R. G : 09/ 02302
COUR D'APPEL DE LYON 1ère chambre civile A ARRET DU 13 Juillet 2011
Décision du Tribunal de grande instance de Lyon Au fond du 26 février 2009
10ème chambre
RG : 04/ 01113
APPELANTS :
Société CYCLES LAPIERRE-SAS, prise en la personne de son Président en exercice, Monsieur Gilles X..., SAS Filiale de la Société ACCELL GROUP N. V. HOLLANDE... 21005 DIJON CEDEX
représentée par Maître Annick DE FOURCROY, avoué à la Cour assistée de la SELARL HDNP Avocat Associés, avocats au barreau de LYON
Philippe Y... né le 13 Août 1952 à SAINT-REMY (SAONE-ET-LOIRE) ... 77190 DAMMARIE LES LYS
représenté par Maître Annick DE FOURCROY, avoué à la Cour assisté de la SELARL HDNP Avocat Associés, avocats au barreau de LYON
INTIMEES :
Société DECATHLON-SA-4, boulevard de Mons B. P. 299 59665 VILLENEUVE D'ASCQ
représentée par Maître Christian MOREL, avoué à la Cour assistée de la SELARL M-P ESCANDE, avocats au barreau de PARIS
Société PROMILES-SNC-4 boulevard de Mons 59650 VILLENEUVE D'ASCQ
représentée par Maître Christian MOREL, avoué à la Cour assistée de la SELARL M-P ESCANDE, avocats au barreau de PARIS
Date de clôture de l'instruction : 31 Mai 2011 Date des plaidoiries tenues en audience publique : 31 Mai 2011 Date de mise à disposition : 13 Juillet 2011
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :- Michel GAGET, président-Christine DEVALETTE, conseiller-Philippe SEMERIVA, conseiller assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier
A l'audience, Christine DEVALETTE a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur Philippe Y... a déposé le 18 février 1998 une demande de brevet français portant sur la suspension arrière pour vélocipède et ce brevet a été délivré le 31 mars 2000 sous le no 980 1967.
Le 2 novembre 2001, ce brevet a été concédé en licence exclusive à la société Cycles Lapierre et a été appliqué sur une gamme de produits sous l'appellation « Xcontrol ».
De son côté, la SNC Promiles a mis au point une suspension arrière qui a fait l'objet d'une demande de brevet en date du 26 juillet 2001 et la société Décathlon a fabriqué et commercialisé des cycles mettant en œ uvre, sous dénomination " N. E. U. F ", l'invention faisant l'objet de cette demande de brevet.
En vertu d'une ordonnance présidentielle datée du 9 décembre 2003, la société Cycles Lapierre et Monsieur Y... ont fait procéder le 16 décembre 2003 à une saisie contrefaçon dans les locaux de la société Decathlon à Ecully puis de nouveau les 7 et 12 juin 2006 dans un magasin Décathlon à Bron et au siège des sociétés Decathlon et Promiles à Villeneuve d'Ascq.
Entre temps, et par exploit du 30 décembre 2003, la société Cycles Lapierre et Monsieur Y... ont assigné la société Décathlon et la société Promiles, notamment, en contrefaçon des revendications 1, 4, 5, et 6 du brevet Y... et en paiement de 1 000 000 € de dommages intérêts et cessation, sous astreinte de commercialisation des produits contrefaisants, outre expertise et publication, et en nullité du brevet publié à l'INPI sous le No 28 27 831. De leur côté les défenderesses invoquaient des actes de concurrence déloyale par apposition de la mention Patent sur les modèles " Xcontrol " et réclamaient 200 000 € de dommages intérêts.
Par jugement du 26 février 2009, le tribunal de grande instance de Lyon a débouté Monsieur Y... et la société Cycles Lapierre d'un côté et les sociétés Décathlon et Promiles de l'autre, de toutes leurs demandes, les premiers étant condamnés à verser aux secondes, in solidum 3 000 € d'indemnité de procédure.
Par déclaration du 10 avril 2009, la société Cycles Lapierre et Monsieur Y... ont interjeté appel du jugement.
