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30/05/2024 | FRANCE | N°23/00655

France | France, Cour d'appel de Limoges, Chambre sociale, 30 mai 2024, 23/00655


ARRET N° .



N° RG 23/00655 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIPRM







AFFAIRE :



Mme [C] [B]



C/



Fondation FONDATION [6]









CV/MS





Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution











Grosse délivrée à Me Cédric ROBERT, Me Marie-christine LAPOUMEROULIE-MANSOUR, le 30-05-24









COUR D'APPEL DE LIMOGES



CHAMB

RE ECONOMIQUE ET SOCIALE



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ARRÊT DU 30 MAI 2024



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Le trente Mai deux mille vingt quatre la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public ...

ARRET N° .

N° RG 23/00655 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIPRM

AFFAIRE :

Mme [C] [B]

C/

Fondation FONDATION [6]

CV/MS

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Grosse délivrée à Me Cédric ROBERT, Me Marie-christine LAPOUMEROULIE-MANSOUR, le 30-05-24

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

---==oOo==---

ARRÊT DU 30 MAI 2024

---==oOo==---

Le trente Mai deux mille vingt quatre la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :

ENTRE :

Madame [C] [B]

née le 19 Octobre 1993 à [Localité 4] ([Localité 4]), demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Cédric ROBERT de la SELEURL CEDRIC ROBERT, avocat au barreau de NANTES

APPELANTE d'une décision rendue le 11 JUILLET 2023 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LIMOGES

ET :

Fondation FONDATION [6], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Marie-christine LAPOUMEROULIE-MANSOUR, avocat au barreau de LIMOGES substitué par Me Sébastien MAHUT, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE

INTIMEE

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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 08 Avril 2024. L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Valérie CHAUMOND, Conseiller, magistrat rapporteur, assistée de Mme Sophie MAILLANT, Greffier, a tenu seule l'audience au cours de laquelle elle a été entendu en son rapport oral.

Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.

Après quoi, Madame Valérie CHAUMOND, Conseiller, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 30 Mai 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Au cours de ce délibéré, Madame Valérie CHAUMOND, Conseiller, a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller et d'elle même. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.

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LA COUR

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FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :

Mme [C] [B] a été embauchée le 10 septembre 2020 par la fondation [6] sur le site de [Localité 7] (87) en qualité d'aide médico-psychologique par contrat à durée indéterminée à temps plein de 151,67 heures mensuelles, moyennant une rémunération brute hors sujétion de 1 727,13 euros au moment de la rupture du contrat de travail.

La relation de travail est régie par la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

À l'occasion d'une réunion des nouveaux arrivants organisée le 02 février 2022 à [Localité 3], Mme [B] a été amenée à se plaindre auprès de Mme [J], chargée de mission, de différents événements qui se sont produits dans son établissement, notamment du fait de Mme [N], la directrice.

À son retour, Mme [B] a été reçue par cette dernière afin de savoir avec qui elle avait parlé pendant la réunion ; à nouveau convoquée le lendemain, elle s'est cette fois rendue dans le bureau de Mme [N] accompagnée d'une cadre de santé.

Le 08 février 2022, deux salariées de l'établissement de [Localité 7] ont dénoncé à la directrice et à Mme [I], cheffe de service, des faits de malveillance et de chantage commis par Mme [B] au préjudice d'une résidente et qui se seraient déroulés au cours du dîner du 24 janvier 2022 ; puis elles ont attesté de ces faits les 14 et 15 février suivants, mettant également en cause un autre salarié, M. [S] [X], lequel jouait avec Mme [B] à se jeter des pichets d'eau.

Le 15 février 2022, Mme [C] [B] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 25 février suivant, avec mise à pied à titre conservatoire.

M. [X], également convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire qui s'est tenu le même jour, a reçu un avertissement.

Mme [C] [B] a été licenciée pour faute grave le 03 mars 2022 et les documents de fin de contrat lui ont été remis le 07 mars 2022.

Par courrier du 05 avril 2022, le conseil de Mme [B] a pris attache avec Mme [N] à la suite du licenciement et, le 29 mars 2022, sur sommation interpellation, Maître [W], huissier de justice, lui a posé 06 questions.

