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15/06/2023 | FRANCE | N°22/00172

France | France, Cour d'appel de Limoges, Chambre sociale, 15 juin 2023, 22/00172


ARRET N° .



N° RG 22/00172 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIJ3P







AFFAIRE :



Association APF FRANCE HANDICAP L'Association APF France Handicap , Association constituée en application de la loi du 1er juillet 1901, régulièrement déclarée à la préfecture de police de [Localité 4] le 26 avril 1933, enregistrée sous le numéro 170.416 (publication au journal officiel du 17 mai 1993), reconnue d'utilité publique, dont le siège social est situé au [Adresse 1], prise en la personne de Monsieur [F] [B], en sa qualité de Directeur GénÃ

©ral, dument habilité,



C/



Mme [V] [I]









PLP/MS





Demande d'indemnités liées à la rupture du contra...

ARRET N° .

N° RG 22/00172 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIJ3P

AFFAIRE :

Association APF FRANCE HANDICAP L'Association APF France Handicap , Association constituée en application de la loi du 1er juillet 1901, régulièrement déclarée à la préfecture de police de [Localité 4] le 26 avril 1933, enregistrée sous le numéro 170.416 (publication au journal officiel du 17 mai 1993), reconnue d'utilité publique, dont le siège social est situé au [Adresse 1], prise en la personne de Monsieur [F] [B], en sa qualité de Directeur Général, dument habilité,

C/

Mme [V] [I]

PLP/MS

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Grosse délivrée à Me Anthony ZBORALA, Me Stéphane PICARD, avocats, le 15 juin 2023.

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

---==oOo==---

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

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Le quinze Juin deux mille vingt trois la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :

ENTRE :

Association APF FRANCE HANDICAP L'Association APF France Handicap , Association constituée en application de la loi du 1er juillet 1901, régulièrement déclarée à la préfecture de police de [Localité 4] le 26 avril 1933, enregistrée sous le numéro 170.416 (publication au journal officiel du 17 mai 1993), reconnue d'utilité publique, dont le siège social est situé au [Adresse 1], prise en la personne de Monsieur [F] [B], en sa qualité de Directeur Général, dument habilité,, demeurant [Adresse 1] / FRANCE

représentée par Me Stéphane PICARD de la SELEURL PICARD AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE d'une décision rendue le 01 FEVRIER 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LIMOGES

ET :

Madame [V] [I]

née le 20 Mai 1966 à , demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Anthony ZBORALA, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMEE

---==oO§Oo==---

Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 04 Avril 2023. L'ordonnance de clôture a été rendue le 01 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, magistrat rapporteur, assistée de Madame Natacha COUSSY, Greffier, a tenu seule l'audience au cours de

laquelle elle a été entendu en son rapport oral.

Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.

Après quoi, Madame Johanne PERRIER, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 25 mai 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

La mise à disposition de la décision a été prorogée au 15 juin 2023, et les avocats des parties en ont été régulièrement informés.

Au cours de ce délibéré, Madame Johanne PERRIER a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller et d'elle même. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.

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LA COUR

---==oO§Oo==---

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [I] a été engagée par l'association APF FRANCE HANDICAP (l'APF) le 15 septembre 1992 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité d'aide médico-psychologique à temps partiel de 126,45 heures mensuelles.

A compter du 1er avril 2002 et par un avenant à son contrat de travail, Mme [I] est devenue monitrice éducatrice, toujours à temps partiel.

Le 12 juin 2019, une fiche de signalement 'événement indésirable grave' était transmise à l'Agence Régionale de Santé (l'ARS), fiche mentionnant Mme [I] comme auteur de faits de harcèlement et de violence par personne chargée d'une mission de service public.

Le 3 juillet 2019, une nouvelle fiche de signalement a été transmise à l'ARS.

Par courrier du 8 juillet 2019, la salariée était convoquée à un entretien préalable fixé au 18 juillet suivant, entretien auquel Mme [I] ne s'est pas rendue.

