ARRET N° .
N° RG 21/00978 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIIXB
AFFAIRE :
S.A.S. DEKRA INDUSTRIAL prise en la personne de son président en exercice domicilié
en cette qualité audit siège
C/
M. [E] [S]
GV/MS
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Grosse délivrée à Me Anne DEBERNARD-DAURIAC, Me Florence BERARD, avocats,
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
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ARRÊT DU 01 FEVRIER 2023
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Le un Février deux mille vingt trois la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
S.A.S. DEKRA INDUSTRIAL prise en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d'une décision rendue le 22 OCTOBRE 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE GUERET
ET :
Monsieur [E] [S], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Florence BERARD de la SELARL SELARL VERGER-MORLHIGHEM ET ASSOCIES, avocat au barreau de LIMOGES
INTIME
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 06 Décembre 2022. L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 octobre 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, magistrat rapporteur, assisté de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier, a tenu seul l'audience au cours de laquelle il a été entendu en son rapport oral.
Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.
Après quoi, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 01 Février 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au cours de ce délibéré, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller et d'elle même, Conseiller. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.
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LA COUR
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EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 22 janvier 2008, M. [E] [S] a été engagé par la société NORISKO EQUIPEMENTS, aux droits de laquelle vient la société DEKRA INDUSTRIAL, en qualité de formateur à compter du 1er mars 2008, moyennant un salaire brut mensuel de 2 100€. Il exerçait ses fonctions sur la région Aquitaine.
M. [S] étant affecté d'un lymphome malin Hodgkinien, son contrat de travail a été aménagé en mi-temps thérapeutique à compter du 5 octobre 2012 suivant avenant du 23 octobre 2012. Il était plus particulièrement affecté au centre de formation de [Localité 5] (33).
À compter du 1er mai 2017, le directeur de l'agence de [Localité 2], supérieur hiérarchique de M. [S], a changé.
M. [S] a été placé en arrêt maladie à partir du 8 décembre 2017.
La CPAM a reconnu l'origine professionnelle de sa maladie le 21 mai 2019 au vu de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles qui faisait état d'une dégradation des conditions de travail de M. [S].
M. [S] a transmis à la société DEKRA ses arrêts maladie jusqu'à la date du 31 août 2019, mais s'en est abstenu ensuite, bien que toujours en arrêt de travail. Le service de paie, ayant considéré qu'il avait repris son travail à cette date, lui a versé son salaire à compter du 31 août 2019 sans déduction des indemnités journalières, alors qu'il était toujours en arrêt maladie.
Par courrier du 30 janvier 2020, la société DEKRA INDUSTRIAL a demandé à M. [S] le remboursement de la somme de 7 957,39 € correspondant aux salaires indûment versés depuis le 1er septembre 2019, ainsi que la justification de son absence depuis cette date.
Le 7 février 2020, M. [S] a adressé à son employeur un chèque d'un montant de 7 967,39 € à ce titre, en lui demandant de prendre contact avec la CPAM de la Creuse au sujet de sa maladie professionnelle.
Par un courrier du 14 février 2020, la société DEKRA INDUSTRIAL a adressé à M. [S] une convocation à la visite médicale de reprise du 21 février 2020. M. [S] ne s'y est pas rendu.
Par courrier du 11 février 2020, M. [S] a adressé à la société DEKRA INDUSTRIAL un certificat médical attestant de son arrêt de travail pour maladie professionnelle du 1er septembre 2019 au 2 mars 2020.
Par lettre recommandée avec accusé réception du 17 février 2020, la société DEKRA INDUSTRIAL a convoqué M. [S] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave prévu le 28 février suivant.
Le 24 février 2020, M. [S] a indiqué ne pas pouvoir s'y rendre en raison de son état de santé, attesté par certificat médical du même jour.
Le 4 mars 2020, la société DEKRA INDUSTRIAL a notifié à M. [S] son licenciement pour faute grave aux motifs :
- d'un manquement à son obligation de loyauté en ce qu'il n'a pas informé son employeur de sa situation dans les 48 heures du terme de son arrêt maladie, le 31 août 2019, ce qui a déclenché le paiement indu de son salaire qu'il s'est abstenu de rembourser spontanément ;
- de son absence à la visite médicale de reprise du 21 février 2020, manifestant ainsi un acte d'insubordination.
