ARRET N° 125
N° RG 22/00219 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIKAX
AFFAIRE :
[T] [M] [O], [W] [A] épouse [O]
C/
COMMUNE D'[Localité 9]
MCS/LM
Revendication d'un bien immobilier
Grosse délivrée
aux avocats
COUR D'APPEL DE LIMOGES
Chambre civile
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ARRET DU 30 MARS 2023
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Le TRENTE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur [T] [M] [O]
né le 17 Novembre 1945 à [Localité 10] (CHILI), demeurant [Adresse 12]
représenté par Me Marie GALINET, avocat au barreau de LIMOGES
Madame [W] [A] épouse [O]
née le 06 Décembre 1953 à [Localité 14] (77), demeurant [Adresse 12]
représentée par Me Marie GALINET, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTS d'une décision rendue le 27 janvier 2022 par le Tribunal judiciare de LIMOGES
ET :
COMMUNE D'[Localité 9], demeurant [Adresse 13]
représentée par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 08 décembre 2022. L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 octobre 2022.
La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Mme Mandana SAFI, Greffier. A cette audience, Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseiller, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 9 février 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi. A cette date le délibéré a été prorogé au 2 mars, puis au 16 mars, puis au 30 mars 2023.
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LA COUR
Exposé du litige :
Par acte d'huissier du 7 août 2017, M. [T] [O] et son épouse,Mme [W] [A] ont saisi le tribunal d'instance de Limoges aux fins d'expertise pour voir proposer un bornage entre :
- leur parcelle située à [Localité 11], sur la commune d'[Localité 9] (87), cadastrée section D n°[Cadastre 7], dans sa partie anciennement cadastrée n°[Cadastre 2], et le chemin dit rural jusqu'à la voie de la commune,
- leur parcelle cadastrée section D, n°[Cadastre 7], sise sur la même commune, dans sa partie anciennement cadastrée n°[Cadastre 1], et le chemin dit rural dénommé 'de [Localité 9] à [Localité 11]'.
La Commune d'[Localité 9] a appelé en cause le Groupement Forestier des bois du centre aux fins de lui voir déclarer opposables les opérations d'expertise, et elle a demandé reconventionnellement l'extension des opérations de bornage notamment :
- pour voir déterminer la limite du chemin rural appartenant à son domaine privé avec la propriété cadastrée section D n°[Cadastre 7] et [Cadastre 8], située à [Localité 11] sur son territoire,
- pour voir déterminer la limite du chemin rural au niveau de l'intersection avec l'ancien chemin vendu aux époux [O],
- à l'enclave où se situent le puits et le mur construit par les époux [O],
- au 'triangle' formé sur les parcelles cadastrées n°[Cadastre 4], [Cadastre 6] et [Cadastre 5] sur son territoire.
Par jugement du 14 février 2018, le tribunal d'instance de Limoges a partiellement fait droit à la demande d'expertise tendant au bornage entre ;
-les parcelles anciennement cadastrées n° [Cadastre 1] (dans sa partie ouest)et numéro124( dans sa partie ouest ,nord et est) et le chemin communal contigu,
- le chemin communal et la parcelle anciennement cadastrée numéro [Cadastre 3] appartenant au Groupement Forestier des bois du centre.
Les parcelles [Cadastre 1] et [Cadastre 2] sont désormais cadastrées sous le numéro [Cadastre 7] et la parcelle cadastrée [Cadastre 3] est devenue la parcelle cadastrée [Cadastre 8].
Monsieur [N] [E], expert désigné, a déposé son rapport définitif le 29 novembre 2018.
Par jugement du 24 septembre 2020, le tribunal judiciaire, saisi par la commune d'[Localité 9], a notamment :
-fixé la limite séparative entre la parcelle D[Cadastre 7] des époux [O] et le chemin rural la jouxtant dénommé n° 7 conformément à la proposition de l'expert judiciaire
-s'est déclaré incompétent au profit de la chambre civile du tribunal judiciaire de Limoges, pour statuer sur la demande des époux [O]-[A] aux fins de revendication par prescription, de la propriété de la bande de terre sur laquelle se situe la fontaine litigieuse
-sursis à statuer sur la demande de bornage ayant donné lieu à la proposition de fixer des limites divisoires aux points F, G, et H jusqu'au prononcé du jugement de la chambre civile du tribunal judiciaire.
Par jugement réputé contradictoire du 27 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Limoges a :
- dit que la commune d'[Localité 9] est propriétaire de la fontaine litigieuse et de la bande de terre sur laquelle elle se situe
- débouté les époux [O] de leur demande au titre d'une prescription acquisitive s'agissant de la bande de terre sur laquelle se situe la fontaine litigieuse
- débouté les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- dit que les dépens seront supportés pour moitié par chacune des parties.
