R.G : 05/05142
décision du Tribunal de Grande Instance de LYON
au fond du 04 juillet 2005
RG No2003/8170
X...
X...
X...
C/
CENTRE HOSPITALIER SAINT JEAN DE DIEU
CPAM DE LYON
COUR D'APPEL DE LYON
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 30 NOVEMBRE 2006
APPELANTS :
Monsieur Jean-Noël X...
...
69360 COMMUNAY
représenté par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET
avoués à la Cour
assisté de la SCP DUFOUR-HARTEMANN-MARTIN-
PALAZZOLO, avocats au barreau de LYON
Monsieur Aymeric X...
...
69360 COMMUNAY
représenté par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET
avoués à la Cour
assisté de la SCP DUFOUR-HARTEMANN-MARTIN-
PALAZZOLO, avocats au barreau de LYON
Monsieur Cyril X...
...
88300 NEUFCHATEAU
représenté par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET
avoués à la Cour
assisté de la SCP DUFOUR-HARTEMANN-MARTIN-
PALAZZOLO, avocats au barreau de LYON
INTIMEES :
CENTRE HOSPITALIER SAINT JEAN DE DIEU
...
69373 LYON CEDEX 08
représentée par la SCP LIGIER DE MAUROY- LIGIER
avoués à la Cour
assistée de Me DEYGAS
avocat au barreau de LYON
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE
(C.P.A.M. ) DE LYON
102 rue Masséna
69006 LYON
DEFAILLANTE
L'instruction a été clôturée le 12 Juin 2006
L'audience de plaidoiries a eu lieu le 25 Octobre 2006
L'affaire a été mise en délibéré au 30 Novembre 2006
1 RG : 2005/5142
La première chambre de la cour d'appel de Lyon,
composée, lors des débats et du délibéré, de :
Monsieur ROUX, conseiller,
Monsieur GOURD, conseiller, ayant fait le rapport à l'audience conformément à l'article 785 du nouveau code de procédure civile,
qui ont tenu à deux l'audience (sans opposition des avocats dûment avisés) et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré,
Monsieur VOUAUX-MASSEL, président,
en présence, lors des débats en audience publique, de Madame JANKOV, greffier,
a rendu l'arrêt réputé contradictoire suivant,
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile,
signé par Monsieur VOUAUX-MASSEL, président, et par Madame JANKOV, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE:
Le 26 janvier 1996, Madame Annie Z... épouse X..., née le 14 octobre 1951, à la suite d'une bouffée délirante, était hospitalisée d'urgence au centre hospitalier Saint Jean de Dieu.
A la suite de nombreux actes d'automutilation, elle était placée en isolement avec contention.
Le 1er février 1996, à 17 heures 20, elle décédait d'un arrêt cardio-circulatoire ou d'un collapsus cardio-vasculaire.
Les proches de la défunte déposaient plainte avec constitution de partie civile pour homicide involontaire devant le juge d'instruction de Lyon. Une ordonnance de non-lieu était rendue et un arrêt de la chambre d'instruction du 14 mars 2003 confirmait cette décision.
Les 26 et 27 juin 2003, Monsieur Jean Noël X..., mari de la défunte, et leurs deux enfants, Aymeric et Cyril X..., faisaient assigner devant le tribunal de grande instance de Lyon le centre hospitalier Saint Jean de Dieu et la Caisse primaire d'assurance maladie de Lyon.
Ils demandaient que soit retenue la responsabilité de l'établissement hospitalier dans le décès de Madame Annie Z... épouse X..., et réclamaient l'indemnisation de leurs préjudices.
Le centre hospitalier Saint Jean de Dieu s'est opposé à ces demandes.
Par jugement du 4 juillet 2005, le tribunal de grande instance de Lyon a :
- déclaré la décision commune et opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie de Lyon,
- dit que le centre hospitalier Saint Jean de Dieu n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle,
- débouté Messieurs Jean Noël, Aymeric et Cyril X... de l'ensemble de leurs prétentions à l'encontre du centre hospitalier Saint Jean de Dieu,
- débouté le centre hospitalier Saint Jean de Dieu de ses demandes en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- condamné Messieurs Jean Noël, Aymeric et Cyril X... aux dépens.
¤
Messieurs Jean Noël, Aymeric et Cyril X... ont relevé appel de cette décision.
