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10/04/2006 | FRANCE | N°JURITEXT000006950255

France | France, Cour d'appel de Lyon, Ct0107, 10 avril 2006, JURITEXT000006950255


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLEGIALE R.G : 04/06341 SAS ADECCO C/ X... Y... APPEL D'UNE DECISION DU : Conseil de Prud'hommes de LYON du 09 Septembre 2004 RG : 02/04662 COUR D'APPEL DE LYON CHAMBRE SOCIALE - A ARRÊT DU 10 AVRIL 2006 APPELANTE : SAS ADECCO 4 rue Louis Guérin 69100 VILLEURBANNE représentée par Me Alain DUMAS, avocat au barreau de LYON (257) INTIMEE : Madame Véronique X... Y... 5 rue André-Marie Ampère 69410 CHAMPAGNE AU MONT D' OR comparant en personne, assistée de Me Laurence JUNOD-FANGET, avocat au barreau de LYON (361)

PARTIES CONVOQUEES LE : 24 Juin 2005 DEBATS EN

AUDIENCE PUBLIQUE DU :

27 Février 2006 COMPOSITION DE LA CO...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLEGIALE R.G : 04/06341 SAS ADECCO C/ X... Y... APPEL D'UNE DECISION DU : Conseil de Prud'hommes de LYON du 09 Septembre 2004 RG : 02/04662 COUR D'APPEL DE LYON CHAMBRE SOCIALE - A ARRÊT DU 10 AVRIL 2006 APPELANTE : SAS ADECCO 4 rue Louis Guérin 69100 VILLEURBANNE représentée par Me Alain DUMAS, avocat au barreau de LYON (257) INTIMEE : Madame Véronique X... Y... 5 rue André-Marie Ampère 69410 CHAMPAGNE AU MONT D' OR comparant en personne, assistée de Me Laurence JUNOD-FANGET, avocat au barreau de LYON (361)

PARTIES CONVOQUEES LE : 24 Juin 2005 DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU :

27 Février 2006 COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE : Madame Françoise Z..., Présidente Madame Claude MORIN, Conseiller Madame Anne Marie DURAND, Conseiller Assistées pendant les débats de Madame Marie-France A..., Greffier. ARRET : CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement le 10 Avril 2006, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Signé par Madame Françoise Z..., Présidente, et par Madame Marie-France A...,

Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. EXPOSE DU LITIGE

Véronique X... Y... a été engagée par la société ADECCO le 3/8/1998 en qualité de chef de projet-conduite de projets au sein de la direction des systèmes d'information. A compter de janvier 2001, elle a été promue Responsable des Etudes et Développement. Au dernier état de sa collaboration, sa rémunération mensuelle moyenne s'élevait à 4 509.95 ç. Placée en arrêt-maladie à compter du 31/1/2002 pour un "syndrome dépressif réactionnel à un stress professionnel intense", elle a été licenciée le 24/9/2002 en raison des perturbations engendrées par son indisponibilité rendant nécessaire son remplacement définitif.

Se plaignant de conditions de travail anormales, constitutives de harcèlement moral, Véronique X... Y... a saisi le Conseil de Prud'hommes de Lyon, qui, dans sa décision rendue le 9/9/2004, a prononcé la nullité du licenciement et a condamné la société ADECCO à lui verser les sommes suivantes:

- dommages-intérêts : 90 000 ç,

- rappel de salaire : 1 780.53 ç,

- article 700 du NCPC : 1 000 ç.

L'employeur a relevé appel de ce jugement.

Dans ses conclusions écrites, reprenant ses observations orales,

reçues par le greffe le 21/2/2006, la société ADECCO demande l'infirmation du jugement. Elle soutient que la salariée n'établit pas avoir été victime de faits de harcèlement dans le cadre de son travail rendant intolérables le maintien du lien contractuel et justifiant la rupture aux torts de son employeur. Elle considère que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse consistant dans la prolongation de son arrêt de travail incompatible avec l'importance de ses fonctions et la nécessité de la continuité du service. Elle conclut au rejet de toutes les demandes de Véronique X... Y... et sollicite la restitution des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire. Elle réclame la somme de 2 000 ç en application de l'article 700 du NCPC.

