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27/04/2023 | FRANCE | N°22/00245

France | France, Cour d'appel de Limoges, Chambre sociale, 27 avril 2023, 22/00245


ARRET N°



N° RG 22/00245 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIKDU







AFFAIRE :



S.A.R.L. [W]



C/



M. [A] [P]









PLP/NC





Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution























Grosse délivrée à Me Olivier BROUSSE et Me Franck DELEAGE le 27 avril 2023









COUR D'APPEL DE LIMOGES<

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CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE



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ARRÊT DU 27 AVRIL 2023



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Le vingt sept Avril deux mille vingt trois la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greff...

ARRET N°

N° RG 22/00245 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIKDU

AFFAIRE :

S.A.R.L. [W]

C/

M. [A] [P]

PLP/NC

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Grosse délivrée à Me Olivier BROUSSE et Me Franck DELEAGE le 27 avril 2023

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

---==oOo==---

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

---==oOo==---

Le vingt sept Avril deux mille vingt trois la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :

ENTRE :

S.A.R.L. [W], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Olivier BROUSSE de la SELARL LEXIADE ENTREPRISES, avocat au barreau de LIMOGES

APPELANTE d'une décision rendue le 15 MARS 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BRIVE LA GAILLARDE

ET :

Monsieur [A] [P]

né le 22 Octobre 1962 à SAINT AUBIN LES ELBEUF (76), demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Franck DELEAGE de la SELARL FRANCK DELEAGE, avocat au barreau de BRIVE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/003291 du 12/07/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Limoges)

INTIME

---==oO§Oo==---

Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 27 février 2023. L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, magistrat rapporteur, assistée de Madame Natacha COUSSY, Greffier, a tenu seule l'audience au cours de laquelle elle a été entendue en son rapport oral.

Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.

Après quoi, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 27 Avril 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Au cours de ce délibéré, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre,de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller et de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.

EXPOSE DU LITIGE

M. [A] [P] a été engagé par M. [Z] [O], boulanger-pâtissier, le 16 décembre 1983, en qualité de pâtissier dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à [Localité 4] (19).

La SARL [W], exploitant sous le nom commercial '[Adresse 3]', a acquis le fonds de commerce de M. [O] le 15 avril 2008. Le contrat de travail de M. [P] lui a été transféré.

Les relations entre M. [P] et M. [Y] [W], gérant de la SARL [W], se sont dégradées, notamment à compter de mars 2019.

M. [P] a été placé en arrêt maladie du 14 juin au 16 juillet 2019. Il a consulté son médecin traitant le 25 juin 2019, le médecin du travail le 8 juillet 2019 et un médecin psychiatre le 9 juillet 2019.

Il a quitté l'entreprise le 9 juillet 2019.

Le 3 juillet 2019, il avait déposé plainte contre M. [W] pour menaces de mort réitérée, violence et harcèlement moral.

Le 3 septembre 2019, M. [W] a déposé plainte contre M. [P] pour dénonciation calomnieuse.

Les deux plaintes ont été classées sans suite.

Par courrier du 5 juillet 2019, M. [P] a saisi la Direction Départementale du Travail, Emploi et Formation Professionnelle se plaignant de l'attitude vexatoire de M. [W] à son égard, allant jusqu'à des agressions physiques en avril, mai et juin 2019, manquant ainsi à son obligation de sécurité.

Parallèlement, le 22 juillet 2019, M. [P] a transmis à la CPAM de la Corrèze une demande de reconnaissance de maladie professionnelle.

Le 8 juillet 2020, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. [P], après avis du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP).

Le 3 août 2020, la SARL [W] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la CPAM.

Le 1er octobre 2020, la CPAM a rejeté le recours formé par la SARL [W].

Elle a alors saisi le 24 novembre 2020 la Présidente du Pôle Social du tribunal judiciaire de Tulle qui, par ordonnance du 3 février 2021, a ordonné la saisine du CRRMP de Clermont-Ferrand par la CPAM de la Corrèze pour avis.

La procédure est actuellement toujours en cours.