Le 25 juillet 2019, la salariée a été licenciée pour faute grave au motif d'un comportement inadapté et maltraitant à l'égard des personnes accueillies au sein de l'établissement.

Contestant son licenciement, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Limoges d'une demande reçue le 29 octobre 2019.

Par jugement du 1er février 2022, le conseil de prud'hommes de Limoges, a :

- dit que le licenciement de Mme [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamné l'APF à verser à Mme [I] les sommes de :

* 44 803,67 € net d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 19 663,31 € net d'indemnité légale de licenciement ;

* 4 843,64 € brut d'indemnité compensatrice de préavis outre 484,36 € brut d'indemnité de congés payés ;

- condamné l'APF à établir et transmettre à Mme [I] les documents sociaux rectifiés conformes au présent jugement, bulletins de salaire, certificat de travail, attestation Pôle emploi, solde de tout compte sous astreinte de 5 € par document et par jour de retard à compter du 21ème jour suivant la notification du présent jugement, dans la limite de 3 mois ; le conseil de prud'hommes s'en réservant l'éventuelle liquidation ;

- condamné l'APF au remboursement à Pôle emploi de six mois d'indemnités chômages versées à Mme [I] du jour de son licenciement au jour du prononcé du présent jugement, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;

- reconnu le licenciement de Mme [I] comme prononcé dans des conditions vexatoires suite à l'exécution déloyale du contrat de travail ;

- condamné l'APF à verser à Mme [I] les sommes de :

* 5 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

* 5 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des conditions vexatoires dans lesquelles le licenciement pour faute grave est intervenu ;

- l'exécution provisoire étant seulement de droit en application et dans les limites de l'article R. 1454-28 du code du travail pour les créances de nature salariale. La moyenne des trois derniers mois de salaire étant de 2421,82 € ; dit qu'il n'y a pas lieu de l'ordonner pour le surplus ;

- condamné l'association APF à verser à Mme [I] la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties du plus ample ou contraire de leurs demandes ;

- condamné l'APF aux entiers dépens de l'instance.

L'APF a fait appel de la décision le 4 mars 2022.

Aux termes de ses écritures du 17 mai 2022, l'APF demande à la cour :

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

Statuant à nouveau, à titre principal, de :

- juger que le licenciement pour faute grave de Mme [I] est bien fondé ;

- débouter en conséquence Mme [I] de l'intégralité de ses demandes ;

- ordonner la restitution, par Mme [I], des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire;

A titre subsidiaire, de :

- la condamner au paiement de la somme de 7 500 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause, de :

- débouter Mme [I] de ses demandes indemnitaires relatives à l'exécution déloyale du contrat de travail et aux circonstances vexatoires de la rupture ;

- débouter Mme [I] de sa demande de condamnation de l'Association au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner à même à lui verser la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;

- condamner Mme [I] à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient que le licenciement pour faute grave de Mme [I] est bien fondé au regard des faits de maltraitance dont la salariée s'est rendue coupable sur les personnes accueillies au sein du centre. Elle conteste que les griefs formulés puissent être prescrits au regard de la date à laquelle l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés. Par ailleurs, elle indique que le classement sans suite des plaintes pénales est sans conséquence sur l'instance prud'homale. Enfin, concernant les prétendues tensions avec la directrice, l'APF expose qu'au delà d'être de simples allégations, elles ne peuvent en aucun cas justifier les actes de Mme [I].

