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15/06/2023 | FRANCE | N°21/00553

France | France, Cour d'appel de Limoges, Chambre sociale, 15 juin 2023, 21/00553


ARRET N° .



N° RG 21/00553 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIHCF



AFFAIRE :



M. [X] [N], M. [L] [N]



C/



S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN









PLP/MS







Autres demandes relatives au cautionnement



















Grosse délivrée à Me Paul GERARDIN, Me Pierre - Alexis AMET, avocats, le 15 juin 2023.





COUR D'APPEL DE LIMOGES

Chambre sociale
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ARRET DU 15 JUIN 2023

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Le QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre économique et sociale a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:



ENTRE :



Monsieur [X] [N]

né le [Date na...

ARRET N° .

N° RG 21/00553 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIHCF

AFFAIRE :

M. [X] [N], M. [L] [N]

C/

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN

PLP/MS

Autres demandes relatives au cautionnement

Grosse délivrée à Me Paul GERARDIN, Me Pierre - Alexis AMET, avocats, le 15 juin 2023.

COUR D'APPEL DE LIMOGES

Chambre sociale

---==oOo==---

ARRET DU 15 JUIN 2023

---===oOo===---

Le QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre économique et sociale a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:

ENTRE :

Monsieur [X] [N]

né le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 5], demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Pierre - alexis AMET, avocat au barreau de BRIVE

Monsieur [L] [N]

né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 4], demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Pierre - alexis AMET, avocat au barreau de BRIVE

APPELANTS d'une décision rendue le 30 AVRIL 2021 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BRIVE

ET :

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Paul GERARDIN, avocat au barreau de LIMOGES, Me Olivier TOURNAIRE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMEE

---==oO§Oo==---

Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 07 Novembre 2022. L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 octobre 2022.

La Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Monsieur Jean-Pierre COLOMER et de Madame Géraldine VOISIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.

Puis Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 28 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

La mise à disposition de la décision a été prorogée aux 22 février 2023, 27 avril 2023, 1er juin 2023, et 15 juin 2023, et les avocats des parties en ont été régulièrement informés.

---==oO§Oo==---

LA COUR

---==oO§Oo==---

EXPOSE DU LITIGE :

La SARL [N] est une société spécialisée dans le négoce de viande et de bestiaux.

Le 3 novembre 2016, suite à l'ouverture du compte professionnel de l'entreprise auprès de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN (la CEPAL), une ligne de billets à ordre d'un montant de 150 000 € a été accordée à la société, billet renouvelé le 31 janvier 2017 et le 23 mars 2017. A compter du 17 février 2017, une ligne supplémentaire de billet à ordre d'un montant de 100 000 € a été accordée à la société [N] et à compter du 1er juin 2017, les deux lignes ont été regroupées en une seule de 250 000 €.

Par une ordonnance du 8 novembre 2017, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a ouvert une procédure de mandat ad hoc au profit de la société [N] dont MM. [L] et [X] [N] étaient les co-gérants.

Le 1er août 2018, la CEPAL a renouvelé à la société [N] un billet à ordre d'un montant de 250 000 € à échéance au 31 août suivant, billet avalisé par MM. [N]. Ledit billet correspondait à celui initialement accordé le 3 novembre 2016 et prorogé à la demande du mandataire ad hoc à la date du 31 août 2018.

Par un jugement du 15 janvier 2019, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a prononcé la liquidation judiciaire de la société [N], la SCP BTSG étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Le 18 janvier 2019, la CEPAL a adressé une mise en demeure à MM. [L] et [X] [N].

Par un courrier du 7 février 2019, la CEPAL a déclaré sa créance entre les mains du mandataire liquidateur, créance composée notamment par la somme due au titre du billet à ordre.

Par exploit d'huissier du 27 mars 2019, la CEPAL a fait assigner MM. [L] et [X] [N] devant le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde aux fins d'obtenir notamment leur condamnation au paiement de la somme de 250 000 € en leur qualité d'avaliste du billet à ordre du 1er août 2018.

