AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R. G : 08 / 00496
SAS LAFARGE BÉTON SUD EST C / X...
APPEL D'UNE DÉCISION DU : Conseil de Prud'hommes de LYON du 15 janvier 2008 RG : F 06 / 01861
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 12 MARS 2009
APPELANTE :
SAS LAFARGE BÉTON SUD EST venant aux droits de la SAS BÉTON CHANTIERS RHÔNE AUVERGNE Quartier du Pontet 84430 MONDRAGON
représentée par Maître Georges PONS, avocat au barreau D'AVIGNON
INTIMÉ :
Mohamed X...... 69200 VENISSIEUX
représenté par Maître Mohamed CHEBBAH, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 18 Décembre 2008
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Louis GAYAT DE WECKER, Président Dominique DEFRASNE, Conseiller Françoise CLÉMENT, Conseiller
Assistés pendant les débats de Anita RATION, Greffier
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 mars 2009, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Louis GAYAT DE WECKER, Président, et par Anita RATION, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
************* Statuant sur l'appel formé par la SAS BÉTON CHANTIERS RHÔNE AUVERGNE d'un jugement du Conseil de prud'hommes de Lyon, en date du 15 janvier 2008, qui a :- dit que le licenciement de Monsieur Mohamed X... reposait sur une cause réelle et sérieuse ;- condamné la SAS BCRA à verser à Monsieur Mohamed X... les sommes de : * 8 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, * 500, 00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;- débouté Monsieur Mohamed X... de ses autres demandes et la SAS BCRA de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;- condamné la SAS BCRA aux dépens.
Vu les écritures et les observations orales à la barre, le 18 décembre 2008, de la SAS LAFARGE BÉTON SUD EST venant aux droits de la SAS BÉTON CHANTIERS RHÔNE AUVERGNE, appelante, qui demande à la Cour :- de réformer le jugement du Conseil de prud'hommes sur le harcèlement moral et de débouter Monsieur X... de sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef ;- de confirmer le jugement sur le licenciement ;- de condamner Monsieur X... au paiement de 1 000, 00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les écritures et les observations orales à la barre, le 18 décembre 2008, de Monsieur Mohamed X..., intimé, qui demande de son côté à la Cour :- de confirmer le jugement entrepris sur le harcèlement moral sauf à fixer à 20 000, 00 euros le montant des dommages et intérêts ;- d'infirmer le jugement sur le licenciement ;- de condamner la SAS LAFARGE BETON SUD EST à lui payer les sommes de : * 12 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, * 7 920, 00 euros en contrepartie de la clause de non-concurrence, * 2 000, 00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;- de condamner la SAS LAFARGE BETON SUD EST aux entiers dépens.
EXPOSE DU LITIGE
Attendu que Monsieur Mohamed X... a été embauché à durée indéterminée le 29 janvier 1990 par la société UNIMIX RHÔNE MÉDITERRANÉE en qualité de responsable clientèle professionnelle, catégorie ETAM, coefficient 280 de la convention collective nationale ETAM des industries des carrières et de matériaux ;
Que par un avenant au contrat de travail, en date du 16 mai 1994, il a été stipulé une clause de non-concurrence sur le département du Rhône pour une durée d'un an à compter de la cessation effective de l'activité du salarié avec pour contrepartie une indemnité mensuelle réglée à la fin de chaque mois et correspondant à la différence entre 80 % de la rémunération mensuelle moyenne nette, à l'exception des primes exceptionnelles et des remboursements de frais, au cours des 12 mois précédent la rupture et toutes les rémunérations ou indemnités qui seraient versées à l'intéressé ;
Que le contrat de travail de Monsieur X... a été transféré par application de l'article L1224-1 du code du travail à la société UNIBETON, puis à la société REDLAND GRANULATS SUD ;
Que par un nouvel avenant signé entre la société REDLAND et Monsieur X..., le salarié a été engagé à compter du 1er mars 1996 en qualité d'agent technico-commercial sur la zone de Lyon, secteur Rhône-Alpes avec la même qualification hiérarchique que précédemment et avec la reprise de son ancienneté à compter du 29 janvier 1990 ;
