COUR D'APPEL DE LYON SIXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 20 MARS 2008
Décision déférée : Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON du 16 janvier 2007 (R. G. : 2005 / 15940)
No R. G. : 07 / 01052
Nature du recours : APPEL Affaire : Demande en réparation des dommages causés par des véhicules terrestres à moteur
APPELANTE :
COMPAGNIE D'ASSURANCES PACIFICA SA Siège social : 91 / 93 Boulevard Pasteur 75015 PARIS
avec établissement : Les Jardins d'Entreprise Bâtiment J 213 rue de Gerland 69007 LYON
représentée par la SCP JUNILLON- WICKY, Avoués assistée par Maître DANA, Avocat (TOQUE 215)
INTIMES :
Monsieur Benoit Y... Demeurant : ...
représenté par la SCP BAUFUME- SOURBE, Avoués assisté par Maître BERTHELON, Avocat (TOQUE 435)
CAF DE LYON Siège social : 67 Boulevard Vivier Merle 69409 LYON CEDEX 03 Non comparante
MGEL Siège social : 44 Cours Léopold 54042 NANCY
Non comparante MTRL Siège social : 126 / 128 rue Pierre Corneille 69421 LYON
Non comparante
CPAM DE LYON Siège social : 69907 LYON CEDEX 20
Non comparante
Instruction clôturée le 18 Janvier 2008
Audience de plaidoiries du 31 Janvier 2008
LA SIXIEME CHAMBRE DE LA COUR D'APPEL DE LYON,
composée lors des débats et du délibéré de :
. Monsieur MATHIEU, Président
. Madame DUMAS, Conseiller, qui a fait le rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
. Madame de la LANCE, Conseiller
assistés lors des débats tenus en audience publique par Madame CARRON, Greffier
a rendu le 20 MARS 2008 l'ARRET réputé contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour d'Appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile, signé par Monsieur MATHIEU, Président, et par Madame CARRON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Le 17 décembre 1999, Monsieur Benoît Y..., alors étudiant de 22 ans, a été victime d'un accident de la circulation en tant que passager transporté dans le véhicule conduit par un autre étudiant, assuré auprès de la Compagnie PACIFICA. Des provisions ont été versées et des expertises amiables ont été diligentées. Aucun accord amiable sur le montant des indemnisations n'a pu intervenir.
Monsieur Y... a sollicité et obtenu du tribunal de grande instance de Lyon statuant en référé, par ordonnance du 15 juin 2004, une indemnité provisionnelle de 13 000 € et la désignation d'un expert médical. Le Professeur B... a déposé son rapport le 5 août 2005.
Par actes des 24 et 25 octobre et 10 novembre 2005, Monsieur Y... a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Lyon la Compagnie PACIFICA, la CAF de Lyon, la MGEL, la MTRL et la CPAM de Lyon pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Par jugement du 16 janvier 2007, le tribunal a condamné la Compagnie PACIFICA à payer à Monsieur Y..., avec intérêts au taux légal à compter du jugement, la somme de 647 856, 75 € à titre de solde indemnitaire de son préjudice corporel et celle de 2 129 € en réparation de son préjudice matériel, a ordonné l'exécution provisoire des condamnations prononcées à hauteur de 250 000 €, a déclaré le jugement opposable à la CAF de Lyon, la MGE de Nancy, la MTRL et la CPAM de Lyon, a condamné la Compagnie PACIFICA à payer à Monsieur Y... la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a débouté Monsieur Y... du surplus de ses demandes.
La Compagnie PACIFICA a interjeté appel de ce jugement et, ses moyens et prétentions étant développés dans ses conclusions déposées le 20 novembre 2007, soutient que les demandes présentées par Monsieur Y... et auxquelles le tribunal a partiellement fait droit sont manifestement excessives, notamment en ce qui concerne la perte de chance au titre du préjudice professionnel.