Par jugement du 30 avril 2021, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a :

- condamné solidairement MM. [L] et [X] [N] au paiement de la somme de 250 000 € assortie des intérêts au taux Euribor à 3 mois +1,5% à compter du 18 janvier 2019 ;

- ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 18 janvier 2019 

- condamné solidairement MM. [L] et [X] [N] au paiement de la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné solidairement MM. [L] et [X] [N] aux entiers dépens.

MM. [L] et [X] [N] ont interjeté appel de la décision le 21 juin 2021. Leur recours porte sur l'ensemble des chefs de jugement.

Parallèlement, le 11 janvier 2022, le liquidateur judiciaire de la société [N] assignait MM. [N], en leur qualité de dirigeants de la société [N] AGROALIMENTAIRE, en responsabilité pour insuffisance d'actif devant le tribunal de commerce de Brive, puis, par assignation du 23 mars 2022, les consorts [N] appelaient en cause le mandataire ad hoc et la CEPAL dans le cadre de la procédure diligentée par le liquidateur judiciaire.

Par un jugement du 6 septembre 2022, le tribunal de commerce de Brive faisait notamment droit à l'exception d'incompétence soulevée par la SELARL [P] et associés et renvoyait les parties devant le tribunal judiciaire de Paris, rejetait la demande de jonction des consorts [N], constatait l'impossibiIité de mettre en oeuvre une conciliation ou une médiation, déclarait irrecevable l'appel en cause de la CEPAL et ordonnait le rappel de I'affaire à l'audience du 16 septembre 2022 pour la mise en place d'un calendrier de procédure. Les consorts [N] ont fait appel de cette décision.

Dans la présente instance, suite à un incident de procédure soutenu par les consorts [N], par ordonnance du 18 mai 2022 ils ont été notamment déboutés de leur demande tendant au retrait du rôle de la procédure et au sursis à statuer et leur demande a été déclaré irrecevable au stade la mise en état et sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, la demande présentée par la CEPAL visant à faire déclarer irrecevable une demande au fond, présentée par les consorts [N].

Aux termes de leurs écritures du 23 septembre 2022, MM. [N] demandent à la cour, à titre principal, de :

- surseoir à statuer dans l'attente de l'issue des procédures d'appel en responsabilité de la banque et de Maître [P], actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Limoges ;

Subsidiairement, statuant à nouveau, de :

- déclarer la CEPAL irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter ;

- dire nul et de nul effet l'aval par eux donné sur le billet à ordre de 250 000 €

- subsidiairement, condamner la CEPAL à leur payer une somme au moins égal aux sommes réclamées par la CEPAL, majorées de 15 000 € supplémentaires au titre de leur préjudice respectif ;

- condamner la CEPAL à leur payer la somme de 2 500 € chacun par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais de recouvrement fixés aux articles L. 444-1 et suivants du code de commerce.

Ils indiquent qu'en l'état procédural du dossier, un sursis s'impose, la recevabilité d'une action portant sur l'obligation à charge des avalistes d'honorer leur signature ne pouvant être examinée avant même que ne soient examinée la responsabilité de la banque émettrice ou celle du mandataire ad hoc.

Ils soutiennent que la responsabilité de la banque doit être engagée au regard des fautes commises et de l' immixtion de la CEPAL dans la gestion des sociétés [N] et que leur aval doit donc être considéré comme étant nul et sans objet. Ils indiquent que la banque avait officiellement connaissance de la situation financière dégradée de la société [N], mais a tout de même choisi de soutenir l'activité qu'elle savait chroniquement déficitaire contre la garantie des dirigeants. Ils rappellent que dans le cadre d'un mandat ad hoc, les banques conservent leur totale liberté de maintenir ou pas leur concours et qu'il appartenait au mandataire liquidateur d'exercer l'action en rapport à l'encontre de la CEPAL.

Les consorts [N] exposent qu'il existait une disproportion flagrante entre leur patrimoine et les engagements souscrits, MM. [N] étant déjà par ailleurs caution ou aval pour des montant conséquents. La nullité des avals donnés est donc encourue.

Ils font valoir que la banque, en s'abstenant de les conseiller et face à un mandataire ayant totalement failli à sa mission, a manqué à ses obligation de mise en garde et de conseil, leur causant un préjudice au moins égal aux sommes réclamées.

