R.G : 06 / 03707
décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
JAF
RG : 2003 / 8060
du 10 avril 2006
Cab 3
TROUDI
C /
M'CHIRGUI
COUR D'APPEL DE LYON
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
Section A
ARRÊT DU 25 Juillet 2007
APPELANTE :
Madame Mounira X... épouse Y...
...
69130 ECULLY
représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour
assistée de Me SORLIN, avocat au barreau de LYON
INTIME :
Monsieur Abdelmajid Y...
...
69130 ECULLY
représenté par Me DE FOURCROY, avoué à la Cour
assisté de Me PREVOT SAILLER, avocat au barreau de LYON
En présence du Ministère public, représenté par Monsieur RICARD, substitut général
Instruction clôturée le 22 Mai 2007
Audience de plaidoiries du 22 Mai 2007
LA DEUXIEME CHAMBRE, section A, DE LA COUR D'APPEL DE LYON,
composée lors des débats et du délibéré de :
Présidente : Maryvonne DULIN,
Conseillère : Michèle RAGUIN-GOUVERNEUR,
Conseillère : Patricia MONLEON,
Greffière : Anne-Marie BENOIT pendant les débats en audience non publique uniquement.
A l'audience, Madame DULIN a fait le rapport conformément à l'article 785 du NCPC.
ARRET : Contradictoire
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Maryvonne DULIN, présidente et par Anne-Marie BENOIT, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Madame Mounira X... épouse Y... et Monsieur Abdelmajid Y... ont contracté mariage le 22 septembre 1983 à Tunis (Tunisie) sans contrat préalable.
Trois enfants sont issus de cette union :
-Noura, née le 10 janvier 1986, majeure
-Anouar, né le 23 octobre 1987, majeur
-Tarek, né le 6 mai 1990.
En vertu de l'ordonnance de non conciliation du 1er mars 2004, Monsieur Y... a assigné son épouse en divorce le 29 avril 2007, en application de l'article 242 du Code civil.
Par jugement du 10 avril 2006, le juge aux affaires familiales du TGI de Lyon a notamment :
-Prononcé le divorce aux torts exclusifs de Madame X...
-Constaté que les parents exercent en commun l'autorité parentale, fixé la résidence de l'enfant mineur chez le père, organisé un droit de visite de la mère en un lieu médiatisé un samedi après-midi sur deux, ce, avec l'accord de l'adolescent
-Déchargé la mère de contribution à l'entretien des enfants en raison de l'insuffisance de ses ressources
-Condamné Madame X... aux dépens
Madame X... a relevé appel de ce jugement le 13 juin 2006.
Vu ses prétentions et moyens développés dans ses conclusions déposées le 16 mai 2007 tendant notamment à l'inopposabilité du jugement de divorce prononcé en Tunisie le 14 mai 1990, au rejet de la demande en divorce de Monsieur Y..., au prononcé du divorce aux torts exclusifs de ce dernier, à la confirmation des dispositions du jugement sur les enfants sauf à organiser le droit de visite et d'hébergement pour Tarek de manière amiable à son domicile et à fixer une pension alimentaire de 150 € à la charge de Monsieur Y... pour l'enfant Noura qui vivrait de fait chez sa mère, à la fixation d'une prestation compensatoire mensuelle à son profit de 150 €, et à la condamnation de l'intimé aux entiers dépens.
Vu les moyens et prétentions développés par Monsieur Y... dans ses conclusions déposées le 11 mai 2007 tendant notamment à l'opposabilité du jugement de divorce prononcé en Tunisie le 14 mai 1990, à la fixation d'une pension alimentaire mensuelle de 250 € pour les enfants Tarek et Anouar, indexée sur l'indice de la consommation INSEE, à la condamnation de l'appelante aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'opposabilité du jugement de divorce prononcé en Tunisie le 14 mai 1990
Attendu que la transcription d'un jugement tunisien de divorce sur les actes de l'état civil constitue une mesure de publicité et non d'exécution, qu'elle ne préjuge pas de l'opposabilité du jugement sur le territoire français, qui relève de l'office du juge.
Attendu que la convention franco-tunisienne relative à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires, en date du 28 juin 1972 et entrée en vigueur le 1er janvier 1974, prévoit en ses articles 15,16 et 22 combinés diverses conditions cumulatives, nécessaires à l'opposabilité sur le territoire français d'une décision tunisienne de divorce. Qu'il ressort notamment de ces dispositions que :
-La décision doit émaner d'une juridiction compétente au sens de l'article 16 de la Convention, ce qui est le cas en l'espèce, puisque les parties ont acquis la nationalité française, par décrets de naturalisation du 9 octobre 1991 et du 20 octobre 2004, postérieurement à la saisine des juridictions tunisiennes.
-La partie succombante a comparu ou a été régulièrement citée, l'auteur de la demande de reconnaissance devant produire une copie authentique de l'acte introductif d'instance adressée au défendeur lorsque celui-ci n'a pas comparu. Le certificat de citation et la convocation pour une audience, versés au dossier et certifiés conformes, démontrent que Madame X..., partie défaillante, a été régulièrement citée.
-La décision n'est plus susceptible de recours ordinaire et est susceptible d'exécution dans l'Etat d'origine.L'auteur de la demande de reconnaissance doit, à ce titre, produire :
* Une expédition authentique de la décision, selon les règles de l'Etat d'origine. Monsieur Y... ne satisfait pas à cette condition puisqu'il ne produit qu'une copie certifiée conforme du jugement.