¤
Ils demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de constater que le centre hospitalier Saint Jean de Dieu a commis plusieurs fautes en lien direct avec le décès de Madame Annie Z... épouse X..., et de le condamner, en conséquence, à payer :
- à Monsieur Jean Noël X..., 30.500 euros de préjudice moral et 205.382 euros 31 de préjudice économique,
- à Monsieur Aymeric X..., 23.000 euros de préjudice affectif et 32.912 euros 36 de préjudice économique,
- à Monsieur Cyril X..., 20.000 euros de préjudice affectif et 19.492 euros 52 de préjudice économique,
outre intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir jusqu'au parfait règlement.
Ils sollicitent également la condamnation du centre hospitalier Saint Jean de Dieu aux entiers dépens et à leur payer 3.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
A l'appui de leur recours, ils font valoir, essentiellement, que le centre hospitalier a manqué à son obligation de surveillance et de soins consciencieux, qu'il est, en effet, établi que le décès de Madame Annie Z... épouse X... est dû à un surdosage médicamenteux et que, si Madame Annie Z... épouse X... avait fait l'objet de surveillance et de soins attentifs, l'intoxication médicamenteuse aurait été relevée avant qu'elle n'entraîne le décès de cette dernière.
Ils ajoutent que le centre hospitalier était tenu d'une obligation de sécurité, obligation de moyen renforcée, et qu'il lui incombait de prendre toute mesure nécessaire pour assurer la sécurité de la patiente.
Ils indiquent que leurs demandes d'indemnisation sont parfaitement justifiées et relèvent que Madame Annie Z... épouse X..., qui travaillait et percevait des revenus, est décédée à l'âge de 44 ans, laissant à la seule charge financière de son mari leurs deux enfants, âgés alors respectivement de 14 et 21 ans.
¤
Le centre hospitalier Saint Jean de Dieu demande de rejeter les prétentions des appelants, de confirmer le jugement entrepris et de condamner les appelants aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer 1.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
*
Il expose que l'on ne peut pas déduire la faute du dommage, que, en l'espèce, aucune faute n'est démontrée à son encontre, que l'erreur de prescription a été écartée par les experts et qu'aucun défaut de surveillance n'est, en fait, démontré.
Il relève que les dispositions des lois du 4 mars et du 9 septembre 2002 ne sont pas en l'espèce applicables puisque Madame Annie Z... épouse X... est décédée antérieurement, le 1er février 1996.
Il ajoute que les prétentions financières des appelants sont, au surplus, excessives.
¤
La Caisse primaire d'assurance maladie de Lyon a été assignée le 18 janvier 2006 à une personne habilitée. Elle n'a pas constitué avoué.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu qu'il n'est pas contesté que Madame Annie Z... épouse X..., née le 14 octobre 1951, à la suite d'une bouffée délirante, était hospitalisée d'urgence, le 26 janvier 1996, au centre hospitalier Saint Jean de Dieu ;
que, à la suite de nombreux actes d'automutilation, elle était placée en isolement avec contention ;
que, le 1er février 1996, à 17 heures 20, elle décédait d'un arrêt cardio-circulatoire ou d'un collapsus cardio-vasculaire ;
qu'il résulte du rapport d'autopsie, comprenant le rapport d'expertise toxicologique, qu'il existait une forte présomption pour rattacher le décès de cette dernière à un surdosage en psychotropes et en particulier en Zuclopentixol et qu'il était nécessaire pour l'affirmer de confronter les données cliniques du dossier médical établi lors de l'hospitalisation;
qu'il existait, en effet, dans le corps de la défunte des taux élevés de Zuclopentixol, médicament neuroleptique indiqué dans le traitement des états psychotiques avec agitation et hallucinations ;
que ces taux étaient aux environ de six fois la dose thérapeutique et au double de la dose toxique ;
que l'intoxication aiguë aux neuroleptiques est responsable de dépression des fonctions cardiaque, respiratoire et neurologique ;
qu'il résulte de l'expertise diligentée au cours d'une information pénale et confiée à Messieurs les professeurs Brion et Fournier que « la concentration sanguine observée en post-mortem du Clopixol ne correspond pas de façon claire aux prescriptions retrouvées dans le dossier » et qu'il « existe une situation paradoxale puisque les prescriptions n'expliquent pas l'ensemble des concentrations sanguines effectivement mesurées en post-mortem » ;