Mme [B] contestant son licenciement, a saisi, par requête reçue le 22 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Limoges sollicitant que son licenciement soit déclaré nul ou, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la fondation [6] à lui verser à ce titre diverses sommes et indemnités.

Le conseil de prud'hommes de Limoges a, par jugement du 11 juillet 2023 :

- dit que le licenciement de Mme [C] [B] est bien fondé sur une faute grave;

- débouté Mme [C] [B] de toutes ses demandes ;

- débouté Mme [C] [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les parties assumeront la charge de leurs propres dépens.

Par déclaration en date du 10 août 2023, Mme [C] [B] a interjeté appel de la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Limoges.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 22 septembre 2023, Mme [C] [B] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Limoges en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

' à titre principal ;

- juger le licenciement nul ;

- condamner la fondation [6] prise en son établissement d'accueil médicalisé la [6] [Localité 7] à lui verser la somme nette de 10 041,78 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

' à titre subsidiaire :

- juger le licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- condamner la [6] [Localité 7] à lui verser la somme nette de 3 347,26 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

' en tout état de cause :

- condamner la [6] [Localité 7] à lui verser :

' 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement ;

' 759,25 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement,

' 2 143,78 euros bruts pour l'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que la somme brute de 214,38 euros au titre des congés payés afférents au préavis,

' 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mettre les dépens à la charge de la [6] [Localité 7].

Elle soutient que :

- le licenciement dont elle a fait l'objet constitue une mesure de rétorsion aux propos qu'elle a tenus au président de la [6] lors de son passage au siège de la direction à [Localité 3] ;

- au surplus, ce licenciement s'inscrit dans un contexte de harcèlement moral de Mme [N] à son encontre ;

- dans le cadre d'un licenciement pour faute grave, la preuve repose exclusivement sur l'employeur auquel il appartient de démontrer, par des éléments clairs, précis et vérifiables que la mesure de licenciement pour faute grave est pleinement justifiée ; à l'inverse, le licenciement est dénué de toute cause réelle et sérieuse ;

- la cour de cassation considère que le licenciement est vexatoire si le salarié se voit interdire l'accès à l'entreprise pendant la durée de la procédure de licenciement alors qu'il n'était reproché aucun fait grave.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 19 décembre 2023, la fondation [6] demande à la cour de :

- déclarer irrecevable et en tous les cas mal fondée Mme [B] en ses différentes demandes, fins et prétentions et l'en débouter ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Limoges en date du 11 juillet 2023 ;

Y ajoutant :

- condamner Mme [B] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [B] aux dépens de l'instance ;

À titre très subsidiaire :

- vu la plainte de Mme [B] du 24 juillet 2022, ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'aboutissement des poursuites pénales.

Elle soutient que :

- Mme [B] a été licenciée pour faute grave à raison d'événements qui se sont déroulés après le dîner du 24 janvier 2022 et dénoncés par deux salariées témoins des faits;

- le collègue qui jouait avec Mme [B] a été sanctionné par un avertissement, les faits qui lui sont reprochés n'étant pas de la même nature ;

- lors de l'entretien préalable, Mme [B] a partiellement reconnu les faits qui lui étaient reprochés avant de les réfuter totalement ;

- la motivation des premiers juges est étayée au visa des éléments produits aux débats ;

- les éléments factuels évoqués par Mme [B] ne sont pas constitutifs d'une situation de harcèlement moral ;

- la directrice a reçu Mme [B] à son retour de la journée d'intégration du 02 février 2022 à la demande de M. [V], directeur général de la fondation ;

- Mme [B] ne produit aucun élément émanant de la cadre de santé présente lors de l'entretien ;

- les attestations établies par les deux salariées ayant assisté à l'incident du 24 janvier 2022 ne sont pas contradictoires ;

- les faits, différents de ceux reprochés à M. [X] et ayant conduit au licenciement, sont établis.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- Sur la nullité du licenciement :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L. 1152-2 du même code ajoute que 'Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-2.

Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article bénéficient des protections prévues aux I et III de l'article 10-1 et aux articles 12 à 13-1 de la loi n° 2016-1691 du 09 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique'.

L'article L. 1152-3 précise que Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul'.

Enfin l'article L. 1154-1 du code du travail dispose que 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 [...], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

Au cas d'espèce, Mme [C] [B] reproche à l'association FONDATION [6] en la personne de Mme [N], directrice du site de [Localité 7], d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs d'un harcèlement moral.

