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21/04/2011 | FRANCE | N°10/01550

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 21 avril 2011, 10/01550


R. G : 10/ 01550

Décisions-sentences arbitrales des 29 décembre 2008 29 juin 2009 et 19 janvier 2010

COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 21 Avril 2011

APPELANTS :
Société de Travaux et d'Ingénierie Industrielle (STII)- SAS-ZAC du Clos aux Antes 76410 TOURVILLE-LA-RIVIERE
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de la SELARL ALTANA, avocats au barreau de PARIS

Société ALLIMAND-SA-1250 avenue Jean Jaurès 38140 RIVES
représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Cour
assisté

e de la SCP RIBEYRE-DAVID et Associés, avocats au barreau de LYON, et de la SELARL ADAMAS INTERNATIONAL, avo...

R. G : 10/ 01550

Décisions-sentences arbitrales des 29 décembre 2008 29 juin 2009 et 19 janvier 2010

COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 21 Avril 2011

APPELANTS :
Société de Travaux et d'Ingénierie Industrielle (STII)- SAS-ZAC du Clos aux Antes 76410 TOURVILLE-LA-RIVIERE
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de la SELARL ALTANA, avocats au barreau de PARIS

Société ALLIMAND-SA-1250 avenue Jean Jaurès 38140 RIVES
représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Cour
assistée de la SCP RIBEYRE-DAVID et Associés, avocats au barreau de LYON, et de la SELARL ADAMAS INTERNATIONAL, avocats au barreau de PARIS

SELARL FHB prise en la personne de Maître Emmanuel X..., en sa qualité d'administrateur judiciaire de la Société de Travaux et d'Ingénierie Industrielle SAS, nommé à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Rouen le 21 juillet 2009 ...27930 GUICHAINVILLE
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de la SELARL ALTANA, avocats au barreau de PARIS

Maître Béatrice Y...en sa qualité de mandataire judiciaire de la Société de Travaux et d'Ingénierie Industrielle SAS, nommée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Rouen du 21 juillet 2009 ...76008 ROUEN CEDEX 1
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de la SELARL ALTANA, avocats au barreau de PARIS

INTIMES :
Société de Travaux et d'Ingénierie Industrielle (STII)- SAS-ZAC du Clos aux Antes 76410 TOURVILLE-LA-RIVIERE
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de la SELARL ALTANA, avocats au barreau de PARIS

SELARL FHB prise en la personne de Maître Emmanuel X..., en sa qualité d'administrateur judiciaire de la Société de Travaux et d'Ingénierie Industrielle SAS, nommé à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Rouen le 21 juillet 2009 ... 27930 GUICHAINVILLE
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de la SELARL ALTANA, avocats au barreau de PARIS

Maître Béatrice Y...en sa qualité de mandataire judiciaire de la Société de Travaux et d'Ingénierie Industrielle SAS, nommée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Rouen du 21 juillet 2009 ...76008 ROUEN CEDEX 1
représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de la SELARL ALTANA, avocats au barreau de PARIS

Société ALLIMAND-SA-1250 avenue Jean Jaurès 38140 RIVES
représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Cour
assistée de la SCP RIBEYRE-DAVID et Associés, avocats au barreau de LYON, et de la SELARL ADAMAS INTERNATIONAL, avocats au barreau de PARIS
* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 08 Février 2011
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 Mars 2011
Date de mise à disposition : 21 Avril 2011

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :- Michel GAGET, président-Christine DEVALETTE, conseiller-Philippe SEMERIVA, conseiller
assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier
A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat du 24 novembre 2006, la société Allimand a sous-traité à " la société STII/ Sommin " l'exécution de travaux de démontage, remontage mécanique, fourniture et installation de la tuyauterie hydraulique et de lubrification dans le cadre d'une opération de transformation d'une machine à papier appartenant à la société Ahlstrom Labelpack.
Cette convention stipulant une clause compromissoire, les parties au sous-traité ont mis au point un acte de mission précisant les modalités de l'arbitrage.
Avant dire droit sur la demande formée par la société Allimand à l'encontre de la Société de Travaux et d'ingénierie industrielle (STII), désormais en redressement judiciaire, et de la société Sommin, et tendant à son indemnisation pour mauvaise exécution des travaux, le tribunal arbitral a ordonné des expertises (sentence du 29 décembre 2008, " no1 ").
Puis il a refusé de modifier les modalités de ces mesures d'expertise (sentence du 29 juin 2009, " no2 ").
Statuant au fond, il a enregistré le désistement réciproque des sociétés Allimand et Sommin, compte tenu de l'accord transactionnel réglant leur litige, puis il a rejeté la demande principale formé contre STII, écarté la demande d'annulation du contrat de sous-traitance fondant l'action reconventionnelle et, au vu de ce contrat et des conclusions d'expertises, il a condamné la société Allimand à payer diverses sommes à STII (sentence du 19 janvier 2010, " no 3 ").
*

