R.G : 10/06249
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 19 Janvier 2012
Décision du tribunal de commerce de Saint-EtienneAu fond du 23 juillet 2010
4ème chambre
RG : 2010/569
APPELANTE :
SA SEJERagissant en qualité de locataire gérant du fonds de commerce de la SA LIBRAIRIE FERNAND NATHAN - FERNAND NATHAN ET CIE, dont le siège social est 25 avenue Pierre de Coubertin - 75211 PARIS CEDEX 1330 place de l'Italie75013 PARIS
représentée par Maître Christian MOREL
assistée de la SELARL M-P ESCANDE, avocats au barreau de PARIS,
INTIMEES :
SAS PAPETERIES PICHON97 rue Jean Perrin42350 LA TALAUDIERE
représentée par la SCP LAFFLY - WICKY
assistée de la SCP BONIFACE-HORDOT-FUMAT-MALLON, avocats au barreau de SAINT-ETIENNE,
SAS JB BOISZ. I. de Ty Moullec29180 GUENGAT
représentée par Maître Annick DE FOURCROY
assistée de la SELARL LES CONSEILS D'ENTREPRISES, avocats au barreau de QUIMPER,
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Date de clôture de l'instruction : 13 Septembre 2011
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 Novembre 2011
Date de mise à disposition : 19 Janvier 2012
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :- Michel GAGET, président- François MARTIN, conseiller- Philippe SEMERIVA, conseiller
assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier
A l'audience, Michel GAGET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement du 23 juillet 2010 du tribunal de commerce de Saint Etienne qui déboute la société SEJER de son action en concurrence déloyale et la condamne à payer 28758 € HT et 38 509 € HT respectivement aux sociétés Papeteries Pichon et JB BOIS à titre de dommages et intérêts, au motif que la commercialisation des objets litigieux ne pouvait créer aucune confusion dans l'esprit des collectivités qui en font l'acquisition, les éléments en cause ayant des bases d'utilisation et d'aspect communes et devant répondre aux mêmes normes et aspects techniques adaptés aux jeunes enfants ;
Vu la déclaration d'appel formée par la SA SEJER le 18 août 2010 ;
Vu les conclusions d'appel no2 du 8 avril 2011 de la société SEJER qui conclut à la réformation du jugement en toutes ses dispositions et demande la condamnation des sociétés JB BOIS et Papeterie Pichon à lui payer 200 000 € au titre du préjudice subi et l'interdiction pour elles de commercialiser l'ensemble des meubles litigieux sous astreinte de 2 000 € par infraction constatée, au motif que ces sociétés ont fait preuve d'une concurrence déloyale et parasitaire en imitant fortement la gamme de meubles commercialisée par les Editions Nathan, ce qui a pu créer un risque de confusion dans l'esprit des clients et leur a permis de profiter des investissements des Editions Nathan dans cette gamme ainsi que de leur notoriété ;
Vu les conclusions de la société Papeteries Pichon du 8 février 2011 qui conclut à la confirmation du jugement au motif qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, n'ayant en aucun cas imité les produits commercialisés par les Editions Nathan qui ne présentent pas d'originalité particulière ni créé de confusion dans le but de profiter de la notoriété de cette société ;
Vu les mêmes conclusions dans lesquelles la société Papeteries Pichon demande à titre subsidiaire que le préjudice de la société SEJER soit limité à la marge brute réalisée par la société Papeteries Pichon grâce à la vente des produits litigieux, que la demande de publication par voie de presse et par affichage sur Internet soit rejetée et que la société JB BOIS soit condamnée à la relever et garantir de l'intégralité des condamnations pouvant être prononcées à son encontre ;
Vu les mêmes conclusions dans lesquelles la société Papeterie Pichon demande à titre reconventionnel la condamnation de la société SEJER à lui payer 50 000 € de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et procédure abusive ;
Vu les conclusions du 17 mai 2011 de la société JB BOIS qui conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société SEJER de ses prétentions mais demande la réformation partielle sur le montant de l'indemnité qui lui a été allouée, en estimant que celui-ci doit être fixé à 100 000 € ;
Vu l'ordonnance de clôture du 13 septembre 2011 ;
Les parties ont donné à l'audience du 3 novembre 2011 leurs explications orales après que Monsieur le Président Michel Gaget ait fait le rapport.
DECISION
Les Editions Nathan, Papeteries Pichon et JB BOIS interviennent toutes les trois sur le marché de la petite enfance, pour fournir des jeux aux collectivités, telles que les crèches ou les halte-garderies. Elles commercialisent des jouets en bois, à savoir des imitations de cuisines d'adultes adaptées à des enfants de moins de 3 ans.