* L'original de l'exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui tient lieu de signification. Aucune pièce de cette nature n'est versé au dossier par l'intéressé.
* Un document du greffe de la juridiction constatant qu'il n'existe contre la décision ni opposition, ni appel. Ce document n'est pas produit par l'intéressé.
* Une traduction certifiée conforme de tous ces documents. Une telle traduction manque au dossier en ce qui concerne l'exploit de signification et le certificat du greffe.
-La décision ne contient rien de contraire à l'ordre public international français. Attendu que l'article 5 du protocole no7 additionnel de la Convention européenne des droits de l'Homme consacre l'égalité des époux, que Madame X... a constamment entretenu des liens de proximité avec la France, puisqu'elle était domiciliée en France au moment où le juge tunisien a statué, qu'elle l'est encore aujourd'hui et que, de surcroît, elle a acquis la nationalité française. Attendu que la législation tunisienne antérieure à la réforme du 12 juillet 1993 instituait une inégalité de droits entre époux en décidant, aux termes de l'article 23 du Code du statut personnel, que le mari, chef de famille, avait pouvoir de fixer le domicile conjugal et de le déplacer, la femme devant respecter les prérogatives de l'époux et devant le suivre. Attendu que le jugement de divorce prononcé le 14 mai 1990 contrevient aux dispositions de l'ordre public international français en estimant que « la défenderesse n'a aucun motif légal pour quitter le domicile conjugal et elle est tenue de rester avec son époux là ou il est surtout qu'elle n'a pas la charge de sa famille ».
Attendu, en conséquence, que le jugement de divorce prononcé par les juridictions tunisiennes le 14 mai 1990, doit être déclaré inopposable sur le territoire français.
Sur le prononcé du divorce
Attendu que les deux parties établissant qu'elles sont domiciliées en France, que la résidence de l'enfant mineur est fixé chez le père, le juge français est compétent territorialement et il applique la loi française, en vertu des articles 1070 du Nouveau Code de procédure civile et 309 du Code civil.
Attendu que Monsieur Y... ne sollicite plus le divorce en appel, même à titre subsidiaire. Attendu que Madame X... sollicite le divorce aux torts exclusifs de son époux, en invoquant, au titre des violations graves et renouvelées des devoirs et obligations du mariage rendant intolérables le maintien de la vie commune, la procédure de divorce intentée en Tunisie en fraude de ses droits qui équivaudrait à une répudiation, l'adultère consécutif à l'inopposabilité du divorce prononcé en Tunisie et le comportement du père qui aurait amené ses enfants à rompre leurs relations avec leur mère.
Attendu, en ce qui concerne ses relations avec les enfants que la requérante n'apporte pas d'élément de preuve étayant ses affirmations.
Attendu que si adultère il y a, l'appelante ne démontre pas en quoi il a provoqué la rupture de la vie commune étant donné que le remariage du mari a eu lieu en 2005 et que les parties sont séparées depuis 1990 ; qu'elle n'explique pas les circonstances de son départ du domicile conjugal ; qu'elle n'établit pas qu'il existe de la part du mari une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune ; que la demande n'est pas fondée ; qu'il convient de la rejeter ;
Sur l'amende civile
Attendu, au terme de l'article 32-1 du Nouveau Code de procédure civile, que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile n'excédant pas 3 000 €.
Attendu que Monsieur Y... a requis le divorce des juridictions tunisiennes en 1990, qu'il a, à nouveau pris l'initiative d'une procédure de divorce devant les juridictions françaises en 2007 et, qu'en appel, il se prévaut du jugement tunisien pour obtenir des juridictions françaises que, finalement, elles se déclarent incompétentes. Attendu que pour justifier la procédure entreprise devant les juges français, Monsieur Y... déclare, dans ses écritures, que c'est par suite « d'un malentendu » qu'une nouvelle procédure de divorce a été intentée. Attendu que ce « malentendu » constitue au mieux une erreur grave équipollente au dol, au pire une fraude au jugement, qu'il n'est pas admissible de profiter de ses liens avec la France et la Tunisie pour obtenir un divorce à son avantage strictement personnel en violation des règles de la compétence internationale, des principes de base de l'autorité de la chose jugée, ainsi que de la courtoisie internationale, ce, d'autant plus, que tout en arguant de l'incompétence des juridictions françaises, Monsieur Y... réclame encore une pension alimentaire selon les règles du droit français.
Attendu qu'en conséquence, Monsieur Y... est condamné à une amende civile de 300 €.
Sur les dépens
Attendu que l'article 696 alinea 2 du Nouveau Code de procédure civile permet de mettre à la charge de la partie qui n'a pas succombé la totalité ou une fraction des dépens par décision motivée.
Attendu que Monsieur Y... a, par son comportement procédural abusif ayant justifié le prononcé d'une amende civile, démontré qu'il était peu soucieux de générer des dépens ; qu'au vu des éléments du dossier, il convient de dire que Monsieur supportera les dépens ;
Par ces motifs,
La Cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Déclare inopposable le jugement de divorce prononcé par les juridictions tunisiennes le 14 mai 1990,
Ordonne la rectification des actes de l'état civil,
Déboute Madame X... de sa demande en divorce,
Condamne Monsieur Y... à une amende civile de 300 €,
Condamne Monsieur Y... aux dépens qui seront recouvrés par les avoués conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,