La société Allimand a relevé appel de ces trois sentences, et STII, de la dernière ; les instances ont été jointes.
*

La société Allimand expose que STII a contracté une obligation de résultat, pour un prix ferme et non révisable.
Elle soutient que le chantier a été marqué par des désordres et retards imputables à STII, que celle-ci les a reconnus et a pourtant refusé une expertise amiable, et même agi en paiement à l'encontre du maître de l'ouvrage.
La société Allimand demande :
- d'annuler les expertises pour violation des principes essentiels de procédure, en ce que les experts ont méconnu le principe contradictoire et se sont arrogé un pouvoir juridictionnel,
- d'annuler la sentence no2, un sapiteur étant nécessaire, et d'écarter les principes d'évaluation d'honoraires retenus par les experts,
- d'annuler également la sentence du 19 janvier 2010, pour avoir été rendue après l'expiration du délai fixé à la clause compromissoire, les dispositions de l'article L. 622-22 du code de commerce n'étant pas applicables en la cause.
Sur le fond, elle estime que la demande de STII tendant à l'annulation du contrat est irrecevable :
- selon le principe d'estoppel, cette société s'étant en permanence fondée sur ce contrat, tant dans la procédure arbitrale que dans ses actions parallèles en référé, de sorte qu'elle a renoncé à la nullité relative de protection fondée sur l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975,
- en application de l'article 1338 du code civil, STII ayant volontairement exécuté les travaux sans requérir la constitution d'un cautionnement.
Elle fait encore valoir :
- que STII a manqué à son obligation de résultat, les travaux n'étant pas achevés le 17 juin 2007, date conventionnellement prévue, et que cette société a reconnu, tant ce retard que l'imputabilité à son intervention des fuites d'huile se manifestant sur la machine,
- qu'elle-même n'a jamais procédé à la réception des travaux dans les termes et selon le processus prévus, et que d'ailleurs cette réception à la date fixée était impossible,
- que le manquement du sous-traitant à son obligation de résultat est donc avéré.
La société Allimand considère qu'en toute hypothèse, la faute de STII est démontrée, notamment en ce qu'elle a manqué à son obligation de conseil, tenté de masquer ses carences en confectionnant unilatéralement un pseudo procès-verbal de réception et que les observations de l'expert sont erronées en ce qu'elles se fondent sur l'idée qu'il lui aurait appartenu d'informer et de surveiller ce sous-traitant.

