R.G : 09/04182
Décision du tribunal de commerce de Lyon
Au fond du 12 juin 2009
RG : 2007J2012
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 23 Juin 2011
APPELANTE :
SA BETECH
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me André BARRIQUAND, avoué à la Cour
assistée de Maître Eric SPAETH, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
SARL APPOLS
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par la SCP LIGIER DE MAUROY- LIGIER, avoués à la Cour
assistée de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 08 Mars 2011
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 Mai 2011
Date de mise à disposition : 23 Juin 2011
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Michel GAGET, président
- Christine DEVALETTE, conseiller
- Philippe SEMERIVA, conseiller
assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier
A l'audience, Michel GAGET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement rendu le 12 juin 2009 par le tribunal de commerce de Lyon qui juge que les sociétés Betech et Appols ne sont pas en position de concurrence dans leurs services respectifs auprès des clients et que la société Appols ne s'est pas rendue coupable de concurrence déloyale à l'encontre de la société Betech de sorte que celle-ci est déboutée de toutes ses demandes de préjudice et qu'elle doit verser à la société Appols, la somme de 7.500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, même si ces deux sociétés avaient des clients communs et utilisaient parfois du personnel commun, étant en fait dans une position de complémentarité économique, dans un milieu industriel ;
Vu la déclaration d'appel faite le 17 juin 2010 par la Sa Betech ;
Vu les dernières conclusions de cette société, en date du 10 janvier 2011, dans lesquelles elle soutient la réformation de la décision attaquée et la condamnation de la société Appols qui se serait rendue coupable de concurrence déloyale avec la complicité de son gérant de fait, [O] [S], à payer les sommes suivantes :
1°) chiffre d'affaires détourné............................................... 1.500.000 euros
2°) dépenses de publicité indues......................................... 149.727 euros
3°) utilisation d'[O] [S].............................................. 200.000 euros
4°) préjudice commercial et moral....................................... 100.000 euros
5°) article 700 du code de procédure civile......................... 20.000 euros
outre intérêts au taux légal avec capitalisation par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les mêmes conclusions dans lesquelles il est demandé, sous astreinte, la cessation des agissements de concurrence déloyale, la publication de la décision et l'affichage à la porte de la société Appols pendant six mois ;
Vu les conclusions de la Sarl Appols qui conclut, en date du 10 novembre 2010, à la confirmation de la décision entreprise et qui réclame 20.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, tout en rappelant que la société Appols est un bureau d'études d'exécution en installations industrielles et tertiaires, alors que la société Betech est une société le travail temporaire ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 08 mars 2011 ;
A l'audience du 12 mai 2011, les conseils des parties ont donné leurs explications orales, après le rapport de Monsieur le Président Michel Gaget.
DECISION
La société Betech est une entreprise de travail temporaire, spécialisée dans le domaine du bureau d'études. Le 02 mai 1989, elle a embauché [O] [S], pour diriger son établissement de [Localité 5].
La société Appols est un bureau d'études d'exécution en installations industrielles et tertiaires, qui a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lyon, le 02 février 1989. [O] [S] est actionnaire majoritaire de cette société qui en compte trois : son père [G] [S], [E] [J] et lui-même. Depuis 1994, [G] [S] est le gérant de cette société.
Il ne peut être contesté que les sociétés Betech et Appols ont été en relation d'affaires, dans le cadre de prestations qui étaient fournies notamment de 1995 à 1999 à la SNCF. La société Appols avait reçu une mission de prestations d'études de la SNCF et la société Betech a fourni à Appols de la main-d'oeuvre.
Au prétexte qu'[O] [S] aurait eu un comportement déloyal à l'égard de son employeur, la société Betech l'a licencié, pour faute lourde, le 22 mai 2007.
Elle considère aussi que la société Appols lui a porté préjudice en se livrant à une concurrence déloyale ou à des actes de parasitisme.
Après un constat d'huissier du 02 mai 2007, dûment autorisé, elle a assigné, le 29 juin 2007, la société Appols pour qu'elle soit condamnée, comme complice d'[O] [S], auquel il est reproché un manquement à son obligation de loyauté, à réparer le dommage causé par la concurrence déloyale au visa des articles 1382 et 1383 du code civil.
Le 12 juin 2009, le tribunal de commerce de Lyon l'a débouté de toutes ses demandes.
Cette décision dont les motifs sont pertinents et adoptés par la cour, mérite une entière confirmation.
En effet, la Sa Betech soutient que la société Appols s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale pour la période de décembre 1999 à avril 2007 avec la complicité de son gérant de fait [O] [S] qui a détourné dès 1993 le personnel de la Sa Betech et les clients de cette dernière, de sorte qu'il a développé le chiffre d'affaires de la société Appols alors qu'il était directeur de l'établissement Betech de [Localité 5] et qu'il disposait d'une très grande liberté d'action, observation faite que le niveau du chiffre d'affaires présentait, depuis 2001 une stagnation et que le chiffre de la publicité était conséquent par rapport à celui de le société Appols.
