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24/01/2012 | FRANCE | N°11/00018

France | France, Cour d'appel de Lyon, 8ème chambre, 24 janvier 2012, 11/00018


R.G : 11/00018

COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRET DU 24 Janvier 2012

Décision du Tribunal de Commerce de LYONAu fonddu 28 octobre 2009

RG : 2008j1847ch no

SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS

C/
SAS CLIVIO TRAVAUX SPECIAUXSA AXIOMESA EUROMAF

APPELANTE :
SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS représentée par ses dirigeants légaux204 avenue Franklin Roosevelt69500 BRON

assistée de la SCP AGUIRAUD NOUVELLETMe Jean Guillaume MONIN, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES :

SAS CLIVIO TRAVAUX SPECIAUX représentée par ses dirige

ants légauxZA Sur le Jura25690 AVOUDREY

assistée de Me André BARRIQUANDMe Dominique Emile BEGIN, avocat au barreau de BES...

R.G : 11/00018

COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRET DU 24 Janvier 2012

Décision du Tribunal de Commerce de LYONAu fonddu 28 octobre 2009

RG : 2008j1847ch no

SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS

C/
SAS CLIVIO TRAVAUX SPECIAUXSA AXIOMESA EUROMAF

APPELANTE :
SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS représentée par ses dirigeants légaux204 avenue Franklin Roosevelt69500 BRON

assistée de la SCP AGUIRAUD NOUVELLETMe Jean Guillaume MONIN, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES :

SAS CLIVIO TRAVAUX SPECIAUX représentée par ses dirigeants légauxZA Sur le Jura25690 AVOUDREY

assistée de Me André BARRIQUANDMe Dominique Emile BEGIN, avocat au barreau de BESANCON

SA AXIOME représentée par ses dirigeants légauxZAC du Petit Rosait - RN 8401120 LA BOISSE

assistée de la SCP DUTRIEVOZ Eve et Jean-PierreMe Marie-Luce BALME, avocat au barreau de CHAMBERY

SA EUROMAF représentée par ses dirigeants légaux9 rue de l'Amiral Hamelin75793 PARIS CEDEX 16

assistée de la SCP DUTRIEVOZ Eve et Jean-PierreMe Marc FLINIAUX, avocat au barreau de PARIS

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 04 Novembre 2011
Date des plaidoiries tenues en audience publique :15 Novembre 2011
Date de mise à disposition : le 17 Janvier 2012, prorogé au 24 Janvier 2012Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Pascal VENCENT, président- Dominique DEFRASNE, conseiller- Françoise CLEMENT, conseiller