Elle évalue ses préjudices, moral et financier, au regard de la dégradation de son image auprès d'un client majeur et de l'indemnisation dont elle a convenu avec lui à titre transactionnel ; elle soutient que sa déclaration de créance est correcte et demande sa fixation à la somme de 1 330 000 euros.
A titre subsidiaire, elle estime que les préjudices allégués par STII ne sont pas établis, demande que toute condamnation prononcée au profit de cette dernière soit compensée avec les sommes dues en réparation du préjudice qu'elle a subi, de sorte que la créance de cette société ne puisse dépasser le solde des factures au titre du marché, soit 708 481, 69 euros TTC.
A titre plus subsidiaire encore, elle demande à la Cour, si elle devait annuler le contrat, de dire, dans la mesure où elle statue en appel de sentences arbitrales et se trouve enfermée dans la mission des arbitres, qu'elle n'a pas le pouvoir ni la compétence, après cette annulation, pour juger des prétentions indemnitaires de STII.
En tout état de cause, elle réclame le rejet de ces prétentions et le paiement d'une somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
* La société STII conclut aux côtés de la société FHB, prise en la personne de M. X..., administrateur judiciaire et de Mme Y..., mandataire judiciaire.
Elle fait valoir que l'exécution des travaux ne vaut pas renonciation à se prévaloir de la nullité résultant de l'absence de constitution par l'entrepreneur, au moment du contrat, de la caution exigée par la loi du 31 décembre 1975, qui est une loi de police, et qu'elle ne s'est par ailleurs jamais contredite, mais a constamment poursuivi l'annulation du contrat de sous-traitance, le tribunal arbitral ayant d'ailleurs pris en considération, à tort, des procédures distinctes.
Elle estime :
- que la nullité du contrat n'implique pas disparition de la clause compromissoire,
- qu'en l'état de cette nullité, les conséquences financières ne peuvent être évaluées à l'aune de ce contrat, mais par référence aux sommes réellement déboursées pour l'exécution de la prestation,
- qu'à dire d'expert, elle n'a pas commis de faute susceptible de diminuer son doit à réparation.
En réplique aux arguments adverses, STII objecte que la sentence a été rendue dans les temps impartis, eu égard au redressement judiciaire prononcé en cours de procédure, que les experts n'ont pas outrepassé les termes de leur mission, mais procédé aux investigations nécessaires, que l'expression figurant dans la sentence no 2 n'a pas le sens que lui prête la société Allimand et que le contradictoire n'a pas été méconnu, l'un des experts ayant seulement pris connaissance du rapport déjà déposé par l'autre.
Elle considère que l'ensemble des reproches qui lui sont adressés ne peuvent être retenus, en ce qu'ils se fondent sur un contrat nul, et demande d'infirmer partiellement la troisième sentence, d'annuler le contrat et de condamner la société Allimand à lui payer :
-2 140 823, 26 euros TTC, montant des déboursés, avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2008, avec capitalisation,
-105 160, 53 euros au titre des frais financiers, calculés du 1er mai 2009 au 18 décembre 2009, date des plaidoiries devant le tribunal arbitral,
-281 684, 58 euros TTC, montant des dépenses afférentes à la gestion du litige,
-4 500 000 euros au titre du préjudice lié à la résistance abusive de la société Allimand et à son comportement déloyal,
- le tout sous déduction de la somme déjà perçue, soit 191 705, 64 euros TTC et sous réserve de celles encaissées en exécution de la sentence.
Elle conclut à la confirmation de la décision mettant les honoraires d'expertise comptable à la charge de la partie adverse, et demande " 40 000 euros (dix mille euros) " sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

S'agissant des demandes d'annulation des sentences et des expertises, la clause compromissoire stipule que les arbitres doivent statuer en droit en appliquant la législation française et que les règles du code de procédure civile sont applicables à l'arbitrage.
L'acte de mission du 10 juillet 2008 précise que la sentence sera rendue au plus tard le 5 janvier 2009.
Le jugement ouvrant la procédure collective de STII est intervenu le 21 juillet 2009 ; en application de la loi de procédure française, choisie par les parties, il a interrompu l'instance en cours, peu important sa nature arbitrale, dès lors qu'elle tendait à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.
Cette suspension de l'instance emporte suspension du délai imparti aux arbitres.
Pour autant, en application de l'article L. 622-22 du code de commerce, ce délai a recommencé à courir lorsque le créancier poursuivant a déclaré sa créance, le 21 septembre 2009.
Certes, l'acte de mission indiquait " qu'au cas où le tribunal ordonnerait une mesure d'instruction, le délai de l'arbitrage serait prorogé d'une durée égale à la durée de cette mesure, augmentée de deux mois " ; or, des expertises ont effectivement été ordonnées le 29 décembre 2008 et les rapports ont été déposés respectivement le 18 septembre et le 30 octobre 2009.
Mais, il en résulte que lorsque la suspension due à l'intervention du jugement d'ouverture a cessé, l'instance a repris de plein droit en l'état où elle se trouvait au moment de cette interruption, c'est-à-dire que des expertises étaient en cours.
Il s'en déduit que cette suspension a produit tous ses effets durant la prorogation conventionnellement attachée à l'exécution de ces expertises et avant que la prorogation supplémentaire de deux mois prenne cours.
Par ailleurs, la thèse de la société Allimand suppose, non seulement que chaque expertise génère un délai de deux mois, mais que ces délais s'ajoutent l'un à l'autre sans qu'il y ait lieu de tenir compte du fait qu'ils se sont partiellement écoulés durant la même période.
Cette lecture du contrat ne correspond pas à ses termes mêmes, car la stipulation " la durée de la mesure augmentée de deux mois " implique clairement que l'achèvement de chaque expertise déclenche la prorogation qui lui est propre.
A la supposer même imprécise, il résulte de l'intention commune de célérité présidant à la convention d'arbitrage qu'elle exclut l'ajout, sans motif, des deux délais.
En conséquence, la sentence différée devait intervenir dans les deux mois du dépôt du dernier rapport d'expertise, avant le 31 décembre 2009.
Rendue le 19 janvier 2010, après expiration de ce délai prorogé, elle est nulle, le tribunal arbitral ne disposant plus de pouvoir juridictionnel.