Les Editions Nathan ont fait leur apparition sur ce marché en 2006, alors qu'auparavant leurs produits étaient plutôt destinés aux écoles maternelles, donc à des enfants un peu plus âgés. La société Papeterie Pichon commercialise quant à elle des éléments de cuisine à destination des jeunes enfants depuis 1992. Enfin, la société JB BOIS intervient sur ce marché depuis une dizaine d'années.
Le litige porte sur un ensemble de mobilier de cuisine en bois, composé d'éléments pouvant être présentés isolément, en ligne ou en pôle.
Les Editions Nathan commercialisent un jeu d'imitation appelé "Cuisine Vitamine" composé de quatre éléments principaux (évier, cuisinière, lave-linge et meuble de rangement) et de trois éléments annexes (table, tabourets et cloison) depuis 2007.
La société JB BOIS, qui fournit par ailleurs la société Papeterie Pichon, commercialise depuis 2009 une ensemble dénommé "gamme Bonbon" présentant six éléments (meuble évier, cuisinière, lave-linge, réfrigérateur, table et tabourets). Les Editions Nathan la société JB BOIS et la société Papeterie Pichon se trouvent donc dans une situation de concurrence.
Vu l'article 1382 du code civil ;
La concurrence déloyale permet de sanctionner l'entreprise qui a créé la confusion auprès de la clientèle commune en imitant des produits commercialisés par une autre entreprise.
La société SEJER soutient que les sociétés JB BOIS et Papeteries Pichon ont imité les produits litigieux. Elle indique que la dimension retenue pour les produits est identique, que les couleurs acidulées sont très semblables, ainsi que les formes et le design des meubles. Elle relève que l'impression d'ensemble produite par les objets est identique, et qu'elle entraîne ainsi une confusion, le client pouvant confondre les produits entre eux ou même penser qu'ils appartiennent à la même gamme.
La société JB BOIS ainsi que la société Papeterie Pichon indiquent n'avoir en aucun cas imité les produits des Editions Nathan. A cet égard, ils relèvent que les dimensions, si elles sont très proches, s'expliquent aisément par le fait que les produits sont destinés à des enfants de moins de trois ans. Elles estiment également que la modularité et le design des meubles des Editions Nathan ne présentent aucune originalité, que l'apparence des produits découle de l'imitation de meubles de cuisine pour adultes. Le choix des couleurs s'explique simplement par le fait que ces sociétés ont adapté leurs collections en fonction de la mode. Enfin, elles indiquent que des raisons techniques et de sécurité sont à l'origine de l'arrondi retenu pour les meubles ou du système de porte anti-pincements.
Il ressort des éléments produits dans les dossiers qu'il n'existe pas de similitudes telles entre les produits de la société JB BOIS et ceux des Editions Nathan qu'une confusion ait pu avoir lieu dans l'esprit du public.
Le choix de la société JB BOIS d'utiliser des couleurs acidulées (frigo vert, lave-linge bleu, meuble évier violet, cuisinière rose, table orange) ne relève pas d'une volonté d'imitation de la "Cuisine Vitamine" des Editions Nathan (meuble de rangement vert, cuisinière orange, lave-linge bleu, meuble-évier rouge, table orange) mais d'une volonté de s'adapter à la tendance de la mode. En effet, les couleurs acidulées se sont retrouvées mises en avant pendant la période concernée dans de nombreux domaines, notamment le mobilier et les objets de décoration. Il ne peut être reproché à la société JB BOIS d'avoir voulu créer une collection dans l'air du temps. Cette société montre d'ailleurs avoir depuis longtemps commercialisé des collections de cuisines pour enfants qui ont été adaptées aux modes successives.
La taille et l'aspect général des meubles de cuisine ne peut relever d'une volonté d'imitation. Ces meubles sont destinés à de jeunes enfants de moins de 3 ans.La taille des meubles de cuisine sont obligatoirement sensiblement les mêmes afin d'être mieux adaptés. De la même façon, le système de porte anti-pincement est adapté à l'usage du jeune public. L'utilisation de ce mécanisme par les deux sociétés productrices n'a donc rien de surprenant et ne constitue en aucun cas un élément susceptible de mettre en évidence des actes de concurrence déloyale.
Les éléments représentés ne sont pas identiques, puisque la société JB BOIS propose un réfrigérateur, tandis que les Editions Nathan commercialisent un meuble de rangement comme quatrième élément principal. De plus, les finitions sont distinctes d'un produit à l'autre (poignées de porte, plaques de cuisson en relief ou non, pieds en métal arrondis ou en bois dans la continuité du meuble...).
Enfin, l'aménagement en pôle représenté sur les catalogues de chaque société ne donne pas une impression générale similaire, ceci étant dû à la présence du réfrigérateur dans un cas et à la présence de la cloison et du passe-plat dans l'autre.