Par arrêt du 25 mars 2010, la Cour a sursis à statuer jusqu'à , la décision de l'INPI relative à la déclaration de limitation déposée par Monsieur Y.... Cette requête en limitation de la portée du brevet Y... avait de fait été acceptée le 12 janvier 2010 et l'instance a été reprise à la demande des appelants.
Aux termes de leurs dernières écritures, les appelants demandent l'infirmation du jugement et, en substance,
- la constatation de la contrefaçon de leur brevet,
- la condamnation des sociétés Promiles et Décathlon à leur verser à titre provisionnel 1000 000 € de dommages intérêts, à cesser la fabrication et la commercialisation des matériels contrefaisants, sous astreinte, outre confiscation des produits en vue de leur destruction,
- la désignation d'un expert pour examen des documents comptables de la société Promiles pour déterminer le nombre de produits contrefaisants fabriqués et commercialisés et évaluer la marge réalisée sur ces produits,
- la publication de l'arrêt dans trois journaux,
- l'allocation d'une indemnité de procédure de 20 000 €.
Concernant la procédure en limitation du brevet, ils considèrent que cette limitation démontre la nouveauté et l'activité inventive du brevet Y... par rapport à l'état antérieur cité dans les trois documents du rapport de recherche de l'INPI. Sur la demande de nullité de ce brevet que continuent à formuler les intimées au visa de l'article L613- 25c) et d) du CPI, ils soutiennent que l'INPI a validé cette limitation, en l'absence d'extension du domaine de protection Ils font valoir que toutes les modifications étaient contenues dans les revendications initiales et que le remplacement de la locution « de manière à », par « et que » ne modifie pas la portée du brevet ni ne constitue une nouvelle caractéristique, cette modification ayant au demeurant pour effet de limiter la portée de la protection.
Sur la nullité du procès-verbal de contrefaçon du 7 juin 2006, du fait de la modification du texte des revendications du brevet, ils rappellent que cette modification qui correspond en fait à la combinaison des revendications 1et 4 du brevet initial prend effet à la date du dépôt initial et que, de surcroît, elle n'a aucune incidence sur la procédure de constatation portant sur les produits argués de contrefaçon.
Sur les faits de contrefaçon de ce brevet, dont Monsieur Y... qui cherchait une application industrielle pour son brevet, avait parlé avec un représentant de la société Décathlon, pour finalement se tourner vers les Cycles X... qui ont commercialisé cette invention à partir de l'année 2000, ils indiquent avoir découvert une demande de brevet déposée le 26 juillet 2001 et la commercialisation de produits fabriqués par Promiles en 2003 sur les modèles de vélo Rockrider 9. 2 (XL), commercialisés par Décathlon, et équipés d'un système de suspension arrière appelé N. E. UF, qui d'après la saisie contrefaçon réalisée le 7 juin 2006, est une contrefaçon par équivalence, une des biellettes présentée dans le brevet étant simplement remplacée par une pièce excentrique, de sorte que la combinaison des moyens des modèles DECATHLON ROCKRIDER constitue un moyen technique de structure différente mais présentant la même fonctionnalité que la fonction revendiquée par le brevet Y....
Sur le moyen tiré de l'absence de contrefaçon par équivalence, ils soulignent que même si les moyens des vélos Rock Rider présentent une structure différente (excentrique au lieu d'une biellette) la fonction de la combinaison de ces moyens est identique (création d'un moment de rappel) et la contrefaçon par équivalence établie.
Ils relèvent par un tableau comparatif de chaque revendication du brevet Y... et de la demande de brevet Promiles une identité de moyens sur la revendication 1, la pièce excentrique du dispositif N. E. U. F étant absolument équivalente, pour un homme de métier, à la biellette du brevet Y..., dans sa trajectoire (vers le haut) comme dans sa fonction pivot de manière à créer un moment de rappel, pour un résultat de motricité optimale de la roue arrière propulsant le vélo.