Aux termes de ses écritures du 27 septembre 2022, la CEPAL demande à la cour de :

- déclarer irrecevable la demande de MM. [N] tendant au sursis à statuer de la présente procédure ;

- déclarer irrecevable et à tout le moins infondée la demande des consorts [N] tendant à sa condamnation à leur verser une somme au moins égale aux sommes par elle réclamées majorée de 15 000 € supplémentaires au titre de leur préjudice respectif ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué ;

- condamner solidairement MM. [N] au paiement de la somme de 250 000 € en leur qualité d'avaIiste du billet à ordre souscrit par la société [N] le 1er août 2018 ;

- dire que cette somme portera intérêts au taux Euribor à 3 mois + 1,5%, à compter de l'envoi de la mise en demeure du 18 janvier 2019 ;

- faire application de l'article 1343-2 du code civil, pour toute somme due au-delà d'un an, à compter du 18 janvier 2019 ;

- ordonner le retrait des propos diffamants dans les conclusions des consorts [N] ;

- les condamner solidairement à lui porter et payer la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts compte tenu des propos diffamants dans les conclusions ;

- condamner solidairement MM. [N] au paiement de la somme de 7 000 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

 

La CEPAL soutient que la demande de sursis à statuer est irrecevable en ce qu'elle relève de la compétence du conseiller de la mise en état, et n'est pas justifiée par ailleurs. En outre, elle affirme que la demande de condamnation au paiement d'une somme au moins égale aux sommes par elle réclamées, majorée de 15 000 € supplémentaires au titre du préjudice est irrecevable en ce qu'elle constitue une demande nouvelle en cause d'appel.

Concernant le billet à ordre renouvelé le 1er août 2018, la CEPAL fait valoir qu'elle est fondée à obtenir le paiement de la somme due au titre de l'engagement d'avaliste des consorts [N], leur engagement étant parfaitement valable en l'absence de toute disproportion à leurs biens et revenus ou d'un prétendu manquement de la CEPAL à une obligation de conseil et de mise en garde, ou à un devoir d'information, aucune de ces obligations ne s'imposant en matière d'aval et les consorts [N] ne pouvant valablement prétendre que leur consentement aurait été vicié.

La banque conteste avoir soutenu la société de manière abusive, sa responsabilité ne pouvant être engagée sur le fondement de l'article L. 650-1 du code du commerce. Pareillement, la CEPAL indique que le liquidateur a précisé qu'il n'envisageait pas d'engager à son encontre une action sur le fondement de l'article L. 632-3 du code de commerce, les consorts [N] ne pouvant donc pas s'en prévaloir.

La CEPAL expose que les dirigeants ont commis de nombreuses fautes de gestion, le mandat ad hoc n'affectant pas les pouvoirs et les obligations du chef d'entreprise et les consorts [N] n'ayant notamment pas déclaré l'état de cessation des paiements ni adopté une position claire lors de la procédure de mandat ad hoc. Elle indique enfin que les demandes indemnitaires sont infondées en l'absence d'un préjudice établi mais surtout du montant de celui-ci.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la demande de sursis à statuer

MM. [N] ont saisi la Cour d'appel d'une demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue des procédures d'appel en responsabilité de la banque CAISSE D'EPARGNE et de Maître [P] actuellement pendante devant le Tribunal de Commerce de Limoges.

Toutefois cette demande est irrecevable dès lors que par ordonnance du 18 mai 2022, non déférée à la cour d'appel, ayant autorité de la chose jugée, cette même demande de sursis à statuer, a été rejetée.

2/ Sur la recevabilité de la demande présentée par les consorts [N] de

condamnation de la CEPAL à leur verser une somme au moins égale aux sommes réclamées par la concluante, majorée de 15 000 € supplémentaires au titre de leur préjudice respectif.

La CEPAL soutient qu'il s'agit d'une demande irrecevable en application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, pour être nouvelle en cause d'appel, n'ayant pas figuré dans les demandes reconventionnelles de MM. [N] en première instance.

