AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 10/03580
SARL LYON VANNES ET RACCORDS
C/
[V]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 29 Avril 2010
RG : F 09/01245
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 01 MARS 2011
APPELANTE :
SARL LYON VANNES ET RACCORDS
[Adresse 8]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Murielle VANDEVELDE, avocat au barreau de LYON substitué par Me Gilles GELEBART, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[K] [V]
né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 6] (64)
[Adresse 5]
[Adresse 7]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me François DUMOULIN, avocat au barreau de LYON substitué par Me Ariane LOUDE, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 25 Janvier 2011
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Didier JOLY, Président
Hervé GUILBERT, Conseiller
Mireille SEMERIVA, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 01 Mars 2011, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS est le distributeur exclusif pour la moitié sud de la France de la société SWAGELOK US qui fournir des équipements (raccords, vannes, tubes) permettant la distribution des fluides (gaz, liquides ou autres) utilisés dans l'industrie.
[K] [V] a été engagé par la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS en qualité de cadre technico-commercial (position N7-E3) suivant contrat écrit à durée indéterminée du 22 novembre 2005 à effet du 12 décembre 2005.
Son contrat de travail était soumis à la convention collective nationale du commerce de gros (n°3044).
[K] [V] était chargé d'un secteur géographique comprenant les départements 73,74 et 38, à l'exclusion du client CEGELEC ATEFLUID.
Sa rémunération comprenait un salaire brut mensuel fixe de 1 420,00 € sur treize mois et des commissions sur les ventes. Son salaire mensuel brut moyen sur les mois de septembre à novembre 2006 était de 5 335,02 €.
La période d'essai d'une durée de six mois expirait le 11 juin 2006.
Par lettre du 13 septembre 2006, la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS a convoqué [K] [V] en vue d'un entretien fixé initialement au 13 septembre 2006 et reporté au 21 septembre.
Par lettre recommandée du 16 octobre 2006, l'employeur a résumé les points évoqués au cours de cet entretien :
vol à deux reprises du matériel informatique et de la valise de démonstration dans le véhicule du salarié,
organisation non rationnelle des tournées de [K] [V],
connaissance insuffisante des produits,
comportement insuffisamment incisif en clientèle.
Il a été convenu que [K] [V] ferait plusieurs journées d'accompagnement avec son responsable commercial [T] [D] et qu'un nouveau point serait fait fin octobre.
Par lettre recommandée du 14 novembre 2006, la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS a convoqué [K] [V] le 24 novembre 2006 en vue d'un entretien préalable à son licenciement.
Par lettre recommandée du 29 novembre 2006, l'employeur lui a notifié son licenciement pour le motif suivant :
Malgré la formation que vous avez reçue notamment sur les produits de la Société Swagelok et ses méthodes commerciales, nous sommes au regret de constater votre inadaptation à votre poste de travail.
Cette insuffisance professionnelle se révèle par les éléments suivants :
- Un manque de connaissance des produits et des procédures commerciales préjudiciable au fonctionnement du service commercial [...]
- Un manque de qualités commerciales qui, indépendamment de la méconnaissance des produits, ne vous permet pas de rebondir face aux clients mais qui, au contraire, vous déstabilise profondément [...]
- Un manque de qualités organisationnelles se traduisant par une gestion hasardeuse de votre planning révélateur d'une absence de rigueur [...].
[K] [V] a été dispensé de l'exécution de son préavis de trois mois.
Par lettre recommandée du 26 janvier 2007 puis par exploit d'huissier du 9 février 2007, la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS a convoqué vainement [K] [V] à des entretiens fixés au 5 février 2007 et au 16 février 2007.
Par lettre recommandée du 16 février 2007, elle lui a notifié sa décision de rompre le préavis pour faute grave : les menaces et l'attitude déplacée que vous adoptez à l'égard de la Société SOGELOK US portant notamment gravement atteinte au crédit de notre Société.
Le 16 avril 2007, [K] [V] a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon.
