ARRET N° .
N° RG 23/00350 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIOG6
AFFAIRE :
SAS T3M MECADOC PORCHER
C/
E.A.R.L. FONT DE MOULIN
GS/LM
Demande en paiement du prix ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix
Grosse délivrée aux avocats
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024
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Le quatre Septembre deux mille vingt quatre la Chambre civile de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
SAS T3M MECADOC PORCHER immatriculée au RCS de AUCH prise en la personne de son établissement secondaire dont le siège est [Adresse 3] prise en la personne de son représentant légal demeurant de droit audit siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Pascal DUBOIS, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d'une décision rendue le 05 JANVIER 2023 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LIMOGES
ET :
E.A.R.L. FONT DE MOULIN, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Marion ROSSIN-BOISSEAU de la SELARL JURILIM, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 05 juin 2024 à 14h00. L'ordonnance de clôture a été rendue le 05 juin 2024 à 09h00.
Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, magistrat rapporteur, assisté de Madame Laetitia LUZIO, greffier placé, a tenu seul l'audience au cours de laquelle il a été entendu en son rapport. Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Après quoi, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 04 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au cours de ce délibéré, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a rendu compte à la Cour, composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre,de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseiller et de Monsieur Gérard SOURY, Conseiller. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.
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LA COUR
FAITS et PROCÉDURE
L'EARL Font de Moulin (l'EARL), dirigée par Me [Z] [P], qui est titulaire d'un compte client auprès de la société T3M Mecador Porcher (la société T3M), réparateur de matériel agricole, a été assignée par cette dernière le 24 juin 2019 devant le tribunal judiciaire de Limoges en paiement de la somme de 16 718,10 euros, outre les intérêts au taux légal, correspondant à des factures impayées de réparation d'un tracteur New Holland, ainsi que d'une pénalité contractuelle et de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Le juge de la mise en état a ordonné une expertise du tracteur confiée à M. [R] [Y], lequel a déposé son rapport le 27 octobre 2021.
L'EARL a conclu à la nullité de l'assignation, et subsidiairement au rejet des demandes de la société T3M, et très subsidiairement à la réduction du prix de la réparation.
Par jugement du 5 janvier 2023, le tribunal judiciaire a rejeté la demande d'annulation de l'assignation, et sur le fond a débouté les parties de toutes leurs demandes. Le tribunal judiciaire a notamment retenu que la société T3M ne rapportait pas la preuve de l'obligation de l'EARL.
La société T3M a relevé appel de ce jugement.
[Z] [P], dirigeant et associé unique de l'EARL, est décédé le 25 juillet 2023.
MOYENS et PRÉTENTIONS
La société T3M demande la condamnation de l'EARL à lui payer :
- 16 718,10 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 12 avril 2019 en règlement du prix de ses travaux,
- 3 343,62 euros au titre de la pénalité contractuelle,
- 5 000 euros de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Elle soutient justifier de la commande de travaux de l'EARL et avoir exécuté sa prestation de réparation du tracteur. Elle conclut à l'irrecevabilité des demandes reconventionnelles de l'EARL en paiement de dommages-intérêts et remboursement de frais du fait du décès de son dirigeant associé unique, et subsidiairement, au rejet de ces demandes qui ne sont pas justifiées.
L'EARL conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de la société T3M, et subsidiairement à la réduction de la somme réclamée en se prévalant de l'exception d'inexécution. Appelante incidente, l'EARL réclame le paiement de dommages-intérêts et le remboursement de ses frais d'expertise et de location d'un tracteur de remplacement.
MOTIFS
Sur la demande principale de la société T3M.
Il n'est pas contesté que les parties, qui ont chacune la qualité de professionnelle dans leur domaine d'activité respectif, ont été en relations d'affaires pour l'entretien du matériel agricole.
Au soutien de sa demande en paiement, la société T3M produit le relevé du compte de l'EARL faisant apparaître un solde débiteur d'un montant de 17 718,10 euros au 18 janvier 2019. Ce solde débiteur correspond à trois factures restées impayées (trois factures de réparation du tracteur) également versées aux débats.