assistés pendant les débats de Nicole MONTAGNE, greffier
A l'audience, Dominique DEFRASNE a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Pascal VENCENT, président, et par Nicole MONTAGNE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE
Dans le cadre d'un programme de construction d'une résidence de tourisme à SAINT GERVAIS LES BAINS (HAUTE SAVOIE), la société de promotion immobilière LES BÂTISSEURS DE LYON a constitué la SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS en qualité de maître de l'ouvrage.
Cette dernière a confié à la société AXIOME SAS suivant contrat du 27 octobre 2006 une mission de maîtrise d'oeuvre d'exécution et à la SARL TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION suivant plusieurs marchés et ordres de service du 1er mars 2007 une mission d'entreprise générale.
Le montant global des travaux de construction acceptée par la société AXIOME s'élevait à 5.094.567,19 € HT.
Suivant marché du 20 février 2007, la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION a sous traité à la SAS CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX l'exécution des parois cloutées provisoires moyennant le prix de 240.671,59 € HT.
La société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX devait établir par la suite un devis complémentaire pour des sujétions imprévues de 93.664,05 HT.
Ces travaux ont été réalisés en avril 2007.
Le 25 avril 2007, la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION a transmis à la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS une facture de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX de 115.869,22 € en vue d'un paiement direct mais le maître de l'ouvrage a refusé ce paiement motif pris des règlements déjà intervenus entre les mains de la société TERRE D'ARDECHE CONSTRUCTION.
Le 1er juin 2007, la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION lui a réclamé une garantie de paiement en faveur de ses sous-traitants, puis le 12 juin 2007 la société AXIOME lui a transmis un protocole d'accord avec délégation de paiement au profit de la société CLIVIO.
Le maître de l'ouvrage a refusé de signer ce document en faisant valoir qu'il n'avait pas été informé de l'existence des sous-traitants ni de l'exécution des travaux supplémentaires.
La société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX s'est adressée elle-même à la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION, puis à la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS pour avoir paiement de ses travaux mais sans résultat.
La société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Aubenas en date du 23 octobre 2007.
Elle a fait ensuite assigner la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS devant le juge des référés du tribunal de commerce de LYON pour avoir paiement d'une provision sur le montant de ses travaux mais cette demande a été rejetée en raison d'une contestation sérieuse tandis que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX et la société MARJOLLET, autre sous-traitant, intervenus dans la procédure se sont vus allouer globalement la somme provisionnelle de 234.729,87 €.
La société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX a fait assigner au fond devant le tribunal de commerce de LYON la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS et la société AXIOME en sa qualité de maître d'oeuvre sur le fondement de l'article 14-1 et subsidiairement l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 pour avoir paiement de la somme de 399.865,33 € sauf à déduire la provision déjà obtenue.
La société LES FERMES DE SAINT GERVAIS a appelé en cause la compagnie EUROMAF en qualité d'assureur de la société AXIOME et la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX a fait de même.
Par jugement du 28 octobre 2009 le tribunal de commerce a :
- dit que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX avait correctement effectué les travaux pour le lot qui lui incombait,
- condamné la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS à lui payer la somme de 227.957,31 € et confirmé la provision déjà allouée en référé,
- dit que la société AXIOME avait correctement exécuté ses obligations d'assistance à maîtrise d'ouvrage et de maître d'oeuvre à l'égard des autres parties,
- débouté pour le surplus les parties des autres prétentions formulées, y compris à l'encontre de l'assureur,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- condamné la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS à payer à la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX, à la société AXIOME, à la société EUROMAF respectivement les sommes de 2.200 €, 1.400 € et 1.400 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS aux dépens.

La SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS a interjeté appel du jugement le 24 décembre 2010 et la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX a formé appel incident.

L'appelante demande à la cour :

- d'infirmer le jugement querellé,
- de débouter la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX de ses prétentions,

- de condamner la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX à lui restituer la somme de 234.729,87 € payée en exécution de l'ordonnance de référé et subsidiairement celle de 172.408,02 € correspondante à la part de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX sur le montant de la provision allouée,

- de condamner la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX à lui payer la somme de 114 € au titre des frais liés à la saisie attribution abusive,
subsidiairement,
- de réduire la créance de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX,
- de condamner la société AXIOME in solidum avec son assureur EUROMAF à la relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX et ce compris les sommes accordées à titre provisoire par le juge des référés,
en tout état de cause,
- de condamner tous succombants à lui payer la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l‘instance.

L'appelante conteste d'abord les manquements qui lui sont reprochés sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.

Elle fait valoir que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX n'est pas en mesure de démontrer que le maître de l'ouvrage avait connaissance de son intervention sur le chantier, en précisant que le fait que la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION ait été invitée à recourir à la sous-traitance ne fait pas présumer cette connaissance, que le sous-traitant doit être personnellement identifié par le maître de l'ouvrage, qu'il n'apparaît pas que ce dernier ait été présent sur le chantier, que la plupart des comptes-rendus du chantier ne lui ont jamais été communiqués et qu'aucune demande d'agrément de sous-traitance ne lui a été adressé au cours du chantier.
Elle fait valoir aussi que devant la découverte du sous-traitant non accepté elle a mis en demeure l'entreprise principale de respecter ses obligations et qu'en tout cas le maître de l'ouvrage n'est jamais obligé d'accepter le sous-traitant.
Elle indique également qu'il n'est pas rapporté la preuve d'un lien de causalité entre sa prétendue faute et le préjudice invoqué par le sous-traitant, la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX ayant reçu à ce jour le paiement intégral de ses travaux.
Elle conteste en second lieu l'application à son égard de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 en faisant valoir que l'action directe du sous-traitant non accepté ni agréé par le maître de l'ouvrage est irrecevable et en précisant que la demande tardive d'agrément présentée par la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION était incomplète.
A titre subsidiaire elle entend rechercher la responsabilité de la société AXIOME tant en sa qualité d'assistant au maître à l'ouvrage tant qu'en sa qualité de maître d'oeuvre et au motif que cette société a manqué à son obligation de conseil, n'ayant pas attiré son attention sur la nécessité de l'agrément du sous-traitant alors qu'elle ne pouvait ignorer l'intervention sur le chantier de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX .

