R.G : 09/00962
décision du Tribunal de Grande Instance de SAINT-ETIENNE
Au fond du
21 octobre 2008
ch n° 1
RG N°2006/1434
COUR D'APPEL DE LYON
PREMIERE CHAMBRE CIVILE A
ARRET DU 06 MAI 2010
APPELANTE :
SARL VILL, représentée par ses dirigeants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Maître Christian MOREL, avoué à la Cour
assistée de la SELAFA OUTIN GAUDIN ET ASSOCIES, avocats au barreau de LAVAL, substitué par Maître Jérôme HABOZIT, avocat au barreau de Lyon
INTIMEE :
SAS CHANEL, représentée par ses dirigeants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par la SCP LAFFLY-WICKY, avoués à la Cour
assistée de la SCP SALANS ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
L'instruction a été clôturée le 19 Février 2010
L'audience de plaidoiries a eu lieu le 17 Mars 2010
L'affaire a été mise en délibéré au 06 Mai 2010
COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré :
Président : Madame MARTIN
Conseiller : Madame BIOT
Conseiller : Madame DEVALETTE
Greffier : Madame POITOUX pendant les débats uniquement
A l'audience Madame MARTIN a fait le rapport conformément à l'article 785 du Code de procédure civile .
ARRET : Contradictoire
prononcé publiquement le 06 Mai 2010 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;
signé par Madame MARTIN, présidente et par Madame POITOUX, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
**************
FAITS PROCEDURE PRETENTIONS DES PARTIES
La société Galeries Rémoises qui était distributeur agréé des produits CHANEL a été placée en liquidation judiciaire en 2003. L'ensemble de son stock a été vendu aux enchères et c'est dans ces conditions qu'une société FUTURA FINANCES a au mois de décembre 2004 acquis des produits de la marque CHANEL et a approvisionné la société VILL, laquelle exploite un magasin-solderie sous l'enseigne NOZ à [Localité 5] (42).
Après que la responsable régionale des ventes de la société CHANEL ait procédé le 12 février 2005 à l'acquisition de trois produits de la marque CHANEL au magasin NOZ de [Localité 5], un procès-verbal de constat était établi les 15 et 16 février 2005 par Me [Y] huissier de justice, lequel constatait que le stock de parfums CHANEL avait été vendu mais que des affiches publicitaires étaient apposées à l'intérieur du point de vente sur lesquelles figuraient les noms de parfums de marque, dont CHANEL, avec une affichette moins 30%.
Par acte du 6 mars 2006, la SAS CHANEL a fait assigner la société VILL devant le tribunal de grande instance de Saint-Etienne pour usage illicite des marques dont elle est titulaire et concurrence déloyale.
Par jugement du 21 octobre 2008, le tribunal a retenu que la société VILL s'était rendue coupable d'usage illicite des marques dont CHANEL est propriétaire et l'a condamnée au paiement de la somme de 8.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'usage illicite de la marque et de la distribution des produits CHANEL hors réseau. Il a en revanche débouté la société CHANEL de sa demande de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'agissements fautifs, parasitaires et déloyaux sur le fondement de l'article 1382 du code civil. Il a en outre prescrit des mesures complémentaires d'interdiction et de publication et condamné la société VILL à rembourser à la société CHANEL le coût du procès-verbal de constat de Me [Y] (1.181,17 euros), la facture de la SCP BEAL ASTOR (522,95 euros) ainsi qu'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société VILL a relevé appel du jugement et la société CHANEL a formé un appel incident.
Aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la société VILL demande à la Cour de dire que les dispositions d'ordre public concernant la procédure collective et plus particulièrement les ordonnances rendues par le juge commissaire ordonnant la vente aux enchères de biens priment le droit commun, de dire que faute d'avoir formé un recours contre l'ordonnance du 7 novembre 2003 la société CHANEL a irrévocablement perdu son droit de suite sur la marque de ses produits.
A titre subsidiaire, elle soutient qu'elle n'a commis aucune faute et que la société CHANEL ne justifie d'aucun préjudice.
Elle demande donc l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et l'allocation d'une somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il est renvoyé pour un exposé de ses prétentions et moyens, la société CHANEL sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que la société VILL a fait un usage illicite des marques dont elle est titulaire sans autorisation et a participé à la violation de l'interdiction de revente hors réseau en violation de l'article L 442-6 du code de commerce mais elle demande de porter les dommages intérêts qui lui ont été alloués à 20.000 euros.