Dans ses conclusions n° 2 déposées devant le tribunal judiciaire, l'EARL indique expressément en p. 6 qu'elle a sollicité, en décembre 2017, la société T3M pour la réfection à neuf de la boîte de vitesses de son tracteur. Elle ne saurait dès lors contester avoir commandé ces travaux. Le jugement sera réformé de ce chef.
En revanche, il n'est justifié d'aucune commande de remplacement du ventilateur de la climatisation de la cabine du tracteur. Il s'ensuit que la société T3M n'est pas fondée à réclamer la somme de 416,75 euros qu'elle a facturée à ce titre à l'EARL (facture NA090127/D du 30 septembre 2018).
Pour contester devoir régler les deux factures de réparation de la boîte de vitesses du tracteur, l'EARL oppose l'exception d'inexécution en soutenant que la société T3M a manqué à son obligation contractuelle de résultat de fournir une réparation efficace, les dysfonctionnements ayant persisté après réparation.
Il convient ici de se référer aux données techniques contenues dans l'expertise judiciaire de M. [Y] qui a pu mener à bien sa mission, même s'il n'a pu avoir accès aux pièces usagées (qui ont été ferraillées), ni aux témoignages des mécaniciens qui sont intervenus sur le tracteur, ceux-ci ayant quitté la société T3M (rapport p. 12).
Si l'EARL doute de l'impartialité de cet expert, force est de constater qu'elle n'apporte aucun élément qui serait de nature à venir conforter ses suppositions. En outre, et contrairement aux allégations de l'EARL, M. [Y] a bien répondu à ses dires en p. 26, 27 et 28 de son rapport.
Il résulte du rapport d'expertise judiciaire (p. 5) que l'EARL, qui procédait elle-même à l'entretien courant du tracteur, a été confrontée à une panne tenant à l'impossibilité de passage des vitesses, ce qui a motivé l'intervention de la société T3M à laquelle il a été demandé de procéder à la réfection à neuf de la boîte de vitesses, un 'échange standard' n'étant alors pas possible, étant ici précisé que la réparation constituait la solution la plus avantageuse économiquement (rapport p. 17).
L'expert judiciaire a analysé le processus de réparation suivi par la société T3M, et considéré que celui-ci était conforme aux règles de l'art tant en ce qui concerne le remplacement des pièces que les travaux proprement dits (rapport p. 22). S'agissant des prix pratiqués, l'expert les estime conformes au marché, tant en ce qui concerne les pièces détachées que la main d'oeuvre dont la durée facturée est qualifiée de 'raisonnable' (rapport p. 23).
L'expert judiciaire a procédé à un essai du tracteur réparé et constaté (rapport p. 9)'un temps de passage au point mort de une à deux secondes, sans risque de mise en roue libre', ce problème n'interdisant pas l'utilisation de l'engin qui a d'ailleurs effectué 1 591 heures de travail depuis sa réparation (rapport p. 29). L'expert explique que ce problème trouve son origine dans une mauvaise habitude de conduite de l'utilisateur qui omet de solliciter la pédale de frein au moment de l'inversion, afin d'éviter une mise en roue libre trop importante (rapport p. 10). Il ajoute que des interventions complémentaires de réglage étaient nécessaires après la réparation de la boîte de vitesses. Or, l'EARL a négligé de faire procéder à ces réglages complémentaires.
La société T3M ne saurait être tenue à raison d'une mauvaise utilisation du matériel et de la négligence de l'EARL dans le suivi de la réparation.
Il s'ensuit que les deux factures de réparation de la boîte de vitesses du tracteur, qui représentent une somme totale de 16 951,90 euros (9 192,41 euros + 7 759,49 euros), sont dues par l'EARL.