Pour autant, cette solution n'a pas l'effet que revendique la société Allimand, car la nullité de la sentence finale n'affecte pas, en soi, la validité des sentences préparatoires et des opérations d'expertise antérieures à l'expiration du délai précité, puisque cette cause d'annulation n'existait pas à la date de ces actes.
Les parties ayant convenu que " la sentence sera susceptible d'appel ", l'effet dévolutif s'opère pleinement, eu égard à la cause de nullité retenue.

La société Allimand soutient que l'action de STII en nullité du sous-traité est irrecevable en application, d'abord, du principe d'estoppel.
Certes, STII a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Vienne, le 3 juin 2008, d'une action directe, évidemment fondée sur le contrat de sous-traitance, en paiement de provision contre la société Ahlstrom, maître de l'ouvrage.
Mais il s'agit là d'une instance distincte de la présente, dont l'objet, la cause et les parties sont différents, de sorte que le principe même d'une possible contradiction entre les arguments alors présentés et ceux qui sont aujourd'hui élevés ne pouvait exister à ce stade, et qu'à supposer même cette contradiction, elle ne serait pas au détriment de la société Allimand, qui n'avait précisément pas à défendre à une action directe.
Par la suite, lorsque la société Ahlstrom a appelé la société Allimand " en garantie ", STII a adapté ses demandes à cette nouvelle situation, puisque, selon les constatations de l'ordonnance rendue le 14 octobre 2008, elle a demandé " à titre principal, de constater la violation de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ", et réclamé le paiement d'une provision " au titre des factures impayées et en tout état de cause à titre de provision à valoir sur le prix des travaux ".
La demande tendait donc, peu important l'inversion finale des demandes de condamnation principale et subsidiaire, à l'annulation du contrat et dans le cas contraire, à son exécution.
En tout cas, ces deux questions étaient posées et procédaient d'un enchaînement logique, de sorte que la société Allimand n'est pas fondée à soutenir que STII se serait contredite.
Il est vrai cependant, que cette argumentation prise de la nullité du sous-traité était présentée à cette occasion pour la première fois, car lorsqu'elle avait agi en paiement de provision, cette fois contre la société Allimand, STII avait réclamé le paiement de ses factures sans se prévaloir de cette nullité.
Mais si objecter la nullité d'un contrat après en avoir réclamé l'application peut caractériser une contradiction, ce comportement n'a pas en l'espèce la portée que lui confère la société Allimand, dès lors que la demande, formée en référé sur le fondement d'une situation d'urgence justifiant la compétence des juridictions étatiques, ne tendait qu'au règlement rapide d'une somme apparemment exigible au regard d'un accord dont la validité échappait précisément à l'examen de ces juridictions.
Par ailleurs, une éventuelle contradiction ne serait pas, là encore, au détriment de la société Allimand, car la cour d'appel de Grenoble a décidé que la demande était irrecevable, " comme ne relevant pas de la compétence du juge des référés, faute d'urgence ".
En conséquence, que STII ait alors réclamé l'exécution, plutôt que l'annulation, du contrat, la teneur de son argumentaire était indifférente à l'appréciation de cette condition d'urgence.
La société Allimand ne s'est donc pas trouvée confrontée, lorsque cette nullité a ensuite été objectée dans des cadres procéduraux tout différents de celui, très spécifique, d'une action devant le juge des référés en cas de recours à l'arbitrage, à une argumentation de nature à fausser le débat à son détriment, notamment en l'obligeant à défendre à des demandes contradictoires.
Les conditions d'application du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ne sont pas réunies.