Aux termes de ses écritures du 13 septembre 2022, Mme [V] [I] demande à la cour de :

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et a notamment condamné l'APF au paiement des sommes de 44 803,67 € net d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ; 19 663,31 € net d'indemnité légale de licenciement et 4 834,64 € brut d'indemnité compensatrice de préavis outre 484,36 € brut d'indemnité de congés payés ;

- l'infirmer, mais uniquement sur les quantum octroyés, en ce qu'il a condamné l'APF à lui verser la somme de 5 000 € net de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et 5 000 € net de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

En conséquence et statuant à nouveau, de :

- juger que l'APF a procédé d'une exécution déloyale de son contrat de travail et a procédé à un licenciement intervenu dans des conditions vexatoires ;

- condamner, en conséquence, l'APF à lui verser la somme de 10 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

- condamner la même à lui verser la somme de 20 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des conditions vexatoires dans lesquelles le licenciement pour faute grave est intervenu ;

- condamner l'APF à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle soutient :

- que son licenciement est privé de cause réelle et sérieuse. A titre liminaire, elle précise que les prétendus griefs sont prescrits et qu'en tout état de cause, ils ne sont ni prouvés ni avérés ;

- que la sanction est disproportionnée auxdits griefs ;

- que son licenciement a été prononcé dans des conditions vexatoires et fait suite à une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er mars 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la rupture du contrat de travail

Tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse (article L 1232-1 du code du travail).

La faute grave, selon une jurisprudence constante, est celle qui autorise le licenciement pour motif disciplinaire en raison d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations du travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien d'un salarié dans l'entreprise.

C'est à l'employeur, qui invoque l'existence d'une faute grave, d'en rapporter la preuve.

C'est au regard des motifs énoncés dans la lettre de licenciement que sont fixées les limites du débat et que s'apprécie son bien fondé.

En l'occurrence Mme [V] [I] a été licenciée pour avoir adopté des comportements inadaptés et maltraitant à l'égard de personnes accueillies au sein de l'établissement.

1/1 Sur la prescription des griefs

Selon l'article L. 1332-4 du code du travail, « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ».

Mme [I] soutient qu'au regard des termes de la lettre de licenciement, l'APF France Handicap lui reproche des actes de maltraitance et de violences morales à l'égard de deux résidents, pour Mme [H] [M] de 2006 à 2018, et pour M. [R] [J] de 2013 jusqu'au début de l'année 2019, de sorte qu'ils seraient couverts par la prescription et ne pourraient pas justifier une procédure de licenciement.

Toutefois le délai de prescription ne court pas à compter du jour où les faits ont été commis, mais à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, laquelle s'entend de l'information exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. D'autre part les dispositions de cet article ne font pas obstacle à la prise en considération d'un fait antérieur à 2 mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi dans le temps.

En l'occurrence c'est en raison de la plainte déposée le 11 juin 2019 par Mme [H] [M] et celle déposée par M. [J] le 2 juillet 2019, du chef de 'harcèlement sur personne vulnérable par personne chargée de mission de service publique(sic)' et 'violence par personne chargée d'une mission de service publique (sic) sans ITT', toutes deux visées dans la lettre de licenciement, que l'APF France Handicap a adressé une fiche de signalement d'événement indésirable le lendemain de chaque dépôt de plainte dont elle a été informée. Et c'est le 8 juillet 2019, soit six jours après avoir eu connaissance du contenu de la plainte de M. [J], que l'employeur a convoqué Mme [I] à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.

Dans sa plainte M. [J] précisait que les faits dont il se plaignait, imputés à Mme [I], avaient cessé lorsque cette dernière était en arrêt maladie, ce qui correspond à la date du 19 juin 2019.

Au vu de ces éléments factuels, qu'il faut distinguer, au stade de l'appréciation de la prescription, de la réalité des griefs invoqués pour justifier le licenciement de Mme [I], il apparaît que l'employeur a engagé les poursuites disciplinaires dans un délai inférieur à deux mois à compter du jour où il a eu connaissance des faits fautifs qui lui ont été reprochés. L'employeur était recevable, à évoquer dans la lettre de licenciement des faits antérieurs à deux mois, dès lors qu'ils pouvaient être considérés par lui que le dépôt des plaintes, intervenu moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, révélait la poursuite de ces agissements.

Toutefois, si la prescription n'est pas acquise, le jugement déféré ne sera pas pour autant infirmé de ce chef, dès lors qu'aucune mention du dispositif ne tranche cette question, même si dans sa motivation le conseil de Prud'hommes affirme expressément l'existence de cette prescription.

