ARRET N° .
N° RG 22/00422 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIKYY
AFFAIRE :
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN
C/
M. [I] [S]
JP/MS
Cautionnement - Demande en paiement formée contre la caution seule
Grosse délivrée à Me Virginie POUJADE, Me Paul GERARDIN, avocats,
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
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ARRÊT DU 30 MARS 2023
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Le trente Mars deux mille vingt trois la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Paul GERARDIN, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d'une décision rendue le 27 AVRIL 2022 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE LIMOGES
ET :
Monsieur [I] [S]
né le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 3], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Virginie POUJADE de la SELARL HORIZON CONSEILS, avocat au barreau de BRIVE
INTIME
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 07 Février 2023. L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, magistrat rapporteur, assistée de Mme Sophie MAILLANT, Greffier, a tenu seule l'audience au cours de laquelle elle a été entendu en son rapport oral.
Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.
Après quoi, Madame [F] [K], a donné avis aux
parties que la décision serait rendue le 30 Mars 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au cours de ce délibéré, Madame Johanne PERRIER, a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller et d'elle même. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.
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LA COUR
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EXPOSE DU LITIGE :
Par acte sous seing privé du 8 juin 2020, la Caisse d'épargne et de prévoyances d'Auvergne et du Limousin (ci-après la Caisse d'épargne) a consenti à la société [S] un prêt d'un montant de 100.000 euros pour le remboursement duquel son gérant, Mr [S] s'est engagé en qualité de caution solidaire dans la limite de 65 000 euros, dont 50.000 euros en principal, outre intérêts, frais et accessoires
Un jugement du tribunal de commerce de Limoges du 18 novembre 2020 a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [S].
La Caisse d'épargne, ayant déclaré sa créance au passif de la procédure collective, a vainement mis en demeure M. [S] d'honorer son engagement de caution
Le 2 avril 2021, la Caisse d'épargne a fait assigner Mr. [S] devant le tribunal de commerce de Limoges qui, par jugement du 27 avril 2022, a constaté le caractère manifestement disproportionné de l'acte de cautionnement du 8 juin 2020 d'un montant de 65.000 euros à l'égard de M. [S] et, en conséquence , en a prononcé la déchéance, a débouté la Caisse d'épargne de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée là verser à Mr [S] une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre à supporter les entiers dépens de l'instance.
Le 31 mai 2022, la Caisse d'épargne a relevé appel de ce jugement .
Aux termes de ses écritures du 24 août 2022 auxquelles il est renvoyé, la Caisse d'épargne demande à la cour :
- de réformer en tous ses chefs le jugement dont appel ;
- de condamner M. [S] à lui payer la somme de 54.387,11 euros, outre intérêts au taux de 3,89 % l'an à dater du 19 novembre 2020 ;
- de condamner M. [S] à lui payer une indemnité pour frais irrépétibles de 5.000 euros, avec intérêts au taux légal à dater de l'arrêt à intervenir ;
- de condamner, M. [S] aux entiers dépens de procédure, le bénéfice de distraction étant accordé à Maître Gérardin, avocat, pour les sommes dont il aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision ;
- de juger que la réformation du jugement dont appel a pour conséquence l'obligation de M. [S] de procéder au remboursement des sommes versées en exécution du dit jugement assorti de l'exécution provisoire de droit.
La Caisse d'épargne fait valoir pour l'essentiel :
- qu'aucune disproportion n'a existé au jour de la conclusion du cautionnement entre l'engagement de Mr [S] et ses biens et revenus, M. [S] échouant en tout état de cause à démontrer le contraire ;
- qu'elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.
Aux termes de ses écritures du 24 octobre 2022, M. [S] demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et de condamner la Caisse d'épargne à lui verser une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance .
Il fait valoir :
- à titre principal, que son engagement de caution était disproportionné par rapport à ses biens et revenus, qu'il n'a par ailleurs rempli aucune fiche de renseignement patrimonial ou fourni de document comptable, bancaire ou fiscal alors qu'il appartenait à la banque de se renseigner sur sa solvabilité ;
- à titre subsidiaire, que la Caisse d'épargne a abusé de sa position dominante lors des négociations commerciales avec la société débitrice principale, qu'elle n'a pas respecté son obligation d'information et de mise à en garde à l'égard tant de l'emprunteur que de la caution et que cette situation lui a causé un préjudice dont il est fondé à obtenir réparation.
SUR CE,
Sur la disproportion de l'engagement de caution:
La disproportion manifeste de la souscription d'un engagement de la caution au regard de ses revenus et patrimoine n'est pas une cause de nullité de cet engagement ; en application de l'article L.332-1 du code de la consommation, une telle disproportion, lorsqu'elle est établie, prive seulement le créancier professionnel du droit de se prévaloir du cautionnement.
Mr [S] s'est porté caution solidaire à concurrence de la somme de 65.000 euros du prêt de 100.000 euros consenti par la Caisse d'épargne à la société [S] en vue de l'acquisition d'un fonds artisanal de boulangerie qui sera passé par acte du 15 juin 2020 au prix de 95.000 euros
Mr [S] soutient que cet engagement de caution qu'il a souscrit le 08 juin 2020 à concurrence de la somme globale de 65.000 euros était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus et il lui appartient de rapporter la preuve de cette disproportion.
Cette disproportion doit s'apprécier à la date de conclusion du cautionnement sur la base des éléments alors connus, au vu des déclarations de la caution concernant ses biens et revenus dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.
Il résulte des pièces versées aux débats qu'antérieurement à la souscription du prêt en question auprès de la Caisse d'épargne pour le compte de la SARL [S], Mr. [S] était titulaire d'un compte bancaire et d'un livret A ouverts dans les livres de la Caisse régionale de crédit agricole, organisme auprès duquel il avait en outre souscrit en 2017 deux prêts immobiliers à hauteur de 120.000 euros pour l'acquisition de sa résidence principale et dont il était donc client habituel.
Le 11 mars 2020 , en vue de la souscription du prêt en question auprès de la Caisse d'épargne, il a renseigné une 'fiche confidentielle de renseignements caution ' qu'il a certifiée sincère et véritable; il a fait état dans cette fiche :
- d'un revenu mensuel de 1.200 euros, mais tiré d'allocations de chômage, lui-même indiquant dans ses écritures qu'il avait cessé son activité salariale - qui lui avait procuré un revenu annuel de 23.389 euros en 2018 - pour se lancer dans l'entreprenariat ;
- d'un patrimoine immobilier constitué de sa résidence principale qu'il a estimé à une valeur de 135.000 euros ;
- d'avoirs sur un livret A au Crédit agricole d'un montant de 22.950 euros, et sur son compte bancaire auprès de cette même banque pour un montant de 3.960,08 euros .
En ce qui concerne son endettement, il a déclaré rester débiteur envers le Crédit agricole d'une somme de 110.660 euros au titre des prêts souscrits pour l'acquisition en juin 2017 de sa résidence principale, remboursable moyennant des échéances mensuelles de 546,20 euros, et dont le remboursement a été garanti non par une inscription hypothécaire mais par une caution de la Caisse des assurances mutuelles du crédit, dite CAMCA.
A cette occasion, il a également remis à la Caisse d'épargne, qui les produit, une attestation non datée de son père Mr [O] [S], certifiant lui faire donation d'une somme de 25.000 euros et un relevé des disponibilités de ce dernier auprès du Crédit agricole faisant mention d'avoirs de 12.000 euros sur un LDD (livet de développement durable) et de 19.500 euros sur un livret A, autorisant donc cette donation qui, ainsi qu'il en est seulement maintenant justifié, avait déjà été passée le 05 février 2020 et enregistrée comme telle auprès des services fiscaux le 25 février 2020.