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Considérant son licenciement comme nul en raison du harcèlement moral dont il s'estimait victime, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Guéret le 18 juin 2020.
Par jugement du 22 octobre 2021, le conseil de prud'hommes de Guéret a :
- dit le licenciement de M. [S] nul et non fondé ;
- condamné la société DEKRA INDUSTRIAL à verser à M. [S] les sommes de :
* 5 461,50 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
* 546,15 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
* 30 038,25 € de dommages-intérêts pour licenciement nul
* 250 € de dommages-intérêts pour paiement tardif de l'indemnité de congés payés ;
* 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- pris acte de la remise du certificat de travail ;
- ordonné la remise d'une fiche de paie sous astreinte de 5 € par jour à compter du 30ème jour suivant la notification de la décision à intervenir ;
- débouté M. [S] du surplus de ses demandes ;
- débouté la société DEKRA INDUSTRIAL de ses demandes ;
- condamné la société DEKRA INDUSTRIAL aux entiers dépens.
La société DEKRA INDUSTRIAL a interjeté appel de ce jugement.
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Aux termes de ses dernières écritures déposées le 4 juillet 2022, la société DEKRA INDUSTRIAL demande à la cour de :
- infirmer la décision dont appel dans l'ensemble de ses chefs de jugement critiqués ;
- le confirmer en ce qu'il a débouté M. [S] de ses demandes de dommages-intérêts pour préjudice subi du mois de mai 2017 au 28 juin 2018, pour non-paiement du solde de l'indemnité de licenciement et au titre du caractère brusque et vexatoire du licenciement intervenu, ainsi que de sa demande en paiement de frais de déplacements ;
Statuant à nouveau,
- dire que M. [S] n'a pas été victime de harcèlement moral ;
- dire que le licenciement de M. [S] fondé sur une faute grave ;
En conséquence,
- débouter M. [S] de toutes ses demandes ;
- condamner M. [S] à lui verser une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
- confirmer pour le surplus ;
- subsidiairement, si la cour devait faire droit ne serait-ce que partiellement aux demandes de M. [S], le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, s'il bénéficie de l'aide juridictionnelle ;
- si elle devait être condamnée au paiement de l'article 700 du code de procédure civile, la dispenser totalement du remboursement au Trésor des sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, en vertu des dispositions de l'article 123 du décret du 19 décembre 1991 pris en application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
La société DEKRA INDUSTRIAL conteste avoir commis un quelconque fait de harcèlement moral à l'égard de M. [S], faits dont il ne rapporte pas la preuve.
Concernant l'application de l'article L 1226-9 du code du travail, elle n'était pas informée de l'arrêt maladie pour cause de maladie professionnelle de M. [S] à la date du licenciement.
La nullité du licenciement ne peut donc pas être prononcée.
En revanche, le licenciement pour faute grave de M. [S] est parfaitement fondé pour les griefs énoncés dans la lettre de licenciement.
