AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 11/01026
SARL NOUVELLE OZA
C/
[F]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 27 Janvier 2011
RG : F 09/01946
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 26 AOUT 2011
APPELANTE :
SARL NOUVELLE OZA
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Philippe SCHNEIDER,
avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMÉE :
[B] [F]
née le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Jacques ROSSI,
avocat au barreau de LYON
PARTIES CONVOQUÉES LE : 28 Mars 2011
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Juin 2011
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Nicole BURKEL, Président de chambre
Hélène HOMS, Conseiller
Marie-Claude REVOL, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 Août 2011, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nicole BURKEL, Président de chambre, et par Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
Le 1er juillet 1971, [B] [F] a été embauchée par la société OZA en qualité de tireuse de plans ; la S.A. OZA a fait l'objet d'une procédure collective ; le 13 mai 2004, le tribunal de commerce a homologué un plan de cession au profit de la S.A.R.L. NOUVELLE OZA ; à compter du 1er juin 2004, [B] [F], qui avait été le président directeur général de la S.A. OZA, a été embauchée par la S.A.R.L. NOUVELLE OZA en qualité de directrice d'agence.
[B] [F] a été en arrêt de travail pour cause de dépression à compter du 19 mars 2009 ; elle a pris acte de la rupture du contrat de travail le 16 avril 2009.
[B] [F] a saisi le conseil des prud'hommes de LYON pour que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produise les effets d'un licenciement dépourvu de cause ; elle a réclamé l'indemnité compensatrice de préavis, un rappel sur le treizième mois, l'indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement abusif, des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et harcèlement moral, des dommages et intérêts pour non respect de la convention collective et une indemnité au titre des frais irrépétibles.
Par jugement du 27 janvier 2011, le conseil des prud'hommes a :
- fait produire à la prise d'acte les effets d'un licenciement sans cause,
- condamné la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à verser à [B] [F] la somme de 9.708 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 970,80 € de congés payés afférents et outre la somme de 809 € à titre de rappel sur le treizième mois, la somme de 53.585 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 28.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause,
- fait courir les intérêts sur les dommages et intérêts à compter du jugement et sur les autres sommes à compter du 26 mai 2009,
- débouté [B] [F] de ses autres demandes,
- condamné la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à rembourser aux organismes concernés les allocations chômage réglées à [B] [F] dans la limite de trois mois d'indemnité,
- condamné la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à verser à [B] [F] la somme de 1.400 € au titre des frais irrépétibles et à acquitter les dépens de l'instance.
Le jugement a été notifié le 1er février 2011 à la S.A.R.L. NOUVELLE OZA qui a interjeté appel par lettre recommandée adressée au greffe le 8 février 2011.
Par conclusions reçues au greffe le 9 juin 2011 et visées le 10 juin 2011 maintenues et soutenues oralement à l'audience, la S.A.R.L. NOUVELLE OZA :
- admet avoir fait des remarques à [B] [F] qui ne respectait pas les directives sur les délais de paiement accordés aux clients et souligne n'avoir jamais pris de sanction,
- conteste tout harcèlement moral,
- dément la modification du contrat de travail et la rétrogradation,
- qualifie, par conséquent, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de démission,
- affirme qu'elle a respecté la convention collective,
- au principal, demande le rejet des prétentions de [B] [F] et sa condamnation à lui restituer les sommes réglées en exécution du jugement entrepris,
- au subsidiaire, fait débuter l'ancienneté au mois de mai 2004 et chiffre l'indemnité de licenciement à la somme de 6.472 €, estime que la salarié, en arrêt maladie, n'a pas droit à l'indemnité de préavis et offre la somme de 19.416 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause,
- en toute hypothèse, sollicite la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions reçues au greffe le 7 juin 2011 et visées le 10 juin 2011 maintenues et soutenues oralement à l'audience, [B] [F] :
- reproche à l'employeur de lui avoir fait subir un harcèlement par des brimades et des pressions injustifiées et de l'avoir rétrogradée,
- ajoute que ses conditions de travail ont provoqué une dépression,
- analyse donc la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause,
- réclame la somme de 9.708 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 970,80 € de congés payés afférents et 809 € de treizième mois, la somme de 53.585 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, précisant que son ancienneté a été reprise au 1er juillet 1971, la somme de 84.136 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause et la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct causé par le comportement fautif de l'employeur, harcèlement et exécution déloyale du contrat de travail,
- fait valoir que le montant de son salaire n'a pas été calculé conformément à la convention collective et réclame la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts,
- demande les intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2009,
- sollicite, en cause d'appel, la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le harcèlement et l'exécution déloyale du contrat de travail :
L'article L.1152-1 du code du travail prohibe les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droit ou à la dignité du salarié ou d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; en application de l'article L.1154-1 du code du travail et de la réserve émise par le Conseil Constitutionnel, il appartient au salarié qui allègue d'un harcèlement d'établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants laissant supposer l'existence du harcèlement et il appartient à l'employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.