Elle expose en effet que, s'étant rendue, le 02 février 2022, au siège de la direction à [Localité 3], elle y a fait part de l'ensemble des griefs qu'elle nourrissait à l'encontre de Mme [N], à savoir :

- la disparition d'une demande d'activité qui avait été validée par la directrice, Mme [N] ;

- le changement de son binôme avec Mme [Y] [U] ;

- l'attitude déplacée de Mme [N] qui l'affublerait du surnom de '[P]' en référence à la pâle carnation et inviterait Mme [E] [O] à lui donner des claques pour lui faire prendre des couleurs ;

- les propos que Mme [N] aurait tenus à Mme [Y] [U], lui disant qu'elle ne voulait plus adresser la parole à Mme [B] au risque de ne pouvoir conserver son sang frois face à elle.

Or, Mme [B] a été convoquée dans le bureau de la directrice dès son retour sur son lieu et travail puis a reçu, le 15 février suivant, une convocation relative à des faits du 24 janvier 2022 : cette seule chronologie suffirait, selon elle, à semer le trouble.

Mme [B] soutient donc que le licenciement dont elle a fait l'objet constitue en réalité une mesure de rétorsion aux propos qu'elle a tenus au président de la [6] lors de sa visite au siège de la direction et qu'il est également nul à raison du harcèlement moral qu'elle subit et qui porte atteinte à sa dignité et à ses conditions de travail.

Si Mme [N] ne conteste pas avoir effectivement reçu Mme [B] à son retour de la réunion des nouveaux arrivants, elle précise que l'entretien a eu lieu à la demande du président de la fondation [6]. La preuve de cette consigne n'est certes pas rapportée mais Mme [B] ne conteste pas avoir été sollicitée sur la teneur des propos qu'elle avait tenus au siège de la fondation ; or Mme [N], qui n'avait pas été avisée par Mme [B] elle-même, n'avait pu l'être que par l'interlocuteur parisien de Mme [B].

En outre, dans le cadre de l'exercice de son obligation générale de sécurité d'une part et de son pouvoir disciplinaire d'autre part, en tout état de cause dans celui de son pouvoir de direction, l'employeur était fondé à recevoir Mme [B].

Cependant, si cette dernière fait grief à Mme [N] d'avoir eu un comportement ou tenu des propos constitutifs d'un harcèlement moral lors des deux entretiens, Mme [B] procède par simple affirmation et ne présente aucun élément de fait, hormis la preuve de son déplacement à [Localité 5] qui n'est pas remis en question, laissant supposer l'existence du harcèlement qu'elle dénonce, par même une attestation du cadre de santé qui l'a accompagnée.

Mme [B] ne procède en effet que par affirmations non circonstanciées et ne produit aucun élément de fait laissant seulement supposer l'existence du harcèlement moral dont elle se dit victime.

Enfin, Mme [C] [B] argue de la disparition d'une demande qu'elle aurait présentée pour effectuer une sortie au restaurant avec les résidents, de sorte que la sortie n'aurait pu avoir lieu, ce qui serait participerait également du harcèlement moral dont elle serait victime.

Toutefois, dans le cadre d'une note en délibéré sollicitée par le juge de première instance, Mme [B] a fourni elle-même la fiche d'activité relative à la sortie envisagée.

De son côté, la fondation [6] a produit l'ensemble des justificatifs de ce que la sortie prévue avait bien eue lieu, au surplus dans le restaurant que tient la mère de Mme [B].

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit qu'aucun élément ne vient confirmer les dires de Mme [B] sur les faits de harcèlement qu'elle impute à Mme [N] et de débouter Mme [C] [B] de sa demande en nullité du licenciement dont elle a fait l'objet.

- Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement :

' Sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse :

Aux termes des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse ; le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis, le doute susceptible de subsister profitant au salarié.

Il est constant que, pour constituer une cause sérieuse de licenciement, la faute commise par le salarié, et correspondant à la violation des règles de discipline destinées à assurer la coexistence des membres de la communauté de travail et le bon fonctionnement de l'entreprise, doit revêtir une certaine gravité.

