COUR D'APPEL DE LYONTroisième Chambre Civile SECTION B
ARRET DU 12 Juin 2008
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 04 mai 2007 - N° rôle : 2006j3564
N° R.G. : 07/03613
Nature du recours : Appel
APPELANTE :
Société KEOLIS LYON SA19, boulevard Vivier MerleImmeuble "Le Lyonnais"69003 LYON
représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour
assistée de la SCP CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE, avocats au barreau de LYON
INTIMEE :
Société ACTITUDES SARL47, quai Clemenceau69300 CALUIRE-ET-CUIRE
représentée par Me André BARRIQUAND, avoué à la Cour
assistée de la SELARL SEIGLE et Associés - PRIMALEX -, avocats au barreau de LYON
Instruction clôturée le 12 Février 2008
Audience publique du 15 Mai 2008
LA TROISIÈME CHAMBRE SECTION B DE LA COUR D'APPEL DE LYON,
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Laurence FLISE, PrésidentMadame Christine DEVALETTE, Conseiller Monsieur Alain MAUNIER, Conseiller
DEBATS : à l'audience publique du 15 Mai 2008sur le rapport de Monsieur Alain MAUNIER, Conseiller
GREFFIER : la Cour était assistée lors des débats de Madame Joëlle POITOUX, Greffier
ARRET : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 Juin 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
Signé par Madame Laurence FLISE, Président, et par Madame Joëlle POITOUX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
**************
Au cours des années 2005 et 2006, la société ACTITUDES, agence de publicité, a conçu plusieurs campagnes de publicité pour le compte de la société KEOLIS, qui a en charge l'exploitation du réseau des transports en commun du GRAND LYON.
Par courrier du 4 octobre 2006, à la suite de l'échec des parties à conclure un contrat cadre pour la poursuite de leurs relations, la société ACTITUDES, par l'intermédiaire de son conseil, a demandé la rémunération des droits d'exploitation des créations commandées, chiffrant d'ores et déjà sa créance globale à 142 000 € et invité la société KEOLIS à convenir d'un accord.
Par assignation délivrée le 15 décembre 2006, elle a poursuivi le recouvrement de sa créance à l'encontre de la société KEOLIS devant le tribunal de commerce de LYON, qui par jugement du 4 mai 2007, se déclarant compétent, a :
- condamné la société KEOLIS à payer à la société ACTITUDES la somme de 82 500 €, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 octobre 2006
- dit que le jugement emporte cession des droits d'exploitation
- en conséquence débouté la société ACTITUDES de sa demande tendant au retrait par la société KEOLIS de l'intégralité des oeuvres réalisées par KEOLIS (plutôt ACTITUDES)
- rejeté la demande en annulation du constat d'huissier du 17 novembre 2006
- rejeté l'ensemble des demandes de la société KEOLIS
- fait application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la société ACTITUDES
- ordonné l'exécution provisoire.
La société KEOLIS a interjeté appel le 30 mai 2007.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 8 janvier 2008, et expressément visées par la Cour, elle sollicite l'infirmation du jugement du 4 mai 2007, le rejet de l'intégralité des demandes de la société ACTITUDES et l'allocation d'une indemnité pour frais d'instance.
Elle expose que :
- c'est après dix-huit mois d'exploitation des différentes créations publicitaires commandées et payées par KEOLIS que la société ACTITUDES est venue dire qu'elle n'est pas titulaire des droits d'exploitation ;
- l'article 132-1 du code de la propriété intellectuelle invoqué par la société ACTITUDES est inapplicable en l'espèce, s'agissant des relations entre le producteur/annonceur et une agence de publicité, qui comme personne morale ne peut être "l'auteur" ;
- en outre cet article pose seulement une présomption de cession quand le contrat précise une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation de l'oeuvre ; il ne conditionne pas la transmission des droits à des conditions formelles ;
- le litige ne porte que sur la preuve de la cession.