Dans ses écritures venant au soutien de ses observations orales, reçues par le greffe le 21/2/2006, Véronique X... Y... demande la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués, et réclame à ce titre la somme de 162 358.20 ç. Subsidiairement, dans le cas où le licenciement est déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse, elle réclame, en plus de la même somme à titre de dommages-intérêts, une indemnité compensatrice de préavis de 13 529.85 ç, outre l'indemnité compensatrice de congés payés afférente. Elle sollicite le paiement de la somme de 3 000 ç en application de l'article 700 du NCPC. DISCUSSION

Sur le harcèlement moral:

Les faits dont se plaint Véronique X... Y... sont décrits dans la lettre du 6/6/2002 qu'elle a adressée au PDG de la société ADECCO. Cette lettre, qui constitue la pièce essentielle de son dossier, peut être résumée ainsi qu'il suit:

- après avoir informé son employeur qu'elle souffre d'une grave dépression due à un traumatisme causé par une relation abusive de la part de son responsable hiérarchique, Frédéric B..., elle indique

que dès son embauche, le projet de passage à l'an 2000 lui a été confié, qu'elle avait carte blanche et qu'au prix d'un travail personnel colossal elle a réussi cette mission;

- pendant l'année 2000, elle a été chargée en plus de la direction du projet euro de la création du département études et développement informatiques; le système d'information étant vétuste et non documenté , elle s'est retrouvée seule face à une mission impossible, Frédéric B... étant plus préoccupé par les enjeux du futur (le programme HORIZON dont il est le directeur) que par la bonne marche de l'existant. Ses alertes orales étant restées vaines, elle lui a adressé le 15/1/2001 un message intitulé "alerte rouge" (pièce 4 de son dossier) dans lequel elle dressait un tableau des tâches qu'elle était en mesure d'assumer et de celles qu'elle ne pouvait pas assumer.

- ce "mémo" qui était un appel au secours a provoqué le basculement de sa relation avec Frédéric B... dans l'horreur. Elle considère que ce dernier n'a alors fait que l'accabler de reproches, et lui montrer son insatisfaction au point qu'elle n'osait plus parler, ni évoquer le moindre problème;

- Frédéric B... lui a proposé un "coaching" avec un intervenant au cours duquel elle s'est largement exprimée sur ses difficultés à travailler dans un contexte de reproches et contradictions perpétuels, sur le problème de sa charge de travail lié à la fois au cumul de ses mandats, à l'absence de priorités, et au niveau d'exigences de son patron;

- après avoir révélé ainsi ses difficultés, la machine à broyer est passée au régime supérieur, en plus des reproches, Frédéric B... a utilisé d'autres techniques de déstabilisation: communication indirecte...atteintes personnelles...menaces...isolement...abus de pouvoir...allusions...contradictions...disqualifications..., la

salariée relatant sous ces différentes rubriques des paroles ou des faits qu'elle a ressentis comme blessants et qui ont abouti à son effondrement au travail le 16/10/2001.

Véronique X... Y... considère que son employeur lui a montré qu'il cautionnait les agissements de Frédéric B... en ne répondant pas à sa lettre du 6/6/2002, et en ne prenant aucune initiative pour mettre fin à la situation dénoncée.

Elle produit les avis des différents médecins auxquels elle a eu recours (docteurs KOSSOWSKY, TELL), ainsi que l'expertise du Dr C... demandée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie, qui reconnaissent tous qu'elle présente des troubles anxieux graves imputables à l'exercice professionnel, compatibles avec l'hypothèse d'un harcèlement moral, alors qu'elle ne présente pas d' antécédent psychiatrique et qu'aucun facteur déclenchant ou favorisant n'a été décelé.