Qu'il était stipulé aussi dans cet avenant une obligation de non-concurrence à la charge du salarié pendant 12 mois sur le secteur d'activité au moment de la rupture, moyennant une indemnité mensuelle égale à 30 % de la moyenne mensuelle des sommes nettes perçues au cours des 12 derniers mois ;
Que le contrat de travail de Monsieur X... a été à nouveau transféré dans les conditions légales à la société BÉTON RHODANIEN puis à compter du 1er janvier 1999 à la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE (BCRA) ;
Qu'au dernier état de sa collaboration, Monsieur X..., affecté à la centrale de Vaise, percevait une rémunération brute mensuelle de 2 594, 94 euros ;
Que le 23 juillet 2004, Monsieur X... a été contraint d'arrêter le travail pour cause de maladie ;
Qu'il a adressé successivement un courrier électronique le 26 juillet 2004 à son supérieur hiérarchique et le 8 septembre 2004 à l'employeur pour leur indiquer qu'il subissait depuis 2002 le harcèlement d'une autre salariée, Mademoiselle Y... (violences verbales, propos inadmissibles ou injurieux) et leur reprocher de n'avoir pris aucune disposition pour mettre fin à une situation dont ils étaient informés ;
Que la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE lui a répondu le 27 septembre 2004 pour lui réclamer des précisions sur ces accusations et l'informer qu'elle donnerait la suite qu'il convient en fonction de la nature des faits ;
Que par courrier recommandé du 16 novembre 2004, la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE a fait connaître à Monsieur X... que son arrêt maladie depuis le 23 juillet causait un trouble grave au fonctionnement du site de Lyon Vaise où il était le seul commercial et lui a demandé d'indiquer si son arrêt de travail serait prolongé au-delà de l'échéance du 29 novembre 2004 ;
Que le salarié lui a répondu le 23 novembre qu'il ne pouvait présumer de la durée de l'arrêt de travail ;
Que dans ce contexte, la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE a convoqué Monsieur X... à un entretien préalable en vue d'un licenciement éventuel et qu'après cet entretien qui s'est tenu le 15 décembre 2004, elle lui a notifié son licenciement dans les termes suivants :
" Vous êtes en arrêt maladie depuis le 23 juillet 2004, et la prolongation de votre maladie rend malheureusement impossible le maintien de votre contrat de travail. En effet, comme nous vous l'indiquions dans notre courrier du 16 novembre 2004, votre absence cause un trouble très grave au fonctionnement du site de Lyon Vaise où vous êtes le seul commercial. Nous avons provisoirement pallié à votre absence en demandant à deux de vos collègues du secteur voisin de bien vouloir accepter une surcharge de travail, mais cette situation ne peut pas durer, les résultats de ce secteur ayant commencé à baisser de manière significative. D'autre part, comme vous nous l'indiquiez vous-même dans votre courrier du 23 novembre 2004, et comme vous nous l'avez répété lors de l'entretien préalable, vous ne pouvez pas présumer de la durée de votre arrêt de travail. Nous ne pouvons donc pas attendre plus longtemps votre retour, car nous sommes dans l'obligation de procéder à votre remplacement définitif. Nous avons donc de décider de vous licencier. " ;
Que par courrier recommandé du 11 janvier 2005, la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE a fait connaître à son salarié qu'elle renonçait expressément à se prévaloir de la clause de non-concurrence figurant dans l'avenant à son contrat de travail du 16 mai 1994 signé avec la société UNIMIX ;
Que le 7 avril 2005, Monsieur X... a saisi la juridiction prud'homale, laquelle, après enquête, a rendu la décision aujourd'hui frappée d'appel ;
Attendu que la société LAFARGE BÉTON SUD EST, venant aujourd'hui aux droits de la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE par voie de fusion-absorption, conteste le harcèlement moral qui lui est reproché en faisant valoir notamment que les faits dénoncés ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que le langage parfois cru utilisé par les salariés est largement répandu dans le monde du bâtiment ;