[O] [S] qui était directeur d'agence depuis le 02 mars 1989 a été licencié par la société Betech par une lettre du 22 mai 2007 dans laquelle il lui est reproché d'avoir, de façon organisée et délibérée, violé son obligation de loyauté et procédé à la désorganisation de la société Betech, en consacrant une part importante de son temps à la société Appols dont il est le gérant de fait et en la plaçant en situation de concurrence directe.
En revanche, la Sarl Appols soutient qu'elle n'a pas été complice de la violation de l'obligation de loyauté d'[O] [S] dans la mesure où la société Betech ne prouve pas une quelconque activité d'[O] [S] au sein de la société Appols et ne prouve pas qu'il en était le gérant de fait.
Mais une lecture attentive des pièces produites au débat par la société Betech qui a la charge de prouver la complicité dont elle se plaint et qu'elle reproche à la société Appols ne démontre pas, en quoi, cette dernière, par des actes positifs et certains, ait été complice d'un manquement à l'obligation de loyauté d'[O] [S] qui a la qualité d'associé majoritaire et qui salarié de la société Betech n'était tenu d'aucune clause d'exclusivité.
D'une part, les éléments de fait donnés au débat n'établissent pas qu'[O] [S] avait la qualité de gérant de fait de la société Appols dont son père était le dirigeant de droit. Et le seul fait qu'il soit associé majoritaire ne lui donne pas en soi et de fait, la qualité de gérant de fait. Et il appartient à la société Betech d'établir des faits positifs, démontrant cette gérance. Et les éléments dont elle fait état et que la cour peut vérifier, comme par exemple, les documents émanant de la société Appols ne suffisent pas à caractériser une gérance de fait de la société à la place du gérant de droit.
D'autre part, les deux sociétés n'exercent pas une activité concurrente mais des activités complémentaires ; à juste titre, la société Appols soutient qu'elle est un bureau d'études qui emploie des intérimaires et que la société Betech est une société de travail temporaire qui met son personnel à disposition des bureaux d'études techniques.
Et la cour constate, à la suite des observations de la société Appols en page 23 de ces conclusions que les deux sociétés ont été en relation d'affaires, pour des mises à disposition de personnel par Betech à Appols, pour un montant d'environ 1.630.885,41 francs, mises à disposition rémunérées et faites selon des contrats souscrits entre les deux sociétés de sorte que la société Betech ne peut pas soutenir qu'elle ignorait l'activité réelle de la société Appols dont [O] [S] avait informé son employeur de l'existence et avec laquelle elle faisait, au vu et au su de tous, sans dissimulation, des affaires.
Enfin la société Betech ne peut pas sérieusement soutenir qu'elle n'est pas une entreprise de travail temporaire dont l'objet est de mettre ses salariés à disposition d'autres entreprises, alors que la société Appols développe, en revanche, et dans son évolution, un activité de bureau d'études techniques qui reçoit de ses clients des demandes de prestations de services et d'études techniques ; les missions qu'elle reçoit l'obligent à des obligations et à des engagements qui ne sont pas comparables à la mise à disposition d'un salarié, fut-il d'un très haut niveau technique, qui doit travailler, au sein de l'entreprise utilisatrice et sous les ordres de la hiérarchie de celle-ci.
L'analyse des activités réellement effectuées dans chaque société au travers des pièces données au débat permet d'affirmer, comme le soutient avec raison la société Appols, que ces deux sociétés ne sont pas concurrentes dans la mesure où les prestations qu'elles offrent à leurs clients ne sont pas comparables dans leur contenu effectif et dans les engagements pris lors des missions.
Et les engagements de la société Appols qui n'a pas le statut d'une entreprise intérimaire, pris à l'égard de ses clients, ne sont pas ceux d'une entreprise fournissant du personnel intérimaire mais ceux d'une entreprise qui fournit, sous sa responsabilité, l'exécution d'une mission de bureau d'études techniques qui lui est entièrement confiée.
Comme les premiers juges l'ont, de manière pertinente et dans les motifs que la cour a adopté, ces deux sociétés ne sont pas concurrentes.
Et la société Appols n'a pas été complice d'un manquement contrairement à ce qu'articule, dans ses écritures la société Betech, dans une argumentation qui ne convainc pas la cour dans la mesure où elle tend à ignorer la différence essentielle et pertinente, tenant aux activités effectives des deux sociétés : l'une est une entreprise de travail temporaire et l'autre est un bureau d'études dont les salariés effectuent des missions de sous traitance de prestations intellectuelles.
Et les éléments de fait dont la société Betech fait état, notamment tirés du constat d'huissier et de l'attestation de Monsieur [X] ne sont pas suffisants pour convaincre que la société Appols se comportait comme société de travail temporaire, mettant à la charge de ses clients, une main-d'oeuvre dans des conditions similaires à de l'intérim.