Concernant les faits à l'origine de son état, elle produit un seul témoignage émanant de Mr BOUTET, qui indique avoir réalisé pour elle entre octobre 2000 et début 2002 différentes expertises, et avoir constaté que ses relations avec son supérieur hiérarchique se dégradaient: "je la voyais sortir abattue du bureau de Frédéric B... et elle me faisait part quelquefois de son désarroi ...j'ai pu constater l'importante charge de travail de Véronique X... Y... liée à un cumul de responsabilités...au début de l'année 2002, des informations circulaient indiquant qu'elle allait être remplacée ...le nom de son remplaçant, Mr D..., avait été mentionné".

La Cour relève que Véronique X... Y... a exercé avec succès les fonctions importantes qui étaient les siennes au sein de la DSI de la société ADECCO et qu'après avoir obtenu la direction du service études et développement, elle a estimé qu'elle n'était pas en mesure

de réaliser toutes les tâches qui étaient les siennes; qu'elle a informé son supérieur hiérarchique en lui adressant le message "alerte rouge" dont la conclusion n'était cependant pas alarmante:

"...j'identifie là un problème structurel que nous ne pourrons résoudre qu'en accélérant la mise en place d'une équipe compétente et bien dimensionnée. Mais cela demande du temps..."; qu'elle a également fait part au médecin du travail, qui a procédé à son examen le 12/1/2001 dans le cadre de la visite annuelle et qui a délivré un avis d'aptitude, d'une charge de travail importante avec des difficultés d'adaptation (troubles somatiques); qu'en septembre 2001, elle a encore adressé à Frédéric B... un tableau détaillé de ses charges correspondant à 80 heures de travail par semaine; que placée en arrêt de travail du 16 octobre au 18 novembre 2001, elle a été de nouveau arrêtée le 31/1/2002 et n'a plus été en mesure de reprendre son travail avant son licenciement.

L'existence d'une situation de surmenage, qui n'est pas contestable, ne suffit pas pour caractériser une situation de harcèlement, qui suppose des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Véronique X... Y... qui impute à titre principal la responsabilité de son état au comportement de son supérieur hiérarchique, n'est pas en mesure de faire état d'agissements précis susceptibles de constituer du harcèlement moral: aucune trace des reproches incessants dont elle aurait été accablée, des critiques, des moqueries, du mépris dont elle aurait été l'objet; aucun rapport, compte-rendu de réunion, message faisant état de son incapacité à faire face au travail qui lui était demandé, aucune demande d'aide, d'assistance, de recrutement de collaborateur qui aurait été

rejetée... Même le témoignage de Mr BOUTET, ci-dessus relaté, ne permet de caractériser un comportement critiquable de son supérieur hiérarchique.

Parmi les éléments produits par la société ADECCO, les notes manuscrites prises par Frédéric B... au cours de l'entretien d'évaluation qui s'est déroulé le 25/1/2001, montrent que ce dernier reconnaissait les qualités professionnelles de Véronique X... Y..., et était conscient de ses difficultés relationnelles, puisqu'il précisait qu'elle attendait de lui "plus d'ouverture, plus d'empathie, plus d'écoute sans jugement". Il a d'ailleurs proposé l'aide d'un intervenant pour remédier à ces problèmes et a accepté de participer au moins à l'une des réunions mises en place. Même si Véronique X... Y... considère en fin de compte avoir été l'objet d'une manipulation, il apparaît au moins que Frédéric B... a tenté de l'aider.

Elle se plaint d'avoir été exclue fin 2001 des réunions préparatoires au lancement de la nouvelle DSI et de la réorganisation de son service. A supposer ce grief établi, il convient de relever qu'il ne concerne que la période se situant entre ses deux arrêts de travail. Quant aux rumeurs relatives à son remplacement, elles sont inhérentes à la vie d'une entreprise lorsqu'un chef de service connaît des problèmes de santé.