La Compagnie PACIFICA demande à la Cour de réformer le jugement entrepris, de fixer l'indemnisation de Monsieur Y... à la somme de 4 761, 68 € pour les dépenses de santé actuelles, à celle de 6 000 € pour les pertes de gains professionnels actuels, à celle de 6 513 € pour le préjudice scolaire, à celle de 59 098 € au titre de son préjudice professionnel, à celle de 1 000 € pour le déficit fonctionnel temporaire, à celle de 8 800 € pour le pretium doloris, à celle de 18 000 € pour le déficit fonctionnel permanent et à celle de 1 800 € pour le préjudice esthétique, après déduction de la créance de l'organisme social, sous déduction de la provision de 34 949, 93 € et de la somme réglée au tire de l'exécution provisoire, de condamner Monsieur Y... à lui rembourser les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire et de statuer ce que de droit sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Y..., ses moyens et prétentions étant exposés dans ses conclusions déposées le 4 janvier 2008, a formé appel incident pour qu'il soit pleinement fait droit à ses prétentions et demande à la Cour de réformer partiellement le jugement entrepris et de condamner la Compagnie PACIFICA à lui payer la somme de 4 761, 68 € au titre des dépenses de santé actuelles, celle de 3 098, 19 € au titre de frais divers (frais de logement aux thermes, facture du bilan de compétence, achat d'un vélo et de mobiliers adaptés), celle de 15 000 € au titre de la perte de gains professionnels, celle de 26 813 € au titre du préjudice scolaire (montant de l'emprunt étudiant, remboursement des loyers à Nancy), celle de 1 266 850, 68 € ou de 876 255, 73 € ou de 624 385, 73 € au titre du préjudice professionnel (selon que l'on retient qu'il bénéficiera à l'avenir du seul RMI ou du revenu d'un employé ou d'une profession intermédiaire), celle de 6 000 € pour le déficit fonctionnel temporaire, celle de 13 900 € pour les souffrances endurées, celle 1 000 € pour le préjudice esthétique temporaire, celle de 20 805 € pour le déficit fonctionnel permanent, celle de 6 000 € pour le préjudice d'agrément et celle de 1 800 € pour le préjudice esthétique permanent, ainsi que celle de 5 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La CAF de Lyon, la MGEL, la MTRL et la CPAM de Lyon, n'ayant pas constitué avoué, ont été régulièrement assignées par actes délivrés à une personne habilitée et la CPAM de Lyon a fait connaître le montant de ses débours.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que le droit de Monsieur Y... à une indemnisation intégrale de ses préjudices résultant de l'accident du 17 décembre 1999 n'est pas contesté et n'est pas contestable ;
Que la Compagnie PACIFICA se trouve tenue de réparer l'ensemble des dommages subis directement par Monsieur Y... ;
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise médicale que Monsieur Y... a présenté, notamment, des grosses plaies du cuir chevelu et une fracture de la 7e vertèbre cervicale ainsi qu'un état d'obnubilation, qu'il a dû porter un collier cervical jusqu'à la fin du mois de février 2000 ; que la victime était âgée de 22 ans et débutait sa scolarité à l'école de commerce de Nancy lors de l'accident et était âgée de 26 ans au jour de la consolidation ; qu'ayant repris sa scolarité à temps partiel à compter du 5 mars 2000, il a pu passer dans l'année supérieure, mais que la poursuite de ses études a été difficile ; qu'il a été admis en 3e année avec des réserves mais qu'il a ensuite redoublé et a échoué ;
Que l'expert, fixant la date de consolidation au 17 décembre 2003, conclut à une incapacité temporaire totale (ITT) du 17 décembre 1999 au 5 mars 2000 puis du 11 avril au 1er novembre 2002, à une incapacité temporaire partielle (ITP) à 50 % du 6 mars au 30 juin 2000, à une incapacité permanente partielle (IPP) de 15 %, à un pretium doloris de 5/7 et à un préjudice esthétique de 2/7 ; qu'il retient l'existence d'un préjudice d'agrément lié à l'arrêt des activités sportives jusqu'à la date de consolidation, d'un préjudice scolaire lié à la non-obtention de son diplôme d'école de commerce et d'un préjudice professionnel lié aux conséquences de l'absence de ce diplôme ;
Attendu que pour fixer le montant de l'indemnisation due, il y a lieu d'appliquer la loi du 21 décembre 2006, dans son article 25, qui prévoit que les recours subrogatoires des tiers payeurs « s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel » ; qu'il y a lieu en conséquence de modifier la présentation des rubriques de préjudices en tenant compte de la nomenclature proposée dans le rapport Dintilhac en séparant les préjudices patrimoniaux et les préjudices extrapatrimoniaux ;
Attendu que l'indemnisation de Monsieur Y... doit être appréciée comme suit :
I- Sur les préjudices patrimoniaux :
A- Préjudices temporaires (avant consolidation) :
1o / Dépenses de santé actuelles :
Les frais médicaux et assimilés ont été pris en charge par la CPAM de Lyon à hauteur de 2 710, 12 € et des frais sont restés à la charge de la victime à hauteur de 4 761, 68 €.
2o / Frais divers :
Il y a lieu de retenir les frais d'hôtel pendant les cures justifiés pour 1 575 € et le coût du bilan de compétence réalisé justifié pour 800 €. L'achat d'un vélo et de mobiliers n'est pas justifié par un avis médical ou des attestations expliquant la nécessité de ces acquisitions. Ce poste s'élève donc à 2 375 €.
3o / perte de gains professionnels actuels :
Monsieur Y... étant étudiant à l'époque de l'accident ne justifie d'aucune perte de salaires pendant la période d'ITT. La demande formée dans le cadre de ce poste pour la perte de deux années scolaires sera examinée dans le cadre du préjudice scolaire.