En réalité il s'agit d'une demande d'indemnisation présentée à titre subsidiaire par MM. [N] et qui tend aux mêmes fins que les prétentions tendant à la réparation des préjudices, formées en première instance. Elle est donc recevable.

3/ Sur la disproportion des concours au sens de l'article 650-1 du code du commerce et le défaut de conseil et de mise en garde de la banque

MM. [N] exposent que :

- [L] [N] déclarait des revenus de 3 000 € tirés de l'exploitation de la SARL [N] dont la banque connaissait déjà en 2016 les grandes difficultés. Il déclarait par ailleurs un patrimoine foncier de 770 000 € dont des parts de SCI, curieusement valorisées 20 000 € en 2015 et 200 000 € en 2017.

- [X] [N] déclarait des revenus de 3 000 € tirés de l'exploitation de la SARL [N] dont la banque connaissait déjà en 2016 les grandes difficultés. Il déclarait par ailleurs une épargne de 18 762,23 €, un patrimoine foncier de 160 000 € et des remboursements de prêts personnels pour 150.12 € par mois.

Ils soulignent en outre que ces documents révèlent les coordonnées bancaires du CREDIT AGRICOLE, l'autre banque de [L] et [X] [N], de sorte que la CEPAL ne pouvait ignorer qu'en réalité, à la date de l'aval donné sur le billet à ordre de 250 000 € :

' [L] [N] était déjà caution ou aval à divers titres pour un montant de 788 750€.

' [X] [N] était déjà caution ou aval à divers titres pour un montant de 753 750 €.

Ils considèrent que la disproportion est évidente et que la nullité pure et simple est encourue en application de l'article L 650-1 du Code de Commerce mais aussi du droit général du cautionnement impliquant la nullité de celui-ci lorsque la disproportion est flagrante entre le patrimoine et les engagements donnés de ce chef également. La nullité serait également encourue au titre de l'article L332-1 du code de la consommation. La disproportion manifeste du cautionnement souscrit par la personne physique imposait de prendre en compte les engagements antérieurs.

Toutefois aux termes de l'article L. 511-21 al. 8 du code de commerce l`engagement du donneur d'aval est valable «alors même que l 'obligation qu'il a garantie serait nulle pour toute cause autre qu 'un vice de forme ''.

La SARL [N] a bénéficié d'un renouvellement d'un billet à ordre le 1er août 2018 au bénéfice de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN et MM. [X] et [L] [N] ont avalisé ce billet et n'allèguent aucun vice de forme.

L'aval, en ce qu`il garantit le paiement d'un titre dont la régularité n'est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque bénéficiaire du billet à ordre pour manquement à un devoir d'information (Cass. com., 20 avril 2017, n°15 -14.812) .

La Cour de cassation a également précisé qu'il ne reposait sur l'établissement bancaire aucun devoir de mise en garde et qu'aucune disproportion ne pouvait être soulevée quant au patrimoine et aux revenus de l'avaliste (Cass. com., 28 juin 2016, n°14 -23.836).

4/ Sur la responsabilité de la CEPAL fondée sur les dispositions de l'article 650-1 du code du commerce

Aux termes de l'article L 650-1 du code de commerce, la responsabilité du dispensateur de crédit fautif en cas de procédure collective de son débiteur, peut être retenue dans l'un des trois cas suivants :

- Fraude,

-Immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur,

- Si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

Il est également précisé que dans le cas où la responsabilité du créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.

MM. [N] affirment que la CEPAL s'est immiscée dans la gestion de la SARL [N] ce qui lui a permis d'avoir connaissance de sa situation qui était irrémédiablement comprise. Ils soutiennent que le maintien du financement d'une activité qu'elle connaissait comme étant chroniquement déficitaire, justifie de considérer comme sans objet ou nuls et de nul effet les avals qu'ils ont donnés.

Il appartient en conséquence aux consorts [N] de démontrer que la CEPAL a exercé, en toute indépendance, une activité positive de direction dans la SARL [N].