Aux termes de dernières écritures déposées le 18 octobre 2022, M. [E] [S] demande à la cour de :
- le recevoir en son appel incident ;
- confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a :
- jugé que sa maladie professionnelle découlait du harcèlement moral de la société ou de l'un de ses préposés,
- dit son licenciement nul et non fondé,
- condamné la société DEKRA INDUSTRIAL à lui verser la somme de 5 461,50 € d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois) et 546,15 € d'indemnité au titre des congés payés afférents ;
- réformer la décision quant au quantum alloué à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
- en conséquence, à titre principal, condamner la société DEKRA INDUSTRIAL à lui verser la somme de 65 538 € (24 mois) de ce chef ;
- subsidiairement, dire que son licenciement est en tout état de cause dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société DEKRA INDUSTRIAL à lui verser la somme de 30 038,25 € de dommages-intérêts au titre du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (11 mois) ;
- reformer la décision en ce qu'elle a jugé qu'il ne justifiait d'aucun préjudice afférent au harcèlement ;
- en conséquence, condamner la société DEKRA INDUSTRIAL à lui payer et porter les sommes suivantes :
* 25 000 € de dommages-intérêts pour le préjudice subi du mois de mai 2017 au 28 juin 2018 (date de reconnaissance de la maladie professionnelle) du fait du harcèlement ;
- réformer la décision dont appel en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à réparation au titre du défaut de paiement de l'indemnité de licenciement doublée ;
- la condamner en conséquence à lui verser la somme de 9 110,91 € de dommages-intérêts pour non-paiement du solde indemnité de licenciement qu'il aurait perçu en cas de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle (18221,82-9110,91) ;
- condamner la société DEKRA INDUSTRIAL à lui verser la somme de 5 000€ au titre du caractère brusque et vexatoire du licenciement intervenu ;
- condamner la même à lui verser 500 € de dommages-intérêts pour paiement tardif de l'indemnité compensatrice de congés payés ;
- condamner la société DEKRA INDUSTRIAL à lui verser la somme de 474€ au titre des frais de déplacement ;
- débouter la société DEKRA INDUSTRIAL de toutes demandes contraires;
- condamner la société DEKRA INDUSTRIAL à lui verser, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les sommes de 1 500 € au titre de la première instance et 2 000 € au titre de l'appel ;
- dire que les sommes précitées à l'exception des dommages et intérêts porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure et dire que les intérêts seront capitalisés en application de l'article 1343-2 du code civil ;
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir dans la mesure où elle ne serait pas de droit ;
- enjoindre la remise des documents Pôle emploi, bulletin de salaire et certificat de travail, conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision à intervenir ;
- dire qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir et qu'en cas d'exécution par voie extra judiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 444-32 du code du commerce, portant modification du décret du 12 Décembre 1996, devront être supportées par la société défenderesse en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [S] soutient que son licenciement est nul pour avoir été victime de harcèlement moral à l'origine de son absence, notamment suite à la nomination d'un nouveau chef de service en 2017, par un management directif, agressif et inadapté, une modification de ses missions et une mise à l'écart. Il dit en justifier par des pièces médicales et des attestations. Sa maladie professionnelle a pour origine ce harcèlement moral.
En toutes hypothèses, en application de l'article L 1226'9 du code du travail, le licenciement est encore nul en ce qu'il est intervenu pendant la suspension de son contrat de travail due à sa maladie professionnelle, alors même qu'il n'a commis aucune faute, a fortiori grave.
Subsidiairement, son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 octobre 2022.
SUR CE,
I Sur la nullité du licenciement
L'article 1152-1 du code civil dispose qu' 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.
Et l'article L 1154-1 que 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.
Constitue un harcèlement moral des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre sa vie professionnelle.
Dans leur courrier du 12 mars 2018, les docteurs [K] et [I] du service de médecine du travail du CHU de [Localité 2], relatent les propos de M. [S] selon lesquels à compter de l'année 2011, sa charge de travail aurait augmenté. Puis, à compter de juillet 2017, un nouveau responsable n'aurait cessé de le 'recadrer' et l'aurait accusé de faire chuter les objectifs, contestant sa fatigue. M. [S] aurait alors sombré avec des idées suicidaires très intenses.
Certes, cette pièce médicale rapporte les propos de M. [S]. Mais, ces médecins font état d'une asthénie, d'une aboulie et d'une anhédonie.
Dans le cadre de l'enquête diligentée par la CPAM de la Creuse aux fins de déterminer si M. [S] était atteint d'une maladie professionnelle, Mme [U] [W], collègue de travail de M. [S] aujourd'hui à la retraite, a attesté que 'Les relations de travail se sont dégradées après la nomination de monsieur [F] responsable d'agence régional en mai 2017 qui a repris la gestion de la région Aquitaine et Centre Ouest. C'est une personne relativement jeune. Et il a opéré un management assez agressif et directif à son arrivée. L'équipe était soudée jusque-là.
On a fait remarquer à monsieur [S] que sa manière de travailler n'était pas adaptée. Alors que ces objectifs étaient atteints, que son travail était de qualité et avait de très bonnes relations avec ces clients.
Petit à petit on lui a retiré sa mission de chargé d'affaires en l'envoyant plus en activité formation. Monsieur [F] vérifiait régulièrement les plannings. Un jour il nous a demandé de placer une formation dans les Pyrénées à monsieur [S] puis une présence le lendemain à [Localité 4] sans respecter les délais de route.