que cette appréciation est à rapprocher du fait que, selon ce que précise le Centre hospitalier Saint Jean de Dieu lui-même dans son courrier du 20 octobre 1998, « la surveillance dont a bénéficié Madame Annie X... pendant son hospitalisation n'a pu lui permettre ni de se procurer elle-même d'autres médicaments, ni d'accroître de sa propre initiative les doses prescrites » ;
que la seule explication donnée par les experts précités sur le fait que Madame Annie X... ait eu dans le sang une concentration médicamenteuse supérieure à celle prescrite, est « une confusion entre la forme d'action immédiate et la forme d'action retard du Clopixol » ;
que, si cette confusion ne permet pas, comme le précise les experts, de retenir une malveillance du personnel médical, elle établit bien l'erreur de ce dernier et, en conséquence, la faute du Centre hospitalier Saint Jean de Dieu qui a manqué à son obligation de sécurité ;
que, au surplus, les constatations du dossier infirmier sur « le jaunissement » de la patiente peu avant son décès corroborent une étiologie hépatique, l'association des médicaments ayant pu, selon le docteur B..., entraîner une augmentation des doses circulantes dans le corps de la patiente par défaut d'élimination ;
que la cour relève qu'il n'y a pas eu pour autant d'examens biologiques d'ordonner pour explorer la fonction hépatique ;
que le défaut de surveillance du Centre hospitalier Saint Jean de Dieu est ainsi également établi ;
que le Centre hospitalier Saint Jean de Dieu, qui a manqué à ses obligations de sécurité et de surveillance, est responsable du décès de Madame Annie X... et du préjudice qui en résulte pour les demandeurs ;
qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris et, retenant la responsabilité du Centre hospitalier Saint Jean de Dieu dans le décès de Madame Annie X..., de condamner ce dernier à payer, au vu des éléments d'appréciations régulièrement produits, de l'âge de la victime et de celui des enfants :
- pour le préjudice économique, retenant que le décès a occasionné une diminution des ressources de la famille qui résulte de la perte des revenus apportés par cette dernière (18.154 euros 54 par an), tenant compte du barème produit (pièce no 14), de l'âge de la défunte, de celui du mari et des enfants à charge jusqu'à 25 ans :
o à Jean X... : 18.154, 54 x 40/100 x13, 770 = 99.995 euros en capital,
o à Aymeric X... : 18.154, 54x15/100x9,415 = 25.638 euros en capital,
o à Cyril X... : 18.154, 54x15/100x3, 812 = 10.380 euros en capital,
- pour le préjudice moral :
o à Jean X... : 20.000 euros,
o à Aymeric X... : 20.000 euros,
o à Cyril X... : 20.000 euros
qu'il y a lieu de condamner le Centre hospitalier Saint Jean de Dieu à payer 2.000 euros à l'ensemble des appelants en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, pour la procédure d'appel ;
attendu que la partie qui perd son procès doit supporter les entiers dépens de ce dernier ;
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau :
Dit que le Centre hospitalier Saint Jean de Dieu, en manquant à ses obligations de sécurité et de surveillance, a commis une faute à l'origine du décès de Madame Annie X...,
Déboute le Centre hospitalier Saint Jean de Dieu de ses prétentions contraires.
Condamne le Centre hospitalier Saint Jean de Dieu à payer en réparation du préjudice subi par eux par suite de ce décès :
- à Monsieur Jean X... 99.995 euros de préjudice économique et 20.000 euros de préjudice moral,
- à Monsieur Aymeric X... 25.638 euros de préjudice économique et 20.000 euros de préjudice moral,
- à Monsieur Cyril X... 10.380 euros de préjudice économique et 20.000 euros de préjudice moral.
Déboute chacune des parties du surplus de ses demandes.
Condamne le Centre hospitalier Saint Jean de Dieu à payer au total 2.000 euros à Messieurs Jean, Aymeric et Cyril X... en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, pour la procédure d'appel.
Dit la présente décision commune et opposable à la CPAM de Lyon.
Condamne le Centre hospitalier Saint Jean de Dieu aux dépens de première instance et d'appel.
Autorise l'avoué de ses adversaires à recouvrer directement contre lui les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.
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LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré :
Président : Monsieur VOUAUX-MASSEL
Conseiller : Monsieur ROUX
Conseiller : Monsieur GOURD
Greffier : Mme JANKOV pendant les débats uniquement
A l'audience GOURD a fait le rapport conformément à l'article 785 du NCPC.
ARRET : réputé contradictoire
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile ;
signé par Monsieur VOUAUX-MASSEL, président et par Madame.JANKOV, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.