AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 10/07578
[V]
C/
SAS BRASSERIE DE LA CROIX ROUSSE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 23 Septembre 2010
RG : 08/04714
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 04 OCTOBRE 2011
APPELANT :
[M] [V]
né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Xavier BLUNAT, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SAS BRASSERIE DE LA CROIX ROUSSE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Eric DE BERAIL, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Juin 2011
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Didier JOLY, Président
Hervé GUILBERT, Conseiller
Mireille SEMERIVA, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 04 Octobre 2011, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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[M] [V] a été engagé par la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse en qualité de brasseur et technicien de maintenance au 'Café Chantecler' suivant contrat écrit à durée indéterminée du 2 mai 2003, soumis à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants.
Son salaire mensuel brut a été fixé à 1 900 € pour 39 heures hebdomadaires de travail. Il était complété par un avantage en nature (repas).
Le 3 août 2004, [M] [V] a fait une chute dans l'escalier de son employeur, qu'il montait les bras chargés. Cet accident du travail a entraîné la délivrance d'avis d'arrêt de travail jusqu'au 10 janvier 2005.
Lors de la visite de reprise du 14 janvier 2005, le médecin du travail a émis l'avis suivant :
Inapte à la reprise à un poste de travail exigeant des efforts de manutention et la station debout en permanence. Peut occuper un poste n'imposant pas ces contraintes physiques.
A l'occasion du second examen médical, le 31 janvier 2005, les conclusions du médecin du travail, qui avait étudié le poste de travail le 24 janvier, ont été les suivantes :
Inapte au poste de brasseur. Peut occuper un poste n'imposant pas d'efforts de manutention ni la station debout en permanence.
Dans l'intervalle séparant les deux examens, le salarié a été placé en congés payés.
Par lettre recommandée, expédiée le 23 février 2005 et reçue le 24 février, la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse a proposé à [M] [V], dans le cadre de l'obligation de reclassement, d'occuper un poste d'aide de cuisine respectant les prescriptions du médecin du travail. Elle a accordé au salarié un délai de réflexion de huit jours. [M] [V] n'a pas répondu.
A dater du 7 février 2005, de nouveaux avis d'arrêt de travail ont été délivrés au salarié. Le 5 mars 2005, le médecin traitant de ce dernier a délivré un certificat de rechute d'accident du travail, mais la Caisse primaire d'assurance maladie a refusé de prendre en charge ces nouveaux arrêts au titre de la législation professionnelle.
Le 11 septembre 2006, la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse a donné le fonds de commerce du 'Café Chantecler' en location-gérance à la société SODILYR.
Par lettre recommandée du 30 mars 2007, [M] [V] a informé celle-ci de son classement dans la deuxième catégorie des invalides à compter du 1er avril 2007.
Le contrat de location-gérance a été résilié à effet du 1er novembre 2007 et le fonds a fait retour à la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse. La société SODILYR a été placée en liquidation judiciaire le 11 mars 2008.
Le 25 avril 2008, [M] [V] a saisi la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande de salaires (81 804 €) fondée sur l'article L 1226-11 du code du travail.
Par ordonnance de départage du 21 octobre 2008, la formation de référé a considéré que la demande se heurtait à une contestation sérieuse et qu'elle était irrecevable en l'état de référé.
Le 21 décembre 2008, la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse a fait constater par un huissier qu'[M] [V] se trouvait debout derrière un étal de volailles à la broche, place qu'il a dit occuper en fin de semaine sur le marché [Localité 8] depuis près de vingt-et-un ans.
Le 30 décembre 2008, [M] [V] a saisi au fond le Conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande de salaires au titre de l'obligation de maintien de la rémunération.