En revanche, elle demande à la Cour de réformer le jugement pour le surplus, de dire que la société VILL a engagé sa responsabilité quasi délictuelle du fait d'agissements fautifs, parasitaires et déloyaux et de la condamner à 20.000 euros de dommages intérêts de ce chef.
Elle demande l'allocation d'une somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que les premiers juges ont exactement rappelé qu'il résultait du procès-verbal de constat de Me [Y], huissier de justice, en date des 15 et 16 février 2005 que la société VILL avait fait usage de la marque CHANEL par exposition de produits CHANEL à la vente, vente de ces produits, publicités reproduisant la marque nominative et le monogramme CHANEL ;
Qu'il est constant que la société VILL s'est approvisionnée auprès d'une société FUTURA FINANCES qui a acheté lesdits produits lors d'une vente aux enchères organisée le 13 décembre 2004 à la requête du liquidateur de la société Galeries Remoises autorisé par une ordonnance du juge commissaire du 7 novembre 2003 ;
I. Sur la perte du droit de suite par la société CHANEL
Attendu que la société VILL soutient qu'en n'exerçant pas de recours contre l'ordonnance du juge commissaire du 7 novembre 2003 ayant autorisé la vente aux enchères, la société CHANEL a irrévocablement renoncé à se prévaloir du droit de suite attaché au dépôt de sa marque, l'adjudication des produits en cause ayant selon elle purgé les marchandises vendues des conditions restrictives auxquelles elles étaient préalablement soumises ;
Mais attendu que la société CHANEL n'a eu connaissance de l'ordonnance du 7 novembre 2003 que le 27 novembre 2003 par le biais d'une publicité faite pour la vente aux enchères des produits ; que dès le 28 novembre 2003 elle écrivait à Me [P] liquidateur en lui indiquant qu'elle s'opposait formellement à la vente compte tenu des termes du contrat de distribution conclu avec Le Printemps de [Localité 4], et elle proposait de racheter les stocks de ses produits à la moitié de leur valeur compte tenu de l'ancienneté d'un grand nombre de références (dont certaines remontaient à 1993) ;
Attendu que le fait de ne pas avoir exercé de recours contre l'ordonnance du 7 novembre 2003, alors que cette décision ne lui avait pas été notifiée et que le délai pour former recours était expiré lorsqu'elle en a eu connaissance, est impropre à démontrer que la société CHANEL aurait irrévocablement renoncé à se prévaloir du droit de suite attaché au dépôt de sa marque ou même qu'elle aurait donné un consentement implicite à la vente aux enchères du stock de ses produits détenu par les Galeries Rémoises ;
Que l'appelante ne peut davantage soutenir que la société CHANEL aurait renoncé à faire valoir ses droits dans le cadre de la procédure collective alors qu'elle s'est prévalue auprès du liquidateur des clauses protectrices de son contrat de distributeur agréé et a fait une proposition de rachat pour laquelle elle n'a reçu aucune réponse d'acceptation, de rejet ou de contre-proposition, seule une demande de communication du contrat de distributeur agréé lui ayant été adressée le 6 avril 2004 ; que les règles de la procédure collective ne peuvent avoir pour conséquence d'anéantir les effets d'un contrat de distribution sélective dont les dispositions s'imposent au mandataire judiciaire et produisent des effets à l'égard des tiers ; que d'ailleurs le liquidateur avait bien conscience de la difficulté puisque dans l'annonce parue en vue de la vente du 13 décembre 2004, il a inséré une condition spécifique qui ne figurait pas dans l'annonce du 27 novembre 2003 parue en vue de la première vente projetée, cette condition étant libellée en ces termes: 'à charge pour les acquéreurs de se conformer à la législation et aux clauses accréditives de distribution des parfums et cosmétiques', ce qui impliquait que l'acquéreur des produits ne pouvait être qu'un détaillant agréé CHANEL ; que la société VILL est donc mal fondée à soutenir que l'adjudication des produits en cause aurait purgé les marchandises vendues des conditions restrictives auxquelles elles étaient soumises ;
II. Sur l'usage illicite de marque
Attendu que l'appelante critique le jugement en ce qu'il a retenu à son encontre un usage illicite de marque consistant en d'une part l'apposition des marques CHANEL et CHANEL en double C sur les affiches publicitaires et d'autre part la mise en vente de produits revêtus des marques dont la société CHANEL est titulaire ; qu'elle soutient que la société CHANEL aurait épuisé ses droit sur la marque en consentant à la mise sur le marché desdits produits et que par ailleurs l'intimée n'a pas de motifs légitimes pour s'opposer à l'usage de sa marque ;