La société Allimand fait également valoir que STII a volontairement exécuté le contrat, sans jamais requérir la constitution du cautionnement prévu à l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 et qu'elle a ainsi confirmé et ratifié l'acte, ce qui emporte renonciation à invoquer la nullité du contrat.
Mais, compte tenu de la nature et de la portée de ce moyen nullité, il n'importe pas que le sous-traitant remplisse sa mission ou s'abstienne de réclamer cette caution avant de contester la validité du sous-traité ; les circonstances citées par la société Allimand sont impropres à caractériser la ratification de l'acte nul.

La demande principale de STII est en conséquence recevable.
La Cour ajoute qu'elle est en outre régulière, dès lors que la société Sommin, co-signataire du contrat, n'est plus concernée par sa validité en l'état de la transaction passée avec la société Allimand et qu'en conséquence sa présence au débat n'est pas nécessaire.

Sur le fond, puisqu'il n'est pas établi, ni même soutenu, qu'une caution personnelle et solidaire aurait été obtenue par l'entrepreneur auprès d'un établissement agréé ni qu'une quelconque garantie de paiement des sommes dues au sous-traitant aurait été donnée, par caution, délégation de paiement ou tout autre moyen, le sous-traité est nul dès l'origine.

Comme l'indique la société Allimand, la Cour statue en appel de sentences arbitrales et n'a que la mission confiée au tribunal arbitral.
Selon la clause compromissoire dont la teneur est reprise dans l'acte de mission, les parties sont convenues que " pour tout litige auquel la présente convention pourra donner lieu, en particulier tant pour sa validité que pour son interprétation, son exécution ou sa réalisation, sera résolu par voie d'arbitrage ".
La société Allimand en déduit que le juge d'appel n'a ni pouvoir, ni compétence pour juger de prétentions indemnitaires consécutives à l'annulation du contrat.
Mais, au plan littéral, la stipulation compromissoire est très large (" tout litige "), puis ne s'attache qu'à citer quelques illustrations (" en particulier ").
Au regard de cette formulation exemplative, le seul fait que les conséquences de l'invalidité du contrat ne soient pas expressément mentionnées n'implique pas que les parties ont entendu borner le périmètre d'arbitrage à cette seule invalidité, mais montre seulement que la convention n'est pas claire et précise, et appelle une interprétation.
Or, du point de vue pratique et financier, l'intention commune des parties n'a pas pu être de découper le litige éventuel en un préalable arbitral portant sur la validité du contrat, puis en une seconde phase, de compétence étatique, quant aux conséquences d'une invalidité, et soient ainsi convenues de s'exposer à deux procès successifs.
C'est d'ailleurs bien ce que démontre le déroulement même de l'arbitrage.
Lorsque, par sa sentence no 1, le tribunal a ordonné une expertise tendant notamment au chiffrage des " déboursés ", il ne pouvait faire de doute qu'il se réservait ainsi de tirer les conséquences d'une nullité du contrat, faute de quoi cette recherche aurait été inutile.
Les parties n'ont pas protesté que cette décision ouvrait la voie à un excès de pouvoir des arbitres, et c'est bien la société Allimand elle-même qui avait, selon la relation de ses demandes par le tribunal, sollicité à titre subsidiaire d'ordonner cette expertise afin de déterminer " les justes frais et déboursés auxquels pourraient prétendre STII et Sommin suite à l'annulation du contrat du 26 novembre 2006 ".
Outre que cette société se contredit à présent, il résulte, tant de la logique présidant à l'intention commune reflétée par la généralité des termes de la mission, que de la pratique du contrat, que les arbitres avaient compétence pour connaître de ces conséquences indemnitaires.