Lors de la visite de reprise du 2 septembre 2019, le médecin du travail a déclaré M. [P] inapte à un emploi, sans possibilité de reclassement.

La SARL [W] a convoqué M. [P] à un entretien préalable à son licenciement pour le 16 septembre 2019 et l'a licencié le 19 septembre 2019 pour inaptitude.

Le 7 octobre 2019, M. [P] a contesté auprès de la SARL [W] son solde de tout compte, en ce que son indemnité de licenciement n'était pas doublée et en ce que l'indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire ne lui était pas payée, alors qu'il avait demandé la reconnaissance de sa maladie professionnelle.

==0==

Considérant que son inaptitude est au moins partiellement d'origine professionnelle et que son licenciement est nul pour cause de harcèlement moral, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse pour manquement de son employeur à son obligation de sécurité, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Brive le 27 août 2020.

Par jugement du 15 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Brive a :

- pris acte que M. [P] ne sollicitait pas sa réintégration ;

- dit que le licenciement pour inaptitude professionnelle est justifié ;

- condamné la SARL [W] à payer à M. [P] les sommes de :

* 21 959,38 € au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement 

* 3 364,04 € au titre de l'indemnité de préavis 

* 336,40 € au titre des congés payés sur l'indemnité de préavis 

* 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [P] du surplus de ses demandes ;

- débouté la SARL [W] de ses demandes reconventionnelles.

La SARL [W] a interjeté appel de ce jugement le 28 mars 2022 et le 30 mars 2022.

Les deux procédures ont été jointe par ordonnance de mise en état du 18 mai 2022.

Aux termes de ses écritures du 24 mai 2022, la SARL [W] demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande en nullité de son licenciement, de sa demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande en dommages-intérêts pour préjudice moral ;

- infirmer le jugement pour le surplus ;

- condamner M. [P] au paiement d'une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La SARL [W] soutient que les faits que M. [P] lui reproche (menaces, violences, insultes) ne sont nullement établis, pour émaner de lui-même sans éléments extérieurs.

Elle n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité, les reproches qu'elle a formés à l'encontre de M. [P] étant parfaitement justifiés au regard des nombreuses erreurs commises par ce dernier dans l'exécution de son contrat de travail.

M. [P] n'établit pas que son inaptitude soit d'origine professionnelle. En effet, même si les éléments médicaux attestent de l'altération de son état de santé, aucun élément ne permet de les relier à ses conditions de travail. Par ailleurs, la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle par la CPAM (non définitive) ne lie pas le juge prud'homal.

M. [P] ne justifie d'aucun préjudice moral autonome en mesure d'être indemnisé, ni relatif au harcèlement moral, ni à la violation de l'obligation de sécurité.

Aux termes de ses écritures du 25 juillet 2022, M. [A] [P] demande à la cour de :

- confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a reconnu son licenciement pour inaptitude comme ayant une origine professionnelle et a condamné la SARL [W] au paiement des sommes de 21 959,38 € au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement, 3 364,04 € au titre de l'indemnité correspondante au montant de l'indemnité compensatrice de préavis, 336,40 € au titre des congés payés afférents et 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- réformer la décision en ce qu'elle l'a débouté du surplus de ses demandes et en particulier au titre de la requalification de la rupture du contrat de travail ;

A titre principal,

- prononcer la nullité de son licenciement pour inaptitude notifié le 19 septembre 2019 ;

- prendre acte de ce qu'il ne sollicite pas sa réintégration ;

- condamner la SARL [W] à lui payer les sommes suivantes :

* 50 460 € de dommages-intérêts 

* 20 184 € d'indemnisation au titre de la violation des dispositions protectrices ;

A titre subsidiaire,

- juger que son licenciement pour inaptitude découle d'un manquement grave de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ;

- condamner, en conséquence, la SARL [W] à lui payer les sommes de :

* 33 640 € à titre de dommages-intérêts 

* 20 184 € à titre d'indemnisation du préjudice moral distinct ;

En tout état de cause,

- condamner la SARL [W] à régler à Maître [R] la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

- juger que toutes les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et ordonner la capitalisation des intérêts échus ;

- condamner la SARL [W] aux entiers dépens en ce compris les éventuels frais d'exécution.