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LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté le 17 mai 2010 par la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS du jugement rendu le 29 avril 2010 par le Conseil de prud'hommes de LYON (section encadrement) qui a :
1°) dit et jugé que :
- le licenciement de [K] [V] par la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
- le salaire brut moyen est de 5 335,02 €,
- la rupture du préavis de [K] [V] par la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS repose sur une faute grave du demandeur,
- il n'y a pas lieu de laisser à [K] [V] les charges de la procédure ;
2°) en conséquence, condamné la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS à payer à [K] [V] les sommes suivantes :
- 15 000,00 € au titre de dommages-intérêts du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1 200,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
3°) débouté [K] [V] du surplus de ses demandes,
4°) débouté la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS de toutes ses demandes ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 25 janvier 2011 par la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS qui demande à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et le juger bien fondé,
- confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que la rupture anticipée du préavis reposait sur une faute grave,
- en conséquence, débouter [K] [V] de toutes ses demandes,
- condamner [K] [V] au paiement d'une somme de 1 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales par [K] [V] qui demande à la Cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et qu'il a condamné en conséquence la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS à verser à [K] [V] la somme de 15 000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts de droit à compter du jugement,
- réformer le jugement pour le surplus,
- statuant à nouveau, porter la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 42 680,16 €,
- dire et juger que la rupture du préavis au 16 février 2007 était abusive et condamner la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS à verser à [K] [V] les sommes suivantes :
1 714,82 € au titre du solde de l'indemnité compensatrice de préavis,
171,48 € au titre des congés payés afférents,
outre intérêts de droit à compter de la demande ;
- condamner la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS à verser à [K] [V] la somme de 1 500,00 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur le motif du licenciement :
Attendu qu'il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, conformément aux dispositions de l'article L 1235-1 du code du travail ;
Attendu que l'insuffisance professionnelle du salarié ne peut se déduire de carences professionnelles réelles ou supposées dans l'exécution de contrats de travail conclus avec d'autres employeurs ; que les pièces n°25 à 27 de la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS seront donc écartées ;
Attendu que selon l'article 33 de la convention collective nationale de commerces de gros, l'embauchage est précédé d'une période d'essai de trois mois pour les ingénieurs et cadres ; que des périodes d'essai plus longues peuvent être fixées d'un commun accord pour certains emplois précisés dans les avenants concernant les différents secteurs professionnels ; qu'en l'espèce, la durée de la période d'essai a été fixée à six mois sans qu'il soit d'ailleurs possible d'identifier l'avenant conventionnel qui ouvrait cette possibilité ; que dans les faits, il ressort des pièces et des débats que [K] [V] a été soumis à une très longue période d'essai qui courait encore au jour de la rupture ; que la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS admet elle-même dans ses écritures qu'un commercial n'est considéré comme complètement autonome et confirmé qu'au bout de deux ans ; que ce point de vue trouve un appui dans l'avenant conventionnel de classification des cadres qui réserve le niveau VII aux cadres débutants diplômés de l'enseignement supérieur long, n'ayant pas ou peu d'expérience professionnelle ; que selon cet avenant, le séjour des cadres à ce niveau doit être considéré comme une période d'adaptation ou de formation complémentaire ne pouvant excéder trois ans ; que l'insuffisance professionnelle 'qualitative' imputée à [K] [V] doit être appréciée en considération de ce que le salarié se trouvait encore en période d'adaptation et/ou de formation ; qu'il est dès lors vain de lui reprocher un manque de connaissance des produits et des procédures commerciales qui est inhérent à son positionnement au niveau VII de la classification ; qu'au demeurant, les résultats obtenus par l'intimé au questionnaire SWAGELOK sont contrastés, les scores obtenus variant entre 42,9% et 87,5% ;
Qu'il est impossible de repérer une carence professionnelle qui n'aurait pas déjà été pressentie par l'employeur pendant la période d'essai de six mois, c'est-à-dire avant le 11 juin 2006 ; qu'[T] [D], directeur commercial, a exprimé dès le 5 mars 2006 des inquiétudes concernant l'attitude générale de [K] [V] en clientèle ; que le 12 mars 2006, il a écrit au gérant que le salarié n'était pas un profil de vendeur ni de négociateur, au vu de leur contact avec la société SAMES ; que le 9 avril 2006, [T] [D] a rendu compte de discussions avec [K] [V] qu'il avait incité à plus de dynamisme sur les relances des offres ; que le 6 juin, cinq jours avant l'expiration de la période d'essai, il a constaté 'toujours beaucoup d'hésitation dans la démarche de [K] qui semble avoir du mal à gérer son secteur' ; que la question de la rupture de la période d'essai n'a cependant jamais été posée ; que les événements se sont soudain précipités après l'été 