En l'espèce, le contrat nul a été exécuté et les parties doivent être remises dans l'état où elles se trouvaient avant cette exécution.
Afin de disposer d'éléments propres à la décision, la sentence no 1 a ordonné deux expertises, en chargeant M. Z...(qui a déposé son rapport le 18 septembre 2009) d'une expertise que l'on qualifiera de " technique " (déterminer l'origine et les causes des fuites d'huile, décrire les désordres en résultant, donner son avis sur les responsabilités, réunir les éléments permettant de statuer sur les responsabilités et préjudices, chiffrer les réparations) et en demandant, d'autre part, à M. A...une expertise " comptable " (rapport du 30 octobre 2009) tendant à examiner les déboursés de chacune des parties.
La sentence no 2 a refusé de modifier les modalités de ces mesures d'expertise, au motif notamment " qu'il appartient aux experts d'établir de manière complémentaire leurs missions " et que la présence d'un sapiteur n'est pas nécessaire ; elle a décidé que " MM. A...et Z...pourront communiquer entre eux toutes informations utiles afin de mener à bien la mission qui leur a été demandée ".
Rappelant ces termes, M. A...indique dans son rapport qu'il a examiné l'ensemble des conclusions de M. Z...afin d'en tirer toute information utile technique pour répondre aux points de sa mission.
Mais il précise aussi, en réponse à un dire adressé par la société Allimand quant à l'évaluation du juste prix, que " conformément à la sentence arbitrale no 2, j'ai échangé sur ce point avec mon collègue expert, M. Z...".
Il en résulte que des discussions directes entre experts ont eu lieu, dont la teneur est inconnue.
STII fait valoir que le pré-rapport du 29 septembre mentionnait la première précision rapportée ci-dessus et n'a pas suscité de réaction de la part de la société Allimand.
Mais il n'est pas prétendu qu'il contenait la seconde, et d'ailleurs cela ne se peut, puisque cette dernière vient répondre à un dire du 20 octobre.
STII objecte encore que les informations que les experts ont pu échanger sont relatives à leurs opérations d'expertise respectives, consignées dans les pré-rapports d'expertise dont la société Allimand a reçu communication.
Mais précisément, si les experts ont échangé sur leurs opérations d'expertise, sans s'en tenir au texte même des observations et conclusions communiquées aux parties au terme d'une procédure contradictoire, c'est bien que M. A...a formé son opinion en fonction, notamment, d'explications qu'il a pu recevoir directement et hors contradictoire.
Dès lors qu'il ne ressort pas du rapport d'expertise qu'il aurait soumis aux parties la teneur de ces échanges et leur incidence sur ses réflexions, afin de leur permettre d'en débattre et de formuler des observations avant le dépôt du rapport, les exigences de la contradiction n'ont pas été respectées.
En invitant les experts à établir de manière complémentaire leurs missions, la sentence no 2 les encourage à se rapprocher et à échanger leurs informations, mais point à le faire sans tenir compte de ces exigences.
L'expertise comptable doit être annulée.
En revanche, l'expertise technique n'est pas exposée à ce reproche, le rapport étant déposé au moment de ces échanges.

La société Allimand soutient encore que les deux expertises sont nulles, en ce que les experts se sont arrogés des pouvoirs qu'ils n'avaient pas.
A M. Z..., elle fait grief d'avoir unilatéralement fixé le périmètre de sa mission et d'avoir donné son avis sur des points de droit qui ressortissent à la seule compétence des juges.
Sur le second aspect de ce reproche, la société Allimand conclut ainsi : " on relève une analyse détaillée des accords contractuels qui, contrairement à ce qui est annoncé, ne se limite pas l'analyse des prestations réalisées par chacun et ceci d'un point de vue purement technique, mais comprend des appréciations de droit ".
L'imprécision de ce reproche est telle que la Cour n'est pas en mesure d'en évaluer la pertinence, faute pour la société Allimand d'indiquer, fut-ce de manière sommaire et par simples exemples, ce qu'elle entend par ces " appréciations de droit ".
Quant au premier aspect du grief, il est prétendu que " contrairement à ce qui est prévu dans la mission, les travaux de M. Z...sont bien loin de porter sur les seules fuites d'huile ", que " des développements considérables sont consacrés notamment au planning, aux retards, aux effectifs de STII sur le site, au volume de travail réalisé, au quantitatif de tuyauterie " ; elle ajoute que le rapport a été déposé avec retard, sans qu'il soit justifié de quelque difficulté d'exécution, et que M. Z...n'a jamais pu expliquer en quoi de telles informations lui étaient nécessaires ".
Mais, d'une part, la mission confiée à l'expert lui demandant de donner son avis sur les responsabilités et de fournir les éléments des préjudices, les investigations dénoncées ne sont pas étrangères à sa mission et en toute hypothèse, il ne résulte pas de leur description que l'expert se serait arrogé des pouvoirs en excédant les contours.
D'autre part, il importe fort peu que l'expert explique en quoi ces informations lui étaient nécessaires, dès lors que les parties sont à même d'en débattre ou de demander, comme cela a été le cas, que le juge de l'expertise tranche la difficulté ou réclame des explications sur le retard du rapport.
Il n'est pas de motif de prononcer l'annulation de cette expertise.