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Par déclaration du 18 mars 2022 effectuée dans des conditions de forme et de délai non contestées, M. [T] [O] et Mme [W] [A] épouse [O] ont relevé appel de ce jugement limité aux dispositions ayant :
- dit que la commune d'[Localité 9] est propriétaire de la fontaine litigieuse et de la bande de terre sur laquelle elle se situe ;
-débouté les époux [O] de leur demande au titre d'une prescription acquisitive s'agissant de la bande de terre sur laquelle se situe la fontaine litigieuse.
Par conclusions signifiées et déposées le 17 juin 2022, les époux [O]-[A] demandent à la Cour de réformer le jugement déféré, et statuant à nouveau, de :
- à titre principal, dire et juger qu'ils sont propriétaires de la fontaine litigieuse et de la bande de terre sur laquelle elle est située, lesquelles sont sur leur propriété ;
- à titre subsidiaire, dire et juger qu'ils sont propriétaires de la fontaine litigieuse et de la bande de terre sur laquelle elle est située par le jeu de la prescription acquisitive décennale ;
- condamner la commune d'[Localité 9] à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions signifiées et déposées le 10 août 2022, la commune d'[Localité 9] demande à la Cour de confirmer le jugement et condamner les époux [O] à leur verser la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
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L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 octobre 2022.
La Cour pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ,des demandes et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION :
*Sur la revendication de propriété:
Les époux [O]-[A] soutiennent qu'ils sont propriétaires de la fontaine litigieuse et de la bande de terre sur laquelle elle est située.
Les modes de preuve de la propriété immobilière sont libres et le juge de la revendication dispose d'un pouvoir souverain pour dégager les présomptions de propriété les meilleures et les plus caractérisées.
En l'espèce, les époux [O]-[A] se prévalent de leur titre de propriété (acte de vente du 28 juillet 2004 reçu par Maître [N] [I]), lequel comporte à la rubrique 'Sur les servitudes' le paragraphe suivant :
Aux termes de l'acte de vente par Melle [P] à la SAFER reçu le 25 mai 1981 par Me [G], ci dessus analysé en l'origine de propriété, il a été stipulé ce qui suit littéralement transcrit :
'A cet égard, il est indiqué ici par Melle [P] vendeur, que la parcelle cadastrée Section D n° [Cadastre 2] comprise aux présentes est grevée d'une servitude de passage pour permettre aux habitants du village de [Localité 11] de prendre l'eau à la fontaine jaillissant dans cette même parcelle n°[Cadastre 2]. Il est précisé que les titulaires de ce droit sont actuellement Melle [P] et Mme [Y], propriétaire voisin.'
Il sera fait le constat que c'est sur les déclarations de la venderesse (Melle [P]) qu'est mentionnée l'existence d'une' servitude de passage' et implicitement un droit de puisage, reconnus au demeurant au bénéfice des habitants du village de [Localité 11].
A cet égard, il sera relevé que le terme de 'servitudeb' utilisé dans cet acte est impropre, dès lors que juridiquement, le terme de servitude est réservé à une charge réelle qui grêve un fonds au profit d'un autre fonds et non au profit de personnes désignées.
Ensuite, il est dit par Melle [P] que cette 'servitude de passage 'est destinée à permettre aux habitants du village de prendre l'eau à la fontaine, ce qui milite dans le sens du caractère public et non privé de ladite fontaine.
Si Melle [P] limite immédiatement ensuite l'accès à la fontaine à deux personnes: elle -même et Mme [Y] (voisine), son affirmation non expliquée ni étayée se révèle contradictoire avec son affirmation première rappelant, de manière claire, que l'accès à la fontaine est ouvert aux habitants du village.
En tout état de cause, l' affirmation émanant de la venderesse dans l'acte de 1981 quant au fait que 'la fontaine jaillirait dans la parcelle n° [Cadastre 2]" est en soi insuffisante pour démontrer que la fontaine se situerait dans les limites de sa parcelle n°[Cadastre 2], aujourd'hui propriété des époux [O]-[A] cadastrée sous le numéro [Cadastre 7], dès lors que nul ne peut se constituer un titre à lui-même .
A cet égard, il sera relevé que la bande de terre revendiquée par les époux [O]-[A] sur laquelle se situe la fontaine, est située en limite de la propriété [O] et du chemin rural.
Or, l'expert judiciaire, après une étude minutieuse des plans cadastraux successifs et constatations sur le terrain, a conclu dans son rapport définitif que la fontaine se situe dans l'emprise du chemin rural relevant notamment que la mention contenue dans l'acte du 25 mai 1981 est erronée dès lors que la fontaine ne se situe pas sur la parcelle D n° [Cadastre 2] mais à côté.
C'est donc par des motifs exempts de critiques, que la cour adopte, que le premier juge, sur la base des documents cadastraux successifs et du document d'arpentage établi en 2005, a relevé qu'au fil des ans, il y avait eu un empiètement progressif du fonds actuellement propriété [O], sur le chemin rural.