L'article L. 1222-1 du code du travail pose le principe selon lequel le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
Au cours de l'année 2007, le dirigeant de l'entreprise a adressé des courriers électroniques et des notes de service qui interdisaient de faire crédit aux clients et d'accepter des règlements différés.
Le dirigeant de l'entreprise a envoyé à [B] [F] :
* un courrier électronique, le 9 juillet 2008, ainsi libellé : 'à partir de maintenant je te propose de déduire de ton salaire les travaux non payés de ce client peut-être que comme ça tu arrêteras ta générosité à mes frais',
* un courrier électronique, le 16 octobre 2008, ainsi libellé : 'merci de ne plus livrer le client IERES sans payement comptant tout impayé sera retenu désormais sur ton salaire jusqu'au payement comme ça tu comprendras peut-être ce que payement comptant veut dire',
* un courrier électronique, le 22 octobre 2008, ainsi libellé : 'je confirme et précise que [B] est personnellement responsable du payement (ou du non payement...),
* un courrier électronique, le 27 novembre 2008, ainsi libellé : 'je t'informe que la situation d'OZA est très mauvaise on perd de l'argent je t'appelle vendredi pour faire le point il est bien entendu que tu ne fais plus aucun frais tes notes en cours sont bloquées jusqu'à nouvel ordre plus aucune heure sup ne sera payée'.
[B] [F] a été en arrêt de travail le 19 mars 2009 pour souffrance au travail et dépression réactionnelle.
Les frais professionnels de [B] [F] se montant à la somme de 2.117,28 € lui ont été réglé le 26 mars 2009.
Le 31 mars 2009, l'employeur a adressé à [B] [F] une lettre recommandée avec accusé de réception intitulée 'Modification de vos responsabilités' et rédigée dans les termes suivants : 'Comme convenu lors de notre conversation téléphonique du 30 mars 2009, je vous confirme que vous n'êtes plus responsable de l'agence OZA et que votre supérieur hiérarchique est désormais [O] [G]. A votre retour de congé, vous voudrez bien vous présenter à lui pour prendre les instructions concernant votre poste à l'atelier' ; [B] [F] était directrice d'agence, au coefficient 500 échelon 5, et [O] [G] était commercial, au coefficient 230 échelon 1.
Il s'ensuit de l'ensemble de ces éléments que l'employeur a, à plusieurs reprises, menacé [B] [F] de sanctions pécuniaires lesquelles sont prohibées, a bloqué le remboursement de ses notes de frais professionnels et a voulu la rétrograder de manière très conséquente et que [B] [F] a souffert d'une dépression.
Les agissements de l'employeur ont été répétés et ont entraîné une dégradation de l'état de santé de la salariée.
Le harcèlement moral est ainsi établi.
La rétrogradation notable décidée par l'employeur pendant le congé maladie de la salariée caractérise l'exécution déloyale du contrat de travail.
Au vu des éléments précités, les dommages et intérêts revenant à [B] [F], âgée de 57 ans en 2009, doivent être chiffrés à la somme de 10.000 €.
En conséquence, la S.A.R.L. NOUVELLE OZA doit être condamnée à verser à [B] [F] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail.
Le jugement entrepris doit être infirmé.
Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail :
Par lettre du 16 avril 2009, [B] [F] a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur à qui elle reprochait des brimades, des humiliations, un harcèlement et une rétrogradation.
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements imputés par le salarié à son employeur empêchaient la poursuite des relations contractuelles, soit d'une démission dans le cas contraire ; il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements qu'il invoque.
Il a été précédemment imputé à l'employeur un harcèlement moral et une exécution déloyale du contrat de travail ; ces agissements présentent un degré de gravité tel qu'ils empêchaient la poursuite de la relation contractuelle.
En conséquence, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur doit produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris doit être confirmé.
Le préavis de [B] [F], cadre, est d'une durée de trois mois ; [B] [F] a droit à une indemnité compensatrice de préavis égale au montant des salaires qu'elle aurait perçus si elle avait travaillé pendant la période de préavis, peu important son état de maladie au cours de cette période.
Le salaire mensuel brut se monte à la somme de 3.236 € ; il ne peut pas être inclus dans l'indemnité compensatrice de préavis un portion du treizième mois dans la mesure où la salariée n'aurait pas touché une part du treizième mois si elle avait travaillé du 16 avril au 16 juillet 2009, période correspondant au préavis ; en revanche, la salariée a droit à une indemnité compensatrice de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis.