M. [P] soutient que son inaptitude est d'origine professionnelle causée par les insultes, menaces, violences physiques et morales de son employeur, ce qui a porté atteinte à son état de santé.

Il a été victime de faits de harcèlement moral commis par son employeur à son égard pour le même type de faits, le fondant à voir reconnaître la nullité de son licenciement pour inaptitude.

A titre subsidiaire, son licenciement est privé de cause réelle et sérieuse, l'employeur ayant à tout le moins manqué à son obligation de sécurité.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2023.

SUR CE,

I Sur la validité du licenciement de M. [P]

L'article L. 1152-1 dispose qu''Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L. 1152-3 du même code 'Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul'.

Et l'article L. 1154-1 : 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

Peuvent constituer un harcèlement moral des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre sa vie professionnelle.

Ces agissements doivent être considérés dans leur ensemble.

M. [P] présente les éléments de fait suivants :

1) éléments médicaux :

- un arrêt de travail en date du 14 juin 2019 jusqu'au 16 juillet 2019 pour 'dépression avec stress au travail et agression' émanant du docteur [G] qui, dans un certificat médical du 25 juin 2019, rapporte les propos de M. [P] selon lesquels il dit avoir été 'victime d'agression psychologique au niveau de son travail' et 'prétend avoir été frappé au niveau de l'épaule droite' ; le médecin a diagnostiqué un stress psychologique et une fatigue physique de type burn out ;

- un courrier du médecin du travail en date du 8 juillet 2019 selon lequel M. [P] est 'en souffrance vis-à-vis de ses conditions de travail' ;

- un courrier du Docteur [H], médecin psychiatre, en date du 9 juillet 2019 rapportant les propos de M. [P] selon lesquels son employeur exerce sur lui une pression constante afin qu'il démissionne, l'insulte et le menace verbalement et physiquement ; elle estime qu'il est dans l'impossibilité définitive de reprendre son poste au vu de l'ampleur du conflit et de la nécessité de le protéger sur le plan psychologique ;

2) attestations :

- de sa fille et de son fils selon lesquelles leur père subissait depuis un an une pression psychologique incessante de la part de son employeur ainsi que des violences physiques et psychologiques (coups, insultes, menaces de mort) ;

- de Mme [V] [I], salariée de la SARL [W], selon laquelle elle a assisté à plusieurs éclats de voix très violents de M. [W] envers M. [P] ;

- de M. [D] [L] qui ne peut pas être prise en compte, celui-ci ayant reconnu avoir fait une fausse déclaration (cf son attestation du 24 octobre 2019 et déclaration à la gendarmerie) ;

3) ses propres déclarations :

- à la gendarmerie lorsqu'il a porté plainte le 3 juillet 2019 faisant état d'une pression et de reproches incessants de son employeur surtout depuis un an, lui faisant perdre confiance en lui, ce dernier le traitant de 'Caliméro', le menaçant physiquement jusqu'à vouloir le tuer ;

- par son courrier du 5 juillet 2019 à la Direction Départementale du Travail où il fait état d'une pression de son employeur exercée sur lui, ainsi que de violences physiques (bousculades) à trois reprises respectivement en avril, mai et juin 2019, ce dernier lui ayant même lancé un couteau à proximité de lui le 6 juin 2019 ;

- le 19 juillet 2019, à M. [B] agent enquêteur de la CPAM de la Corrèze, selon lesquelles son employeur lui faisait perpétuellement des reproches, le traitait de 'Caliméro', exerçant à son égard une pression constante surtout depuis 2019, puis des violences physiques de avril à juin 2019, lançant même un couteau sur le four réfrigéré à deux mètres de lui ;

-des SMS des 13 et 24 juin 2019 de son employeur qui lui parle d'un ton cassant évoquant ses problèmes de mémoire, sans néanmoins proférer ni insultes, ni menaces.