Ainsi, le licenciement a une cause sérieuse si le motif qui en est à l'origine revêt un caractère de gravité suffisant pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail : les griefs reprochés au salarié sont sérieux si la poursuite de l'exécution du contrat de travail se révèle préjudiciable à l'entreprise.

La cause du licenciement n'est réelle qu'à la stricte condition d'être existante, exacte et objective. Ainsi, la Cour de cassation considère que le licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs imputables à ce salarié.

Au cas d'espèce, le courrier en date du 03 mars 2022 par lequel Mme [C] [B] s'est vue notifier son licenciement, expose le motif suivant, constitutif, pour l'employeur, d'une faute grave :

'Le 24 janvier 2022, après le dîner, alors que tous les résidents n'étaient pas sortis de la salle à manger, vous avez joué avec de l'eau en compagnie d'un collègue. Le contenu d'un pichet est tombé sur une résidente. Cette dernière a été très surprise, est restée figée et s'est mise à crier. Quant à vous, vous rigoliez de la situation. La résidente vous a dit qu'elle allait tout raconter à la chef de service. Vous lui avez alors proposé un gâteau en échange de son silence, ce que la résidente a accepté. Vous lui avez dit que, si elle en parlait à la chef de service, vous diriez qu'elle avait volé le gâteau. Elle vous avait alors dit : 'Je ne dirai pas à Madame [I] que tu m'as mouillée'. Vous lui auriez répondu, selon vous en rigolant, que si elle disait qu'elle avait mangé un gâteau, vous diriez qu'elle vous l'avait 'piqué'.

L'employeur, pour articuler ses moyens au soutien de sa décision de licenciement, s'appuie sur le contenu de deux attestations établies par Mme [M] [A] et Mme [Z] [F], toutes deux salariées de l'établissement [6] de [Localité 7], et qui reprennent des déclarations qu'elles ont faites le 08 février 2022.

Mme [A] atteste de ce que 'Dans la salle à manger, au moment de débarrasser les tables du dîner :

- une résidente de [6], [H] [G] [T], débarrasse ses couverts pendant que deux collègues font une bataille d'eau. [H] est aspergée par mégarde par un de mes collègues.

- mes collègues s'excusent et Madame [G] [T] les informe qu'elle va le dire à la chiffe de service.

- ma collègue [C] [B] lui propose un gâteau en échange de son silence, ce que la résidente accepte (elle a un rapport pathologique à la nourriture).

- [C] [B] précise à la résidente que si elle le dit à la cheffe de service malgré leur accord, elle dira que c'est [H] [G] [T] qui a volé le gâteau.

- la résidente acquiesce et finit de débarrasser'.

De son côté, Mme [F] indique que 'le 24 février 2022 à la fin du repas du soir en salle à manger, deux de mes collègues, Mme [B] [C] et M. [X] [S] se lancent des pichets d'eau froide.

Il ne restait que quelques résidents en salle.

Continuant de s'arroser, une résidente, Mme [G] [T] [H] est passée à côté d'eux et a reçu un pichet d'eau froide entier sur elle. Elle a fait preuve de surprise, elle est restée figée. M. [X] [S] a tout de suite présenté ses excuses à [H] pendant que Mme [B] riait de cette situation.

Mme [B] lui a dit : 'Si tu ne dis rien, tu auras un gâteau et si tu en parles et que tu dis que tu as eu un gâteau, on dira que tu l'as volé'.

De plus, le sol était mouillé, avec un risque de chute pour les personnes restantes en salle à manger.

J'ai assisté à cette scène car je nettoyais la salle à manger'.

Il apparaît donc que les déclarations faites par ces deux salariées à l'employeur et sur lesquelles il s'appuie alors qu'aucune plainte n'a été déposée, décrivent une même scène de 'bataille d'eau' entre deux salariés, dont Mme [B], au cours de laquelle une résidente a été mouillée et a, dès lors exprimé sa volonté d'en aviser la chiffe de service ; en réponse, Mme [B] a offert un gâteau à la résidente afin d'obtenir son silence : le marché est en outre assorti d'une forme de chantage voire d'une menace au terme de laquelle la résidente sera dénoncée pour vol si elle ne tient pas sa langue.