Monsieur [S] a été clairement mis à l'écart en quelques mois par monsieur [F], par rapport aux informations de travail pendant les pauses.
Nous avons eu l'impression que les « anciens » salariés de l'entreprise étaient « visés » pour un renouvellement des équipes.
Avant que Monsieur [S] soit en arrêt de travail il pleurait souvent au travail et il n'était vraiment pas bien, alors que c'était quelqu'un de dynamique et apprécié par ses clients.
Un suivi et une pression individuelle a été mise en place vers Monsieur [S], puis collective sur l'équipe des « anciens » en nous mettant à l'écart des informations de travail et en nous enlevant notre autonomie de travail'.
Cette attestation fait donc état d'une dévalorisation de M. [S] par son supérieur hiérarchique, d'une modification de ses missions (plus de formation et moins de commercial) et d'une mise à l'écart. Il en est résulté une dégradation de l'état psychologique de ce dernier.
Le mail de M. [Y] [R] dont la société DEKRA INDUSTRIAL fait état pour dire que M. [S] avait gardé ses fonctions de chargé de clientèle date du 16 juin 2016, soit avant les faits de harcèlement moral incriminés.
Mme [T] [N], collègue de travail de M. [S] de 2014 à 2018, actuellement à la retraite, a également attesté que M. [F] avait intimé à M. [S] de se consacrer à sa fonction de formateur pour une plus grande partie de son temps travail, ce qu'il avait mal supporté. Par ailleurs, il avait été mis à l'écart par ses collègues, certains lui ayant fait des remarques humiliantes.
La société DEKRA INDUSTRIAL produit des attestations selon lesquelles M. [F] était un responsable humain et bienveillant qui n'a jamais adopté un comportement harcelant à l'égard de quiconque. Elle produit également des mails de novembre 2017 entre M. [S] et M. [F] qui font état d'une certaine cordialité.
Mais, l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, composé par trois médecins, a conclu, après enquête approfondie, que M. [S] avait été victime, notamment à compter de 2017, d'une dégradation de ses conditions de travail liée à un 'management assez agressif et directif' et 'une mise à l'écart' de la part de son employeur, ces faits ayant entraîné de façon directe et essentielle la pathologie de M. [S], soit un trouble anxieux et dépressif caractérisé, sans état antérieur.
Le 'management assez agressif et directif' et la 'mise à l'écart' du salarié caractérisent des faits répétés de harcèlement moral, ce qui a entraîné, non seulement la dégradation des conditions de travail de M. [S], mais encore sa maladie d'origine professionnelle reconnue par la CPAM le 21 mai 2019.
Le rapport médical d'évaluation de son taux d'incapacité permanente fait état d'une dépression sévère avec troubles anxieux phobiques sans état antérieur. Le taux d'incapacité a été retenu à hauteur de 50 % le 19 janvier 2021 avec attribution d'une rente.
L'article 1152-3 du contrat de travail 'Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul'.
Dans ces conditions, le licenciement ayant été motivé par les conséquences de l'absence injustifiée de M. [S] à son poste de travail le 1er septembre 2019 ainsi qu'à son absence à la visite médicale du 21 février 2020,
elles même dues à sa maladie professionnelle causée par le harcèlement moral qui a entraîné la dégradation de ses conditions de travail, il convient de considérer qu'il est nul et de nul effet.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [S] était nul. En revanche, étant nul, il ne peut pas être dit qu'il est non fondé. Le jugement sera donc réformé de ce chef.
II Conséquences
1) Sur l'indemnité pour licenciement nul
L'article L. 1235-3-1 du contrat de travail dispose que 'L'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à:
...
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4".
M. [S] avait 12 années d'ancienneté à la date du licenciement.
Selon notification de la CPAM du 19 janvier 2021, il perçoit depuis le 16 novembre 2020 une rente mensuelle pour maladie professionnelle d'un montant de 1 123,51 € net par mois, alors qu'il percevait un salaire d'un montant de 2 730,75€ brut par mois avant le licenciement.
Il avait 56 ans à la date du licenciement.
