R.G : 09/03958
X...
C/
LE PROCUREUR GENERAL
COUR D'APPEL DE LYON
2ème chambre
ARRET DU 24 Janvier 2011
APPELANT :
M. Abdelmajid X...né le 08 Juin 1969 à KHEMISSET (MAROC)...69100 VILLEURBANNE
représenté par Me Annie GUILLAUME, avoué à la Cour
assisté de Me Jean-Baudoin Kakela SHIBABA, avocat au barreau de LYON
INTIME :
M. LE PROCUREUR GENERALPalais de Justice - cour d'appel de LYON1 rue du Palais69005 LYON
représenté par Madame ESCOLANO
Date de clôture de l'instruction : 10 Mai 2010
Date des plaidoiries tenues en Chambre du Conseil: 03 Novembre 2010
Date de mise à disposition : 24 Janvier 2011
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré:- Jean-Charles GOUILHERS, président- Marie LACROIX, conseiller- Françoise CONTAT, conseiller
assistée pendant les débats de Anne-Marie BENOIT, greffier
A l'audience, Jean-Charles GOUILHERS a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, président, et par Christine SENTIS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 14 mai 2009 par le Tribunal de Grande Instance de LYON, dont appel ;
Vu les conclusions déposées le 25 janvier 2010 par Abdelmajid X... ,appelant ;
Vu les conclusions déposées le 11 décembre 2009 par M. le Procureur Général, intimé;
La Cour,
Attendu que le 23 juin 2001 à LYON, Abdelmajid X..., né le 8 juin 1969 à KHEMISSET (Maroc), a épousé Catherine A..., née le 14 juillet 1971 à CHALON-SUR-SAÔNE (Saône-et-Loire), de nationalité française ;
Attendu que se prévalant des dispositions de l'article 21-2 du Code Civil, Abdelmajid X... a, le 7 novembre 2002, souscrit une déclaration de nationalité française qui a été enregistrée le 20 octobre 2003 ;
Attendu que par courrier du 29 août 2007, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du co-développement informait le ministre de la justice de ce que les époux X...-A... s'étaient séparés dans l'année qui a suivi l'enregistrement de la déclaration puisque Catherine A... avait obtenu l'aide juridictionnelle en vue d'engager une action en divorce par décision du 3 mars 2003 avant même l'enregistrement litigieux, qu'une ordonnance de non-conciliation avait été rendue le 1er juin 2004 et que le divorce aux torts partagés avait été prononcé par jugement du 6 décembre 2004 ;Attendu que suivant exploit du 25 novembre 2007, le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de LYON a fait assigner Abdelmajid X... en annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française par lui souscrite, ce par application de l'article 26-4 dernier alinéa du Code Civil instituant une présomption de fraude lorsque la communauté de vie entre les époux a cessé dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 du même Code ;
Attendu que c'est à la suite de ces circonstances que par jugement du 14 mai 2009 le Tribunal de Grande Instance de LYON a annulé l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 7 novembre 2002 par Abdelmajid X... et constaté l'extranéité de ce dernier ;
Attendu qu'Abdelmajid X... a régulièrement relevé appel de cette décision suivant déclaration reçue au greffe de la Cour le 22 juin 2009 ;
qu'il soutient essentiellement à l'appui de sa contestation que l'action du Ministère Public est irrecevable comme tardive pour être intervenue plus de deux ans après la transcription du jugement de divorce sur l'acte de mariage par laquelle il a eu connaissance de la rupture du mariage et par conséquent de la fraude alléguée, alors qu'en outre la séparation des époux avait déjà fait l'objet d'un signalement par le Tribunal d'Instance de VILLEURBANNE (Rhône) dès mars 2004, et qu'en tout état de cause il a existé une réelle communauté de vie entre les époux X...-A... exclusive de toute fraude ;
qu'il demande en conséquence à la Cour d'infirmer la décision critiquée, de déclarer le Ministère Public irrecevable en son action et subsidiairement de l'en débouter ;
Attendu que M. le Procureur Général conclut à la confirmation du jugement attaqué en faisant principalement observer que le signalement effectué par le Tribunal d'Instance de VILLEURBANNE (Rhône) n'a pu faire courir le délai prévu par l'article 26-4 dernier alinéa du Code Civil dès lors qu'il n'était pas destiné au ministre de la Justice, que la simple transcription d'un jugement de divorce sur les actes d'état-civil ne peut non plus produire cet effet, et que la poursuite d'une simple cohabitation entre les époux après la souscription de la déclaration de nationalité française ne peut être regardée comme une communauté de vie dès lors que les pièces produites démontrent qu'ils ont engagé une procédure de divorce quelques mois à peine après cette souscription ;
Attendu que l'article 26-4 alinéa 3 du Code Civil dispose que l'enregistrement peut être contesté par le Ministère Public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte ;
Attendu que seul le Ministère Public ayant qualité pour agir sur instructions du ministre de la Justice en matière de nationalité, ce délai ne peut courir qu'à compter du jour où soit le Ministère Public, soit le ministre de la Justice ont été informés de l'existence possible d'un mensonge ou d'une fraude ;
Attendu que s'il paraît ressortir des pièces produites aux débats que le Tribunal d'Instance de VILLEURBANNE (Rhône) aurait signalé l'existence possible d'une fraude le 20 octobre 2004, ce signalement a été adressé à l'autorité chargée de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française et non pas au Garde des Sceaux ;que dès lors, ce signalement n'a pu faire courir la prescription biennale instituée par l'article 26-4 alinéa 3 du Code Civil ;
