ARRET N° 244
N° RG 23/00638 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIPPX
AFFAIRE :
S.A.S. EDELIS RCS DE CRETEIL
C/
Mme [T] [V], S.A.S. FINANCIERE SAINT6DENAC
GS/LM
Demande en nullité de la vente ou d'une clause de la vente
Grosse délivrée aux avocats
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 11 JUILLET 2024
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Le ONZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
S.A.S. EDELIS RCS DE CRETEIL, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Mathieu SPINAZZE de la SELARL DECKER, avocat au barreau de TOULOUSE, Me Agnès DUDOGNON, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d'une décision rendue le 17 JUILLET 2023 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LIMOGES
ET :
Madame [T] [V]
née le 26 Mai 1981 à [Localité 6], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Thibault DU MANOIR DE JUAYE de la SELEURL DU MANOIR DE JUAYE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, Me Emmanuelle POUYADOUX, avocat au barreau de LIMOGES
S.A.S. FINANCIERE SAINT6DENAC, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Catherine AUTEF de la SELARL AUTEF & SENAMAUD, avocat au barreau de LIMOGES, Me Olivier THEVENOT de la SELARL THEVENOT MAYS BOSSON, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEES
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 16 Mai 2024. L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 avril 2024.
La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Madame [T] MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a été entendu en son rapport, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 11 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
FAITS et PROCÉDURE
Par acte notarié du 30 novembre 2009, Mme [T] [V] a acquis un logement à [Localité 4] pour un prix de 82 500 euros.
Par acte notarié du 30 janvier 2012, elle a acquis un logement à [Localité 5] pour un prix de 144 800 euros.
Après l'expiration du délai de défiscalisation de neuf ans, Mme [V] a saisi les juges des référés de Limoges et de [Localité 5] aux fins de désignation d'experts pour faire estimer la valeur de ses biens immobiliers.
Sa demande a été accueillie par ordonnance du juge des référés de Limoges du 16 septembre 2020 et par arrêt infirmatif de la cour d'appel de Nancy du 10 mai 2021.
Les experts désignés ont déposé leurs rapports respectivement les 9 septembre 2021 et 14 mars 2022.
Au vu de ces rapports faisant état d'une perte de valeur de ces biens immobiliers, Mme [V] a, par acte du 15 septembre 2022, assigné la société Financière Saint Denac (la société Saint Denac) et la société Akerys promotion, devenue la société Edelis, qui lui avaient proposé les biens immobiliers, devant le tribunal judiciaire de Limoges en réparation de son préjudice.
Les sociétés défenderesses ont saisi le juge de la mise en état d'un incident pour voir notamment:
- déclarer le tribunal judiciaire de Limoges territorialement incompétent au profit de celui de Nancy s'agissant du bien immobilier situé dans cette ville;
- déclarer irrecevables les demandes de Mme [V] en nullité des ventes pour défaut de publication de l'assignation à la conservation des hypothèques;
-déclarer les demandes de Mme [V] irrecevables comme prescrites.
Par ordonnance du 17 juillet 2023, le juge de la mise en état a notamment:
- déclaré le tribunal judiciaire de Limoges territorialement incompétent au profit de celui de Nancy s'agissant du bien immobilier situé dans cette ville;
- rejeté la fin de non- recevoir tirée du défaut de publication de l'assignation au service de la publicité foncière, cette formalité ayant été régularisée;
- rejeté la fin de non- recevoir tirée de la prescription s'agissant du bien immobilier situé à [Localité 4].
La société Edelis a relevé appel de cette ordonnance.
MOYENS et PRÉTENTIONS
La société Edelis conclut à l'irrecevabilité des demandes formées par Mme [V] qui se heurtent à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil dont le point de départ doit être fixé à la date de la signature de la vente des immeubles.
La société Saint Denac conclut également à l'irrecevabilité des demandes de Mme [V] pour cause de prescription.
Mme [V] conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée, et réclame des dommages-intérêts pour contestation abusive.
MOTIFS
En cause d'appel, le litige se limite à la question de la prescription de l'action engagée par Mme [V].
Cette dernière sollicite des dommages-intérêts à l'encontre de la société Edelis et de la société Saint Denac en réparation de son préjudice consécutif à la perte de valeur de ses biens immobiliers. Elle fonde cette action sur le dol et le manquement de ces sociétés à leurs devoirs de conseil et d'information en soutenant que son investissement ne correspond pas aux projections établies par celles-ci, notamment du fait de la décote de la valeur des immeubles depuis leur acquisition.
Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
L'opération financière réalisée par Mme [V] s'analyse en un investissement immobilier locatif avec défiscalisation. La manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut ici résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat.
Sans entrer dans le débat de fond, il sera relevé que l'appréciation du bénéfice financier de l'opération est, certes, tributaire de l'évolution du marché de l'immobilier et qu'à cet égard, la conformité du prix d'acquisition du bien au regard du marché dans la région considérée demeure un paramètre important qu'il appartenait à Mme [V] de vérifier, même si celle-ci n'a pas la qualité d'investisseur averti.
Cependant, cette vérification ne pouvait avoir d'effet déterminant sur la révélation du dommage en l'état de l'importante fluctuation du marché de l'immobilier qui a connu une très forte augmentation dans la région du Limousin entre les années 2000 à 2006, avant de connaître une période de stagnation jusqu'en 2010, année à compter de laquelle ce marché s'est orienté sensiblement à la baisse, ce que Mme [V] ne pouvait deviner lorsqu'elle a acquis son immeuble à [Localité 4] en 2009.
Surtout, Mme [V], investisseur non averti, était sans intérêt à faire évaluer son immeuble pendant les neuf années postérieures à son achat correspondant à la période de défiscalisation pendant laquelle elle ne pouvait vendre ce bien, sauf à perdre l'avantage fiscal. Ce n'est qu'à l'issue de cette période que, pour dresser le bilan financier de son opération immobilière et ayant des doutes sur sa rentabilité au regard des résultats escomptés, elle s'est préoccupée de la valeur de son immeuble à cette date pour finalement réclamer une expertise sur ce point.
C'est dès lors à juste titre, en l'absence de tout élément de nature à démontrer que Mme [V] a pu avoir conscience de son dommage à une date antérieure, que le
premier juge a fixé le point de départ du délai de la prescription quinquennale à l'issue de la période de défiscalisation de neuf ans, soit le 30 novembre 2018, pour en déduire à bon droit que la prescription n'était pas acquise à la date de l'assignation du 15 septembre 2022.
Même si elle s'avère non fondée, la contestation du point de départ du délai de prescription de la part des appelants principal et incident n'apparaît pas abusive, chaque partie s'appuyant sur des jurisprudences qui divergent en considération d'éléments de fait. La demande de dommages-intérêts de Mme [V] pour contestation abusive sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour d' appel statuant publiquement, par décision Contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME l'ordonnance rendue le 17 juillet 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Limoges;
RÉSERVE les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
[T] MALLEVERGNE. Corinne BALIAN.