Qu'elle prétend justifier le licenciement de Monsieur X... par la désorganisation que son absence prolongée entraînait dans l'entreprise et par la nécessité de procéder à son remplacement définitif effectivement intervenu le 3 janvier 2005 ;
Qu'elle s'oppose au paiement de la contrepartie de non-concurrence au motif que le salarié a été délié de l'obligation de non-concurrence ;
Attendu que Monsieur X... fait valoir qu'ayant dénoncé à plusieurs reprises les agissements de harcèlement moral dont il était victime, la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE, en s'abstenant d'y répondre de façon adéquate, a violé l'obligation de sécurité qui lui incombait ;
Qu'à l'appui de la contestation de la légitimité de son licenciement, il fait valoir que les motifs dénoncés dans la lettre n'ont pas été évoqués lors de l'entretien préalable, que l'employeur aurait pu procéder à l'embauche d'un salarié à contrat à durée déterminée pendant le temps de sa maladie et qu'au surplus, cette maladie était en relation directe avec ses conditions de travail ;
Qu'il indique enfin, que l'avenant au contrat de travail prévoit que la société ne pourra se libérer de l'interdiction de concurrence qu'à l'occasion de la cessation du contrat et dans la lettre recommandée notifiant le licenciement ;
Qu'il soutient que ce formalisme n'a pas été respecté en l'espèce et que la contrepartie financière reste due ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur le harcèlement moral
Attendu qu'aux termes de l'article 1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Que l'article 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié doit établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement ou que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Qu'en l'espèce, Monsieur X... produit seulement un certificat médical du Docteur Z..., en date du 23 juillet 2004, dans lequel il est indiqué que le salarié présente depuis janvier 1998 des problèmes digestifs et des maux en relation avec un harcèlement subi au travail ;
Que ce médecin s'est contenté de rapporter les propos de son patient pour n'avoir procédé à aucune vérification personnelle sur les conditions de travail de l'intéressé ;
Qu'au surplus, Monsieur X... dans ses courriers à l'employeur situe le point de départ du harcèlement en 2002 ;
Que lors de l'enquête diligentée à l'initiative des premiers juges, il a été procédé a l'audition de Monsieur Gilles C..., chef de centre et de Mademoiselle Cathy Y... accusée de harcèlement par le salarié ;
Que le premier a confirmé que Mademoiselle Y... avait un langage cru avec tout le monde, utilisant parfois des " noms d'oiseaux " sans que toutefois les noms utilisés présentent un caractère vexatoire ou humiliant ;
Que la seconde a expliqué qu'une étroite complicité professionnelle s'était établie entre elle et Monsieur X..., que dans le contexte de la charge de travail, il leur arrivait d'échanger réciproquement des propos ou " noms d'oiseaux " mais que ceux-ci n'étaient jamais humiliants ou abaissants ;
Que l'employeur verse aux débats un autre témoignage de Monsieur B... qui confirme en tous points celui de Monsieur C... ;
Que ces témoignages sont insuffisants pour faire présumer des agissements de harcèlement moral à l'égard du salarié de sorte que l'employeur, contrairement à l'appréciation retenue par le Conseil de prud'hommes, n'a pas engagé sa responsabilité à cet égard ;
Qu'il y a lieu en conséquence de débouter Monsieur X... de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
2- Sur le licenciement
Attendu que le compte-rendu de l'entretien préalable du 15 décembre 2004 produit par le salarié fait mention de la nécessité pour le secteur de Vaise d'avoir un commercial et de la dégradation des résultats depuis son départ ;
Qu'il est permis d'affirmer que la question de la désorganisation de l'entreprise ensuite de l'absence du salarié a bien été évoquée lors de l'entretien préalable ;
Que l'irrégularité de procédure avancée devant la Cour ne peut-être retenue ;
Que par ailleurs, le prétendu lien de causalité entre l'arrêt de travail de Monsieur X... et ses conditions de travail, en particulier le harcèlement moral, n'est pas avéré ;