Attendu que l'existence d'un réseau de distribution sélective constitue un motif légitime de s'opposer à la commercialisation des produits en cause dans un autre cadre ; que la licéité du réseau de distribution sélective mis en place par la société CHANEL pour la commercialisation de ses produits cosmétiques de luxe est certaine au regard du droit de la concurrence; qu'à cet égard l'appelante ne critique que la condition relative à l'étanchéité du réseau qui selon elle n'est pas assurée dès lors que le contrat de distribution agréé ne comporte aucune mention particulière relative aux conséquences d'une procédure collective au regard de la poursuite du contrat et de la commercialisation des produits ;
Mais attendu que l'étanchéité juridique du réseau est assurée par la clause III du contrat de distributeur agréé CHANEL par laquelle le détaillant agréé s'interdit de céder les produits faisant l'objet du contrat à toute personne n'appartenant pas au réseau de distribution sélective de la société CHANEL dans l'EEE ainsi que de s'approvisionner auprès de personnes n'appartenant pas à ce réseau, et qu'elle l'est en cas de procédure collective du distributeur agréé par la clause VII qui dispose qu' 'à la cessation du présent Contrat pour quelque cause que ce soit, le Détaillant Agréé s'engage à cesser sans délai la vente des Produits encore en sa possession. En contrepartie, CHANEL s'oblige à reprendre et le Détaillant Agréé s'oblige à lui restituer la totalité des stocks de Produits' ; que l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est, en effet, une cause de non continuation du contrat rentrant dans les dispositions générales de cette clause VII ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu que l'étanchéité juridique du réseau de distribution sélective CHANEL était assurée ;
Attendu que si les produits litigieux avaient été initialement commercialisés par les Galeries Rémoises avec l'accord de CHANEL et que ce sont bien ces mêmes produits qui ont fait l'objet de la vente aux enchères et qui ont été acquis par la société VILL, il n'en résulte pas pour autant que CHANEL a donné son consentement pour la remise sur le marché des produits à sa marque en dehors de son réseau de distribution sélective et en l'espèce par voie d'enchères publiques ; qu'ainsi qu'il a été exposé plus haut, ce consentement ne saurait résulter de l'absence de recours formé contre l'ordonnance du juge commissaire qui n'a pas été notifiée, un tel recours intenté hors délai étant voué à l'échec, que la société CHANEL s'est fermement opposée à la vente aux enchères de ses produits, que contrairement à ce que soutient l'appelante la décision du juge commissaire autorisant une vente aux enchères de produits de marque ne peut constituer le consentement à une nouvelle commercialisation de produits vendus par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs agréés dès lors que le juge commissaire n'a fait qu'ordonner la vente aux enchères de l'intégralité du stock des Galeries Rémoises mais ne s'est prononcé ni sur les droits de la société CHANEL ni sur la question de l'épuisement du droit sur les marques ni sur les motifs légitimes susceptibles d'être opposés par CHANEL ; qu'il ne résulte par ailleurs d'aucun élément que CHANEL ait donné un accord implicite à la commercialisation de ses produits dans des conditions impliquant renoncement de la titulaire à ses droits sur la marque ; qu'au contraire, CHANEL a manifesté expressément son opposition à une telle initiative ;
Attendu que la société FUTURA de laquelle la société VILL tient ses droit connaissait les droits de la société CHANEL de par la clause reproduite en caractères très apparents sur les avis d'annonce de la vente et affichés par le commissaire-priseur imposant aux 'acquéreurs de se conformer à la législation et aux clauses accréditives de distribution des parfums et cosmétiques' ; que la société VILL elle-même ne pouvait en sa qualité de professionnelle, compte tenu de la notoriété des produits CHANEL, ignorer l'existence d'un réseau de distribution sélective et ne pouvait davantage au regard de la mention figurant sur chacun des produits ('cet article ne peut être vendu que par les dépositaires agréés CHANEL') ignorer l'interdiction qui lui était faite de vendre ceux-ci sans l'autorisation de la titulaire de la marque ;
