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18/05/2022 | FRANCE | N°21/00224

France | France, Cour d'appel de Limoges, Chambre sociale, 18 mai 2022, 21/00224


ARRÊT N° .



N° RG 21/00224 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIF2O







AFFAIRE :



[N], [I] [P]

C/

S.A. CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4]







PLP/MLM





Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail pour motif économique































G à Me Froidefond et Me Magnaudeix, le 18/5/22







COUR D'APPEL DE LIMOGES



CHA

MBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

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ARRÊT DU 18 MAI 2022

-------------





Le dix huit Mai deux mille vingt deux, la Chambre économique et Sociale de la Cour d'Appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :



ENTRE :



[N], [...

ARRÊT N° .

N° RG 21/00224 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIF2O

AFFAIRE :

[N], [I] [P]

C/

S.A. CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4]

PLP/MLM

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail pour motif économique

G à Me Froidefond et Me Magnaudeix, le 18/5/22

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

------------

ARRÊT DU 18 MAI 2022

-------------

Le dix huit Mai deux mille vingt deux, la Chambre économique et Sociale de la Cour d'Appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :

ENTRE :

[N], [I] [P], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Frédérique FROIDEFOND de la SELARL LABONNE ET ACDP, avocat au barreau de BRIVE substituée par Me Aurélien AUCHABIE, avocat au barreau de BRIVE

APPELANT d'un jugement rendu le 10 Février 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TULLE

ET :

S.A. CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4], dont le siège social est [Adresse 5]

représentée par Me Sandra MAGNAUDEIX, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, vestiaire : 8

INTIMEE

---==oO§Oo==---

L'affaire a été fixée à l'audience du 15 Mars 2022, après ordonnance de clôture rendue le 09 février 2022, la Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller et de Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, assistés de Monsieur Claude FERLIN, Greffier, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.

.

Puis, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 11 Mai 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi. A cette date le délibéré a été prorogé au 18 mai 2022.

LA COUR

EXPOSE DU LITIGE :

M. [P] a été engagé par la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] le 1er octobre 2004 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de chef des ventes niveau AMI échelon 1 coefficient 240 de la convention collective des coopératives et SICA bétail et viande (IDCC 7001).

A compter du 22 février 2019, M. [P] a été placé en arrêt de travail, arrêt prolongé jusqu'au 5 avril 2019.

Le 2 avril 2019, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement économique fixé le 12 avril suivant, entretien au cours duquel il s'est vu remettre les documents relatifs à l'adhésion à un Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP) et un courrier exposant les motifs de la procédure envisagée.

Le 23 avril 2019, M. [P] s'est vu notifier son licenciement, la lettre précisant les motifs économiques à l'origine de la décision.

Le 26 avril 2019, le salarié a accepté le CSP et est sorti des effectifs le 3 mai 2019.

***

Contestant son licenciement économique ainsi que la classification qui était la sienne et l'absence de versement de la prime mensuelle à compter du mois de mars 2018, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Tulle d'une demande reçue le 28 octobre 2020.

Par jugement du 10 février 2021, le conseil de prud'hommes de Tulle a :

- rejeté la demande de reclassification du poste de travail de M. [P] en catégorie Cadre niveau VI, échelon 1 de la convention collective bétail et viandes ;

- débouté M. [P] dans ses demandes suivantes :

* 3 338,05 € de rappel de salaire ;

* 476,57 € de rappel de salaire sur heures supplémentaires ;

* 381,46 € de rappel de salaire sur prime d'ancienneté ;

* 419,61 € au titre des congés payés afférents ;

* 705,94 € de complément d'indemnité de licenciement sur rappels de salaire classification

niveau VI échelon 1 ;

* 314,95 € de complément d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- dit que la suppression de la prime mensuelle n'est pas une modification du contrat de travail ;

- débouté M. [P] dans les demandes des sommes de :

* 5 494,63 € de rappel de salaire sur prime exceptionnelle ;

* 549,46 € au titre des congés payés afférents ;

* 1 569,58 € de complément d'indemnité de licenciement sur la prime exceptionnelle mensuelle ;

- dit que le licenciement de M. [P] est bien un licenciement économique ;

- débouté M. [P] dans ses demandes de :