Il ressort de ces éléments une souffrance manifeste de M. [P] au travail, pouvant laisser présumer des faits de harcèlement moral. Néanmoins, les insultes, menaces, violences imputées à son employeur ne résultent que des propres déclarations de M. [P].

De plus, l'ensemble des salariés de la SARL [W], interrogés par la gendarmerie entre décembre 2019 et mai 2020, ont été unanimes pour dire que M. [W] n'a jamais commis d'actes de harcèlement moral envers M. [P]. S'il lui faisait des reproches, cela était justifié. En effet, ce dernier, démotivé, commettait de nombreuses erreurs dans l'exécution de son travail (viennoiseries brûlées, recettes ratées...), par désintérêt et négligence, ce pourquoi il ne lui était confié que des tâches simples. Ils décrivent M. [W] comme un patron bienveillant à l'égard de ses employés. Il était patient et indulgent à l'égard de M. [P], ne lui mettant aucunement la pression.

Les salariées ([J] [C] et [E] [S]), que M. [P] présente comme témoins des violences de M. [W], les réfutent absolument.

Pour certains, M. [P], presque à la retraite, pour être né le né le 22 octobre 1962, voulait arrêter de travailler, si possible en se faisant licencier pour raison financière.

Ces déclarations à la gendarmerie sont confirmées par les attestations manuscrites des dits salariés.

Auditionné par la gendarmerie, M. [W] a fermement contesté les pressions, menaces ou violences reprochées. Il a d'ailleurs porté plainte contre M. [P] pour diffamation le 3 septembre 2019. Comme ses salariés, il indique que M. [P] n'aimait pas son travail, voulait arrêter et commettait de nombreuses erreurs (viennoiseries brûlées ou pâtisseries ratées). M. [P] invoquant des problèmes de mémoire, M. [W] a essayé de trouver des solutions, en vain. Il évoque également des problèmes financiers rencontrés par M. [P].

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de considérer que les faits de harcèlement moral ne sont pas établis. En effet, ils ne ressortent que des propres déclarations de M. [P] et les pièces produites montrent que M. [P] commettait de nombreuses erreurs dans l'exécution de son travail, ce qui a entraîné des reproches justifiés de M. [W] à son égard. Mais aucune violence, menace, pression de ce dernier n'est démontrée à l'égard de M. [P].

En conséquence, il convient de débouter M. [P] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du licenciement pour harcèlement moral, ainsi que de ses demandes corrélatives.

II Sur le bien-fondé du licenciement de M. [P]

1) Pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

Au vu des considérations ci-dessus énoncées, M. [P] ne rapporte nullement la preuve de manquements de son employeur à son obligation de sécurité à son égard par des 'cris, des pressions, des insultes, des brimades, des attitudes rabaissantes et dégradantes, des agressions physiques, une incitation à la démission, des affirmations péremptoires de maladie neurologique, des menaces de diminution du temps travail et même d'interdiction à pouvoir pénétrer dans l'entreprise etc', comme il le prétend. Au contraire, il ressort des pièces du dossier que M. [W], patient et indulgent, a adapté le poste de travail de M. [P] à ses capacités, en ne lui confiant que des tâches simples, ainsi que cela ressort de leur description par le médecin du travail le 8 juillet 2019.

Le licenciement de M. [P] ne peut donc pas être qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse comme fondé sur le manquement de son employeur à son obligation de sécurité. Il doit donc être débouté de ses demandes présentées à ce titre.

2) Pour inaptitude du salarié

- Le 2 septembre 2019, le médecin du travail a déclaré M. [P] inapte, en précisant que 'tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé', dispensant ainsi l'employeur de toute recherche de reclassement.

En conséquence, le licenciement de M. [P] est fondé sur son inaptitude.

- Reste la question de l'origine professionnelle de l'inaptitude.

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée a, au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle au moment du licenciement (Cour de cassation chambre sociale 9 juin 2010).

En conséquence, si la SARL [W] invoque les difficultés financières de M. [P] et les problèmes de santé de son épouse comme étant à l'origine de son inaptitude, ces éléments ne font pas obstacle à la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie de M. [P] à partir du moment où elle est intervenue partiellement dans la survenance de l'inaptitude.

