AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
R.G : 09/02118
SNC PHARMACIE DU CHATEAU D'EAU
C/
[B]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes de LYON
du 19 Mars 2009
RG : F 07/02196
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 31 MARS 2010
APPELANTE :
SNC PHARMACIE DU CHATEAU D'EAU prise en la personne de son représentant légal en exercice
Mr [X], dirigeant
[Adresse 1]
[Localité 7]
comparant en personne, assistée de Me Christophe CHATARD, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[C] [B]
née le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 5]
[Adresse 6]
[Localité 3]
comparant en personne, assistée de Me Murielle MAHUSSIER, avocat au barreau de LYON substitué par Me Christine FAUCONNET, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Février 2010
Présidée par Hervé GUILBERT, conseiller, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Didier JOLY, Président
Danièle COLLIN-JELENSPERGER, Conseiller
Hervé GUILBERT, Conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 31 Mars 2010 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS
Le 1er janvier 1998, la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU dirigée par [D] [X] a embauché par un contrat à durée déterminée de trois mois [C] [B] en tant que pharmacienne assistante ;
Le 1er avril 1998, les parties ont signé un contrat à durée indéterminée ;
[C] [B] a eu le statut de cadre selon la convention collective nationale des pharmacies d'officine ;
À partir de 2005, elle a eu en charge l'organisation des plannings de travail des 18 employés de l'entreprise ;
Par lettre recommandée avec avis de réception du 22 novembre 2006, l'employeur a proposé à la salariée une modification des horaires de travail et lui a donné un délai de réponse d'un mois ;
[C] [B] a refusé cette proposition ;
Du 16 janvier au 18 mars 2007, elle s'est trouvée en arrêt maladie ;
Les 19 mars et 2 avril 2007, le médecin du travail l'a déclarée inapte à tout poste de travail à la pharmacie du Château d'Eau ;
Par lettre recommandée avec avis de réception du 6 avril 2007, la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU a proposé à [C] [B] un poste de pharmacienne collaboratrice responsable des patients sous oxygène et de la mise en application des principes de qualité ; il lui a imparti un délai de réponse jusqu'au 18 avril 2007 ;
Par la même lettre, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable au licenciement fixé au 18 avril 2007 à 10 heures 30 ;
L'entretien a eu lieu les jour et heure prévus ; au cours de celui-ci [C] [B] a remis au gérant de la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU un courrier de refus du reclassement proposé ;
Par lettre recommandée avec avis de réception du 23 avril 2007, la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU a licencié [C] [B] pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement ;
PROCÉDURE
Contestant le licenciement, [C] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon le 18 juin 2007 en condamnation de la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU à lui payer les sommes suivantes :
- 20.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 50.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 11.306,76 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.130,67 € au titre des congés payés y afférents,
- 2.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Comparaissant, la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU a conclu au débouté total de [C] [B] et à sa condamnation à lui payer les sommes suivantes :
- 20.000 € à titre de dommages-intérêts pour dénonciation calomnieuse,
- 2.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par jugement contradictoire du 19 mars 2009, le conseil de prud'hommes de Lyon, section de l'encadrement, a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU à payer à [C] [B] les sommes suivantes :
- 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 11.306,76 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.130,67 € au titre des congés payés y afférents,
- 1.200 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Il a débouté [C] [B] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU de la sienne reconventionnelle et de sa prétention sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Il a ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel dans la limite de 20.000 € ;
La S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU a interjeté appel du jugement le 2 avril 2009 ;
En faisant valoir l'inaptitude de la salariée constatée par le médecin du travail et l'impossibilité matérielle et juridique de tout reclassement en l'absence d'un groupe, elle conclut à l'infirmation du jugement, au débouté total de [C] [B] et à sa condamnation à lui payer une indemnité de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Interjetant appel incident, [C] [B] conclut à la condamnation de la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU à lui payer les sommes suivantes :
- 20.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 50.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 11.306,76 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.130,67 € au titre des congés payés y afférents,
- 2.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Elle fait valoir que l'employeur, qui avait d'autres entreprises et notamment une autre pharmacie à [Localité 7], n'a pas cherché sérieusement et loyalement son reclassement ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
Attendu que selon l'article L. 1222-1 du code du travail le contrat de travail est exécuté de bonne foi ;
Attendu que [C] [B] reproche à la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU et notamment à son gérant [D] [X] de l'avoir mise à l'écart en novembre 2006, d'une part en lui enlevant la responsabilité des plannings, d'autre part en la cantonnant au comptoir ;
Attendu qu'il ressort de l'ensemble des attestations des membres du personnel que l'ambiance de travail s'était dégradée à l'automne 2006, alors que l'officine connaissait certaines difficultés dues à une désaffection d'une partie de la clientèle en raison de problèmes d'accès au commerce consécutifs à d'importants travaux dans le secteur ;
Attendu que [C] [B] était pharmacienne assistante et n'avait pas de rôle de direction, l'employeur ne lui ayant pas consenti une délégation de pouvoirs ;
Attendu que la responsabilité des plannings était une attribution récente, datant de l'année 2005, et relevait d'une décision de l'employeur toujours révocable ;
Attendu que plusieurs salariés attestent que [C] [B] exécutait cette tâche en privilégiant certaines personnes au détriment d'autres, ce qui suscitait des tensions ;