* 40 969,32 € de dommages-intérêts pour licenciement injustifié ;

* 10 242,33 € de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

- dit que la société LE CADRAN D'[Localité 4] a respecté la procédure de critères d'ordre de licenciement ;

- débouté M. [P] dans sa demande de 51 211,65 €de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement au titre des critères de choix ;

- condamné la société LE CADRAN D'[Localité 4] à verser à M. [P] la somme de 500 € pour la remise tardive du bulletin de portabilité de la complémentaire santé ;

- débouté M. [P] de sa demande de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision ;

- débouté la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] de sa demande de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

M. [P] a interjeté appel de la décision le 9 mars 2021. Son recours porte sur l'ensemble des chefs de jugement.

***

Aux termes de ses écritures du 10 novembre 2021, M. [P] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement dont appel ;

- dire ses demandes recevables et bien fondées ;

Y faisant droit :

- d'ordonner la reclassification de son poste de travail en catégorie cadre niveau VI - échelon 1 de la convention collective bétail et viandes ;

- en conséquence, condamner la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à verser les sommes suivantes :

* 3 338,05 € de rappel de salaire classification niveau VI échelon 1 ;

* 476,57 € de rappel de salaire sur heures supplémentaires ;

* 381,46 € de rappel de salaire sur prime d'ancienneté ;

* 419,61 € au titre des congés payés afférents ;

* 705,94 € de complément d'indemnité de licenciement sur rappels de salaire classification niveau VI échelon 1 ;

* 314,95 € de complément d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- dire que la suppression de la prime mensuelle est une modification du contrat de travail ;

- en conséquence, condamner la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à verser les sommes suivantes :

* 5 494,63 € titre de rappel de salaire sur prime exceptionnelle ;

* 549,46 € au titre des congés payés afférents ;

* 1 569,58 € de complément d'indemnité de licenciement sur la prime exceptionnelle mensuelle ;

- dire, à titre principal, que le licenciement intervenu est dénué de cause réelle et sérieuse ;

- en conséquence, condamner la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à verser les sommes suivantes :

* 40 969,32 € de dommages-intérêts pour licenciement injustifié correspondant à 12 mois de salaire brut ;

* 10 242,33 € de dommages-intérêts pour préjudice moral, correspondant à 3 mois de salaire brut ;

- dire, à titre subsidiaire, que l'employeur ne rapporte pas la preuve que M. [P] était le salarié désigné pour faire l'objet de la procédure de licenciement au titre des critères de choix ;

- en conséquence, condamner la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à verser la somme de 51 211,65 € de dommages-intérêts pour la réparation de l'entier préjudice correspondant à 15 mois de salaire brut ;

- condamner la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à la somme de 1 000 € pour non remise du bulletin de portabilité de la complémentaire santé ;

- condamner la même à la somme de 3 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dire que les sommes auxquelles sera condamnée la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation en conciliation par celle-ci pour les créances salariales et de la décision à intervenir pour les créances indemnitaires ;

- condamner la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] aux entiers frais et dépens.

M. [P] soutient être fondé à obtenir la reclassification de son poste en cadre niveau VI échelon 1 au regard des fonctions qu'il exerçait. En effet il expose que celles-ci étaient essentielles pour la société, mais également complexes, étendues et assorties d'une grande autonomie. Il précise qu'il occupait également des fonctions commerciales particulièrement importantes et qu'il avait diverses personnes sous sa responsabilité, devant donner consignes et directives au personnel administratif.

M. [P] fait également valoir qu'il n'a pas été rempli dans ses droits relativement à la prime mensuelle habituellement versée, celle-ci ayant été unilatéralement supprimée à compter de mars 2018, la simple dénomination de ladite prime ne pouvant la priver de son caractère d'usage et la suppression de cet élément de salaire étant constitutive d'une modification du contrat de travail.