Attendu que si la transcription d'un jugement de divorce sur les registres de l'état-civil rend cette décision opposable à tous, y compris au Ministère Public, elle n'a pas pour effet de porter l'existence de la fraude à la connaissance de ce dernier ;
que cette opposabilité se limite à son objet, c'est-à-dire au divorce lui-même et à ses conséquences légales exclusivement ;
Attendu que si l'institution du mariage peut-être détournée de son objet à seule fin d'obtenir indûment la nationalité française, la dissolution par divorce d'une union contractée entre un français et une personne étrangère ne constitue pas la preuve d'une telle fraude ;
que cette preuve ne peut résulter que de la réunion de divers indices , la loi instituant seulement une présomption de fraude lorsque la communauté de vie a cessé entre les époux dans les douze mois de l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 du Code Civil ;
qu'ainsi, la seule transcription d'un jugement de divorce sur les registres de l'état-civil ne peut être regardée comme ayant permis au Ministère Public de connaître l'existence d'une fraude puisqu'une telle connaissance ne peut résulter que du rapprochement de divers éléments disparates ;
qu'au reste, en faisant procéder à la transcription du jugement de divorce, le Parquet n'a fait qu'exercer les attributions qui lui sont assignées par la loi en matière d'état-civil et qu'il n'avait pas à rechercher si une déclaration de nationalité française avait donné lieu à enregistrement dans les douze mois ayant précédé la cessation de la communauté de vie entre les époux ;
qu'en d'autres termes, au jour de la transcription du divorce sur les registres de l'état-civil, le Ministère Public n'a été informé que du divorce lui-même et non de l'existence d'une fraude ;
Attendu par conséquent que la transcription du jugement de divorce du 6 décembre 2004 n'a pas eu pour effet de faire courir le délai institué par l'article 26-4 alinéa 3 du Code Civil ;
Attendu que le ministre de la Justice n'a été informé de l'existence possible d'une fraude que par courrier du ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité Nationale et du Co-développement du 29 août 2007 ;
qu'il suit de là que l'action engagée par le Ministère public suivant exploit du 25 novembre 2007 est recevable, la prescription biennale édictée par l'article 26-4 alinéa 3 du Code Civil ne pouvant lui être opposée ;
Attendu au fond, que ce même texte dispose également que la cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude ;
qu'il s'agit d'une présomption simple qui peut être renversée par la preuve contraire dont la charge pèse sur le souscripteur de la déclaration de nationalité française ;
Attendu qu'il est constant que l'épouse de l'appelant a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle en vue d'engager une action en divorce huit mois environ avant l'enregistrement litigieux ;
que toutefois, le seul fait pour un époux de solliciter l'aide juridictionnelle pour engager une action en divorce est insuffisant à caractériser la cessation de la communauté de vie entre les époux mais indique seulement que l'un d'entre eux au moins l'envisage ;
Attendu que si l'on considère que la communauté de vie entre les époux a cessé au moins depuis le 1er juin 2004, date de l'ordonnance de non-conciliation, soit moins de douze mois après l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par Abdelmajid X..., l'appelant démontre cependant par les nombreuses pièces qu'il verse aux débats, notamment par des attestations de son ex-épouse, de parents et d'amis, par des documents fiscaux, administratifs ou des justificatifs tels que factures, quittances et autres semblables, qu'une communauté de vie a réellement existé entre les époux X...-A... et qu'en contractant mariage ils n'ont pas détourné cette institution de son objet dans le seul but de permettre à Abdelmajid X... d'obtenir indûment la nationalité française ;
Attendu dès lors que la présomption de fraude édictée par l'article 26-4 alinéa 3 du Code Civil est renversée ;
Attendu, dans ces conditions, qu'il échet d'infirmer la décision querellée, de dire le Ministère Public recevable en son action mais de l'y déclarer mal fondé et de l'en débouter ;
Attendu que le Ministère Public ne peut faire l'objet d'une condamnation quelconque ;
que les demandes de l'appelant tendant à condamnation du Parquet aux dépens et au payement d'une indemnité pour frais irrépétibles, seront donc rejetées ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement, après débats en chambre du conseil et après en avoir délibéré conformément à la loi,En la forme, déclare l'appel recevable ;
Constate que le récépissé prévu à l'article 1043 du Code de Procédure Civile a été délivré ;
Au fond, dit l'appel justifié ;
Infirme le jugement déféré et le met à néant ;
Dit le Ministère Public recevable en son action ;
L'y déclare mal fondé ;
L'en déboute ;
Déboute Abdelmajid X... de ses demandes relatives à l'application à son profit de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens ;
Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge du Trésor Public.
Le Greffier Le Président