1/2 Sur les motifs du licenciement

Il sera en premier lieu précisé que Mme [I] ne peut efficacement se prévaloir de la décision de classement sans suite de ces plaintes, laquelle est dépourvue de l'autorité de la chose jugée. Il incombe à la présente juridiction de rechercher, dans la procédure qui lui est soumise, s'il existe des éléments sérieux et concrets permettant de retenir et qualifier la faute incriminée en tant que motif du licenciement de Mme [I].

Il résulte de l'attestation rédigée dans les formes légales le 22 septembre 2020 par Mme [U] [Z], conseillère en économie, sociale et familiale, les éléments suivants :

« Le 3 juin 2019, j'ai reçu en entretien Madame [M] [H] à sa demande. Au cours de cet échange, cette dernière a exprimé qu'elle ne supportait plus les comportements inadaptés de Madame [I] [V] vis-à-vis d'elle. Madame [M] a relaté plusieurs réflexions dont elle a fait l'objet. Elle les avaient exprimées à son frère et curateur.

Selon les dires de Madame [M], cette situation n'était pas récente et aurait débuté il y a plusieurs mois voire années.

Madame [M] m'a également évoquée qu'elle voyait régulièrement la psychologue de l'établissement à ce sujet et qu'un travail était en cours.'

...

Le 2 juillet 2019, Monsieur [J] [R] m'a demandé si il était possible l'après-midi même de l'accompagner au commissariat pour déposer plainte contre Madame [I].

Il a expliqué que depuis des années il faisait face à des réflexions réductrices, dévalorisantes et malveillantes de sa part.

Il souhaitait libérer sa parole ne se sachant pas seul. Sa soeur et curatrice était informée de sa demande. »

Dans la lettre de licenciement il est reproché à Mme [I] d'avoir tenu les propos suivants à l'égard de Mme [M] « Tu es grosse, tu sens mauvais quand tu as tes règles '', « t'as qu'à arrêter de bouffer, tu arrêteras de grossir '', « je ne débarrasserai pas ta merde de petit déjeuner ''. Il est certes précisé qu'il s'agit de propos tenus à de multiples reprises et sur une période qui a duré de 2006 à fin 2018, mais lorsque Mme [M] a déposé plainte le 11 juin 2019 c'est parce qu'elle ne supportait plus ce type de comportements de la part de Mme [I], comme elle l'a expliqué à Mme [Z], ce qui révèle leur réitération.

Dans le procès-verbal, la mention de la date d'arrivée au foyer de Mme [M] en « 2016» au lieu de '2006" est une simple erreur matérielle, provoquée par une confusion avec la date de sa mise sous curatelle renforcée mais ne saurait suffire à porter atteinte à la fiabilité du procès-verbal dont le contenu est suffisamment précis et détaillé.

Le lettre de licenciement se réfère également aux faits dénoncés dans sa plainte par M. [R] [J] lequel a indiqué qu'ils avaient débuté deux ans après qu'il soit arrivé dans l'établissement en précisant 'Dès qu'elle venait dans ma chambre pour des soins à la personne, elle se comportait mal vis a vis de moi. A savoir, elle soufflait a chaque fois qu'elle devait me mettre mes chaussures. Elle ne me faisait jamais elle même la toilette intime que ce soit le matin ou le soir car elle prétextait qu'une fois par jour c'était suffisant. Elle me regardait de façon agressive et était très froide. Elle me parlait sur un ton agressif et ne voulait pas discuter. Elle me faisait aussi des réflexions. A savoir que je mangeais trop de madeleines et que j'allais trop grossir. Ces propos étant tenus devant tout le monde dans le réfectoire pendant le goûter. Je précise que je n'osais pas lui demander à ce qu'elle m'amène aux toilettes car j'avais peur d'elle et de plus je me bloquait. Je me retenais durant des heure en attendant le personnel de nuit et cela depuis l3h30 certaines fois. A chaque fois que je lui demandais elle soufflait fortement sans parler pour autant et elle avait un regard très froid.'