Sur la revendication 2, une identité également de fonction d'alignement du centre instantané de rotation avec le brin de chaîne du pédalier afin de solutionner le même problème de pompage de la suspension avec l'action de pédalage du cycliste.
Ils indiquent avoir subi un préjudice très important et qui perdure, qui devra être évalué dans son intégralité par une expertise, faisant déjà observer, pour justifier l'importance de leur demande provisionnelle, que depuis 2003 les contrefacteurs eux-mêmes ont déclaré avoir commercialisé 17 294 cycles équipés de suspension N. E. U. F. pour des prix à l'unité allant de 999 € à 2 499 €.
Ils demandent le remboursement de leurs frais de saisies.
Sur les demandes reconventionnelles des sociétés intimées, les appelants font valoir
-sur la nouvelle revendication 1, qui est arguée de nullité pour défaut d'activité inventive par rapport au brevet KUTZKE enregistré le 4 octobre 1994 (L611-14 du CPI), que le système de suspension KUTZKE ne résoud pas le même problème de pompage induit par le pédalage, ne comporte pas les mêmes éléments techniques, et éloigne au contraire l'homme de l'art de la solution inventée par Monsieur Y... qui est de créer un moment de rappel quand la roue arrière rencontre un obstacle pour éviter l'enfoncement de la suspension et un retour plus rapide à sa position initiale ;
- qu'il n'y a pas lieu d'annuler subséquemment les autres revendications ;
- que la nouvelle revendication 2 du brevet Y... n'est pas nulle car elle ne revendique pas un résultat au sens de l'article L611-10 mais bien une caractéristique brevetable, susceptible d'application industrielle, et car la notion de " poids moyen " du cycliste et la notion de réglage sont connues d'un homme de l'art pour l'exécution de l'invention ;
- que le brevet Y... est bien exploité par la société Cycle Lapierre au travers du véloX control même si une seule biellette a été remplacée par une lame de flexion carbone équivalant à une biellette rigide (ou à un excentrique comme sur le Rock Rider) ;
- que la concurrence déloyale enfin n'est pas établie ;
Aux termes de leurs dernières écritures, les sociétés Promiles et Décathlon demandent la confirmation du jugement, sur la nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon du 16 décembre 2003 (constatations non opérées par l'huissier lui-même), sur le rejet des prétentions des demandeurs, et sur leur condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles forment appel incident et soulèvent
-le caractère non probant de la pièce 24 des appelants, la contrefaçon ne pouvant être établie que sur la base du texte du brevet invoqué,
- l'inopposabilité des PV de saisie contrefaçon des 16 décembre, 7 juin 2006 et 12 juin 2006 pour avoir été autorisés au vu d'un brevet alors que les amendements dont il a ensuite fait l'objet visant à en limiter la protection ont rétroagi à la date du dépôt,
- la nullité du brevet Y... en application de l'article L613-25 c) et d) du CPI pour avoir fait l'objet d'amendements qui ne sont pas fondés sur la description et ont accru la protection,- la nullité du brevet Y... en application de l'article L 611-10 du CPI, pour défaut de nouveauté et/ ou d'activité inventive (simple différence d'éloignement et d'orientation des biellettes rigides sur le bras oscillant par rapport à l'art antérieur Cannondale et aucune différence par rapport à la demande de brevet KUTZKE publiée le 11 avril 1996 qui décrit une suspension qui est adaptable à la fois sur les motos et sur les vélos et qui prévoit plusieurs orientations possibles des biellettes, le choix relevant d'une simple mesure d'exécution à portée de l'homme du métier),
- le rejet en conséquence de l'action en contrefaçon fondée sur un titre nul et la constatation en toute hypothèse que le modèle X Control ne reprend pas les caractéristiques du brevet Y... (remplacement de la première biellette rigide par une plaque en carbone ou plaque de torsion) et que le modèle lui-même n'est plus présenté sur le site internet des cycles X....