Mme [B] produit pour sa part la capture d'un écran contenant une conversation entre un interlocuteur non identifié, dont on peut supposer qu'il s'agit de Mme [B] elle-même, et une prénommée [L], dont on ne peut que supposer qu'elle serait salariée de l'association [6] : il en ressort que la prénommée [L] ne fait état d'aucun fait assimilable à un harcèlement moral dont Mme [B] aurait été victime sur son lieu de travail.

Cette capture d'écran contient en réalité la description partielle de la même scène, à la différence près que la prénommée [L] indique ne pas avoir entendu parler de gâteau.

Il apparaît néanmoins qu'une ébauche de pression est soujacente lorsque l'interlocuteur qui doit être Mme [B] indique : 'Sauf que j'ai pas fait chanter [H] on est d'accord ''

Elle produit également copie d'une plainte déposée le 24 juillet 2022 - soit postérieurement à l'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation en date du 14 juin 2022 - devant le procureur de la République au motif que les attestations produites par l'employeur seraient mensongères.

Pour s'exonérer des conséquences de la remise d'un gâteau à la résidente, Mme [B] affirme avoir ignoré le rapport pathologique de cette dernière à la nourriture au motif qu'elle n'est pas soignante.

Toutefois, il apparaît que Mme [A], travailleur social, ne l'est pas davantage. Cependant, il n'est pas douteux que l'ensemble du personnel qui accompagne les repas des résidents sont nécessairement informés des régimes restrictifs ou des allergies qu'ils présentent afin de ne pas les mettre en danger en leur donnant un aliment dangereux pour leur santé.

Or, Mme [N] établit qu'un protocole était en place pour ce qui concerne Mme [H] [G] [T] a certes un rapport pathologique à la nourriture mais surtout qu'elle est diabétique insulino-dépendante et bénéficiait effectivement d'un régime pauvre en sodium et en sucre, dans le cadre duquel elle n'avait de dessert qu'à l'occasion du repas du dimanche à midi.

Dès lors, Mme [B] ne peut arguer de sa qualité de 'non soignante' pour s'exonérer de la remise d'un gâteau à la résidente à un moment autre que le dimanche à midi.

Au reste, au-delà du risque alimentaire, subsiste surtout la forme de chantage exercée sur la résidente, laquelle présente nécessairement un handicap.

Il apparaît donc que, lors de la procédure de licenciement, l'employeur, sans qu'il soit besoin qu'il ait personnellement constaté les faits, disposait de deux témoignages précis et circonstanciés, qui se corroboraient l'un l'autre, mettant nommément en cause Mme [C] [B] et elle seule pour ce qui concerne les agissements commis à l'égard de la résidente, personne vulnérable au regard de la nature de la structure d'accueil.

Dès lors que le licenciement repose en conséquence sur une cause réelle et sérieuse, la décision critiquée sera également confirmée de ce chef.

' Sur les conditions vexatoires du licenciement :

Au titre de sa demande sur ce fondement, Mme [C] [B] fait valoir, au visa de la jurisprudence de la cour de cassation, que le licenciement est vexatoire si le salarié se voit interdire l'accès à l'entreprise pendant la durée de la procédure de licenciement alors qu'il n'était reproché aucun fait grave.

Toutefois, il est constant que le licenciement de Mme [B] a été prononcé pour faute grave comme cela ressort du courrier en date du 03 mars 2022 dont l'objet est 'notification d'un licenciement pour faute grave'.

Or, si Mme [B] conteste le caractère réel et sérieux de la cause de son licenciement, elle n'argumente pas sur la nature de la faute reprochée dès lors que ce caractère réel et sérieux a été retenu par la juridiction.

La décision critiquée sera donc également confirmée de ce chef.

- Sur les demandes accessoires :

Mme [C] [B] qui succombe, supportera les entiers dépens d'appel.

Mme [C] [B] sera en outre condamnée à payer à la fondation [6], en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour les besoins de la procédure, une somme que la cour fixe à 800 euros.

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PAR CES MOTIFS

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La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, rendu par mise à disposition et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

DIT l'appel de Mme [C] [B] recevable mais mal fondé ;

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Limoges en date du 11 juillet 2023 ;

Y ajoutant :

CONDAMNE Mme [C] [B] aux entiers dépens de la procédure d'appel ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [C] [B] à payer à l'association [6] une somme de 800 (huit cents) euros au titre des frais irrépétibles.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00655
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;23.00655 ?
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