M. [J] précise qu'il lui semble qu'un tel comportement de la part de Mme [I] s'est arrêté parce qu'elle était en arrêt maladie, soit, même si cette date n'est pas mentionnée, le 19 juin 2019.

Or de nombreux éléments révèlent des manquements répétés de Mme [I] à ses obligations professionnelles.

Ainsi, aux termes de l'attestation faite dans les formes légales par Mme [A] [K], fin 2018, des résidents du Foyer se plaignaient auprès de la Direction des propos qu'elle tenait ressentis comme dégradants, agressifs et blessants, ce qui a conduit M. [O], alors directeur de l'établissement et Mme [K], adjointe de direction, à rencontrer Mme [I], et à mettre en place une médiation avec la résidente concernée et la salariée. Mme [K] précise qu'elle avait été auparavant informée que Mme [I] avait déjà été reçue, pour ce type de comportement, par l'ancien directeur, M. [S].

Mme [K] précise que peu de temps après cette médiation elle a de nouveau rencontré Mme [I] pour un 'recadrage' plus officiel afin de lui signifier l'urgence de la nécessité de revoir son comportement et précise que lors de cet entretien Mme [I] a, semble-t-il, compris cette urgence. C'est dans ce contexte, et à l'issue de deux entretiens avec la Directrice, Mme [Y] (les 29 novembre et 17 décembre 2018) qu'a été décidé la mise en place d'un accompagnement renforcé de Mme [I], sur une période de six mois, de janvier à juin 2019, assuré par Madame [K].

Mme [L], psychologue, atteste, dans les formes légales, avoir reçu Madame [I] en entretien clinique, à deux reprises entre octobre et novembre 2018 avec pour objectif « de lui offrir un espace d'écoute, d'échange et de réflexion concernant son positionnement de soignant vis-à-vis des résidents du foyer de vie, suite à des faits de maltraitance évoqués notamment par la résidente [H] [M] ».

Ces entretiens ont été complétés par une action de formation, dont Mme [I] ne peut efficacement soutenir qu'elle était sans rapport avec les propos qui lui étaient imputés à l'encontre de résidents puisqu'elle était intitulé « communication non violente », et avait pour objectif de avait pour objectifs de :

« - Repérer la complexité de la communication.

- Comprendre les enjeux sous-jacents dans la dimension relationnelle.

- Développer son aptitude à communiquer avec autrui.

- S'appliquer à instaurer une relation de confiance mutuelle.

- Apprendre à gérer les situations de conflits. »

Les allégations de Mme [I] selon lesquelles son licenciement serait en réalité lié à un problème personnel de la Directrice, Mme [Y], envers elle, ne repose sur aucun élément.

Un courrier du 10 janvier 2019 rédigé par Mme [Y] démontre au contraire qu'elle n'a pas voulu la stigmatiser mais a cherché à l' ' accompagner dans un changement de positionnement professionnel afin que le lien de confiance entre vous, les résidants concernés et leur famille soit rétablie de manière durable et pérenne.' Cette lettre l'encourageait à poursuivre le suivi qu'elle avait accepté d'avoir avec le psychologue de l'établissement et le médecin psychiatre mais également avec un professionnel extérieur, comme elle l'avait indiqué elle-même.

Rien ne permet de laisser penser que Mme [Y], qui, au surplus, n'accompagnait pas les résidents au quotidien, les aurait « manipulés » pour engager une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme [I].

Les attestations produites par Mme [I] émanent de personnes qui n'étaient pas présentes au moment des faits, se trouvait en arrêt de travail ou dans des équipes différentes, et ne démontrent pas qu'elle n'a pas été l'auteur des propos incriminés. Elles ne sont pas en mesure de contester utilement les éléments précis, cohérents et concordants apportés par les témoins sur les faits litigieux, comme cela vient d'être exposé.

En définitive il apparaît que la réalité des griefs reprochés à Mme [I] dans la lettre de licenciement, ayant consisté en des 'comportements inadaptés et maltraitants à l'égard des personnes accueillies au sein de l'établissement' est avérée.