Subsidiairement, les intimées demandent qu'il soit constaté que le système de suspension N. E. U. F. commercialisé par Décathlon sur les vélos Rock Rider ne constitue pas la contrefaçon par équivalence des moyens décrits au sein des revendications du brevet Y..., et notamment de ses revendications 1, 4, 5 (même si la Cour admettait le caractère équivalent de l'excentrique circulaire avec une voire deux biellettes) et que l'action en contrefaçon soit, là encore, rejetée.
Elles s'opposent, encore plus subsidiairement à la demande d'expertise, faute de préjudice réel puisque le brevet Y... n'est pas exploité.
En tout état de cause, elles reprochent à la société X... des actes de contrefaçon pour apposition de la mention « patent 98 01967 » sur ses modèles X Control alors qu'ils ne reproduisent pas les caractéristiques du brevet Y... et réclament à ce titre 100 000 € de dommages intérêts (200 000 € dans le corps des conclusions) outre 30 000 € d'indemnité de procédure.
MOTIFS DE LA DECISION
La pièce 24 (constituée d'un CDRom d'illustration) a été régulièrement communiquée par les appelants et a été soumise au contradictoire au moment de sa projection à la Cour le 31 mai 2011. Il n'y a donc pas lieu d'écarter cette pièce.
Sur la limitation du brevet Y... et ses incidences
Comme mentionné dans la note d'observations jointe à la requête en limitation, la revendication 1 du brevet Y... enregistré le 31 mars 2000 a été modifiée, l'objet de la revendication 4 du brevet délivré ayant été introduite dans la partie caractérisante de la revendication 1 avec substitution du terme " de manière à ce que " par le terme " et que ", l'ancienne partie caractérisante de la revendication 1 formant désormais le préambule de la revendication 1. Les termes " de manière à créer un moment de rappel qui s'oppose à l'enfoncement de la suspension " ont été introduits dans la nouvelle revendication 1, et la revendication 4 a été supprimée modifiant ainsi la numérotation des revendications de 1 à 5 seulement. Par suite de l'effet rétroactif de cette limitation résultant de l'alinéa 6 de l'article L613-25, c'est le brevet limité qui constitue l'objet de l'action en nullité engagée et de la demande de protection. Cette limitation n'a toutefois aucune incidence sur l'opposabilité aux sociétés Promiles et Décathlon de la saisie contrefaçon opérée les 7 et 12 juin 2006 puisque, dans le cadre des dispositions de l'article L615-5 du CPI qui permettent au titulaire d'un brevet d'obtenir " une description détaillée " des produits argués de contrefaçon, le texte même des revendications du brevet ne peut influer sur les constatations et descriptions de l'huissier instrumentaire.
Concernant le procès-verbal de saisie contrefaçon du 16 décembre 2003, dont le tribunal a prononcé la nullité dans ses motifs sans le mentionner dans son dispositif, la société Cycle Lapierre et Monsieur Y... n'en font plus état dans leurs écritures d'appel et dans leurs pièces, à l'appui de leur action en contrefaçon, de sorte que même s'ils concluent à l'infirmation intégrale du jugement, il n'y a pas lieu de statuer sur la validité ou l'opposabilité de cet élément de preuve qui n'est plus invoqué.
Par ailleurs, l'acceptation de la limitation du brevet par l'INPI ne constitue pas un obstacle, eu égard aux dispositions de l'article L613-25 du CPI, à l'accueil partiel ou total d'une demande de nullité du brevet ainsi modifié, s'il est établi par le demandeur à la nullité que cette limitation a pour effet d'accroître l'étendue de la protection conférée par le brevet.
Ainsi les sociétés Decathlon et Promiles font-elles valoir que la nouvelle rédaction " de clarification " du brevet Y... non seulement démontre que celui-ci est non conforme à l'article L612-6 du CPI qui exige des revendications claires et concises et fondées sur la description mais entache surtout ce brevet de nullité en application de l'article L613-25 susvisé en ce qu'elle constitue en fait un accroissement de la protection.