Enfin, aucun élément sérieux ne peut être tiré de l'absence de réponse écrite de la société ADECCO à la lettre du 6 juin 2002, alors qu'il est établi que la responsable des ressources humaines a rencontré le médecin du travail avant d'avoir un entretien le 28 juin avec la salariée.

Il résulte de cette analyse qu' aucun comportement fautif susceptible de caractériser une situation de harcèlement moral ne peut être retenu à l'encontre de la société ADECCO.

Il peut seulement être regretté qu'à l'issue du premier arrêt de travail (18/11/2001) l'employeur n'ait pas pris l'initiative d'organiser la visite de reprise, comme il en avait l'obligation, ce qui aurait permis au médecin du travail de prescrire les mesures pour éviter que la salariée, fragilisée par une situation de surmenage, ne retombe aussitôt dans les mêmes difficultés.

Sur la rupture du contrat de travail :

Sur la rupture du contrat de travail :

En l'absence de harcèlement moral, la demande fondée sur la nullité du licenciement ne peut qu'être rejetée comme mal fondée.

La seule faute pouvant être reprochée à la société ADECCO, consistant dans le fait de ne pas avoir organisé la visite médicale de reprise ensuite du premier arrêt de travail, est sans lien de causalité avec l'absence pour maladie de la salariée et son licenciement. Elle n'aurait pu justifier qu'une simple demande en réparation du préjudice subi.

La lettre de licenciement est ainsi motivée: "nous sommes amenés à constater une absence continue à votre poste de travail depuis plus de 6 mois maintenant et vous nous avez fait savoir que votre état de santé ne vous permet pas d'envisager la reprise de votre activité dans un avenir proche. Il ne nous est plus possible, compte-tenu de la nature du poste que vous occupez et des perturbations engendrées par votre indisponibilité, de vous maintenir à l'effectif de notre entreprise. Nous sommes tenus pour des impératifs de bon fonctionnement de l'entreprise de pourvoir définitivement à votre remplacement...".

Compte-tenu de l'importance des fonctions exercées par Véronique X... Y..., il était impossible de la remplacer sur une longue

durée. Les organigrammes versés aux débats démontrent que la société ADECCO a été contrainte de procéder à la réorganisation de la direction des services d'information et de recruter un autre salarié , Marc D..., afin de permettre à Sylvain BOULEAU de remplacer définitivement la salariée licenciée.

Le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse, Véronique X... Y... sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts et en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis.

Sur la demande de rappel de salaire :

Le contrat de travail prévoit pendant les périodes de maladies, dans le cas d'une ancienneté de plus de 3 ans un complément de salaire à 100 %.

Véronique X... Y... se fonde pour réclamer un solde de complément de salaire sur la rémunération annuelle garantie pour l'année 2001. La société ADECCO n'établissant pas que celle-ci ait été modifiée pour l'année 2002, il convient de confirmer la décision du premier juge sur ce point.

L'équité ne commande pas d'allouer à la société ADECCO une indemnité en application de l'article 700 du NCPC. La même demande formée par Véronique X... Y... doit être rejetée comme mal fondée. PAR CES MOTIFS, La Cour,

Infirme le jugement critiqué, sauf sur la condamnation de la société ADECCO à payer un rappel de salaire de 1 780.53 ç,

Dit que la situation de harcèlement moral invoquée par Véronique X... Y... n'est pas caractérisée,

Dit que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, Déboute Véronique X... Y... de toutes ses demandes,

Déboute la société ADECCO de sa demande en application de l'article 700 du NCPC,

Condamne Véronique X... Y... aux dépens d'appel.

LE GREFFIER,

LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Ct0107
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006950255
Date de la décision : 10/04/2006

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.lyon;arret;2006-04-10;juritext000006950255 ?
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