Quant aux agissements déloyaux de la société Appols tenant au débauchage fautif des salariés de la société Betech, les éléments de fait sur lesquels la société Betech s'appuie ne caractérisent pas des manoeuvres fautives ou frauduleuses tenant à débaucher des salariés tenus par une quelconque obligation envers Betech. Les salariés embauchés par la société Appols étaient libres de tout engagement vis à vis de leur ancien employeur et leur embauche s'est faite dans le respect du principe de la liberté du travail et dans le respect de la libre concurrence, d'autant plus que les deux sociétés, si elles travaillent, pour partie, avec des clients communs, ne sont pas concurrentes comme cela a été retenu plus haut.
Quant aux détournements de clients, il appartient, à la société Betech, de démontrer que la société Appols a détourné, par des agissements dont elle est responsable, ses propres clients, notamment les 34 clients communs dont le constat d'huissier fait état alors que l'huissier n'a compté que 14 clients communs, eu égard aux factures qu'il a consultées.
Ce seul élément de fait qui n'a qu'une incidence minime sur l'ensemble des 900 clients facturés par l'agence Betech de [Localité 5] (14 par rapport à 900) ne saurait caractériser un détournement de clientèle fautif de la part de la société Appols dans la mesure même où, d'une part, les deux sociétés ne sont pas concurrentes et, où, d'autre part, la cour a cherché, en vain, la preuve d'une faute imputable à la société Appols et commise par ses dirigeants de droit ou ses salariés, et caractérisée par des faits positifs, tels que le démarchage systématique de la clientèle, des choix d'arguments dénigrants, des prix anormalement bas.
Quant aux agissements parasitaires reprochés à la société Appols par la société Betech, il convient de rappeler que cette dernière doit, en droit, apporter la preuve d'une faute dommageable au sens des articles 1382 et 1383 du code civil, observation faite que les agissements parasitaires ne se conçoivent qu'entre entreprises non concurrentes.
Dans ses conclusions d'appel, la société Betech reprend ce moyen qu'elle avait soutenu, en première instance, dans des conclusions pour l'audience du 05 septembre 2008, en se fondant sur le constat de l'huissier du 02 mai 2007.
Il est reproché à la société Appols d'avoir tiré profit de la clientèle de la société Betech et de ses salariés qu'elle avait recrutés.
La cour remarque que la société Betech articule les mêmes griefs de détournement de clientèle et de détournement de salariés dont elle a fait état à l'égard de la société Appols qui serait une société concurrente, et qu'elle reprend, sous la qualification de parisitisme commis par une entreprise qui ne serait pas concurrente.
Mais comme la cour l'a déjà observé, ces griefs manquent en fait et en droit à l'égard de la société Appols dont les agissements fautifs ne sont pas prouvés par la société Betech.
Et celle-ci n'établit pas non plus les agissements parasitaires auxquels la société Appols se serait livrée pour détourner les clients et les salariés.
En résumé, et au visa des articles 1382 et 1383 du code civil qui font obligation à la société Betech de prouver les agissements déloyaux et fautifs commis par la société Appols, par l'intermédiaire de ses dirigeants de droit ou de ses salariés ou d'un dirigeant de fait ou de ses actionnaires, les éléments de fait que la société Betech apporte au débat : ceux donnés dans le constat d'huissier du 02 mai 2007, les attestations, les contrats, les chiffres dont elle fait état, ne permettent pas de caractériser :
1°) qu'[O] [S], actionnaire majoritaire de la société Appols, créé en 1989, et dont il a été gérant jusqu'au 13 avril 1994, avait la qualité de gérant de fait de cette société dont le gérant en titre était son père [G] [S] depuis 1994 et dont [E] [J] était l'un des trois associés.
2°) que cette société Appols qui était devenu un bureau d'études techniques était une société concurrente de la société Beteh dont l'objet social et l'activité est celle d'une entreprise de travail intérimaire.
3°) que cette société Appols se serait livrée, sous le couvert de l'activité d'un bureau d'études, à une activité déguisée de travail temporaire.
4°) que cette société Appols aurait par des actes positifs dont elle serait responsable, fait une concurrence déloyale ou du parasitisme, de 2000 à 2007.
En conséquence, la société Beteh est mal fondée en toutes ses demandes, et en son appel.
Et le jugement du 12 juin 2009 dont les motifs sont pertinents doit être confirmé en toutes ses dispositions.
L'équité commande d'allouer en appel à la société Appols la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Betech qui succombe, supporte tous les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
- confirme en toutes ses dispositions le jugement du 12 juin 2009 ;
- y ajoutant ;
- condamne la Sa Betech à payer à la Sarl Appols la somme de DIX MILLE EUROS (10.000 EUROS) en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la Sa Betech aux dépens d'appel ;
- autorise la société civile professionnelle Ligier de Mauroy-Ligier, avoués, à les recouvrer aux formes et conditions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
Joëlle POITOUXMichel GAGET