Si la "Cuisine Vitamine" des Editions Nathan et la cuisine "gamme Bonbon" de la société JB BOIS, commercialisée par la société Papeterie Pichon présentent certaines ressemblances, l'impression générale qui se dégage de chaque produit ne permet pas de créer une confusion dans l'esprit du public.
La confusion dans l'esprit des clients est d'autant moins évidente que les imitations de cuisine sont destinés à des collectivités prenant en charge des enfants, de sorte que ce public est habitué à comparer les produits et les analyser de façon à identifier ceux qui répondent le mieux à leurs attentes. Il ne résulte pas de la ressemblance entre les produits que ces collectivités aient pu confondre les deux gammes de produits et imaginer qu'elles provenaient du même fabricant, alors que ces sociétés sont notoirement connues du public en question.
Le fait de vouloir tirer profit du renom, du travail et des investissements fournis par une société en imitant ses produits fausse la compétitivité et peut également permettre de caractériser des actes de concurrence déloyale.
La société SEJER indique que les sociétés JB BOIS et Papeteries Pichon ont fait preuve d'une concurrence parasitaire en commercialisant leurs produits 2 ans après la "Cuisine Vitamine" et en profitant ainsi des investissements et de la prise de risque ainsi que de l'image positive des Editions Nathan.
Les sociétés JB BOIS et Papeterie Pichon sont présentes sur le marché des jeux pour les lieux d'accueil collectif d'enfants de moins de trois ans depuis de nombreuses années.
Il ressort des pièces fournies que la société JB BOIS revend ses produits par l'intermédiaire de sociétés telles que la société Papeterie Pichon qui sont connues sur le marché de la petite enfance. La société JB BOIS n'a en aucun cas voulu profiter de la notoriété des Editions Nathan en commercialisant des produits ressemblants.
La différence de prix dans la commercialisation des produits s'explique par leur différence de qualité et de finitions et par le fait que la société JB BOIS est une structure de bien moindre importance. Cette différence de prix n'est en rien constitutive d'un acte de concurrence déloyale et ne vient pas du fait que la société aurait fait l'économie de frais de recherche, la société JB BOIS produisant d'ailleurs le détail des frais de conception des produits litigieux.
Il résulte des éléments ci-dessus que la société JB BOIS, qui a commercialisé ses produits par l'intermédiaire notamment de la société Papeterie Pichon, n'a commis aucun acte de parasitisme permettant de caractériser un comportement de concurrence déloyale.
Les demandes de la société SEJER doivent être rejetées, et il n'y a pas lieu de se pencher sur les demandes subsidiaires formées par la société Papeterie Pichon.
La société JB BOIS demande que le montant de son préjudice soit évalué à 100 000 €. La société a cessé de commercialiser les produits litigieux le 11 février 2010 à la suite de l'assignation. Il ressort des pièces fournies que la société JB BOIS a vendu 389 unités pour un chiffre d'affaires de 23 739 € entre le 1e août 2009 et le 11 février 2010, soit 194 jours. La Cour suit l'argumentation du tribunal et condamne la société SEJER à payer à la société JB BOIS le montant de son chiffre d'affaire pour cet article sur deux années, soit 88 103 € (23 739 x 720/194).
La Cour rectifie l'erreur matérielle contenue dans le jugement, consistant en une inversion des montants des dommages et intérêts accordés aux sociétés JB BOIS et Papeterie Pichon. En conséquence, elle condamne la société SEJER à payer la somme de 28758€ à la société Papeterie Pichon. Cette somme correspond exactement à la mesure de son préjudice comme les premiers juges l'ont, avec raison, admis.
Il n'y pas lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts de la société Papeterie Pichon pour procédure abusive.
Il y a lieu de condamner la société SEJER à payer 8 000 € à la société Papeterie Pichon et 8 000 € à la société JB BOIS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il y a lieu de condamner la société SEJER au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement rendu le 23 juillet 2010 par le tribunal de commerce de Saint Etienne en ce qu'il a rejeté les demandes de la société SEJER comme mal fondées ;
Réformant pour le surplus,
Rectifie l'erreur matérielle commise dans le jugement, en réparation de son exact dommage ; en conséquence, condamne la société SEJER à payer à la société Papeterie Pichon la somme de 28 758 € de dommages et intérêts,
Condamne la société SEJER à payer à la société JB BOIS la somme de 88 103 € de dommages et intérêts,
Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société Papeterie Pichon,
Condamne la société SEJER à payer la somme de 8 000 € à la société JB BOIS au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société SEJER à payer la somme de 8 000 € à la société Papeterie Pichon sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société SEJER au paiement des dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement direct au profit de ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Joëlle POITOUX Michel GAGET