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11/07/2024 | FRANCE | N°23/00455

France | France, Cour d'appel de Limoges, Chambre civile, 11 juillet 2024, 23/00455


ARRET N°242



N° RG 23/00455 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIOYU



AFFAIRE :



M. [S] [E], CABINET VALOIS SELARL D'AVOCATS

C/

M. [W] [A], Mme [C] [R] épouse [A]









GS/LM







Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice



















Grosse délivrée aux avocats





COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE CIVILE

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ARRET DU 11 JUILLE

T 2024

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Le ONZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :



ENTRE :



Monsieur [S] [E]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 7], demeurant ...

ARRET N°242

N° RG 23/00455 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIOYU

AFFAIRE :

M. [S] [E], CABINET VALOIS SELARL D'AVOCATS

C/

M. [W] [A], Mme [C] [R] épouse [A]

GS/LM

Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice

Grosse délivrée aux avocats

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE CIVILE

---==oOo==---

ARRET DU 11 JUILLET 2024

---===oOo===---

Le ONZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :

ENTRE :

Monsieur [S] [E]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 7], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET- BRIAND- PETILLION, avocat au barreau de POITIERS, Me Pascal DUBOIS, avocat au barreau de LIMOGES

CABINET VALOIS SELARL D'AVOCATS, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET- BRIAND- PETILLION, avocat au barreau de POITIERS, Me Pascal DUBOIS, avocat au barreau de LIMOGES

APPELANTS d'une décision rendue le 06 AVRIL 2023 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LIMOGES

ET :

Monsieur [W] [A]

né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 9], demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Wilfrid andré VILLALONGUE de la SELARL CAN JURIS, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, Me Charlotte DUBOIS-MARET, avocat au barreau de LIMOGES

Madame [C] [R] épouse [A]

née le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 10], demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Wilfrid andré VILLALONGUE de la SELARL CAN JURIS, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, Me Charlotte DUBOIS-MARET, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMES

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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 16 Mai 2024. L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 avril 2024.

La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a été entendu en son rapport, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.

Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 11 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

---==oO§Oo==---

LA COUR

FAITS et PROCÉDURE

Mme [C] [Z] [A] et son fils, M. [W] [A] (les consorts [A]), étaient associés au sein de la SARL L'appaloosa qui exploitait un restaurant sous l'enseigne 'the white horse' à [Localité 8].

Ce restaurant ayant été mis en vente, M. [Y] [T] a mandaté Me [S] [E], avocat associé au sein de la SELARL cabinet Valois inscrite au barreau d'Angoulème, pour mener des négociations.

Par acte du 31 mars 2017 rédigé par Me [E], les consorts [A] ont cédé leurs parts sociales à M. [T] pour l'euro symbolique et abandon de leurs créances sur la société L'appaloosa, celui-ci en devenant le gérant et s'engageant:

- à se substituer aux vendeurs dans leurs engagements de caution d'un prêt consenti par la Banque populaire à cette société,

- à se porter sous-caution de Mme [A], elle-même caution de la SCI Maraly, propriétaire bailleur de l'immeuble abritant le restaurant.

La société L'appaloosa a été mise en liquidation judiciaire le 11 octobre 2017, Me [K] [N] [O] étant désigné en qualité de liquidateur.

Soutenant que M. [T] avait manqué à ses obligations contractuelles, les consorts [A] l'ont assigné devant le tribunal de commerce de Perpignan qui, par jugement du 18 septembre 2018 partiellement confirmé par arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 6 avril 2021, a condamné celui-ci, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à leur payer diverses sommes.

Les consorts [A] n'ont pu obtenir paiement des condamnations prononcées à l'encontre de M. [T].

Par acte du 8 juin 2020, les consorts [A] ont assigné Me [E] et sa société cabinet Valois devant le tribunal judiciaire de Limoges en paiement de dommages-intérêts en leur reprochant d'avoir manqué à leur devoir de conseil et d'information.

Par jugement du 6 avril 2023, le tribunal judiciaire a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamné solidairement Me [E] et sa société cabinet Valois à payer aux consorts [A]:

- 104 628,97 euros de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de se voir régler de la valeur de leurs comptes courants d'associés et d'échapper à leurs engagements de caution,

- 1 000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral,

sous réserve de justifier avoir sommé sans succès M. [T] de leur régler ces sommes.

Le tribunal judiciaire a retenu que Me [E] avait manqué à son obligation d'assurer l'équilibre global de la transaction, objet des actes qu'il a rédigés:

- en dissociant le sort des comptes courants de l'acte de cession des parts sociales,

- en n'assurant pas l'effectivité de l'engagement de M. [T] de se substituer aux cautionnements souscrits par les consorts [A], la banque ayant refusé la substitution de garant,

- en n'envisageant pas une solution plus simple de reprise du fonds de commerce de restauration.