Le cadastre de la commune, le plan napoléonien et le document d'arpentage positionnent la fontaine matérialisée par un petit cercle à côté de la parcelle D n°[Cadastre 2], la rampe d'accès étant dessinée sur ces documents en bordure du fonds actuellement propriété [O].
En cause d'appel, les époux [O]-[A] n'ont invoqué aucun élément nouveau contredisant les conclusions expertales, de sorte que la décision du premier juge qui, après examen précis de leurs argumentations et pièces, les a déboutés de leur action en revendication de propriété et a déclaré la Commune d'[Localité 9] propriétaire de la fontaine et de la bande de terre sur laquelle elle est située, sera confirmée.
*Sur la prescription acquisitive :
En vertu de l'article 2258 du code civil, la presciption acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue, soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'excption déduite de la mauvaise foi.
Selon l'article 2272 du code civil,' le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre, un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.'
En l'espèce , les époux [O]-[A] demandent à la cour de les déclarer propriétaires par prescription acquisitve.
Ils n'ont pas de juste titre de propriété pour la fontaine et la bande de terre ainsi qu'il a été jugé ci-dessus, de sorte qu'ils doivent démontrer une possession trentenaire répondant aux conditions de l'article 2261 du code civil, c'est à dire une possession continue et non interrompue , paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire.
La Commune d'[Localité 9] a fait assigner les époux [O]-[A] le 20 février 2019, pour voir ordonner le bornage selon les propositions de l'expert judiciaire, et c'est à l'occasion de cette instance que les époux [O]-[A] ont revendiqué la propriété de la bande de terre sur laquelle est située la fontaine.
Les époux [O]-[A] doivent démontrer une possession trentenaire en qualité de propriétaires, par eux mêmes ou leur auteur dans les 30 ans précédant leur revendication, soit entre le 20 février 1989 et le 20 février 2019.
Or, il a été jugé précédemment que la fontaine litigieuse était comprise dans l'emprise du chemin rural.
La Commune d'[Localité 9] produit aux débats une délibération du conseil municipal d'[Localité 9] du 11 janvier 2014 et une délibération du conseil général de la Haute- Vienne du 5 mai 2014 classant le chemin rural n°7 au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnées ; le classement du chemin rural n° 7 , dans son emprise intégrale par l'effet de ces délibérations a eu un effet interruptif de la prescription trentenaire.
Dans ces conditions, le protocole d'accord conclu entre les époux [O]-[A] et le Groupement forestier du centre le 7 novembre 2016 suite à la pollution de l'eau de la fontaine est dépourvu d'effet juridique quant à l' accomplissement de la prescription trentenaire, laquelle avait été interrompue en 2014 par les actes de classement rappelés ci-dessus.
Au demeurant pour la période 1989-2004 antérieure à leur acquisition, les époux [O]-[A] ne produisent aucune pièce de nature à établir de manière incontestable une possession de leurs auteurs, en qualité de propriétaire.
L'attestation de M. [K], qu'il verse aux débats, porte sur la période allant de juillet 1964 à 1978) soit sur un temps antérieur au début de la période retenue pour la prescrition acquisitive et en tout état de cause, il ressort des déclarations de la propriétaire à l'époque (Mme [P] ) dans l'acte du 25 mai 1981 que l'usage de la fontaine n'était pas réservé à un usage privé mais bénéficiait aux habitants de [Localité 11].
Quant au courrier des époux [D], au demeurant daté du 17 juillet 2019, réclamant la clef de la porte d'accès au puits et se prévalant d'un droit d'eau qui serait reconnu par leur titre de propriété, non produit aux débats, il établit seulement le refus des époux [O]-[A] de leur laisser un accès à la fontaine à une époque où ils avaient déjà revendiqué en justice la propriété de la bande de terrain et de la fontaine.
Au résultat de ces éléments, les époux [O]-[A], sur qui pèse la charge de la preuve, ne démontrent pas bénéficier d'une possession trentenaire de la fontaine et du terrain sur lequel elle est située, et ils doivent dans ces conditions être déboutés de leur demande aux fins se voir déclarer propriétaires de ces biens, par prescription acquisitive.
La décision sera confirmée de chef.
*Sur les demandes accessoires :
Succombant en ses prétentions et en son recours , les époux [O]-[A] supporteront les dépens d'appel, ce qui exclut par ailleurs qu'ils puissent bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens de première instance restant répartis selon les dispsoitions du jugement entrepris.
Il serait, en outre, inéquitable de laisser la commune d'[Localité 9] supporter l'intégralité des frais qu'elle a dû exposer pour faire assurer la défense de ses intérêts en appel. Une indemnité de 1500 euros lui sera accordée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant contradictoirement, publiquement et en dernier ressort;
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne les époux [T] [O]-[W] [A] à verser à la Commune d'[Localité 9], une somme de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Dit que les dépens d'appel seront supportés par les époux [O]-[A] et recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRÉSIDENTE,
Line MALLEVERGNE. Corinne BALIAN.