Or, par l'effet rétroactif de la procédure de limitation, le grief de défaut de clarté du brevet initialement enregistré est inopérant et il n'est pas établi que dans la nouvelle rédaction du brevet, l'homme du métier, c'est-à -dire en l'espèce, un technicien qualifié en matière de suspensions de vélocipèdes, ne puisse mettre en oeuvre les caractéristiques qu'il contient pour atteindre un moment de rappel s'opposant à l'enfoncement de la suspension, peu important que dans une variante 5 représentée par la figure 5, couverte par la revendication 1, cet effet ne puisse être crée dans le cadre d'une catégorie de pédalier à boîtier non suspendu, tout en évitant, par rétroaction mécanique, tout mouvement de pompage.
Par ailleurs, le remplacement de la locution " de manière à " par la locution conjonctive " et que " dans la revendication 1 du brevet issu de la procédure de limitation, n'est pas une extension de la protection dans la mesure où le déplacement du centre instantané de rotation qui, par une formulation maladroite, était présenté comme une conséquence de l'orientation des biellettes, est rétabli, dans le dernier état du brevet, comme une caractéristique propre, qui, par adjonction avec la première revendication caractérisante, constitue nécessairement une limitation du brevet.
Enfin, l'ajout du membre de phrase " de manière à créer un moment de rappel qui s'oppose à l'enfoncement de la suspension " à la fin de la revendication 1 ne constitue pas non plus une extension de la portée de la protection même si elle ne figurait en tant que telle dans aucune des revendications du brevet initial, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une caractéristique technique mais du résultat de caractéristiques techniques, mentionné d'ailleurs à diverses reprises dans la description du brevet.
Cette demande nouvelle de nullité du brevet Y... limité, pour insuffisance de précision ou extension de sa portée, doit être rejetée.
Sur la demande de nullité de la revendication 1 du brevet Lesasage pour défaut d'activité inventive
Après la modification du brevet à laquelle il a été procédé en janvier 2010, la revendication 1 du brevet Y... porte désormais sur une " suspension arrière de vélocipède comportant un bras oscillant (3) reliant l'axe de la roue arrière (13) au cadre (1) au moyen d'une articulation composée d'une première et seconde biellette rigide (5) et (7) reliant chacune le dit bras oscillant au dit cadre ladite biellette (5) qui relie l'extrémité antérieure dudit bras oscillant au point (E) situé sur ledit cadre, possédant une orientation (E v) sensiblement verticale, ladite seconde biellette (7) qui relie ledit bras oscillant (3) dans sa partie médiane au point (0) situé sur la partie arrière du dit cadre (1) possédant une orientation (O h) sensiblement horizontale et le centre instantané de rotation (i) du dit bras oscillant (3) qui correspond à l'intersection des axes (E v) et (O h) passant respectivement par le centre des deux pivots (E) et (N) de la première biellette (5) et (0) et (M) de la seconde biellette (7), étant situé dans le quadrant antérieur supérieur (Q) du repère défini par un axe horizontal et un axe vertical concourant au centre du boîtier du pédalier (9).
est caractérisée en ce que l'orientation de ladite seconde biellette (7) est telle que son axe de pivotement (E) situé sur le bras oscillant (3) est positionné en avant de celui de son axe de pivotement (0) situé sur le dit cadre (1) et que l'intersection (i) de son axe (0, h) passant par le centre des ses deux pivots (O) et (M) avec celui (E v) de ladite première biellette (5) passant par le centre de ses deux pivots (E) et (N), se déplace vers le haut quand le dit bras oscillant (3) pivote vers le haut comprimant le ressort de l'amortisseur (4) et réciproquement, de manière à créer un moment de rappel qui s'oppose à l'enfoncement de la suspension ".
Les sociétés intimées fondent désormais leur moyen de nullité au visa de l'article L611-14 du code de la propriété intellectuelle selon lequel une invention est considérée comme impliquant une activité inventive, si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique, et notamment du brevet KUTZKE publié le 11 avril 1996, et cité d'ailleurs dans le rapport de recherche préliminaire établi par l'INPI, qui a pour objet une suspension de roue arrière de deux-roues, vélo ou moto.