Ils rappellent que dès le 8 novembre 2017 la SELARL [P] & ASSOCIES était désignée comme mandataire ad hoc et a immédiatement réuni les banques. Mais ils insistent sur le fait que pour autant, dans le cadre d'un mandat ad hoc, les banques conservent leur totale liberté sans aucune obligation vis-à-vis du mandataire. Ils se fondent sur la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt du 22 septembre 2015 n° 16-17.377,) qui a consacré le principe de l'autonomie de la volonté des banquiers face aux propositions d'un mandataire ad hoc de maintenir les concours. Ainsi la banque peut, sans faute de sa part, refuser son accord.

En l'occurrence le mandat de la SELARL [P] & ASSOCIES était extrêmement large, consistant à assister le groupe [N] dans la gestion et le contrôle de ses entreprises afin de prendre toutes initiatives, après avoir pris attache avec les partenaires financiers, propres « à faciliter la pérennité des activités de la société et des emplois attachés ».

MM.[N] font valoir que la CEPAL fait le choix de soutenir l'activité du groupe, à compter du 30 juin 2016 alors qu'elle venait d'être informée de l'avis de perte de la moitié du capital social de la SARL [N]. Ils considèrent que cette banque ne disposait d'aucun élément tangible et pertinent sur lequel s'appuyer pour justifier le choix de continuer à financer, décision dictée exclusivement selon eux par l'obtention d'une contre-garantie, caution ou aval. Ils font valoir que les banques et le mandataire ad hoc ont pris des décisions entre eux et en dehors de leur présence, en évoquant un redressement totalement hypothétique, alors qu'ils avaient en mains le rapport d'audit calamiteux dressé par PricewaterhouseCoopers en juillet 2018 qui décrivait l'évolution de la situation entre 2015 et 2018 sur les trois sociétés du groupe, faisant apparaître une forte diminution de son chiffre d'affaires, 'de €8.6m en FY16 vs. FY15 (soit - 35%) et de €5m en FY17 (soit -32%)' qui s'expliquait notamment par l'arrêt des ventes avec le marché Turc en FY16 (-€4m) et l'acquisition des fonds de commerce pour SAS [N] et pour [N] Agro, ce qui avait eu un impact sur les achats/ventes de bestiaux (partage des achats de bestiaux entre les entités).'

MM. [N] font valoir que la conséquence de cette situation s'est traduite par une augmentation considérable du passif du groupe à compter de janvier 2018 pour s'élever, s'agissant de la SARL [N], à la somme de 1 321 860.59 € au 17 décembre 2019 alors qu'au 30 juin 2018 il était de 168 200 €.

Dès lors, selon eux, en décidant, à compter du 9 janvier 2018, de se maintenir et de continuer à financer une activité qu'elles connaissaient désormais de manière officielle comme étant chroniquement déficitaire pour être même en état de cessation des paiements, les banques, et plus particulièrement la CEPAL, se sont implicitement mais nécessairement immiscées dans la gestion de cette entreprise, en concours avec le mandataire ad hoc.

Il sera en premier lieu rappelé que l`immixtion caractérisée au sens de l`article L 650-1 du code de commerce consiste en une gestion de fait de l'entreprise débitrice par le créancier, se manifestant notamment par des actes positifs de direction de celle-ci.

Par ailleurs les consorts [N] se réfèrent à plusieurs tableaux comptables dont certains ne concernent pas la SARL [N], sans opérer de distinction dans leur commentaire.

D'autre part ils soutiennent que l'état d'endettement de la SARL [N] est passée de 168 200,00 € en juin 2018 à 1 321 860,59 € lors de la liquidation judiciaire alors que la somme de 168 200,00 € visée correspond non pas aux dettes de la SARL [N], mais au retard de paiement uniquement.

En l'occurrence la CEPAL avait dénoncé les concours bancaires par courrier du 10 novembre 2017 et c'est [L] [N] qui a sollicité la désignation d'un mandataire ad hoc en novembre 2017, révélant que selon lui, et contrairement à ses actuelles affirmations, la situation financière de la SARL [N] n`était pas obérée à cette date. Il l'explicitait d'ailleurs dans sa requête en indiquant que l'entreprise avait réalisé des pertes sur les exercices de 2015 et 2016, qu'elle avait décidé de changer d'expert-comptable, pour l'aider dans sa gestion et sa réorganisation et qu'elle avait besoin de négocier avec ses banques un maintien des concours à court terme.