La société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX demande de son côté à la cour :

- de confirmer le jugement sur la condamnation mise à la charge de la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS,
- de réformer le jugement en ce qu'il a écarté la responsabilité de la société AXIOME,
- de condamner in solidum la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS, la société AXIOME et son assureur EUROMAF à lui payer la somme de 399.865,33 €, sous déduction de la somme 171.908,02 € allouée en référé,
- de dire que cette condamnation produira intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 septembre 2007 avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civile,
- de débouter la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS de sa demande relative aux frais de saisie,
- de condamner solidairement la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS, la société AXIOME et la société EUROMAF aux dépens ainsi qu'au paiement de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle valoir à titre principal que le maître de l'ouvrage a engagé sa responsabilité en l'espèce pour non-respect des dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.

Elle explique que dès le début du chantier la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS a été informée de la présence des sous-traitants sur le chantier, tant par le coordinateur de sécurité monsieur C... qui les a mentionnés dans son compte-rendu de chantier du 14 mars 2007 que par la société AXIOME qui a sensibilisé le maître de l'ouvrage sur les dispositions de la loi du 31 décembre 1975 mais que la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS n'a jamais adressé à la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION la moindre mise en demeure de soumettre à la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX à son agrément.
Elle ajoute que le refus d'agrément opposé ensuite par le maître de l'ouvrage est abusif ayant été subordonné à la mise en place d'une caution qui n'avait pas lieu d'être.
Elle fait valoir l'existence d'un double préjudices résultant de la violation par le maître de l'ouvrage de ses obligations :
- perte de l'action directe prévue par l'article 12 de la loi,
- perte de chance de bénéficier des deux garanties de paiement prévues par l'article 14 : caution personnelle de l'entreprise et délégation de paiement direct par l'entrepreneur,ce tant pour le marché principal que pour les travaux supplémentaires à hauteur de 399.685,33 € .

La société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX entend rechercher également la responsabilité de la société AXIOME sur le fondement de l'article 1382 du code civile en faisant valoir que le maître d'oeuvre, garant de la régularité des phases administratives du chantier et qui ne pouvait ignorer la présence des sous-traitants, se devait d'aviser le maître de l'ouvrage de la violation par l'entreprise principale des dispositions de la loi de 1975 et que la société AXIOME qui a méconnu cette obligation a contribué à la réalisation du préjudice subi par le sous-traitant.
Elle ajoute que le contrat d'assurance souscrit par la société AXIOME est mobilisable dès lors qu'elle couvre les missions de maîtrise d'oeuvre et d'OPC.
A titre subsidiaire, la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX revendique le bénéfice de l'action directe prévue par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 en faisant valoir que par son refus abusif d'agrément du sous traitant, la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS s'est privée du droit de s'opposer à l'action directe et que contrairement à ses affirmations, elle n'a pas acquitté de la totalité du prix des travaux.
La société AXIOME demande à la cour :
- de confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions,
- de prononcer sa mise hors de cause,
- de condamner la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS ou tout autre succombant aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle indique d'abord, s'agissant de la responsabilité de la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS que les conditions exigées pour l'application de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, à savoir :