Elles considèrent que toutes les caractéristiques de la nouvelles revendication 1 du brevet Y... sont comprises dans l'enseignement du document KUTZKE et que " le choix de l'orientation de la seconde biellette avec le pivot situé sur le bras oscillant en avant du pivot situé sur le cadre, est une simple mesure d'exécution, à la portée de l'homme du métier, à partir de l'état de la technique constitué par le document Kutzke, sans que celui-ci ait à faire preuve d'activité inventive, et ce d'autant plus que cette orientation particulière lui est déjà explicitement enseignée sur ce document pour chacune des deux biellettes de la suspension arrière ", les différentes orientations possibles des biellettes ayant d'ores et déjà été envisagées dans les figures 4 à 6 de ce document.
Or, les variantes d'exécution des figures 4 à 6 du brevet Kutzke concernent des motos qui, par définition, ne comportent pas de système de pédalage de sorte que leur objet n'est pas de résoudre le phénomène de pompage résultant du pédalage, mais d'assurer une suspension arrière de moto, ou également de vélo, suffisamment rigide pour assurer une bonne stabilité directionnelle et de route.
De surcroît les figures 1 à 6 du brevet KUTZKE, ne comportent pas, comme l'avaient noté les premiers juges statuant sur le moyen d'absence de nouveauté, les mêmes éléments techniques mais surtout, n'apportent pas d'attention particulière au positionnement des biellettes sur le cadre et au positionnement du centre instantané de rotation du bras oscillant. Même reconstitué géométriquement à partir des figures 1à 6 du brevet Kutzke, la caractéristique technique du brevet Y... selon laquelle le centre instantané de rotation se déplace vers le haut lorsque le bras oscillant se déplace vers le haut, ce qui s'oppose à l'enfoncement de la suspension en créant un moment de rappel, n'est pas explicitement enseignée dans le brevet KUTZKE et même contraire dans les figures 4 à 6 de ce brevet (où le centre instantané de rotation se déplace vers le bas ou horizontalement lorsque le bras oscillant se déplace vers le haut).
Ainsi l'homme du métier, c'est-à -dire, là encore un technicien qualifié en matière de suspensions de vélocipèdes qui recherche un moyen d'éviter l'effet de pompage par enfoncement de la suspension induit par le pédalage, ne pourra, sans faire oeuvre inventive, résoudre ce problème technique à la manière du brevet Lesage, à partir de l'état du brevet KUTZKE, qui résout précisément un problème contraire, et de ses connaissances techniques normales.
Comme en première instance, où n'était soulevé que le défaut de nouveauté de la revendication 1 et le défaut d'inventivité de la revendication 4, telles qu'anciennement rédigées, le moyen tiré du défaut d'inventivité de la revendication 1 du brevet Y... réduit doit être rejeté.
Sur la demande de nullité de la revendication 2 pour défaut d'application industrielle, insuffisance de description et défaut d'activité inventive
La nouvelle revendication 2 est ainsi libellée : " suspension arrière de vélocipède selon la revendication 1 caractérisée en ce que le centre instantané de rotation (i) du bras oscillant (3) est aligné avec l'axe du brin tendu de chaîne quant celle-ci est sur l'un des plateaux du pédalier, lorsque le vélocipède est en position d'équilibre statique, c'est à dire immobile, chevauché par un cycliste de poids moyen ".
Au regard de l'article L 611-10 du code de la propriété intellectuelle, cette revendication dépendante de la première ne se borne pas à revendiquer un résultat. En effet, la localisation du centre instantané de rotation lorsque le vélo est en mouvement ou lorsqu'il est chevauché par un cycliste en position statique est bien fonction des caractéristiques énumérées dans la revendication 1, dont le défaut d'inventivité a par ailleurs été écarté.
D'autre part, le grief de description insuffisante notamment en raison de l'indétermination du poids du cycliste est inopérant pour l'homme du métier qui connaît cette notion de " cycliste de poids moyen " et ses conséquences en termes de réglage. De la même façon, la direction du brin tendu de la chaîne, selon la combinaison " pignon-plateau " choisie est connue de l'homme du métier et ne peut constituer un obstacle à la mise en oeuvre du brevet Y.... Le jugement qui a annulé la revendication 5 devenue revendication 2 du brevet Y... réduit, doit être infirmé.