Attendu que si l'article L1132-1 du code du travail fait interdiction de licencier un salarié en raison de son état de santé, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées de l'intéressé et qui entraîne la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif ;
Qu'il est constant en l'espèce que Monsieur X... était le seul commercial affecté au site de Vaise ;
Que l'employeur explique que pendant six mois, il a demandé à deux commerciaux Monsieur D... et Monsieur E... de s'occuper de l'activité dévolue à Monsieur X... mais qu'il en est résulté une diminution de la marge globale car ces deux commerciaux étaient contraints de délaisser partiellement leur propre secteur et, connaissant moins celui de Monsieur X..., n'avaient pas le temps d'aller voir les petits clients ;
Qu'il produit des fiches de résultat et des attestations attestant de la pertinence de ses dires ;
Que l'employeur explique aussi que l'activité commerciale de Monsieur X... impliquait un investissement de longue durée et qu'il n'était pas possible de confier sa clientèle à un salarié intérimaire ou en contrat à durée déterminée ;
Qu'il justifie de l'embauche à durée indéterminée de Monsieur E... à compter du 3 janvier 2005 en remplacement de Monsieur X... sur la centrale de Vaise ;
Attendu qu'il est démontré que l'absence prolongée de Monsieur X... pendant près de six mois a perturbé le fonctionnement de l'entreprise et que l'employeur s'est trouvé dans la nécessité de procéder à son remplacement définitif ;
Que le licenciement de Monsieur X... apparaît fondé sur une cause réelle et sérieuse et que la décision des premiers juges doit être confirmée de ce chef ;
3- Sur la clause de non-concurrence
Attendu que le contrat de travail conclu entre Monsieur X... et la société UNIMIX le 17 mai 1994 a été transféré en application de l'article L1224-1 du code du travail à la société REDLAND et en dernier lieu à la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE ;
Que l'avenant signé en 1996 avec la société REDLAND a substitué à la clause de non-concurrence initiale une nouvelle clause dont les conditions sont différentes ;
Que la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE a repris ultérieurement le contrat de Monsieur X... et à défaut d'indication contraire, dans le dernier état de ce contrat ;
Qu'il en résulte que la clause de non-concurrence applicable au moment de la rupture est celle stipulée dans l'avenant de 1996 laquelle permet à l'employeur de libérer le salarié de l'interdiction de concurrence soit à tout moment au cours de l'exécution du contrat, soit à l'occasion de la cessation du contrat, dans la lettre recommandée notifiant le licenciement ou accusant réception de la démission ;
Que la société BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE a informé le salarié de sa renonciation à la clause de non-concurrence le 11 janvier 2005 et que cette renonciation est manifestement tardive ;
Qu'il n'est pas contesté que Monsieur X... a respecté l'obligation de non-concurrence stipulée à l'avenant de 1996 et qu'il convient de lui allouer conformément aux dispositions de cet avenant l'indemnité égale à 30 % de la moyenne mensuelle des sommes nettes perçues au cours des 12 derniers mois de présence pendant la durée d'une année, soit conformément à sa demande la somme de 7920, 00 euros ;
Attendu que la société LAFARGE BÉTON SUD EST qui succombe supportera les dépens ;
Qu'il convient d'allouer à Monsieur X... la somme de 1 500, 00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Dit l'appel recevable ;
Confirme le jugement entrepris sauf sur le harcèlement moral ;
Statuant à nouveau de ce chef
Déboute Monsieur Mohamed X... de sa demande d'indemnisation au titre d'un harcèlement moral ;
Y ajoutant :
Condamne la SAS LAFARGE BÉTON SUD EST (LBSE) venant aux droits de la SAS BÉTON CHANTIER RHÔNE-ALPES AUVERGNE (BCRA) à payer à Monsieur Mohamed X... les sommes de :
-7 920, 00 euros à titre d'indemnisation de la clause de non-concurrence,
-1 500, 00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS LAFARGE BÉTON SUD EST (LBSE) aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT