ARRET N°
N° RG 22/00241 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIKDG
AFFAIRE :
M. [D] [K]
C/
S.C.I. PORTE BLEUE
GS/TT
Demande de garantie d'éviction
Grosse délivrée à Me Michel MARTIN
COUR D'APPEL DE LIMOGES
Chambre civile
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ARRET DU 05 JANVIER 2023
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Le CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur [D] [K]
né le 14 Février 1960 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de LIMOGES substituée par Me Sandrine PAGNOU, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANT d'une décision rendue le 10 mars 2022 par le TJ DE LIMOGES
ET :
S.C.I. PORTE BLEUE, dont l'adresse est [Adresse 3]
représentée par Me Michel MARTIN de la SELARL SOLTNER-MARTIN, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 3 Novembre 2022. L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2022.
La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 5 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
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FAITS et PROCÉDURE
Par acte notarié du 22 janvier 2001, la SCI Porte bleue (la SCI) a acquis de Mme [Z] [L] un immeuble à usage d'habitation et de commerce situé [Adresse 7] à [Localité 6] (87), cadastré EO [Cadastre 1], divisé en quatre lots en copropriété.
Par acte notarié du 1er août 2007, cette SCI a vendu à M. [D] [K], pour un prix de 58 000 euros, le lot n° 1 composé d'une cour en sous-sol, et en rez-de chaussée, d'un magasin, un fournil et une pièce à vivre, ce lot étant donné à bail commercial aux consorts [W]/[G], boulangers.
À l'arrière de cet ensemble immobilier, Mme [V] [S] est propriétaire d'une maison avec jardin cadastrée EO [Cadastre 2] située au n° [Adresse 4] qu'elle a acquise par acte notarié du 28 juillet 1993.
Le bail commercial consenti aux consorts [W]/[G] sur le lot n° 1 ayant pris fin en 2016, M. [K] a entrepris de transformer ce lot en habitation.
Mme [S] a revendiqué la propriété du four inclus dans ce lot en se fondant sur les clauses de son titre de propriété. M. [K] a accueilli sa demande et il a fait procéder, courant 2019, à l'édification d'un mur séparatif et à la modification parcellaire cadastrale pour prendre en compte les nouvelles limites de propriété.
Le 1er octobre 2020, M. [K] a assigné la SCI devant le tribunal judiciaire de Limoges pour obtenir l'indemnisation de la valeur du four dont il prétend avoir été évincé, en reprochant à la société venderesse d'avoir manqué à ses obligations de délivrance et de garantie contre l'éviction.
Par jugement du 10 mars 2022, le tribunal judiciaire de Limoges a débouté M. [K] de son action dirigée contre la SCI venderesse après avoir retenu qu'il avait commis une erreur de droit en considérant, à tort, que Mme [S] était fondée à revendiquer la propriété du four en vertu des clauses de son acte notarié du 28 juillet 1993, que ce four avait été valablement cédé à celle-ci par M. [K], et que dès lors, ce dernier ne pouvait se prévaloir d'une éviction indemnisable à l'encontre de son propre vendeur.
M. [K] a relevé appel de ce jugement.
MOYENS et PRÉTENTIONS
M. [K] reprend, pour l'essentiel, l'argumentation qu'il avait développée devant les premiers juges, en soutenant que la clause insérée dans l'acte de propriété de Mme [S] du 28 juillet 1993 doit être qualifiée de 'servitude' organisant un rapport réel entre deux fonds, les parties ayant eu la commune volonté de créer un service à la charge du fonds acquis par l'auteur de Mme [S] au profit du fonds voisin des auteurs de M. [K]. Il demande la condamnation de la SCI à lui payer des dommages-intérêts en réparation de ses préjudices matériel (valeur du four vendu dont il a été évincé), moral et de jouissance, ainsi qu'à lui rembourser divers frais (géomètre expert et construction du mur séparatif). Subsidiairement, il demande une expertise portant sur l'estimation de la valeur du four vendu dont il a été évincé.
La SCI conclut à la confirmation du jugement.
MOTIFS
L'action engagée par M. [K] est dirigée contre son vendeur, la SCI Porte bleue, qui selon lui, a manqué à ses obligations tant de délivrance que de garantie contre l'éviction. Cette prétendue éviction à l'origine du litige porte sur un four (ou fournil) qui fait expressément partie des biens vendus par la SCI à M. [K] au terme de l'acte notarié du 1er août 2007 et dont la propriété a été revendiquée par Mme [S] dans le courant de l'année 2017 sur le fondement des clauses de son titre de propriété notarié du 28 juillet 1993.
Cette revendication de propriété a été acceptée par M. [K], et aucune des parties au litige ne remet en cause le fait que Mme [S] -qui n'est pas partie à la présente instance - est désormais propriétaire du four.
L'appréciation du bien-fondé de l'action de M. [K] à l'encontre de son vendeur est tributaire de l'examen des droits dont Mme [S] s'est prévalue sur le four, droits qu'elle tient de l'acte notarié du 28 juillet 1993.
Cet acte notarié porte vente par M. [J] [F] à Mme [S] de son immeuble cadastré EO [Cadastre 2] situé au n° [Adresse 4], la désignation des biens vendus ne faisant état d'aucun four de boulanger.
Après une rubrique '2) Servitudes' en page 6 qui ne fait état d'aucune servitude particulière, cet acte renvoie en sa page 7 sous un intitulé 'RAPPEL DE SERVITUDE' à un précédent acte notarié du 6 mars 1952 portant vente du même bien immobilier par les époux [A] aux époux [E] dans lequel 'il a été inséré les conditions particulières ci-après littéralement transcrites CONDITIONS PARTICULIÈRES'. Suivent huit séries de clauses dont les cinq premières, qui abordent les droits des parties à cet acte de 1952 sur le four vendu à M. [K] par la SCI le 1er août 2007, sont fidèlement reproduites en pages 3 et 4 du jugement déféré.
La clause I localise le four litigieux en précisant qu'il est loué à un boulanger (M. [C]) et que sa superficie (15m² environ) est exclue de la vente pour rester la propriété des époux [A].
Les clauses II et III précisent les droits et obligations des parties à l'acte de 1952 sur les aménagements périphériques au four et l'entretien de cet ouvrage.
La clause IV stipule: 'Au cas de disparition totale, définitive et dûment constatée du fonds de commerce de boulangerie qui est actuellement exploité par M. [C] et de tous autres fonds de commerce qui pourraient se substituer à celui-ci et utiliser le four, M. et Mme [E] deviendraient seuls propriétaires, en sol et construction, de la partie de ce four dont il a été question plus haut et qui a une superficie de 15 m² environ, ainsi que de toutes constructions qui pourraient se trouver au-dessus de cette partie de four, et ce de plein droit, sans autre titre, dès ladite disparition et par le seul fait de sa constatation'.
Par ces clauses issues de l'acte de 1952 - qui n'est pas versé aux débats - les parties à cet acte ont eu la volonté d'assurer la protection du fonds artisanal de boulangerie ou d'un fonds de commerce pour l'exploitation duquel le four serait nécessaire, la possibilité pour les acheteurs (les époux [E]) de devenir propriétaires de cet ouvrage étant subordonnée à la disparition préalable, totale et définitive du commerce.
C'est en vertu de cette clause, rappelée dans son titre de propriété du 28 juillet 1993, que Mme [S] a revendiqué la propriété du four inclus dans ce lot n° 1 vendu à M. [K] le 1er août 2007.
Cette clause organise un transfert de propriété du four au profit des propriétaires du fonds cadastré EO [Cadastre 2] - et non du fonds lui-même - et comme telle, ne peut avoir d'effet qu'entre les propriétaires concernés signataires de l'acte du 6 mars 1952 auxquels elle est seule opposable, à savoir les époux [A] d'une part, qui se sont réservés la propriété du four (clause I de l'acte de 1952) et les époux [E], auxquels cet ouvrage est susceptible d'être transféré en propriété après disparition du fonds de commerce en vertu de la clause IV, d'autre part.
Or, postérieurement à l'acte de 1952, le fonds cadastré EO [Cadastre 1] comprenant le four litigieux est devenu la propriété de Mme [Z] [L] qui l'a vendu, par acte notarié du le 22 janvier 2001, à la SCI Porte bleue, laquelle l'a revendu, par acte notarié du 1er août 2007, à M. [K], aucun de ces actes successifs ne faisant état de la clause particulière susvisée de l'acte du 6 mars 1952. Rien ne permet d'affirmer que tant la SCI que M. [K] ont eu connaissance de cette clause qui, en tout état de cause ne leur est pas opposable.
Dès lors, après avoir retenu à juste titre, par des motifs pertinents qui procèdent d'une exacte appréciation des termes de la clause IV précitée, que cette stipulation, qui organise un transfert des droits de propriété sur le four après disparition définitive du fonds de commerce, ne pouvait être qualifiée de 'servitude', les premiers juges ont exactement décidé que cette clause n'était pas opposable à M. [K], nouveau propriétaire du four, qui ne l'avait pas signée.
Juger autrement reviendrait à introduire une insécurité juridique dans les relations contractuelles entre les parties portant sur les droits de propriété sur leurs immeubles respectifs.
C'est donc par suite d'une erreur de M. [K] sur les droits détenus par Mme [S] sur le four acquis par lui, qu'il a consenti à sa revendication de la propriété de cet ouvrage, après disparition du fonds artisanal de boulangerie en 2016.
Pour autant, M. [K] ne remet pas en cause le transfert de la propriété du four à Mme [S] (ce qui impliquerait la présence de cette dernière à l'instance).
Sa demande est exclusivement dirigée contre la SCI venderesse à qui il reproche d'avoir manqué à ses devoirs de délivrance et de garantie contre l'éviction.
Or, l'erreur de droit commise par M. [K] ne peut, en aucun cas, être constitutive d'un manquement de la SCI à ses obligations de vendeur, étant ici rappelé que rien ne permet d'affirmer que cette société a eu connaissance de la clause IV dont s'est prévalue Mme [S].
Il s'ensuit que le jugement déboutant M. [K] de son action sera confirmé.
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement rendu le 10 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Limoges ;
CONDAMNE M. [D] [K] à payer à la SCI Porte bleue la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [D] [K] aux dépens et DIT qu'il sera fait application de l'article 699 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Line MALLEVERGNE Corinne BALIAN.