Elle soutient en conséquence que :
- en matière publicitaire, l'oeuvre est commandée afin d'être reproduite ;
- avant la rupture des relations commerciales, la société ACTITUDES n'a jamais réclamé à KEOLIS le versement de sommes complémentaires, ni protesté lors de la diffusion des campagnes ;
- le projet de contrat cadre prévoyait que les sommes perçues incluaient les droits d'exploitation ;
- une facture de la société ACTITUDES, du 30 mars 2006, mentionnait effectivement la cession de droits d'exploitation, mais elle concernait une commande spécifique, relative à une communication interne et non à l'information du public et à la promotion du réseau ;
- la société KEOLIS a passé commande au vu des devis ; il n'est pas admissible que les prix soient ainsi remis en cause.
A titre subsidiaire, la société KEOLIS conteste le montant de la réclamation, et évalue à 46 454 € le prix de la cession des droits d'exploitation.
Dans ses dernières écritures déposées au greffe le 22 janvier 2008, et expressément visées par la Cour, la société ACTITUDES conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que les droits d'exploitation n'ont pas été cédés, mais à son infirmation en ce qu'il a limité la condamnation à 82 500 €, et en conséquence à la condamnation de la société KEOLIS à lui payer la somme de 132 500 €, outre intérêts à compter du 20 octobre 2006, date de la mise en demeure. Elle sollicite une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que :
- le fait qu'elle soit une personne morale ne l'empêche pas de se prévaloir de la qualité d'auteur ;
- les factures émises étaient précises et mentionnaient un poste "création" et un poste "mise en page" ; elles correspondaient aux bons de commandes ; elles ont été acquittées sans réserves ;
- a défaut pour le contrat de préciser une rémunération distincte due pour chaque mode d'exploitation de l'oeuvre, il n'y a pas de cession de droit d'auteur ;
- une seule fois, il y a eu cession des droits d'exploitation, qui a donné lieu à une facture du 31 mars 2006, pour une utilisation précise, à savoir en interne et auprès des salariés de la société TCL ;
- elle n'a pas demandé plus tôt le paiement des droits d'exploitation car elle bénéficiait d'une exclusivité de fait ;
- le projet de contrat cadre prévoyait la cession gratuite des droits d'exploitation, mais en contre-partie d'une exclusivité et pour le temps de cette exclusivité ; il démontre que les parties savaient que les droits d'exploitation n'étaient pas cédés en l'absence de disposition expresse.
Elle rappelle qu'aujourd'hui encore la société KEOLIS exploite les oeuvres de la société ACTITUDES. Elle réduit sa demande principale à la somme de 132 500 €, et conteste le chiffrage de la société KEOLIS, qui comporte des mentions erronés concernant les supports ou les durées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 février 2008.
SUR CE :
L'article L.132-31 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
" Dans le cadre d'une oeuvre de commande utilisée pour la publicité, le contrat entre le producteur et l'auteur entraîne, sauf clause contraire, cession au producteur des droits d'exploitation de l'oeuvre dès lors que ce contrat précise la rémunération distincte due pour chaque mode d'exploitation de l'oeuvre en fonction notamment de la zone géographique, de la durée d'exploitation, de l'importance du tirage et de la nature du support".
L'indication sur les documents contractuels d'une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation de l'oeuvre, en fonction de son étendue, de sa durée et de son importance établit donc une présomption de cession des droits d'exploitation.
A défaut, la preuve de la cession peut alors être apportée par tout moyen, conformément aux dispositions de l'article L.110-3 du code de commerce, selon lequel : « A l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tout moyen à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi ».
En l'espèce
Les dispositions du code de la propriété intellectuelle, rappelées ci-dessus, qui ont pour objectif la protection des intérêts des auteurs, ne distinguent pas selon la forme d'exploitation de son entreprise par l'auteur, qui peut être une personne physique ou une personne morale.
La société ACTITUDES comme personne morale est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L.132-31 du code de la propriété intellectuelle.