1/3 Sur la qualification des faits

Compte tenu de son activité médico-sociale au bénéfice de personnes en situation de handicap, le respect de la dignité des personnes est une valeur fondamentale défendue par l'association APF France Handicap qui cherche à favoriser la prévention des actes de maltraitance et la promotion de la bientraitance.

En outre, l'Association a créé, au début de l'année 2017, un « Observatoire de la Bientraitance » visant à garantir la bienveillance envers les usagers et prévenir les situations de maltraitance.

Le projet d'établissement de la plateforme de [3] a été construit en s'appuyant sur les

recommandations de la Haute Autorité de la Santé, en particulier sur les thématiques des bonnes pratiques et de la bienveillance/bientraitance.

Ce projet, auquel Madame [I] a participé en co-construction avec l'équipe de la plateforme, prévoit tout un dispositif de lutte contre les actes de maltraitance.

Dans le cadre de ses fonctions, Mme [I] était, notamment, tenue d'aider les résidents dans les gestes de la vie quotidienne (lever, coucher, toilette, repas, etc'), d'assurer la surveillance de leur état de santé et d'accéder à leurs demandes personnelles.

Par ailleurs le règlement intérieur applicable au personnel de l'association réglemente en particulier le respect des règles de bientraitance. Selon l'article l'article 18 « Le comportement du personnel à l'égard des usagers s'inscrit dans le cadre du respect des droits et libertés de la personne accueillie ou accompagnée.

Le personnel doit concourir, notamment à la santé, au bien-être physique et moral de chaque usager et respecter sa dignité, son intégrité, sa vie privée, son intimité, sa liberté de conscience et sa sécurité. »

Aux termes de l'article 19 relatif à la « maltraitance » :

« La mission que s'est donnée l'Association des Paralysés de France, de défendre la personne en situation de handicap dans tous les aspects de sa vie pour lui permettre de vivre pleinement sa condition de femme ou d'homme libre et responsable, est la justification première du refus d'accepter que des situations de maltraitance puissent se faire jour tant pour les jeunes confiés à l'Association par leur famille que pour les adultes.

(') Enfin, tout acte de maltraitance commis, par un membre du personnel à l'encontre d'un usager, constitue une faute pouvant justifier un licenciement et ce, indépendamment d'éventuelles poursuites judiciaires à son encontre. »

Selon l'article 21 intitulé « Violence au travail et discrimination » :

« Le respect de la dignité des personnes est une valeur fondamentale défendue par l'APF; elle ne peut être transgressée, à quelque niveau que ce soit et en particulier dans le cadre de la collectivité de travail.

C'est pourquoi toute violence, quelle qu'en soit la nature (morale, verbale, comportementale, physique') ou la forme (par action ou par omission) ne saurait être tolérée.

Pour les mêmes raisons tout acte constitutif de discrimination (directe ou indirecte) est prohibé.

Le non-respect de ces règles constitue une faute justifiant une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement et ce nonobstant d'éventuelles poursuites judiciaires.»

C'est dans le cadre de ces obligations professionnelles que doit s'effectuer la qualification des griefs reprochés à Mme [I]. Les propos qu'elle a tenus envers 2 résidents relèvent indiscutablement d'un comportement de maltraitance, qui s'est renouvelé sur plusieurs années et qu'elle n'a pas été en mesure d'arrêter, malgré plusieurs avertissements de la part de différents directeurs et un accompagnement dont elle n'a pas su tirer profit.

La réitération de ces faits, qui a conduit Mme [H] [M] et M. [R] [J] à déposer plainte, ont constitué une violation par Mme [I] de ses obligations contractuelles en qualité de monitrice-éducatrice au sein du foyer [3] accueillant un public vulnérable. Des faits dont l'employeur pouvait considérer qu'ils ne méritaient pas une sanction disciplinaire à leur date de commission, n'interdisaient pas à l'employeur de considérer qu'ils accentuaient la gravité de faits similaires commis ultérieurement.