Le tribunal de commerce de Brive a d'ailleurs donné crédit à cette argumentation en faisant droit à cette demande par ordonnance du 8 novembre 2017. Une telle procédure permettait ainsi à MM. [N] de conserver l'ensemble de leurs pouvoirs de gestion de l'entreprise, la mission du mandataire ad hoc consistant à les assister dans le cadre défini dans l'ordonnance le désignant.

Le 9 février 2018, le mandataire ad hoc demandait la prorogation de la suspension des dénonciations et le maintien des concours court terme, jusqu'à la prochaine réunion du 7 mars, précisant que les ventes reprenaient : « Monsieur [N] a sollicité la remise en place d 'une caution limitée a 80 000,00 €... m 'a confirmé au travers de nos nombreux échanges au cours de ces dernières 48 heures, être parvenu a réaliser des ventes qui devraient éviter un creux de trésorerie sur la SARL [N]''.

Par mail du 1er juin 2018, l'expert-comptable [M] [F], écrivait à Monsieur le Préfet pour l'informer que le chiffre d'affaires et la marge de la SARL [N] étaient en nette amélioration à la fin avril 2018 et que la situation comptable devant être finalisée le 4 juin 20018 devrait être proche de l'équilibre.

C'est M. [O] [N] lui-même, et non la CEPAL, qui, dans un courriel du 20 juin 2018, en sa qualité de représentant de la SARL [N], a décidé de mettre fin aux missions de ce comptable en regrettant qu'il se soit comporté de manière inappropriée avec quasiment tous les intervenants dans la procédure de mandat ad hoc et lui reprochant une attitude qui avait nuit à l'image des sociétés ainsi qu'à sa famille et les avait menés dans une impasse.

Dans son courrier du 21 juillet 2021 le mandataire liquidateur a rappelé que la CEPAL avait maintenu les concours qu 'elle avait consentis depuis 2016 au profit de chaque société du groupe, à la requête du mandataire ad hoc, lequel attendait de son coté que les promesses faites par les consorts [N] aux fins d'amélioration de la situation des sociétés soient réalisés.

Postérieurement, le 21 septembre 2018, le mandataire ad hoc demandait aux établissements bancaires de proroger leurs concours court terme et cautions de marché jusqu'au 30 octobre, après avoir indiqué que M. [N] lui avait présenté les actions qu'il avait menées ces 6 dernières semaines et qui avaient consisté, s'agissant de la SARL [N], en une réduction des charges de 62 000 € annuels, 2 suppressions de poste représentant 41 000 € d'économies annuelles, 4 suppressions de véhicules en CB ou leasing représentant 21 000 € d'économies annuelles, et de ventes de matériels agricoles pour 60 000 €. Ces mesures s'inscrivaient dans le cadre d'une fusion des sociétés de négoce prévue fin 2018 et visant à minimiser les coût de structure et les flux entre les sociétés.

Le mandataire ad hoc précisait également que durant la période estivale M. [N] avait travaillé sur plusieurs pistes de ventes d'actifs immobiliers personnels, lui permettant d'apporter une somme estimée entre 200 000 et 400 000 € (vente de parcelles agricoles à la Bourse de l'immobilier estimée entre 197 000 € et 217 000 € et vente d'un autre actif immobilier d'environ 30 000 €). Etait également évoquée la sollicitation de la Région à concurrence de l'apport de M. [N].

Le mandataire ad hoc concluait en précisant que la situation financière au 31 août leur serait transmise prochainement.

La demande, de la part de la banque, de renseignements d'ordre financier et notamment d'un prévisionnel, était justifiée afin de lui permettre de décider, en connaissance de cause, du maintien de ses concours financiers.

Le 31 octobre 2018, la CEPAL était rassurée par le mandataire ad hoc qui affirmait « Je vous confirme m'être entretenu avec M. [N] qui comprend et partage votre analyse sur l 'urgence à matérialiser les apports ''.