Sur la demande de nullité de la revendication 5.
Cette revendication, anciennement 6 du brevet Y..., avant réduction, est ainsi libellée " vélocipède, notamment de type tous terrains, caractérisé en ce qu'il comporte une suspension arrière de type spécifié sous l'une quelconque des revendications 1 à 4 ".
Il n'est pas contesté qu'il résulte de la nouvelle rédaction du brevet que cette revendication est nécessairement une revendication dépendante de l'une quelconque des autres revendications. Elle ne peut donc être annulée sur les mêmes moyens de défaut d'inventivité ou de nouveauté qui ont été invoqués, sans succès, pour les seules revendications 1 et 2.
Sur l'action en contrefaçon par équivalence du brevet Y... par le système Promiles
Eu égard à l'art antérieur relevé dans le rapport de recherche, et pour éviter, comme l'indique le breveté Monsieur Philippe Y... dans sa requête en limitation de brevet, que la brevetabilité de l'invention puisse être remise en cause par les documents antérieurs, pris seuls ou en combinaison, le breveté a réduit la portée de sa revendication 1 en y ajoutant deux caractéristiques relatives d'une part à l'orientation de chacune des biellettes (orientation de la première biellette sensiblement verticale, et de la deuxième biellette sensiblement horizontale avec un axe de pivotement sur le bras oscillant positionné en avant de l'axe de pivotement situé sur le cadre) et d'autre part au déplacement du centre instantané de rotation vers le haut quand le bras oscillant pivote vers le haut.
Compte tenu de cette réduction du brevet en raison de l'état antérieur, il appartient donc à Monsieur Y... et aux Cycles X... de démontrer que le système Promiles commercialisé par la société Décathlon reproduit au moins par équivalence, qui est seule invoquée l'ensemble des caractéristiques du brevet Y... dans sa nouvelle rédaction.
Or à l'examen du brevet Y... et du brevet Promiles mis en oeuvre pour la suspension arrière N. E. U. F. équipant le vélo Rockrider commercialisé par Décathlon, il ressort que cette suspension ne reproduit pas la combinaison des moyens particuliers du brevet Y... car celui-ci décrit un bras oscillant de forme rectiligne alors que le brevet Promiles mentionne un ensemble dont les schémas révèlent qu'il s'agit d'un ensemble triangulaire ce qui a une incidence évidente, même si l'on considère qu'il pourrait s'agir d'un moyen équivalent, sur la détermination de la position (" extrêmité antérieure " " partie médiane ") et sur l'orientation des biellettes ou, de manière plus générale, des articulations qui, constituent des caractéristiques essentielles du brevet Y....
S'agissant plus précisément des liaisons ou articulations pivotantes, s'il existe bien dans les systèmes Y... et Promiles deux liaisons, la première liaison est formée dans ce dernier système, d'un excentrique circulaire constitué d'un boîtier cylindrique solidaire du tube de selle, à proximité du pédalier et la deuxième liaison pivotante est formée par une biellette positionnée verticalement, parallèlement au tube de selle.
Ainsi, même si l'on considérait que l'excentrique circulaire de la suspension arrière de la demande de brevet Promiles est un moyen équivalent à une biellette rigide, bien qu'il ne comporte qu'un seul pivot et soit fixé de manière rigide sur le tube de selle, il n'a pas l'orientation et le positionnement précisément définis des première et deuxième biellettes du brevet Y....
Il n'est pas établi enfin, à partir de la figure 1 de la demande de brevet Promiles, que l'ensemble des segments se recoupent en un point d'intersection (i) censé définir l'emplacement du centre instantané de rotation selon le brevet Y....
Le jugement qui a retenu que la contrefaçon par équivalence de moyens particuliers n'était pas établie, doit être confirmé, de plus fort après la limitation du brevet Y.... Le rejet des demandes subséquentes de Monsieur Y... et de la société Cycles Lapierre en expertise et indemnisation provisionnelle, doit également être confirmé, étant observé que la demande de nullité de la demande de brevet Promiles n'est plus sollicitée.