2006 ; que le 21 septembre 2006, le gérant [U] [L] a reçu [K] [V] en entretien avec [T] [D] ; qu'il a abordé avec le salarié, outre les vols commis dans le véhicule de celui-ci, l'organisation non rationnelle de ses tournées, sa connaissance insuffisante des produits et son comportement insuffisamment incisif en clientèle ; qu'il a été convenu que [K] [V] serait accompagné pendant plusieurs jours par [T] [D] et qu'un nouveau point serait fait fin octobre ; qu'a posteriori, dans des courriels des 30 novembre et 10 décembre 2006, le directeur commercial a rendu compte d'une tournée au cours de laquelle [K] [V] lui avait paru peu sûr de lui et du souhait d'un client de ne pas déjeuner avec [K] [V], 'ne sentant pas le personnage' ; que le 5 février 2007, plus de deux mois après le licenciement, [T] [D], qui avait repris le secteur de [K] [V], a fait savoir au gérant que des contacts importants nécessitant une action n'avaient pas été visités ;
Qu'il ressort des pièces et des débats que la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS n'a pas mis à profit les six mois de période d'essai pour tester sous tous ses aspects l'aptitude de [K] [V] à occuper l'emploi de cadre technico-commercial qui lui était confié et évaluer sa marge de progression ; que quelques jours seulement avant le terme de la période d'essai, [T] [X] s'exprimait encore de manière dubitative sur la capacité du salarié à gérer son secteur, alors qu'il aurait dû se forger une conviction ferme sur ce point et proposer que les conséquences en soient tirées par le gérant ; que les journées d'accompagnement mises au point en septembre 2006 devaient intervenir avant le 11 juin 2006 puisque le directeur commercial subodorait dès mars 2006 que le salarié n'avait pas un profil de vendeur ; que si le manque de qualités commerciales et d'organisation de [K] [V] était au-dessus de toute possibilité de formation complémentaire, il appartenait à la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS de le vérifier en période d'essai et de rompre le contrat de travail avant le terme de celle-ci ; que dans le cas contraire, [K] [V] devait bénéficier du plan de formation prévu sur deux ans pour les nouveaux embauchés ainsi qu'il ressort de la définition de fonction de technico-commercial itinérant ;
Qu'en conséquence, le licenciement pour insuffisance professionnelle notifié le 29 novembre 2006 est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef ;
Sur les dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail :
Attendu que [K] [V] qui avait moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise peut prétendre, en application de l'article L 1235-5 du code du travail, à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi ; que le 13 mars 2007, le salarié a retrouvé un emploi de 'product manager' à la S.A. CEODEUS ; que son contrat de travail a été rompu pendant la période d'essai ; que le 12 novembre 2007, [K] [V] a été engagé en qualité de responsable zone export par une entreprise dont il n'a pas souhaité révéler la raison sociale ; que son salaire mensuel brut de 3 400 € pour 41 heures hebdomadaires est complété par une rémunération variable dans la limite de 60 000 € de revenus en 2008 ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour porter à 20 000 € le montant des dommages-intérêts dus à [K] [V] en réparation de son préjudice ;
Sur la demande de solde de l'indemnité compensatrice de préavis :
Attendu que la faute grave commise par le salarié au cours du préavis qu'il a été dispensé d'exécuter prive le salarié de l'indemnité compensatrice correspondant à la fraction du préavis qui restait à courir ;
Qu'en l'espèce, [K] [V] a adressé les 9 décembre 2006 et 6 janvier 2007 au président de la société SWAGELOK US, dont la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS est le distributeur exclusif au sud de la France, deux lettres dans lesquelles il l'a pris à témoin du licenciement dont il avait été l'objet, en dépit de son travail important et fructueux, à la suite de deux vols par effraction commis dans son véhicule de société ; que dans le second courrier, le salarié a menacé le président de rechercher en justice la responsabilité de la société SWAGELOK US du fait de la rupture de son contrat de travail ; que cette attitude consistant à impliquer un fournisseur dans un licenciement dont rien ne démontre que la société SWAGELOK US avait été l'inspiratrice constitue un manquement grave à l'obligation de loyauté qui perdure pendant le préavis, même en cas de dispense d'exécution de celui-ci par l'employeur ;
Qu'en conséquence, le jugement qui a débouté [K] [V] de sa demande de solde d'indemnité compensatrice de préavis sera confirmé ;
Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser [K] [V] supporter les frais qu'il a dû exposer, tant devant le Conseil de Prud'hommes qu'en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'une somme de 1 500 € lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celle déjà octroyée par les premiers juges ;
PAR CES MOTIFS,
Reçoit l'appel régulier en la forme,
Confirme le jugement entrepris hormis sur le montant des dommages-intérêts,
Statuant à nouveau :
Condamne la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS à payer à [K] [V] la somme de vingt mille euros (20 000 €) à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2010 à concurrence de quinze mille euros (15 000 €) et à compter de la date du présent arrêt pour le surplus,
Y ajoutant :
Condamne la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS à payer à [K] [V] la somme de mille cinq cents euros (1 500 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés devant la Cour,
Condamne la S.A.R.L. LYON VANNES ET RACCORDS aux dépens d'appel.
Le greffierLe Président
S. MASCRIERD. JOLY