B- Préjudices permanents (après consolidation) :
1o / préjudice scolaire :
- Il est établi par les pièces versées au dossier que Monsieur Y... a perdu au moins deux années scolaires en raison des séquelles dues à l'accident. Ce préjudice sera indemnisé par l'allocation d'une somme de 14 000 €.
- Monsieur Y... établit avoir souscrit un emprunt pour régler le coût de sa scolarité à l'école de commerce de Nancy, scolarité qu'il n'a pu mener à son terme, n'ayant pu obtenir le diplôme de l'école. Le montant de l'emprunt constitue bien une perte financière devant être indemnisée à hauteur de 19 540, 05 €. Ce poste s'élève donc à 33 540, 05 €.
2o / préjudice professionnel :
Ce préjudice est certain. Les éléments du dossier, contrairement aux allégations de la Compagnie PACIFICA, démontrent que les chances de réussite de Monsieur Y... à son école de commerce étaient très sérieuses, qu'il a donc perdu la chance, avec une très forte probabilité, d'avoir un emploi de cadre supérieur, et que la diminution de ses capacités intellectuelles, si elle ne l'empêche pas de trouver un emploi d'employé, ne lui permettent pas d'espérer beaucoup mieux. Les difficultés rencontrées dans les quelques emplois exercés confirment cette analyse. La perte de chance subie par Monsieur Y... peut être retenue comme équivalente à la différence de revenus entre ceux d'un cadre supérieur, retenus à hauteur de 36 000 € net par an, et ceux d'un employé, équivalent à un SMIC, retenus à hauteur de 12 000 € net par an, après capitalisation selon l'euro de rente viagère pour un homme de 26 ans, au barème Lambert-Faivre. Soit (36 000 – 12 000) x 24, 989 = 599 736 €, somme arrondie à 600 000 €.
II- Sur les préjudices extrapatrimoniaux :
A- Préjudices temporaires :
1o / Déficit fonctionnel temporaire (ancienne « gêne dans les actes de la vie courante » subie pendant l'incapacité) : Sur la base de 530 € par mois, soit 9 mois et 8 jours d'ITT et 3 mois et 25 jours d'ITP à 50 %, soit 4 911, 33 + 1015, 83 = 5 927, 16 €, somme arrondie à 6 000 €.
2o / Souffrances endurées : Poste de préjudice évalué à 5/7, soit 13 900 €.
3o / Préjudice esthétique temporaire : Il ressort de l'expertise que Monsieur Y... a présenté de grosses plaies du cuir chevelu ayant dû être suturées et a donc eu un préjudice esthétique particulier avant consolidation. En revanche, le port d'un collier cervical a été indemnisé dans le poste précédent du déficit fonctionnel temporaire. Ce préjudice sera indemnisé par une somme de 500 €.
B- Préjudices permanents :
1o / déficit fonctionnel permanent (ancienne IPP) : Chiffré à 15 % par l'expert, sur la base de 1 387 € le point, soit 20 805 €.
2o / Préjudice d'agrément : L'expert a limité ce préjudice dans le temps. Une indemnité sera accordée à hauteur de 3 000 €.
3 o / Préjudice esthétique : Ce poste a été évalué à 2/7, justifiant une indemnité de 1 800 €.
Attendu qu'après déduction des provisions de 34 949, 93 €, la Compagnie PACIFICA doit être condamnée à verser à Monsieur Y... la somme de 651 731, 80 € au titre de l'ensemble de ses préjudices ; que les sommes versées au titre de l'exécution provisoire devront être déduites de ce montant ;
Attendu qu'il ne paraît pas équitable de laisser à la charge de Monsieur Y... l'ensemble des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il lui sera alloué une somme complémentaire de 1 500 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Réforme partiellement le jugement entrepris,
Statuant à nouveau sur l'ensemble des demandes,
Dit que la Compagnie PACIFICA est tenue d'indemniser le préjudice de Monsieur Benoît Y... subi suite à l'accident du 17 décembre 1999,
Condamne la Compagnie PACIFICA à verser à Monsieur Y..., après déduction des provisions de 34 949, 93 €, la somme de 651 731, 80 € au titre de l'ensemble de ses préjudices,
Dit que les sommes versées par la Compagnie PACIFICA au titre de l'exécution provisoire devront être déduites des indemnités ainsi fixées,
Déclare le présent arrêt commun et opposable à la CAF de Lyon, à la MGEL, à la MTRL et à la CPAM de Lyon,
Condamne la Compagnie PACIFICA à payer à Monsieur Y... la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, comprenant celle déjà accordée par le premier juge,
Condamne la Compagnie PACIFICA aux entiers dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise judiciaire et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP BAUFUME et SOURBE, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.