Attendu qu'il incombait à [D] [X] en tant que chef d'entreprise de prendre des mesures pour pallier ce dysfonctionnement ; qu'en reprenant personnellement l'organisation des plannings il a usé de son pouvoir de direction sans intention de brimer [C] [B] ;
Attendu que le grief de maintien au comptoir nonobstant son diplôme de pharmacienne et son expérience repose sur la seule attestation de [N] [W], préparatrice, qui a connu un conflit avec [D] [X] et été licenciée à la même époque que [C] [B] ; que ce témoignage n'est corroboré ni par d'autres attestations ni par des éléments objectifs ;
Attendu que [C] [B] ne prouve donc pas une exécution déloyale du contrat de travail par la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU ;
Attendu que la décision des premiers juges doit être confirmée ;
Sur le licenciement
Attendu que selon l'article L. 1226-2 du code du travail lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ; que cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ; que l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail ;
Attendu que les possibilités de reclassement d'un salarié doivent être recherchées dans l'entreprise et à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel ;
Attendu que selon l'article L. 5125-17 du code de la santé publique le pharmacien doit être propriétaire de l'officine dont il est titulaire ; que les pharmaciens sont autorisés à constituer entre eux une société en nom collectif en vue de l'exploitation d'une officine ; que les pharmaciens sont également autorisés à constituer individuellement ou entre eux une société à responsabilité limitée en vue de l'exploitation d'une officine, à la condition que cette société ne soit propriétaire que d'une seule officine, quel que soit le nombre de pharmaciens associés, et que la gérance de l'officine soit assurée par un ou plusieurs des pharmaciens associés ; qu'un pharmacien ne peut être propriétaire ou copropriétaire que d'une seule officine ; que tout pharmacien associé dans une société exploitant une officine et qui y exerce son activité doit détenir au moins 5 % du capital social et des droits de vote qui y sont attachés ; que dans une société en nom collectif ou à responsabilité limitée, ou une société d'exercice libéral à responsabilité limitée, il peut, en outre, si les statuts le prévoient, se voir attribuer des parts d'industrie ;
Attendu que les dispositions de cet article s'appliquent sous réserve de celles de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;
Attendu que [C] [B] était pharmacienne assistante avec le statut de cadre ; que lors du licenciement elle occupait cette fonction depuis neuf ans ;
Attendu que le médecin du travail l'a les 19 mars et 2 avril 2007 déclarée inapte à tout poste de travail à la pharmacie du Château d'Eau ;
Attendu que par lettre recommandée avec avis de réception du 6 avril 2007, la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU a proposé à [C] [B] un poste de pharmacienne collaboratrice responsable des patients sous oxygène et de la mise en application des principes de qualité ; que ce poste non sédentaire était compatible avec les prescriptions du médecin du travail ;
Attendu que [C] [B] a refusé cette proposition lors de l'entretien du 18 avril 2007 ;
Attendu que son employeur fut la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU dirigée par [D] [X] ;
Attendu que lors du licenciement ce dernier détenait 80 % des actions de la Grande Pharmacie des [Localité 4] à [Localité 7], entreprise constituée sous la forme d'une société d'exercice libéral par actions simplifiée au capital de 37.000 € ;
Attendu que ces deux officines étaient certes juridiquement distinctes ; que toutefois elles exerçaient la même activité de pharmacie de détail, se trouvaient sur le territoire de la même ville et appartenaient à la même personne physique, [D] [X] ; qu'il existait ainsi une permutabilité entre les deux entreprises ;
Attendu que la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU ne prouve pas avoir tenté ou s'être trouvée dans l'impossibilité de reclasser [C] [B] à la Grande Pharmacie des [Localité 4] ;
Attendu que l'employeur a ainsi manqué à son obligation de reclassement, ce qui rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que la décision des premiers juges doit être confirmée ;
Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Attendu que selon l'article L. 1235-3 du code du travail si le licenciement d'une salariée ayant au moins deux ans d'ancienneté et travaillant dans une entreprise employant au moins onze salariés survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie à la personne licenciée une indemnité à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ;
Attendu que lors du licenciement [C] [B] était âgée de 36 ans, présentait une ancienneté de neuf ans et percevait un salaire brut mensuel de 3.768,92 € ;
Attendu que [C] [B] a été licenciée le 23 avril 2007 et embauchée en tant que pharmacienne par le laboratoire AGUETTANT le 28 janvier 2008, neuf mois plus tard, pour un salaire brut initial de 3.085 €, soit une perte mensuelle de 683,92 € ;
Attendu qu'elle invoque une dépression postérieure au licenciement ; que toutefois celle-ci était présente avant la rupture, puisqu'elle fut la cause de son arrêt de travail ayant mené à la déclaration d'inaptitude ;
Attendu qu'au vu de ces éléments les premiers juges ont justement évalué le préjudice à 30.000 € ; que le jugement sera confirmé ;
Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents
Attendu qu'en présence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse la salariée, qui avait le statut de cadre, est fondée à obtenir une indemnité compensatrice de préavis équivalant à trois mois de salaires ;
Attendu que la décision des premiers juges doit être confirmée ;
Sur le remboursement des sommes payées par le Pôle Emploi
Attendu que selon l'article L.1235-4 du code du travail dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11 du même code, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé ;
Attendu qu'en l'espèce il se justifie d'ordonner d'office ce remboursement dans la limite de trois mois ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Ordonne à la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU de rembourser au Pôle Emploi concerné les indemnités de chômage payées à [C] [B] dans la limite de trois mois,
Rejette les demandes d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile formulées en cause d'appel,
Condamne la S.N.C. PHARMACIE du CHÂTEAU d'EAU aux dépens d'appel.
Le greffierLe Président
S. MASCRIERD. JOLY