Mme [I] travaillait depuis plus de 26 années aux services de l'APF France Handicap. Si ses fautes ne rendaient pas impossible son maintien dans l'entreprise et ne pouvaient justifier un licenciement pour faute grave, il doit être considéré qu'elles constituaient une cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Le jugement déféré sera infirmé en conséquence.

2/ Sur les indemnisations sollicitées au titre d'une exécution déloyale du contrat de travail et du caractère vexatoire du licenciement

Mme [I] sollicite la condamnation de l'APF France Handicap au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommage et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail.

Cependant il est amplement démontré que l'employeur de Mme [I] ne l'a sanctionnée qu'en raison de la réitération des manquements à ses obligations contractuelles et après avoir vainement mis en oeuvre des mesures d'accompagnement pour lui éviter toute sanction disciplinaire.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé de ce chef également.

Mme [I] sollicite la condamnation de son employeur au paiement de la somme de 20.000 € à titre de dommage et intérêts pour licenciement vexatoire.

Mme [I] a été placée en arrêt maladie à compter du 19 juin 2019 alors que la procédure de son licenciement n'était pas engagée et elle n'établit aucunement que l'affection de longue durée dont elle fait état serait liée aux circonstances dans lesquelles est intervenu son licenciement d'autant que la CPAM a refusé la prise en charge de l'accident de travail qu'elle a déclaré.

La procédure de licenciement a été réalisée dans le respect des exigences légales et Mme [I] doit être déboutée de ce chef de demande également.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

3/ Sur l'indemnisation du licenciement de Mme [I]

3/1 Sur l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents

Mme [I] sollicite la condamnation de l'APF France handicap à lui payer la somme de 4.843,64 € au titre de l'indemnité de préavis outre 484,36 au titre des congés payés afférents.

Le salarié licencié à tort pour faute grave a droit à une indemnité compensatrice de préavis. En application des dispositions des articles L 1234-1 et L 1234-2 du Code du travail, Mme [I], qui avait une ancienneté supérieure à deux années aurait dû bénéficier d'un préavis de 2 mois.

Il sera fait droit à ces demandes et le jugement critiqué sera confirmé de ces chefs.

3/2 Sur l'indemnité légale de licenciement

Mme [I] sollicite la condamnation de L'APF France handicap à lui payer la somme de 19.663,31 € au titre de l'indemnité de licenciement.

Aux termes de l'article R 1234-2 du code du travail, cette indemnité ne peut être inférieure à 1/4 de mois du salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans, et un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

Mme [I] disposait d'une ancienneté de 26 ans, 10 mois et 10 jours et percevait un salaire mensuel moyen de 2.421,82 € brut.

L'indemnité légale de licenciement sollicitée à hauteur de19.663,31 € est justifiée.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

4/ Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

L'association APF France handicap, qui n'obtient pas intégralement gain de cause, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

L'équité commande de la condamner à verser à Mme [I] une indemnité de 800€, au titre de ses frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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PAR CES MOTIFS

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La Cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement déféré rendu le 1er février 2022 par le conseil de prud'hommes de Limoges en ce qu'il a condamné l'association APF France handicap à verser à Mme [V] [I] les sommes de 4.843,64 € au titre de l'indemnité de préavis outre 484,36 au titre des congés payés afférents ainsi que celles de 19.663,31 € au titre de l'indemnité de licenciement et en ce qu'il a statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'INFIRME des autres chefs ;

Statuant à nouveau ;

DECLARE que le licenciement de Mme [V] [I] repose sur une cause réelle et sérieuse non sur une faute grave ;

DEBOUTE Mme [I] de ses demandes en paiement d'indemnités au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour licenciement vexatoire et au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

Y ajoutant ;

CONDAMNE l'association APF France handicap aux dépens d'appel ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l'association APF France handicap à verser à Mme [I] une indemnité de 800 € ;

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00172
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;22.00172 ?
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