Sur l'exploitation du brevet Y... et la demande reconventionnelle en concurrence déloyale Les sociétés Decathlon et Promiles soutiennent que le brevet Y... n'est pas exploité par la société Cycles Lapierre, ce qui, en soit n'a aucune incidence dès lors que l'action en contrefaçon est écartée, si ce n'est pour justifier leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
A l'examen du procès-verbal de constat établi à leur demande le 22 septembre 2005, il ressort que le vélo " X control " commercialisé par la société Cycles Lapierre ne diffère du brevet Y... qu'en ce que la première biellette rigide assurant l'articulation, par deux jeux de pivots (E N), de l'extrémité antérieure du bras oscillant au cadre, a été remplacée par une lame de flexion en carbone, avec renfort en aluminium au point de fixation de la lame sur le cadre.
Or cette lame de flexion, lorsqu'elle se déforme (en S ou C) sous l'effet d'une contrainte mécanique, voit ses extrémités se rapprocher et la distance entre les points de fixation sur le cadre et sur le bras oscillant se réduit alors qu'avec une biellette rigide, la distance entre les deux points de fixation est constante. De la même façon, une lame de flexion ne permet pas, comme une biellette rigide, de procurer un déplacement circulaire centré sur l'un de ses points de fixation.
Au demeurant, même si la lame en carbone pouvait être considérée comme un moyen équivalent à une biellette rigide comme le prétend la société X..., l'emplacement d'un centre instantané de rotation du bras oscillant ne peut plus être défini comme dans la revendication 1 du brevet Y..., dés lors que cette plaque n'est pas montée à pivotement sur le bras oscillant et sur le cadre et qu'il n'y a donc plus d'axe passant par les deux pivots. La société Cycles Lapierre, licenciée exclusive sur le brevet Y... ne reproduit donc pas toutes les caractéristiques techniques revendiquées par ce brevet et appose pourtant sur les trois modèles de cycles " X control " qu'elle commercialise la mention " patent no 98. 01967 " correspondant au brevet Y..., ce qui représente en direction des clients en recherche d'excellence dans cette gamme de produits, un argument commercial particulièrement attractif et constitue pour les concurrents, et notamment pour les sociétés Decathlon et Promiles un acte de concurrence déloyale, en leur faisant croire à une protection du modèle " X control " par le brevet Y....
Le préjudice en résultant pour la société Décathlon doit être indemnisé à hauteur de 50 000 € et celui de la société Promiles, qui est moindre par rapport à son intervention sur le marché, doit l'être à hauteur de 10 000 €.
Aucun acte de concurrence déloyale ne peut en revanche être imputé d'une quelconque façon à Monsieur Y... et les sociétés Decathlon et Promiles doivent être déboutées de leur demande à l'encontre de ce dernier.
Monsieur Y... et la société Cycles Lapierre doivent être condamnés à verser aux intimées une indemnité de procédure supplémentaire de 10 000 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré nulle la revendication 2 du brevet Y... et rejeté la demande de dommages-intérêts des sociétés Décathlon et Promiles pour concurrence déloyale ;
Et statuant a nouveau sur ces chefs de demande,
Déboute les sociétés Décathlon et Promiles de leur demande d'annulation de la revendication 2 du brevet Y... ;
Condamne la société Cycles Lapierre à payer à la société Décathlon la somme de 50 000 € et à la société Promiles la somme de 10 000 € pour concurrence déloyale ;
Déboute la société Décathlon et la société Promiles de leur demande de ce chef à l'encontre de Monsieur Philippe Y... ;
Condamne la société Cycles Lapierre et Monsieur Philippe Y... à payer aux sociétés intimées une indemnité globale de procédure de 10 000 € ;
Condamne la société Cycles Lapierre et Monsieur Philippe Y... aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Morel, avoué.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT. Joëlle POITOUX, Michel GAGET.