Me [E] et sa société ont relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance du 3 août 2023, le premier président de la cour d'appel a aménagé l'exécution provisoire assortissant le jugement déféré, en ordonnant la consignation des condamnations prononcées à concurrence de la somme de 107 128,97 euros.

MOYENS et PRÉTENTIONS

Me [E] et sa société cabinet Valois concluent au rejet des demandes des consorts [A] en soutenant:

- n'avoir pas manqué à leurs devoirs de conseil et d'information, l'acte de cession respectant les choix exprimés par M. [I] [V] qui représentait les vendeurs lors des négociations,

- l'absence de toute perte de chance subie par les consorts [A],

- en tout état de cause, l'absence de lien de causalité entre les fautes alléguées et la prétendue perte de chance.

Les consorts [A] concluent à la confirmation du jugement, sauf à majorer l'indemnisation de leurs préjudices

MOTIFS

Il est constant que Me [E], avocat, s'est chargé de l'ensemble de l'opération de rachat des parts sociales de la SARL L'appaloosa et qu'il est l'unique rédacteur de l'ensemble des actes juridiques rendus nécessaires pour mener à bien cette opération, notamment l'acte de cession du 31 mars 2017. Intervenant dans l'intérêt tant du cessionnaire, M. [T], que des vendeurs, les consorts [A], Me [E] devait veiller à l'équilibre global de l'acte dont il était le rédacteur, prévoir toutes dispositions utiles pour en assurer l'efficacité et éclairer, voire mettre en garde, les parties sur le contenu et l'étendue de leurs droits et obligations respectifs.

Pour soutenir que Me [E] a manqué à ses obligations professionnelles, les consorts [A] font état de cinq séries de griefs à son encontre. Ils lui reprochent:

- d'avoir manqué d'objectivité dans l'accomplissement de sa mission,

- d'avoir manqué à son devoir de conseil en ne préconisant pas la solution plus simple et offrant davantage de sécurité consistant en la cession du fonds de commerce de la société L'appaloosa,

- d'avoir omis de mettre en garde les vendeurs sur les risques attachés à la cession de leurs parts sociales à l'euro symbolique,

- d'avoir omis de dissocier le sort des comptes courants de l'acte de cession des parts sociales,

- d'avoir omis de subordonner la cession des parts sociales à la condition de l'acceptation par la Banque populaire de la substitution de M. [T] aux consorts [A] en qualité de cautions du prêt consenti à la SARL L'appaloosa par cet établissement de crédit.

Il convient de vérifier successivement chacun de ces griefs.

1) Le défaut d'objectivité de Me [E].

Les consorts [A] ne font aucunement la démonstration de la réalité de ce grief puisqu'ils se bornent à le motiver, dans leurs écritures d'appel, par la mauvaise foi de M. [T] qui aurait notamment détourné la majeure partie du matériel de la SARL L'appaloosa. Cette situation n'est pas de nature à remettre en cause l'objectivité de Me [E]. Ce grief ne peut qu'être écarté.

2) Le manquement au devoir de conseil, faute de proposition d'une cession du fonds de commerce de la SARL L'appaloosa.

À la suite d'un entretien téléphonique entre M. [I] [V], qui assistait les consorts [A] lors des négociations, et Me [E], ce dernier a adressé à l'épouse de M. [T] un courrier daté du 2 février 2017 pour lui expliquer les deux modalités possibles de reprise. Ainsi, Me [E] indique dans ce courrier: '...cette reprise peut se faire soit par le biais d'un rachat de parts tel que nous l'avions prévu à l'origine, soit par le biais d'une vente de fonds de commerce moyennant le prix de 130 000 euros. Evidemment, les deux opérations sont très différentes à notre niveau puisque dans la première hypothèse la reprise de la société L'appaloosa se ferait par cession des parts sociales à l'euro symbolique accompagnée d'un remboursement de compte courant d'associé à un montant selon des modalités à définir, alors que dans la deuxième hypothèse il faudrait constituer une nouvelle société qui emprunterait la somme de 130 000 euros'. Me [E] conclut ce courrier en demandant à Mme [T] de prendre contact avec son cabinet pour prendre position sur les modalités de la reprise.

Il résulte de ce courrier que l'option d'un cession du fonds de commerce de la société L'appaloosa a bien été envisagée entre les parties à l'initiative de Me [E] qui a pris soin, dans son courrier, de bien définir, de manière claire et précise, les contours, avec les avantages et les inconvénients, de chacune des options de reprise possibles.