Par ailleurs, il soutient que son licenciement est privé de cause réelle et sérieuse en l'absence de réelles difficultés pouvant justifier le caractère économique, la baisse du chiffre d'affaires résultant en tout état de cause de la gestion blâmable de l'employeur. De même, il conteste la suppression de son poste dont il indique qu'il était le seul à générer du chiffre d'affaires, sa mise à l'écart étant intervenue bien en amont et aucune suppression du poste n'ayant eu lieu puisqu'il est actuellement occupé par M. [Y] dont le coût salarial est moins élevé. Il précise que l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement et ne démontre pas avoir procédé à des recherches sincères et sérieuses, notamment au sein de l'entreprise en présence d'au moins un autre poste de nature commerciale, situation démontrant par ailleurs que l'ordre des licenciements n'a pas été respecté, l'employeur ayant considéré que M. [P] était le seul salarié de sa catégorie.

M. [P] expose également avoir subi un préjudice distinct de son licenciement au regard des modalités de celui-ci, ainsi qu'un préjudice né de l'absence de remise du bulletin de portabilité de la complémentaire santé à la fin de son contrat.

Aux termes de ses écritures du 25 janvier 2022, la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel ;

- le réformer en ce qu'il l'a condamnée à verser 500 € de dommages-intérêts au titre de la remise tardive du document de portabilité de la complémentaire santé ;

- dire que les demandes de M. [P] sont infondées ;

- débouter M. [P] de l'intégralité de ses demandes ;

- le condamner à lui porter et payer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société LE CADRAN D'[Localité 4] fait valoir que le motif économique à l'origine du licenciement de M. [P] est parfaitement fondé, au regard de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du 13 février 2018 avec désignation d'un mandataire ad hoc, de la baisse conséquente du chiffre d'affaire sur le dernier exercice, des nombreux impayés subis en 2016 ayant conduit à des mesures de redressement sur les années 2017 et 2018, ainsi que des frais générés par le rachat des équipements du restaurant suite à la faillite de son exploitant.

Elle expose que c'est cette situation qui a entraîné la suppression du poste de M. [P], la société ayant répartie les tâches entre les autres salariés comme elle y est autorisée et ayant par ailleurs parfaitement rempli ses obligations de recherche d'un reclassement. Sur ce point, elle précise avoir cherché auprès de sociétés extérieures en l'absence de poste équivalent en interne. Une société a sollicité M. [P] pour qu'il transmette son CV, mais celui-ci n'a pas donné suite.

A titre subsidiaire, la société LE CADRAN D'[Localité 4] soutient avoir respecté les critères d'ordre des licenciements, M. [P] étant le seul de sa catégorie professionnelle et aucun choix n'ayant donc à être fait. En tout état de cause, elle indique que les éventuelles indemnisations de M. [P] devront être modérées dans leur quantum, celui-ci ne justifiant d'aucun préjudice distinct.

Sur les demandes formulées au titre de l'exécution du contrat de travail, la société LE CADRAN D'[Localité 4] indique que la classification du salarié était la bonne au regard des fonctions qu'il exerçait, n'ayant d'ailleurs pas la formation requise pour le niveau qu'il sollicite, et conteste en outre que la prime exceptionnelle qui lui a été allouée puisse être reconnue comme un élément de salaire. De même, elle conteste que M. [P] ait pu subir un quelconque préjudice relatif à la remise tardive du document de portabilité de la complémentaire santé.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 février 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur les demandes de M. [P] relatives à l'exécution du contrat de travail :

1.1 Sur la demande de reclassification :

Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu'il assure effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.

Les fonctions réellement exercées qui sont prises en compte pour déterminer la qualification d'un salarié, sont celles qui correspondent à son activité principale, et non celles exercées à titre accessoire ou occasionnel.

M. [P], engagé en qualité de Chef de ventes, Echelon 1, Niveau AM1, Coefficient 240, prétend qu'en réalité ses fonctions correspondent à celles d'un Cadre niveau VI ' Echelon 1. Il s'agit du premier niveau des quatre niveaux de la Catégorie Cadre.

Dans la lettre adressée par la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] le 19 février 2019 dans le cadre des recherches de reclassement externe, l'employeur décrivait ses fonctions de la manière suivante :

« Animation des ventes (bovins et ovins) au cadran

- Participation au règlement des litiges

- Rédaction des mercuriales

- Participation à la relance des agriculteurs

- Prospection des acheteurs

Les compétences suivantes ont été développées en :

- Communication : rédaction de textes condensés, expression orale

- Techniques en production animale et forestière

- Evaluation de la valeur commerciale des bovins

- Négociation entre acheteurs et vendeurs

- Gestion de projet

- Veille commerciale et sanitaire

Les qualifications suivantes sont détenues par le salarié :

- BAC technologique agricole

- DUT Génie biologie option agronomie

- Licence en commerce international et agro développement ».