Il est constant qu'aucun contrat n'a été signé entre les deux parties, ni avant, ni au cours de leur collaboration, et les seuls documents contractuels existants sont les devis, les commandes et les factures, dont aucun, à l'exception d'une facture du 31 mars 2006, ne restreint la possibilité d'exploiter des oeuvres clairement destinées à des campagnes publicitaires bien déterminées.
La commande du 6 mars 2006, mentionnant une cession des droits d'exploitation, se rapportait à une communication interne de la société KEOLIS. Cette cession en vue de l'exploitation des oeuvres pour un autre usage confirme que la cession avait été, en ce qui concerne les campagnes publicitaires, décidée d'un commun accord entre les parties.
La société ACTITUDES n'ignorait ni la nature ni la destination des campagnes publicitaires : abonnements City Pass, Pass Hebdo, Campus, Parc Relais, navettes Fête des Lumières, Pleine Lune, campagne Montée Porte Avant, Charte Qualité Client, guides tarifaires, ..., pour lesquelles au vu de son devis une commande lui était passée, en exécution de laquelle elle concevait et réalisait une oeuvre, une maquette, une affiche, un encart de presse, ou tout autre document, qu'elle livrait à l'annonceur, et qu'elle facturait, en précisant sur les factures, de manière générale, les diverses tâches effectuées, à savoir : la création, la conception et la réalisation.
Elle connaissait nécessairement l'affectation des oeuvres commandées sur le territoire du GRAND LYON, sur tous types de supports (presse, affichage, véhicules, brochures, ...), parfois précisés dans la commande, notamment quand il s'agissait de supports presse ou des panneaux Decaux, l'Agence s'étant même chargée une fois de transmettre directement les annonces à la presse (facture no 12K 10-3590 du 31 octobre 2005 de 580 € HT).
Elle n'a pu ignorer non plus la forme et l'importance de ces diverses campagnes réalisées pendant les dix-huit mois de collaboration.
Or à aucun moment, pendant cette période, elle n'a émis de réserves, ni de protestation sur une prétendue absence de droit d'exploitation des oeuvres livrées à la société KEOLIS, ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire s'il n'avait pas été son intention de céder les droits sans rémunération supplémentaire, ou si ces campagnes s'étaient déroulées dans des conditions autres que celles que les commandes laissaient prévoir.
Du reste, dans le projet de contrat proposé à la société KEOLIS, la cession des droits d'exploitation était incluse dans le prix, ce qui ressort de la clause qui prévoyait qu'ils ne seront payés que dans le cas où l'annonceur, après résiliation du contrat continuerait d'utiliser les oeuvres de la société ACTITUDES, et seulement pour la période d'exploitation postérieure à la résiliation du contrat. Cela signifie que pendant l'exécution du contrat, la cession était incluse dans le prix, et correspond tout à fait à la pratique suivie jusque-là par les parties.
La société KEOLIS a refusé de signer le contrat cadre qui lui a été proposé, ne voulant pas se lier exclusivement avec la société ACTITUDES. Son refus, dont il n'est pas allégué, et encore moins établi, qu'il était abusif, ne pouvait entraîner l'exigibilité de droits d'exploitation des créations de la société ACTITUDES, ni pour la période antérieure, ni pour la période postérieure d'exploitation. La solution contraire aboutirait à subordonner la cession gratuite des droits d'exploitation à une condition, l'exclusivité, qui n'a jamais été acceptée par KEOLIS. La société ACTITUDES n'est donc pas fondée à soutenir que celle-ci savait parfaitement que la contrepartie de la cession des droits était l'exclusivité.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé, et la société ACTITUDES déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la société KEOLIS.
PAR CES MOTIFS :
La Cour
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Déboute la société ACTITUDES de l'ensemble de ses demandes
Déboute la société KEOLIS de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la société ACTITUDES aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ceux-ci distraction au profit de la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués, sur affirmation de droit.