Certes, Mr [S] fait maintenant valoir que c'est la donation de son père qui figurait au crédit de ses avoirs au 11 mars 2020 de 3.960,08 euros sur son compte chèque et de 22.950 euros sur son le livret A ; toutefois, si tel était le cas, son comportement qui a consisté à faire état auprès de la Caisse d'épargne, d'une part, d'avoirs sur ce livret pour un montant de 22.150 euros et, d'autre part, d'un engagement de son père à lui consentir une donation qui ne pouvait qu'être considérée comme étant 'à venir' à hauteur de 25.000 euros, l'aura précisément été en vue d'induire l'établissement prêteur, qui n'était détenteur ni de ses avoirs ni de ceux de son père, en erreur sur la réalité de sa situation patrimoniale.
Enfin, si Mr [S] produit aujourd'hui le relevé de son livret A portant la mention d'un prélèvement de 20.000 euros effectué à son profit le 05 juin 2020, soit cinq jours avant la signature du cautionnement, il en reste que cette somme n'avait pas disparu de son patrimoine.
De la sorte, préalablement à son engagement de caution qui a , au vu de ses déclarations, a été limité à hauteur de la somme de 65.000 euros, les biens de Mr [S] pouvaient être estimés à une valeur de 72.290 euros , soit :
- 24.340 euros au titre du bien immobilier, sous déduction des prêts en cours
- 22.950 euros sur le livret A ouvert au Crédit agricole,
- 25.000 euros au titre de la donation de son père.
Au vu de ces éléments déclarés, l'engagement de caution souscrit par Mr [S] à concurrence de la somme globale de 65.000 euros n'était pas, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et la Caisse d'épargne est dès lors fondée à se prévaloir de cette garantie.
Le jugement dont appel sera donc infirmé de ce chef.
Sur l'action en responsabilité formée par Mr. [S] à l'encontre de la Caisse d'épargne.
Mr. [S] reproche à la Caisse d'épargne d'avoir manqué à son devoir de mise en garde. Un tel manquement se résout uniquement par l'octroi de dommages et intérêts.
Si, dans le corps de ses conclusions, Mr [S] demande la condamnation de la Caisse d'épargne à lui payer une somme de 54.384,11 euros a titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à raison d'un manquement à son devoir de mise en garde, cette prétention n'est pas reprise dans leur dispositif qui se contente de solliciter la confirmation du jugement qui a jugé l'acte de cautionnement disproportionné à ses biens et revenus et en a prononcé la déchéance.
L'article 954 du code de procédure civile disposant que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, il n'y a pas lieu à examen de ce chef dont la cour n'est pas valablement saisie.
Sur l'action en paiement de la Caisse d'épargne :
Mr [S] n'émet aucune critique quant au montant de la créance de la Caisse d'épargne, dont celle-ci justifie à hauteur de la somme de 54.387,11 euros correspondant à 50% des échéances impayées et du capital restant dû, outre intérêts de retard.
Mr [S] sera donc condamné à lui payer ladite somme avec intérêts au taux contractuel de 3,89 % l'an à compter du 19 novembre 2020.
Sur les délais de paiement :
Ce chef de demande de Mr [S], exprimé dans les motifs de ses écritures, n'est pas repris dans leur dispositif, qui seul saisit la cour d'appel ; il n'y a donc pas lieu à statuer de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Mr [S] , qui succombe, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
Il n'y pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile .
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Limoges en date du 27 avril 2022,
Statuant à nouveau,
Condamne Mr [I] [S] à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin la somme de 54.387,11 euros avec intérêts au taux de 3.89 % l'an à compter du 19 novembre 2020 ;
Condamne Mr [I] [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
EN L'EMPÊCHEMENT LÉGITIME DU PRÉSIDENT, CET ARRÊT A ÉTÉ SIGNÉ PAR MONSIEUR LE CONSEILLER JEAN-PIERRE COLOMER, MAGISTRAT LE PLUS ANCIEN QUI A PARTICIPÉ AU DÉLIBÉRÉ
LE GREFFIER, LE CONSEILLER,
Sophie MAILLANT. Jean-Pierre COLOMER.