Attendu que les conditions de l'épuisement du droit à la marque ne sont donc pas remplies et qu'est établi à l'encontre de la société VILL, revendeur non agréé, l'usage illicite des marques de la société CHANEL, y compris à titre de publicité dès lors que les conditions de commercialisation des produits à la marque CHANEL étaient illicites et que de plus les moyens de publicité employés de médiocre qualité portaient eux-mêmes atteinte à la renommée de la marque CHANEL ;
Qu'en tout état de cause il convient de constater que la société CHANEL justifie de motifs légitimes pour s'opposer à l'usage de ses marques ; que l'existence d'un réseau de distribution sélective constitue un premier motif ; que les premiers juges -dont les motifs exacts et pertinents doivent être adoptés- ont en outre parfaitement mis en évidence que la commercialisation des produits CHANEL par la société VILL l'avait été dans des conditions portant atteinte à la marque et à la réputation du fabriquant ; que si la société VILL prétend avoir fait tout son possible pour ne pas porter atteinte à la marque CHANEL, force est de constater que ses efforts ne pouvaient qu'être vains eu égard aux droits qui étaient ceux de la société CHANEL ;
III. Sur la responsabilité de la société VILL au regard des articles L 442-6 du code de
commerce et 1382 du code civil
Attendu que les premiers juges ont à bon droit, par des motifs précis et exacts que la Cour adopte, retenu que la société VILL s'est rendue coupable de la violation de l'interdiction de revente hors réseau prévue par l'article L 442-6 I 6° du code de commerce ;
Attendu que si le seul fait d'avoir mis en vente ou de vendre des produits habituellement commercialisés au travers d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas en soi un acte fautif, il en est différemment lorsque cette commercialisation s'accompagne de circonstances fautives ; que tel est le cas en l'espèce dès lors que la société VILL a mis en vente des produits CHANEL sans être soumise aux contraintes qui pèsent sur les distributeurs agréés tout en bénéficiant de l'attrait qu'exerce la marque sur les consommateurs; qu'ensuite la société VILL a utilisé les marques de CHANEL comme marques d'appel puisqu'au jour du constat de Me [Y] elle ne disposait plus de produit CHANEL, sans pouvoir s'approvisionner de façon licite, mais continuait à apposer des affiches publicitaires reproduisant la marque et dont la finalité essentielle était d'attirer le public; qu'enfin, la commercialisation des produits CHANEL dans des conditions de présentation médiocres incompatibles avec l'image de marque et la notoriété de CHANEL est également constitutive d'actes de concurrence déloyale ;
Que la responsabilité de la société VILL sera donc retenue, le jugement étant infirmé de ce chef ;
IV. Sur le préjudice de la société CHANEL
Attendu que l'atteinte au droit privatif de la société CHANEL (atteinte à la valeur distinctive et patrimoniale de la marque, atteinte à la réputation de celle-ci) a été justement indemnisée par le tribunal par une somme de 8.000 euros; que si la société CHANEL consacre des efforts conséquents à promouvoir une distribution adaptée à ses produits de luxe et si les agissements de la société VILL sont de nature à dévaloriser la marque, il convient cependant de considérer que la société VILL n'a mis en vente dans son magasin que 46 produits ;
Attendu que le trouble commercial généré par les actes de concurrence déloyale sera indemnisé par une somme de même montant ;
Attendu que les mesures d'interdiction et de publication décidées par le tribunal seront confirmées ;
Attendu qu'il sera alloué à l'intimée une indemnité complémentaire de 2.000 euros pour les frais irrépétibles exposés en appel ;
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société CHANEL de sa demande d'indemnisation fondée sur l'article 1382 du code civil.
Infirmant de ce chef et statuant à nouveau,
Dit que la société VILL a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société CHANEL.
La condamne à titre de réparation à payer à la société CHANEL une somme de 8.000 euros à titre de dommages intérêts.
Condamne la société VILL à payer à la société CHANEL une indemnité complémentaire de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société VILL aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP LAFFLY WICKY avoués.
LE GREFFIERLE PRESIDENT