Dans son compte rendu de la réunion qui s'est tenue deux semaines après ce courrier, le 16 février 2017, entre les époux [T] et les consorts [A], les parties à l'opération commerciale ont clairement opté pour la solution de la cession des parts sociales de la SARL L'appaloosa pour un euro. Dès lors, il ne saurait être reproché à Me [E] d'avoir omis de proposer l'option de la cession du fonds de commerce de cette société.

3) Le défaut de mise en garde des consorts [A] sur les risques attachés à la cession de leurs parts sociales à l'euro symbolique.

Il résulte des actes clairs et précis rédigés par Me [E], dans un premier temps sous condition suspensive puis de façon définitive, que la cession des parts sociales des consorts [A] pour un euro symbolique s'est accompagnée de contreparties réelles à leur profit puisque M. [T] devait se substituer à eux dans leurs engagements de caution souscrits tant envers la Banque populaire que la SCI Maraly, propriétaire bailleur de l'immeuble abritant le restaurant de la SARL L'appaloosa, outre le règlement forfaitaire d'une partie de leurs comptes courant d'associés. En l'état des avantages que leur procurait l'économie générale de cette cession, Me [E] n'avait pas à mettre en garde les consorts [A] sur un risque que ces derniers n'identifient d'ailleurs pas dans leurs écritures d'appel.

4) Le défaut de dissociation du sort des comptes courants d'associés de l'acte de cession des parts sociales.

L'acte de cession des parts sociales du 31 mars 2017 aborde en son article 10 le sort des comptes d'associés des consorts [A] en précisant à cet égard qu'une convention de cession de créance est rédigée entre les parties par acte séparé. Effectivement, Me [E] a rédigé le jour même un acte de cession de créances au terme duquel les consorts [A] cèdent à M. [T] leurs créances au titre de leurs comptes courants d'associés pour une prix de 40 000 euros.

Les consorts [A] considèrent que Me [E] a commis une faute en dissociant ainsi l'acte réglant le sort des comptes courants de l'acte de cession des parts sociales, les privant de la possibilité d'obtenir l'annulation de la vente et la restitution de leurs droits pour défaut de paiement du prix convenu.

Cependant, s'agissant d'une opération économique globale, les consorts [A] conservaient la possibilité, nonobstant la dualité d'actes, d'agir en résolution de la vente des parts sociales en cas d'inexécution par M. [T] de son obligation de paiement du prix convenu dans l'acte de cession de créance. Il s'ensuit que les consorts [A] ne peuvent se prévaloir d'aucun préjudice de ce chef.

5) L'absence d'efficacité de la clause de substitution de caution.

L'acte de cession des parts sociales du 31 mars 2017, après avoir rappelé les engagements de caution souscrits par les consorts [A] en garantie du remboursement d'un prêt d'équipement de 100 000 euros consenti par la Banque populaire à la société L'appaloosa, comporte l'engagement de M. [T] de déposer auprès de cet établissement de crédit un dossier en vue de se substituer dans ces garanties.

Or, si M. [T] a bien déposé un dossier en ce sens auprès de la Banque populaire, cette dernière a refusé cette substitution de garant.

Les consorts [A] soutiennent que Me [E] a commis une faute en ne subordonnant pas la cession de parts sociales à la condition de l'acceptation par la banque du changement de caution.

Cependant, le refus de la banque a bien été envisagé dans l'acte de cession de parts sociales qui stipule: 'Dans l'hypothèse d'un refus de la banque de procéder à la substitution des garanties, le cessionnaire s'engage dans les deux mois à compter de la notification du refus de la banque à déposer auprès de la même banque un dossier en vue de la souscription d'un nouveau prêt soldant le prêt consenti par la Banque populaire du Sud'.

Il s'ensuit que, contrairement aux allégations des consorts [A], Me [E] a pris les précautions propres à assurer l'efficacité de son acte en cas de refus de la banque d'accepter un changement de garant, la solution consistant en l'engagement de M. [T] à solliciter un nouveau prêt destiné à solder celui garanti par les cautions.

L'inexécution par M. [T] de cet engagement ne saurait être imputée à faute à Me [E].

Il résulte de ce qui précède que les consorts [A] ne rapportent pas la preuve d'une faute commise par Me [E] dans l'exécution de sa mission de rédacteur d'acte qui leur aurait causé un préjudice. Ils seront donc déboutés de leur action.

PAR CES MOTIFS

La Cour  d'appel statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

INFIRME le jugement rendu le 6 avril 2023 par le tribunal judiciaire de Limoges ;

Statuant à nouveau,

DÉBOUTE Mme [C] [Z] [A] et M. [W] [A] de leur action dirigée à l'encontre de Me [S] [E] et de la SELARL cabinet Valois;

Vu l'équité, DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE Mme [C] [Z] [A] et M. [W] [A] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

Line MALLEVERGNE. Corinne BALIAN.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/00455
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;23.00455 ?
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