C'est par de justes motifs, adoptés par la cour d'appel, que les premiers juges, après s'être référés à la Convention Collective Bétail et Viandes qui définissait les critères permettant de déterminer les catégories professionnelles, ont considéré que M. [P] ne remplissait pas dans son activité les critères suivants de la catégorie revendiquée : " Encadre les personnels des équipes placées sous son autorité et en assume la responsabilité hiérarchique" ; ' Anime de manière permanente les équipes placées sous son autorité. Par son expertise, est amené à apporter une assistance technique et/ou former des personnels de toutes catégories. '

Cette juridiction a indiqué que M. [P] était le seul agent de maîtrise de la société, qu'il travaillait en collaboration avec les agents administratifs et avec les bouviers sans rapport hiérarchique et qu'il travaillait avec les éleveurs qui ne faisaient pas partie du personnel de la société du Cadran.

S'il est incontestable que M. [P] exécutait des tâches multiples compte tenu de son poste de Chef des ventes, en ce qui concerne l'encadrement il distribuait et organisait le travail d'une équipe d'opérateurs, ce qui relevait de sa catégorie, comme l'animation d'une équipe, mais sans disposer d'une autorité sur les membres des équipes dont un cadre de niveau VI a la charge.

Il sera ajouté que M. [P] ne disposait pas d'un niveau Bac + 4 et qu'il ne conduisait pas des projets ou des missions en optimisant les moyens mis à disposition et en assurant, aux étapes décisives, un reporting approprié, comme cela est exigé par ladite Convention Collective pour obtenir la classification qu'il revendique.

Quant aux attestations produites par M. [P] elles émanent de personnes qui font l'éloge de sa compétence professionnelle, laquelle n'est cependant pas en cause, établissent que dans son activité il mettait en oeuvre un ensemble de techniques et que son emploi s'exerçait dans des situations très diversifiées, ce qui relève exactement de la définition de la catégorie d'emploi qui lui était attribuée.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté M. [P] des demandes de rappels de salaire et de sommes versées au titre du licenciement, en dépendance directe avec cette reclassification non obtenue.

1.2 Sur la prime :

M. [P] sollicite un rappel de salaire de 5.494,63 € outre 549,46 € au titre des congés payés y afférents, au titre de la prime mensuelle qui lui a été versée à compter du mois de juillet 2016 jusqu'au mois de février 2018, sa suppression étant intervenue sans son accord alors qu'il s'agissait selon lui d'un élément de son salaire en raison d'un usage.

Dans cette matière l'usage est considéré comme constitué dès lors que trois conditions sont remplies : la généralité de la prime, sa constance et sa fixité.

Cette prime, d'un montant identique de 389,69 €, a été qualifiée d'exceptionnelle sur les bulletins de paie établis pour les mois de juillet 2016 à novembre, a disparu au mois de décembre 2016, avant de réapparaître avec la même qualification au mois de janvier 2017, puis d'être mentionnée PRIME [Localité 3] de février 2017 à avril 2017 et d'être à nouveau qualifiée de prime exceptionnelle de mai 2017 à février 2018. Au total elle a donc été versée durant 19 mois sur une période de 20 mois.

Sa fixité n'est pas contestable. Si par généralité, il faut entendre que l'avantage bénéficie à l'ensemble des salariés ou, tout au moins à une catégorie professionnelle déterminée, ce critère est en l'occurrence inapplicable dès lors que M. [P] était l'unique salarié dans sa catégorie.

Reste le critère de la constance. Aucun texte n'impose le versement d'une prime pendant au moins trois années pour qu'il s'agisse d'un usage, d'autant qu'il y a lieu de prendre en considération sa périodicité qui est variable. A cet égard la jurisprudence citée par les premiers juges est de portée très limitée puisque elle a été rendue au sujet de primes versées annuellement et non mensuellement.