- la connaissance par le maître de l'ouvrage du sous-traitant sur le chantier,
- la violation par le maître de l'ouvrage d'une obligation imposée par la loi,
- une violation imputable au maître de l'ouvrage exclusivement,
ne sont pas réunies en l'espèce.
Elle indique aussi que l'action directe du sous-traitant n'est pas non plus applicable faute pour l'entreprise principale d'avoir fait accepter la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX par le maître de l'ouvrage et d'avoir soumis les conditions de paiement à l'agrément de ce dernier .
En second lieu elle conteste toute responsabilité en expliquant qu'elle n'était pas assistante du maître de l'ouvrage mais seulement maître d'oeuvre, et que la preuve de sa faute n'est pas rapportée.
Elle explique que dès qu'elle a été informée de la présence de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX comme sous-traitant par la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION elle n'a plus délivré de bons à payer à l'entreprise principale et a invité le maître de d'ouvrage à ne plus lui adresser de règlement, qu'elle a tout mis en oeuvre pour permettre à la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX d'être payée par l'établissement d'un protocole d'accord en vu d'un paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage, par la mise en demeure de la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION de régulariser la situation à l'égard de ses sous-traitants, par l'organisation de réunions de mise au point avec l'ensemble des intervenants.
Elle ajoute que par ailleurs elle ne disposait d'aucun moyen coercitif à l'égard du maître de l'ouvrage refusant de respecter ses obligations et qu'elle n'assume à son égard qu'une obligation de moyens.

La société EUROMAF demande à la cour :

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- subsidiairement de la mettre hors de cause,
- plus subsidiairement de constater que toutes condamnations à son encontre ne sauraient excéder le plafond de garantie de 240.528 € et que le contrat d'assurance contient une franchise,
- de condamner la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS aux dépens ainsi qu'au paiement de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Reprenant pour une large part l'argumentation développée par la société AXIOME, elle fait valoir qu'il n'est pas rapporté la preuve d'une faute de son assuré.

Elle fait valoir par ailleurs que les garanties ne couvrent que la responsabilité professionnelle du maître d'oeuvre et non pas une éventuelle mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, au demeurant non démontrée en l'espèce.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la responsabilité délictuelle de la SCN LES FERMES DE SAINT GERVAIS
Attendu qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous- traitance, l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat du marché faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ;
Que l'article 14-1 de cette même loi dispose " le maître de l'ouvrage doit s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6 ainsi à celles définies à l'article 5 mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ses obligations." ;
Que l'inaction du maître de l'ouvrage en ce qu'elle est susceptible de priver le sous-traitant d'une délégation de paiement d'une caution et de la totalité des effets de l'action directe engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;

Attendu que les parties versent aux débats :

- 18 ordres de service régularisés par le maître de l'ouvrage et la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION le 1er mars 2007 et notamment celui concernant les parois cloutées,
- une demande d'agrément adressée par la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX à la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION le 14 mars 2007,
- un rapport de visite de monsieur Franck C... coordinateur SPS établi le 22 mars 2007 à l'attention de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX,
- un compte-rendu de réunion de chantier du 5 avril 2007 évoquant la garantie de paiement des entreprises sous-traitant mais ne mentionne pas le nom de ces dernières ;
Attendu que ces documents ne permettent pas d'affirmer que la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS ait été elle-même informée de l'intervention de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX sur le chantier ;
Que la même constatation peut être faite à la lecture des correspondances échangées à l'époque entre l'entreprise principale la société BDL, la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX et des situations de travaux établies par la société AXIOME ;
Que l'attestation de monsieur D..., chef de chantier de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX qui déclare que tous les salariés de l'entreprise portaient une tenue avec le logo de l'entreprise est une pièce inopérante alors qu'aucun autre document n'atteste la présence du maître de l'ouvrage sur le chantier de SAINT GERVAIS, son siège social étant situé à plus de 200 kilomètres ;
Que l'importance des travaux confiés à la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION avec la probabilité que cette société allait nécessairement sous-traiter les travaux ne suffit pas à démontrer que le maître de l'ouvrage connaissait l'identité de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX en qualité de sous-traitant ;

Attendu que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX fait valoir que dans le compte-rendu de chantier précité monsieur C... coordinateur de sécurité figure également en qualité de représentant du maître de l'ouvrage ;