En conséquence, la S.A.R.L. NOUVELLE OZA doit être condamnée à verser à [B] [F] la somme de 9.708 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 970,80 € de congés payés afférents, et [B] [F] doit être déboutée de sa demande en versement d'une part du treizième mois au titre du préavis.
Le jugement entrepris doit être infirmé.
[B] [F] a droit à une indemnité de licenciement.
Le bulletin de paie du mois de mars 2009 mentionne une ancienneté de 453 mois ; le projet de reprise de la société OZA prévoyait le transfert du contrat de travail de [B] [F] dont l'ancienneté remontait au 1er juillet 1971 ; ainsi, [B] [F] bénéficiait, à l'issue de la période de préavis, d'une ancienneté de 38 ans et 15 jours.
Le salaire mensuel brut se monte à 3.236 € ; eu égard au treizième mois, la moyenne des douze derniers mois de salaire qui est la plus favorable à la salariée s'élève à la somme de 3.505,67 € ; en vertu de la convention collective du personnel de la reprographie applicable à la cause, [B] [F], cadre, a droit à une indemnité de licenciement plafonnée à 15 mois de salaire, soit à la somme de 52.585 €.
En conséquence, la S.A.R.L. NOUVELLE OZA doit être condamnée à verser à [B] [F] la somme de 52.585 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
Le jugement entrepris doit être infirmé.
[B] [F] comptabilisait une ancienneté supérieure à deux ans et la S.A.R.L. NOUVELLE OZA emploie plus de onze personnes.
En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, [B] [F] a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la rémunération des six derniers mois, soit au vu des bulletins de paie à la somme de 19.416 €.
Au vu des éléments de la cause, les premiers juges ont justement chiffré le montant des dommages et intérêts à la somme de 28.000 €.
En conséquence, la S.A.R.L. NOUVELLE OZA doit être condamnée à verser à [B] [F] la somme de 28.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause.
Le jugement entrepris doit être confirmé.
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, la S.A.R.L. NOUVELLE OZA doit être condamnée d'office à rembourser aux organismes concernés les allocations chômage versées à [B] [F] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de trois mois d'indemnités.
Le jugement entrepris doit être confirmé.
Sur la violation de la convention collective :
La convention collective du personnel de la reprographie applicable à la cause impose que le cadre perçoive une rémunération qui doit dépasser de 10 % la rémunération du salarié placé directement sous ses ordres.
[B] [F] soutient que le chef d'atelier qui était sous ses ordres touchait un salaire identique au sien ; toutefois, elle n'apporte aucun élément au soutien de cette assertion.
En conséquence, [B] [F] doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la convention collective.
Le jugement entrepris doit être confirmé.
Sur les intérêts :
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail fait partir le cours des intérêts lorsqu'elle intervient en cours d'une instance en résiliation judiciaire du contrat de travail ; tel n'est pas le cas en l'espèce ; dès lors, en application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, les intérêts courent au taux légal jusqu'à parfait paiement sur l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et l'indemnité de licenciement à compter du 26 mai 2009, date de réception par l'employeur de la convocation à l'audience de conciliation valant mise en demeure de payer, sur les dommages et intérêts liés au licenciement à compter du jugement et sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail à compter du présent arrêt.
Le jugement entrepris doit être confirmé.
Sur les frais irrééptibles et les dépens :
L'équité commande de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et de condamner la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à verser à [B] [F] en cause d'appel la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La S.A.R.L. NOUVELLE OZA qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel et le jugement entrepris doit être confirmé.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a fait produire à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, a condamné la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à verser à [B] [F] la somme de 28.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause, a condamné d'office la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à rembourser aux organismes concernés les allocations chômage versées à [B] [F] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de trois mois d'indemnités, a débouté [B] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la convention collective et en ses dispositions relatives aux intérêts, aux frais irrépétibles et aux dépens,
Infirmant pour le surplus et statuant à nouveau,
Juge que [B] [F] a subi un harcèlement moral et une exécution déloyale du contrat de travail,
Condamne la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à verser à [B] [F] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à verser à [B] [F] la somme de 9.708 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 970,80 € de congés payés afférents et déboute [B] [F] de sa demande en versement d'une part du treizième mois au titre du préavis,
Condamne la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à verser à [B] [F] la somme de 52.585 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
Ajoutant,
Condamne la S.A.R.L. NOUVELLE OZA à verser à [B] [F] en cause d'appel la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la S.A.R.L. NOUVELLE OZA aux dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président,
Evelyne FERRIER Nicole BURKEL