En l'occurrence l'employeur ne rapporte pas la preuve, comme il le prétend, que cette prime était exclusivement liée à l'animation du marché de [Localité 3]. Or si le nommage 'PRIME [Localité 3]' a bien figuré sur les bulletins de paie, c'est sur une courte période de trois mois alors que durant les autres 16 mois de son versement, antérieurement et postérieurement, c'est la mention de prime exceptionnelle qui apparaissait. Par ailleurs la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] prétend qu'il s'agissait d'une prime versée en contrepartie de l'animation du marché de [Localité 3], mais n'en justifie pas alors qu'elle devrait être en mesure de disposer d'éléments à cet égard. Elle ne produit en réalité aucun écrit évoquant la justification de cette prime et sa suppression. S'il est exact que l'attribution d'une prime peut être subordonnée à certaines conditions très précises dont la disparition peut justifier la décision de l'employeur de la supprimer, encore faut-il que l'existence de ces circonstances particulières soient démontrée par l'employeur.

En l'occurrence la durée du versement de cette prime versée mensuellement (19 mois), sa fixité et l'absence de preuve de l'existence d'éléments objectifs qui auraient pu en justifier l'attribution amènent à considérer qu'il s'agissait d'un élément de salaire, et que sa suppression est constitutive d'une modification du contrat de travail de M. [P] qui aurait dû nécessairement être soumise à son accord.

En conséquence il doit être fait droit à la demande de rappel de salaire de 5.494,63 € outre 549,46 € au titre des congés payés ainsi que 1 569,58 € à titre de complément d'indemnité de licenciement sur la prime exceptionnelle mensuelle.

Le jugement entrepris sera réformé de ce chef.

2. Sur la rupture du contrat de travail de M. [N] [P] :

2.1 Sur le licenciement économique :

Selon les dispositions de l'article L. 1233-3 du Code du travail, « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entReprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché ».

La lettre de licenciement doit énoncer les motifs du licenciement. Elle fixe les termes du litige et interdit à l'employeur d'invoquer d'autres motifs que ceux qui y sont mentionnés.

Elle doit être suffisamment motivée et énoncer à la fois la cause économique qui fonde la décision (difficultés économiques, mutations technologiques, ') et sa conséquence précise sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié (suppression d'emploi, modification du contrat, ').

Le licenciement pour motif économique doit également reposer sur un motif non inhérent à la personne du salarié.

Dans sa lettre du 23 avril 2019 L'employeur a motivé le licenciement économique de M. [P] de la manière suivante :

La société enregistre une baise substantielle de son chiffre d'affaires au 31/12/2018 par apport à 2017 de - 46 000 €. On constate de façon générale un ralentissement de son activité. Par ailleurs elle a dû faire face à des difficultés de trésorerie l'empêchant de régler les vendeurs dans les délais contractuels.

Ses charges n'ont, dans le même temps, pas pu être réduites dans les mêmes proportions avec notamment des frais engagés et destinés à préserver ses intérêts suite à la défaillance de la société Chanourdie, des frais de rachat d'équipement du restaurant suite à la faillite de la société qui l'exploitait et des frais financiers.

La conséquence de ces données aboutit à un résultat largement déficitaire de moins 308 000 € qui n'est que partiellement en lien avec la provision de 112 000 € passée en comptabilité, pour se prémunir de la déconfiture des sociétés Chanourdie et qui nécessite une réaction immédiate.

C'est au titre de cette réduction d'activité qu'il a été décidé, après avoir mis en oeuvre des mesures d'économie et recherché une solution de reclassement d'ailleurs trouvée en externe, de procéder à la suppression de votre poste de travail.

Les pièces comptables produites confirment la réalité de la baisse du chiffre d'affaires de - 46 000 € entre 2017 et 2018, le montant de ces chiffres d'affaires étant respectivement de 650 496 € et 604 300€. Lors du licenciement cette baisse était donc de 7,11 %.

L'activité de la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] consiste à mettre en relation directe des vendeurs et des acheteurs de bovins et les chiffres de la FEDEV, qui regroupe les organisations professionnelles du négoce et de la transformation du bétail et de la viande confirment la baisse de natalité des bovins induisant une diminution des bovins vendus en 2018 (5924) par rapport à 2017 (6 632). Toutefois la baisse de la production vendue a été limitée entre 2017 et 2018 puisqu'elle est passée de 624 452,50 € à 594 590, 03 €, soit -4,78 %.