* * *
LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté le 23 octobre 2010 par [M] [V] du jugement rendu le 23 septembre 2010 par la formation de départage du Conseil de prud'hommes de LYON (section commerce) qui a :
- constaté l'absorption au 1er janvier 2009 de la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse (RCS 393 977 360) par la société Brasseurs Réunis de France désignée sous la dénomination '[Adresse 6]' (RCS 448 210 369),
- débouté [M] [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- déboutée la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 28 juin 2011 par [M] [V] qui demande à la Cour de :
- constater le manquement grave de l'employeur pour n'avoir pas procédé, faute d'avoir reclassé ou licencié [M] [V], à la reprise du paiement du salaire postérieurement au délai d'un mois faisant suite au second avis d'inaptitude,
- en conséquence, réformer le jugement entrepris,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et condamner, à ce titre, les sociétés Brasserie de la Croix Rousse et Brasseurs Réunis de France, in solidum, à payer les sommes suivantes :
'rappel de salaire146 300,00 €
'congés payés afférents14 630,00 €
'indemnité compensatrice3 800,00 €
'indemnité spéciale de licenciement 6 080,00 €
'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 34 200,00 €
'article 700 du code de procédure civile 3 000,00 €
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales par la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse qui demande à la Cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 septembre 2010 par le Conseil de prud'hommes de Lyon,
- débouter [M] [V] de toutes ses prétentions,
- le condamner au paiement de la somme de 1 500,00 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu qu'[M] [V], qui avait dirigé ses demandes de première instance contre la seule société Brasserie de la Croix Rousse, ne démontre pas que la société Brasseurs Réunis de France, qui n'a plus d'existence, était tenue de tout ou partie des obligations dont l'inexécution est à l'origine du présent litige ;
Sur la demande de rappel de salaire :
Attendu que selon l'article L 1226-11 du code du travail, après une suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de verser à l'intéressé, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail ;
Qu'il en résulte que le salarié peut, soit se prévaloir de la poursuite du contrat de travail et solliciter la condamnation de l'employeur au paiement des salaires, soit faire constater la rupture du contrat de travail pour manquement de l'employeur à cette obligation ;
Qu'[M] [V] sollicitant désormais le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, le jugement qui l'a débouté de sa demande de rappel de salaire doit être confirmé ;
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :
Attendu qu'aux termes de l'article L 1226-10 du code du travail, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension du contrat à durée indéterminée consécutive à un arrêt de travail provoqué par un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou une maladie professionnelle, l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise et après avis des délégués du personnel, un autre emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail ;
Qu'[M] [V] soutient sans être contredit que la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse employait quinze salariés ; que l'intimée ne justifie ni de l'avis des délégués du personnel prévu par l'article L 1226-10 ni d'une carence de candidature aux élections ; que la proposition de reclassement du 23 février 2005 ne précisait ni les horaires de travail ni la rémunération correspondant au poste d'aide de cuisine proposé ; qu'en l'absence de réponse à l'expiration du délai de réflexion de huit jours laissé à l'appelant, la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse n'a ni émis une nouvelle proposition de reclassement ni licencié le salarié ; que contrairement à ce que fait valoir l'employeur, les dispositions de l'article L 1226-9 du code du travail ne faisaient pas obstacle au licenciement, le nouvel avis d'arrêt de travail délivré à [M] [V] n'ayant pas ouvert une nouvelle période de suspension du contrat de travail susceptible de tenir en échec le régime juridique applicable à l'inaptitude ; que la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse s'étant abstenue à la fois de reclasser [M] [V] et de reprendre le paiement des salaires, la résiliation judiciaire du contrat de travail sera prononcée à ses torts, à la date du présent arrêt ; que la résiliation produit les effets d'un licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions des articles L 1226-10 et L 1226-12 du code du travail ;
Sur la demande d'indemnité :
Attendu qu'aux termes de l'article L 1226-15 du code du travail, lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives à la réintégration du salarié déclaré apte, prévues à l'article L 1226- 8, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; qu'il en va de même en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12 ; qu'en cas de refus de réintégration par l'une ou l'autre des parties, le tribunal octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à douze mois de salaires et qui se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, l'indemnité spéciale de licenciement prévues à l'article L1226-14 ;
Qu'en l'espèce, [M] [V] ne justifie pas d'un préjudice impliquant une indemnisation supérieure au minimum légal défini ;
Qu'en conséquence, la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse sera condamnée à lui verser une indemnité de 22 800 € ;
Sur les indemnités spéciales de rupture :
Attendu qu'aux termes de l'article L 1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L 1226-12 ouvre droit pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité prévue à l'article L 1234-5, ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L 1234-9 ou par l'article 5 de l'accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977 annexé à la loi n°78-49 du 19 janvier 1978 relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle, s'il remplit les conditions fixées pour bénéficier de cet accord ; que, toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif ;
Qu'en l'espèce, à supposer que le silence d'[M] [V] vaille refus de la proposition, ce refus n'était pas abusif dès lors que le poste de reclassement offert entraînait une modification du contrat de travail que le salarié n'était pas tenu d'accepter ;
Que l'ancienneté de l'appelant couvrant la période du 2 mai 2003 au 4 octobre 2011 ;
Qu'en conséquence, la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse sera condamnée à payer à [M] [V] la somme de 6 080 € à titre d'indemnité spéciale de licenciement et celle de 3 800 € à titre d'indemnité compensatrice ;
PAR CES MOTIFS,
Reçoit l'appel régulier en la forme,
Confirme le jugement entrepris,
En conséquence, met hors de cause la S.A.S. Brasseurs Réunis de France,
Y ajoutant :
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse et à la date du présent arrêt,
Dit que la résiliation produit les effets d'un licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions des articles L 1226-10 et L 1226-12 du code du travail,
En conséquence, condamne la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse à payer à [M] [V] :
- la somme de vingt-deux mille huit cent euros (22 800 €) à titre d'indemnité en réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail,
- la somme de six mille quatre-vingt euros (6 080 €) à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
- la somme de trois mille huit cents euros (3 800 €) à titre d'indemnité compensatrice ;
Dit que les dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail, relatives au remboursement par l'employeur à PÔLE EMPLOI des indemnités de chômage versées au salarié, ne sont pas applicables,
Condamne la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse à payer à [M] [V] la somme de trois mille euros (3 000 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la S.A.S. Brasserie de la Croix Rousse aux dépens d'appel,
Le greffierLe Président
S. MASCRIERD. JOLY