Qu'en réalité, une telle représentation ne figure dans aucune autre pièce produite devant la cour et qu'il est nullement démontré que la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS ait reçu communication de ce document ;
Qu'enfin, contrairement aux affirmations de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX, la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS n'a reçu à l'époque aucun avertissement de la société AXIOME, maître d'oeuvre, l'informant de la présence de sous-traitants sur le chantier;

Attendu que la correspondance produite révèle que le 14 mai 2007 la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION a transmis à la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS une facture de 115.869,22 € TTC émise par la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX le 27 avril 2007 et que c'est seulement à cette date que le maître de l'ouvrage a pu se convaincre de l'intervention de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX sur le chantier ;

Qu'ensuite de ce courrier, la société AXIOME a soumis à la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS un protocole d'accord comportant délégation de paiement au profit de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX, protocole qui n'a pas été régularisé par le maître de l'ouvrage;

Attendu en conséquence qu'il n'est pas démontré que la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS ait manqué aux obligations imposées au maître de l'ouvrage par l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Que sa responsabilité ne saurait être recherchée sur ce fondement ;

Attendu que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX fait grief à la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS d'avoir abusivement refusé l'agrément et la délégation de paiement qui lui étaient présentés ;

Attendu que le droit pour le maître de l'ouvrage de refuser, d'accepter un sous-traitant qui n'a pas pour effet direct de l'évincer du bénéfice du marché mais seulement de le priver de l'action directe en paiement et d'interdire à l'entrepreneur principal tenu envers lui d'invoquer le contrat de sous-traitance à son encontre est un droit discrétionnaire seulement limité par l'abus de droit ou la collusion frauduleuse entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal ;
Qu'en l'espèce, la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS qui n'avait pas connaissance de l'intervention de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX en qualité de sous-traitant sur le chantier qui n'a appris sa présence que tardivement après avoir effectué des règlements importants entre les mains de la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION, entreprise principale, avait un droit légitime de refuser l'agrément du sous-traitant ;
Que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX soutient que le maître de l'ouvrage se serait engagé à la mise en place d'une délégation de paiement lors d'une réunion le 28 juin 2007 dans ses bureaux mais aucune des pièces produites devant la cour ne peut confirmer l'existence de cette engagement ;
Attendu dans ces conditions qu'il n'est pas rapporté la preuve d'un abus de droit de la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS, de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l'égard du sous-traitant ;
Attendu que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX à titre subsidiaire prétend exercer à l'encontre du maître de l'ouvrage l'action directe prévue par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 mais que cette action ne peut manifestement pas prospérer en l'absence d'acceptation et d'agrément du sous-traitant ;

Attendu que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX doit être déboutée de ses prétentions à l'encontre de la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS ;

Qu'il sera fait droit à la demande de la SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS en remboursement de la somme versée par elle au profit de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX en exécution de l'ordonnance de référé du 25 juin 2008 à hauteur, de la somme de 172.408,08 € ;
Que la SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS peut également prétendre au remboursement des frais de la saisie-attribution poursuivie à son encontre par la société CLIVIO en exécution du jugement ;

2/ Sur la responsabilité de la société AXIOME

Attendu que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX prétend rechercher la responsabilité de la société AXIOME in solidum avec le maître d'ouvrage et subsidiairement la responsabilité exclusive de la société AXIOME sur le fondement de l'article 1382 du code civil;

Attendu que la société AXIOME était liée à la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS par un contrat de maîtrise d'oeuvre d'exécution en date du 27 octobre 2006 et par un contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage en date du 15 février 2007 ;