Il apparaît ainsi que [L] [N] continuait de diriger son entreprise, sollicitait les concours bancaires pour ses différentes sociétés et communiquait à cette fin des éléments positifs sur les actions menées et le redressement mis en oeuvre de la SARL [N], ce qui était de nature à rassurer la CEPAL et à la convaincre de maintenir ses concours financiers.

Compte tenu des mesures envisagées par les consorts [N], des restructurations et des apports en capitaux évoqués, la CEPAL a pu légitimement croire à la réussite de la procédure de mandat ad hoc.

Au surplus aucune aggravation du passif n'est intervenue du fait de la CEPAL dont l'encours détenu dans ses livres ne s'est pas accru entre la date de désignation d'un mandataire ad hoc, le 8 novembre 2017, et la date de la liquidation judiciaire, en janvier 2019, pour s'élever à 250 000 €.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que MM. [N] ne démontrent pas l'existence d'une immixtion caractérisée de la CEPAL dans la gestion de la SARL [N]. Le simple maintien par la banque d'un découvert du compte pendant quelques mois, malgré une lettre de dénonciation, dans le contexte d'une procédure de sauvegarde de justice, avec l'aval du mandataire ad hoc et la participation active du gérant de la société, est insuffisant à constituer cette immixtion fautive.

Par ailleurs ils ne démontrent pas davantage que cette banque avait connaissance d'un état de cessation de paiement de ladite SARL lorsqu'elle a renouvelé, pour la dernière fois, le 1er/08/2018 le billet à ordre, au 31/08/2018 avalisé par MM. [N].

5/ Sur le vice du consentement allégué par MM. [N]

MM. [X] et [L] [N] soutiennent que leur consentement d'avaliste a été vicié, la CEPAL ne leur ayant pas communiqué les informations qui leur aurait permis de savoir que la situation de la SARL [N] était irrémédiablement compromise lors de leur engagement.

En premier lieu il sera constaté qu'ils ne rapportent pas la preuve de l'existence des informations en question dont la banque aurait disposé sans les leur avoir communiquées.

En réalité MM. [L] et [X] [N] étaient co-gérants de la société depuis sa création en 2010 et ne pouvaient ignorer, en leur qualité de dirigeant, la situation financière de la SARL [N] en 2018. Cette connaissance résulte d'ailleurs expressément des termes de la requête précitée du 8 novembre 2017 qui sollicitait la désignation d'un mandataire ad hoc en évoquant les pertes sur les exercices 2015 et 2016.

Cette connaissance précise de la situation financière de l'entreprise résulte également de leur implication dans la recherche d'une solution avec l'aide du mandataire ad hoc comme cela a été précédemment exposé, et il n'est aucunement démontré que la CEPAL aurait eu sur la situation de la SARL [N] des informations qu 'ils auraient eux-mêmes ignorées.

Ils ne rapportent aucune preuve du vice de leur consentement et doivent être déboutés de leur demande tendant à la nullité de leur engagement d'avalistes en garantie du billet à ordre souscrit le 1er août 2018, en renouvellement du billet à ordre souscrit par la même le 3 novembre 2016.

Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

6/ Sur les demandes annexes

En application des dispositions de l'article 696 du code civile, MM. [L] et [X] [N], parties perdantes, seront solidairement tenus aux dépens de l'instance d'appel mais l'équité commande de débouter la CEPAL de sa demande en paiement d'une indemnité de 7 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

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PAR CES MOTIFS

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La Cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

DECLARE irrecevable la demande, présentées par MM. [X] et [L] [N], de sursis à statuer dans l'attente de l'issue des procédures d'appel en responsabilité de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN (CEPAL) et de Maître [P] ;

DECLARE recevable la demande présentée par les consorts [N] de condamnation de la CEPAL à leur verser une somme au moins égale aux sommes réclamées par la concluante, majorée de 15 000 € supplémentaires au titre de leur préjudice respectif ;

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant ;

CONDAMNE solidairement MM. [L] et [X] [N] dépens d'appel ;

DEBOUTE la CEPAL de sa demande en paiement d'une indemnité de 7 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00553
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;21.00553 ?
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