Cependant, l'EARL justifie, par la production de relevés de son compte bancaire, avoir procédé à des virements au profit de la société T3M postérieurement au 18 janvier 2019, date du décompte de la créance de cette société, et qui doivent venir en déduction de cette créance. Ainsi, l'EARL a versé à la société T3M:
- 1 000 euros par carte bancaire le 20 mai 2019,
- 2 000 euros par virement du 26 octobre 2018,
- 2 000 euros par virement du 18 juillet 2018.
Il n'est pas justifié du prétendu acompte de 1 000 euros du 17 mai 2019 qui n'apparaît pas sur le relevé bancaire de mai 2019.
La créance de la société T3M sera en conséquence ramenée au montant de
11 951,90 euros, somme que l'EARL sera condamnée à lui payer avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 12 avril 2019.
Les conditions générales de vente de la société T3M, qui figurent au verso de ses factures, stipulent une pénalité de retard de 20% sur les sommes impayées. L'application de ce taux conduirait à l'allocation d'une pénalité manifestement excessive au regard de l'enjeu du litige, d'autant que l'EARL a, avant même sa mise en demeure de payer, effectué des versements significatifs (2X 2000 euros). La pénalité convenue sera donc ramenée à 10%, soit 1 195,19 euros à la charge de l'EARL.
La contestation de l'EARL étant partiellement fondée, la société T3M ne peut prétendre à des dommages-intérêts pour résistance abusive. Le chef du jugement rejetant cette demande sera confirmé.
Sur les demandes reconventionnelles de l'EARL.
1) Sur la recevabilité de ces demandes, contestée par la société T3M.
L'action en justice de la société T3M est exclusivement dirigée à l'encontre de la EARL, entité juridique distincte de son associé unique. Le décès de ce dernier n'a pas pour effet de faire disparaître la personnalité juridique propre de l'EARL qui subsiste en l'absence de toute dissolution. Les demandes reconventionnelles formées par l'EARL sont donc recevables.
2) Sur le bien- fondé de ces demandes.
L'EARL réclame le paiement de dommages-intérêts, ainsi que le remboursement des frais d'expertise et de location d'un tracteur de remplacement compte tenu de l'inefficacité de la réparation effectuée par la société T3M.
Or, il a été précédemment retenu, sur la base du rapport d'expertise judiciaire, que la réparation effectuée par la société T3M s'est avérée efficace. En effet, l'expert judiciaire a procédé à un essai du tracteur réparé et constaté qu'il fonctionnait, précisant d'ailleurs que cet engin avait effectué 1 591 heures de travail depuis sa réparation (rapport p. 29), les avis contraires exprimés par des témoins n'étant pas de nature à remettre en cause les constatations techniques particulièrement précises de l'expert judiciaire. Il s'ensuit que l'EARL ne peut prétendre au remboursement des frais de location d'un tracteur de remplacement, cette location ne pouvant se justifier en l'état de l'efficacité de la réparation.
La demande de dommages-intérêts en réparation d'un prétendu préjudice que l'EARL n'explicite pas sera rejetée.
Enfin, les frais d'expertise entrent dans les dépens qui seront supportés par la partie perdante, à savoir l'EARL qui succombe sur l'essentiel de ses prétentions.
PAR CES MOTIFS
La Cour d'appel statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
REFORME le jugement rendu le 5 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Limoges, mais seulement en ses dispositions :
- rejetant les demandes de la société T3M Mecador Porcher en paiement des deux factures de réparation de la boîte de vitesses du tracteur de l'EARL Font de Moulin restées impayées, ainsi que de la pénalité conventionnelle,
- statuant sur les dépens ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
CONDAMNE l'EARL Font de Moulin à payer à la société T3M Mecador Porcher:
- la somme de 11 951,90 euros au titre des deux factures de réparation de la boîte de vitesses du tracteur, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 12 avril 2019 ;
- la somme de 1 195,19 euros à titre de pénalité conventionnelle ;
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus;
Vu l'équité, DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l'EARL Font de Moulin aux dépens de première instance et d'appel, qui comprennent les frais d'expertise judiciaire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Emel HASSAN. Corinne BALIAN.