Dans ces conditions, la Cour dispose d'éléments techniques, mais point d'approche financière du litige et, compte tenu notamment de la demande de compensation présentée par la société Allimand, il convient, avant dire droit sur l'ensemble des demandes croisées, d'ordonner une expertise sur cette question.
La consignation est à la charge de la partie ayant intérêt au chiffrage.
Les dépens et demandes accessoires demeurent réservés.

PAR CES MOTIFS :
La Cour,
- Dit n'y avoir lieu à annulation des sentences du 29 décembre 2008 et du 29 juin 2009,
- Annule la sentence arbitrale du 19 janvier 2010,
- Déclare nul le contrat conclu entre la société Allimand et la Société de travaux et d'ingénierie industrielle le 24 novembre 2006,
- Annule le rapport d'expertise déposé par M. A...le 30 octobre 2009,
- Avant dire droit, ordonne une expertise,
- Commet pour y procéder M. Jean-Luc B..., ..., avec pour mission :
- d'entendre les parties,
- de se faire remettre tout document utile à sa mission, notamment le rapport de M. Z...,
- d'examiner et vérifier la comptabilité de la Société de travaux et d'ingénierie industrielle,
- d'examiner le décompte des déboursés de chacune des parties au titre de la réparation de la machine G 6 de la société Alshtrom,
- de donner tout élément relatif à l'état réel des déboursés en distinguant les frais engagés lors du chantier initial et ceux éventuellement engagés pour remédier aux dysfonctionnement, les frais généraux incorporés au chiffrage et le coefficient de marge éventuellement utilisé dans le calcul des déboursés,
- de proposer tout élément technique permettant aux parties de parvenir à un accord.
- Dit que l'expert fera connaître sans délai son acceptation et qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime il sera pourvu aussitôt à son remplacement,
- Dit que l'expert commencera ses opérations dès qu'il aura été avisé par le greffe de la consignation de la provision,
- Dit que la Société de travaux et d'ingénierie industrielle devra consigner auprès de la Régie d'avances et de recettes de la Cour une somme de 8 000 euros à valoir sur les frais d'expertise avant le 1er août 2011,
- Rappelle qu'à défaut de consignation dans le délai imparti la désignation de l'expert est caduque,
- Dit qu'en cas d'insuffisance de la provision allouée l'expert en fera rapport au conseiller de la mise en état de la 1ère Chambre A de la Cour, qui pourra ordonner la consignation d'une provision complémentaire,
- Dit que l'expert devra, après avoir établi un pré-rapport et recueilli les explication des parties sur leurs premières conclusions, déposer un rapport au greffe de la Cour avant le 1er février 2012,
- Rappelle qu'il a l'obligation d'adresser une copie de son rapport à chacune des parties ou à leur avocat,
- Réserve les dépens et les autres demandes.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

Joëlle POITOUX Michel GAGET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 10/01550
Date de la décision : 21/04/2011
Sens de l'arrêt : Expertise
Type d'affaire : Civile

Références :

ARRET du 04 juillet 2012, Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 juillet 2012, 11-20.399, Inédit

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.lyon;arret;2011-04-21;10.01550 ?
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