Que le premier de ces contrats comportait une mission complète de maîtrise d'oeuvre d'exécution et le second une mission d'assistance spécifique avec pour objectif d'effectuer l'inventaire et la mise à jour des contraintes et des formalités conditionnant les travaux de construction en ce qui concerne notamment les commandes, les marchés, les vérifications, le contrôle ;
Que la société AXIOME qui a effectivement assuré le suivi et le contrôle du chantier, ainsi qu'il ressort notamment du compte-rendu de chantier établi par ses soins le 5 avril 2007, ne pouvait ignorer la présence de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX en qualité de sous-traitant et qu'il lui incombait en vertu de sa mission de vérifier la régularité des phases administratives du chantier et notamment la régularité de l'intervention de ce sous-traitant ;
Que si la société AXIOME a précisé dans son compte rendu du 5 avril 2007 que les situations MO présentées par l'entreprise devaient obligatoirement être accompagnées des garanties de paiement des entreprises sous-traitantes en précisant que les déclarations de sous- traitance devaient être faites avant le début des travaux, il n'en demeure pas moins qu'elle a attendu le 12 juin 2007 pour informer elle-même le maître de l'ouvrage de l'intervention de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX en lui adressant le protocole comportant une délégation de paiement ;
Qu'à aucun moment avant cette date elle a sollicité auprès de l'entreprise principale ou du maître de l'ouvrage l'agrément du sous-traitant, ni les garanties de paiement et qu'elle a ainsi manqué à ses obligations ;

Attendu que ces manquements ont causé un préjudice à la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX, sous-traitant en ce qu'il l'ont privée d'une chance d'obtenir en temps utile la délégation et les garanties de paiement auxquelles elle peut prétendre en application de la loi du 31 décembre 1975 ;

Attendu que cette perte de chance, en raison de l'aléa que constitue la décision du maître de l'ouvrage, ne saurait être réparée par l'allocation au sous-traitant du prix de ses travaux ;

Qu'au vu des éléments de la cause et en particulier des sommes réglées par le maître de l'ouvrage à la société TERRE D'ARDÈCHE CONSTRUCTION sur instruction de la société AXIOME il y a lieu de fixer à la somme de 100.000 € le montant du préjudice subi par le sous-traitant ;

3/ Sur la garantie de la société EUROMAF

Attendu que la société AXIOME a souscrit auprès de la société EUROMAF un contrat d'assurance des responsabilités professionnelles des ingénieurs et autres concepteurs de la construction pour des missions de maîtrise d'oeuvre générale totale ou partielle, d'étude générale et/ou direction de travaux de bâtiments ;
Que la faute reprochée en l'espèce à la société AXIOME s'inscrit dans le cadre de ces activités et n'est pas seulement limitée à sa mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ;

Attendu que la société EUROMAF sera condamnée in solidum avec la société AXIOME au paiement de la somme de 100.000 € au profit de la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX, étant noté que la dite somme est inférieure au plafond de garantie ;

4/ Sur les dépends et frais irrépétibles

Attendu que les entiers dépens seront mis à la charge de la société AXIOME et de son assureur et que ces derniers devront régler à la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Attendu par ailleurs que la société CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX devra régler à la société LES FERMES DE SAINT GERVAIS la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Dit l'appel recevable,
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau,
Déboute la SAS CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX de ses prétentions à l'encontre de la SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS,
Condamne la SAS CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX à restituer à la SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS la somme de 172.408,02 € versée par elle en exécution de l'ordonnance de référé du 25 juin 2008,
Condamne la SAS CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX à rembourser à la SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS la somme de 114 € au titre des frais de la saisie-attribution
Condamne la SAS AXIOME et la SA EUROMAF in solidum à payer à la SAS CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et dit que les intérêts pourront être capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 du code civil,
Condamne également la SAS AXIOME et la SA EUROMAF in solidum à payer à la SAS CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS CLIVIO TRAVAUX SPÉCIAUX à payer à la SNC LES FERMES DE SAINT GERVAIS la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la SAS AXIOME et la SA EUROMAF in solidum aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en font la demande.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 11/00018
Date de la décision : 24/01/2012
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Analyses

POURVOI N° N 1216343 du 27/03/2012 (AROB) POURVOI N° Z 1216561 du 30/03/2012 (AROB)


Références :

ARRET du 15 mai 2013, Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 15 mai 2013, 12-16.343 12-16.561, Inédit

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.lyon;arret;2012-01-24;11.00018 ?
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