Si la SARL [W] a eu connaissance dès le 25 juillet 2019 de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle de M. [P] auprès de la CPAM de la Corrèze (cf courrier de transmission du 25 juillet 2019), cette origine n'était pas établie à la date du licenciement du 19 septembre 2019. En effet, la CPAM ne l'a reconnue que le 8 juillet 2020 et cette décision n'est pas définitive.

Enfin, il convient de rappeler que le juge prud'homal n'est pas lié par la décision de la CPAM reconnaissant l'origine professionnelle de la maladie après avis du CRRMP.

L'arrêt de travail du 14 juin 2019 visant la 'maladie professionnelle' pour 'dépression avec stress au travail et agression', le certificat médical du docteur [G] du 25 juin 2019 qui diagnostique un stress psychologique et une fatigue physique de type burn out ou encore le courrier du médecin du travail en date du 8 juillet 2019 selon lequel M. [P] est 'en souffrance vis-à-vis de ses conditions de travail'montrent manifestement que M. [P] a subi un stress et une souffrance à cause de son travail.

Au vu du contexte relationnel avec son employeur, il convient de considérer que ces difficultés sont dues notamment aux reproches de son employeur du fait de ses erreurs dans l'exécution de son travail (cf ci-dessus), erreurs semble-t-il dues au moins en partie au Mild Cognitive Impairment (trouble cognitif léger) diagnostiqué par le médecin neurologue le 22 octobre 2019. M. [P] ne justifie pas s'être plaint auparavant de difficultés de ce type.

Or, comme énoncés ci-dessus, ces reproches étaient légitimes, sans que des faits de harcèlement moral ne soient établis.

Ce d'autant plus que l'employeur avait adapté le poste de M. [P] (cf descriptif par le médecin du travail du 17 juillet 2015) pour qu'il n'exécute que des tâches simples. Les autres salariés ont également attesté en ce sens devant la gendarmerie.

En conséquence, au vu de ces éléments, il convient de considérer que la preuve n'est pas rapportée que l'inaptitude de M. [P] soit d'origine professionnelle.

Il convient en conséquence de le débouter de ses demandes présentées à ce titre.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a alloué à M. [P] les sommes de 21 959,38 € au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement, 3 364,04 € au titre de l'indemnité de préavis et 336,40 € au titre des congés payés sur indemnité de préavis.

 

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M. [P] succombant principalement à l'instance, il doit être condamné aux dépens, mais il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

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PAR CES MOTIFS

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La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Brive le 15 mars 2022 ;

Statuant à nouveau,

DIT et JUGE que le licenciement du 19 septembre 2019 de M. [A] [P] est valide et fondé sur son inaptitude, sans être d'origine professionnelle ;

DEBOUTE en conséquence M. [A] [P] de ses demandes en paiement des sommes de :

* 21 959,38 € au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement ;

* 3 364,04 € au titre de l'indemnité de préavis et 336,40 € au titre des congés payés sur l'indemnité de préavis ;

Y ajoutant,

DEBOUTE M. [A] [P] de sa demandes tendant à voir dire et juger son licenciement nul, avec les demandes en paiement subséquentes ;

DEBOUTE M. [A] [P] de sa demandes tendant à voir dire et juger son licenciement fondé sur les manquements de la SARL [W] à son obligation de sécurité, avec les demandes en paiement subséquentes ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [A] [P] aux dépens.

EN L'EMPÊCHEMENT LÉGITIME DU PRÉSIDENT, CET ARRÊT A ÉTÉ SIGNÉ PAR MONSIEUR LE CONSEILLER JEAN-PIERRE COLOMER, MAGISTRAT LE PLUS ANCIEN QUI A PARTICIPÉ AU DÉLIBÉRÉ

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENTempêché,

Le Conseiller

Natacha COUSSY. Jean-Pierre COLOMER.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00245
Date de la décision : 27/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-27;22.00245 ?
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