Au vu de ces éléments, il convient de fixer l'indemnité due à M. [S] pour licenciement nul à 15 mois de salaire brut, soit 40'961,25 €, en deniers et quittances, la société DEKRA INDUSTRIAL lui ayant déjà versé la somme de 9 110,91 €. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement du 22 octobre 2021 sans capitalisation.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
2) Sur la demande d'indemnité de licenciement pour cause d'inaptitude
M. [S] n'ayant pas été déclaré inapte par le médecin du travail conformément aux dispositions de l'article L 1226'10 du code du travail, il ne peut pas prétendre à l'indemnité spéciale pour inaptitude prévue par l'article L 1226'14 du même code.
Il sera donc débouté de sa demande présentée à ce titre et le jugement confirmé de ce chef.
3) Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire
M. [S] ne justifie par aucune pièce de circonstances brusques et vexatoires lors de la procédure de licenciement.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande présentée à ce titre.
4) Sur la demande de dommages et intérêts pour paiement tardif de congés payés
Le 25 février 2021, la société DEKRA INDUSTRIAL a adressé paiement à M. [S] de la somme de 1 977,27 € correspondant au reliquat de congés payés de mai 2019.
Elle a donc commis une faute consistant dans le retard apporté au paiement ayant, de ce fait, causé un préjudice à M. [S].
Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a condamné la société DEKRA INDUSTRIAL à payer à M. [S] la somme de 250 € en réparation de ce préjudice.
5) Sur la demande en paiement au titre des frais de déplacement
En application des dispositions de l'article L 1471'1 du code du travail, l'action en paiement de frais professionnel se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
La demande de M. [S] concerne des frais de déplacement engagés en novembre et décembre 2017. Ayant déposé sa requête devant le conseil de prud'hommes le 18 juin 2020, sa demande est prescrite.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé de ce chef.
6) Sur la demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi du mois de mai 2017 au 28 juin 2018 du fait du harcèlement moral
Le rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité permanente, établi au vu de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles du 20 mai 2019, a conclu à une dépression sévère avec trouble anxieux phobiques, constituant la maladie professionnelle résultant du harcèlement moral commis à compter de mai 2017. Le taux d'incapacité permanente a été fixé à 50 % par la caisse primaire d'assurance-maladie le 19 janvier 2021.
M. [S] subit donc manifestement un préjudice en relation directe avec le harcèlement moral sur la période considérée qu'il convient d'évaluer à la somme de 5 000 € avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt sans capitalisation.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société DEKRA INDUSTRIAL succombant à l'instance, elle doit être condamnée aux dépens.
Il est équitable en outre de la condamner à payer à M. [S] la somme de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en ce qui concerne la procédure d'appel.
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PAR CES MOTIFS
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La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Guéret le 22 octobre 2021,
sauf en ce qu'il a :
- dit le licenciement de M. [E] [S] non fondé ;
- condamné la société DEKRA INDUSTRIAL à payer à M. [E] [S] la somme de 30'038,25 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
- débouté M. [E] [S] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour le préjudice subi du mois de mai 2017 au 28 juin 2018 du fait du harcèlement moral ;
Statuant à nouveau,
- CONDAMNE la société DEKRA INDUSTRIAL à payer à M. [E] [S] la somme de 40'961,25 €, en deniers et quittances, au titre de l'indemnité pour licenciement nul, avec intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2021 ;
- CONDAMNE la société DEKRA INDUSTRIAL à payer à M. [E] [S] la somme de 5 000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi du mois de mai 2017 au 28 juin 2018 du fait du harcèlement moral, ce avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
DEBOUTE M. [S] du surplus de ses demandes ;
CONDAMNE la société DEKRA INDUSTRIAL à payer à M. [E] [S] la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société DEKRA INDUSTRIAL aux dépens.
EN L'EMPÊCHEMENT LÉGITIME DU PRÉSIDENT, CET ARRÊT A ÉTÉ SIGNÉ PAR MONSIEUR LE CONSEILLER JEAN-PIERRE COLOMER, MAGISTRAT LE PLUS ANCIEN QUI A PARTICIPÉ AU DÉLIBÉRÉ.
LE GREFFIER, LE CONSEILLER,
Sophie MAILLANT. Jean Pierre COLOMER.