manière déloyale, privé la salariée des moyens de réaliser son travail ;

qu'il sera alloué à l'appelante, en réparation du préjudice moral particulier qui lui a été ainsi causé par l'employeur la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;

Attendu, sur l'absence de formation, que la réglementation douanière n'entrant pas directement dans les attributions de l'appelante ainsi que cette dernière l'a justement fait remarquer, elle ne saurait se plaindre de n'avoir pas reçu de formation particulière dans ce domaine ;

que par ailleurs, elle a suivi des formations en rapport avec son champ de compétences;

que la demande de dommages et intérêts relative à l'absence de formation sera par conséquent rejetée ;

Attendu que la lettre de licenciement ne mentionne pas le nombre d'heures acquises au titre du droit individuel à la formation par la salariée ;

que celle-ci a ainsi perdu la chance d'obtenir la liquidation de son droit à l'issue de la relation contractuelle par une action de formation appropriée et qu'elle subit un préjudice de ce chef ;

qu'il lui sera donc alloué à ce titre la somme de 1 000 € de dommages et intérêts ;

Attendu que la société intimée devra remettre à la salariée des documents de rupture rectifiés et conformes à ses droits ;

Attendu que pour faire valoir ses droits devant la Cour l'appelante a été contrainte d'exposer des frais non inclus dans les dépens qu'il est équitable de laisser, au moins pour partie, à la charge de la société intimée :

que celle-ci sera donc condamnée à lui payer une indemnité de 3 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme, déclare l'appel recevable ;

Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;

Au fond, dit l'appel justifié ;

Infirme le jugement déféré et le met à néant ;

Déclare abusif le licenciement dont [I] [M] a fait l'objet par la S.A. CODECHAMP le 8 octobre 2007 ;

Condamne la S.A. CODECHAMP à payer à [I] [M] :

1° la somme de 25 700 € à titre d'indemnité de licenciement,

2° la somme de 15 450 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

3° la somme de 5 150 € au titre du rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire injustifiée,

4° la somme de 515 € au titre des congés payés afférents audit rappel de salaire,

5° la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par une mise à pied conservatoire injustifiée,

6° la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

7° la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral particulier causé à la salariée, privée de manière déloyale des moyens de réaliser son travail ;

8° la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts pour absence d'indication au droit individuel à la formation dans la lettre de licenciement ;

Condamne la S.A. CODECHAMP à remettre à [I] [M] les documents de rupture du contrat de travail rectifiés conformément au présent arrêt ainsi qu'un document mentionnant les droits individuels à la formation par elle acquis à la date du licenciement, le tout dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard pendant deux mois passé lesquels il sera à nouveau fait droit s'il y a lieu par le juge de l'exécution ;

Déboute [I] [M] de sa demande de dommages et intérêts présentée au titre de l'absence de formation ;

Condamne la S.A. CODECHAMP à lui payer une indemnité de 3 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 10/07054
Date de la décision : 26/01/2012

Références :

Cour d'appel de Lyon SB, arrêt n°10/07054 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-01-26;10.07054 ?
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