Les pièces communiquées établissent également la baisse de trésorerie de l'entreprise, et l'existence d'impayés.

L'employeur évoque en outre ses charges, notamment des frais de rachat d'équipement du restaurant suite à la faillite de la société qui l'exploitait et des frais financiers. A cet égard il doit être relevé que l'entreprise qui exploitait ce restaurant était la SARL BISTROT DU CADRAN, gérée par M. [O], président de la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4], du 17 février 2004 au 24 juillet 2018. Ce rachat d'équipement a par ailleurs permis, à compter du mois de septembre 2018, soit antérieurement au licenciement de M. [P], de signer un bail commercial avec un tiers et de percevoir ainsi un loyer commercial.

Si la réalité des difficultés économiques n'est pas contestable elles présentaient un caractère relativement limité, d'autant que le 11 février 2019, soit antérieurement au licenciement de M. [P], la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] a conclu un accord de conciliation sous l'égide et en présence du mandataire ad hoc puis du conciliateur désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce de Brive, qui a constaté qu'elle n'était plus en état de cessation des paiements et qu'elle bénéficiait de deux prêts pour un montant total de 400 000 €.

Par ailleurs ces difficultés économiques doivent rendre légitime la suppression de l'emploi de M. [P].

Or ce dernier était le seul salarié de l'entreprise à exercer les fonctions de chef des ventes, seul poste qui générait du chiffre d'affaires, et dont la compétence et le sérieux sont soulignés par les auteurs de nombreuses attestations et ne sont d'ailleurs pas contestés par son employeur lequel n'a jamais critiqué le travail ou les résultats de M. [P] durant plus de 14 ans et lui accordait même une prime mensuelle substantielle comme cela a été précédemment évoqué.

A juste titre M. [P] fait-il valoir que le poste qu'il exerçait était 'hautement stratégique et inhérent au marché du Cadran'. La vente au cadran représente la seule activité commerciale de l'entreprise qui est, pour l'essentiel, le négoce de bovins.

Par ailleurs si le protocole de conciliation précité évoquait des économies sur la masse salariale, il visait la suppression d'un poste administratif ou commercial, soit la refacturation de prestations liées à l'intervention d'un chef des ventes sur un autre cadran. Or l'employeur a supprimé deux postes, l'un de nature administrative, l'autre étant celui de M. [P], cela sans envisager de proposer à ce dernier d'exercer différemment son activité.

Or le poste de M. [P] n'a pas été supprimé puisqu'il a été repris par un autre salarié, M. [Y], technico-commercial, auquel il a été demandé d'assurer l'animation du marché en occupant les fonctions de chef des ventes. Certes il exerçait ces fonctions à temps partiel mais sans que l'employeur de M. [P] eut proposé à ce dernier une diminution de son activité. Par ailleurs sur la période du 1er août 2019 au 17 janvier 2020 la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] a sollicité l'intervention d'un prestataire extérieur en la personne de M. [M] pour un coût de 11 065,92 €.

Si le montant des salaires et traitements de la société a diminué de 22 793 € entre 2018 et 2019, pour passer de 224 336 € à 201 543 € en 2019, cette donnée doit s'apprécier en fonction de l'évolution des charges d'exploitation lesquelles ont augmenté de 203 837 € entre 2018 et 2019 pour passer de 911 485 € à 1 115 322 €.

En définitive il apparaît que les caractéristiques des difficultés économiques rencontrées par la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4], laquelle venait de signer un protocole d'accord de conciliation qui lui accordait de nouveaux et importants concours financiers et ne préconisait pas la suppression de deux emplois, ne justifiait pas de supprimer celui de chef des ventes de M. [P], activité créatrice du principal chiffre d'affaires de la société, pour le confier, à temps partiel, au seul autre technico-commercial de l'entreprise.

En conséquence le licenciement de M. [N] [P] est dénué de cause réelle et sérieuse et le jugement déféré doit être infirmé de ce chef.

2.2 Sur les demandes indemnitaires :

2.2.1 Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Après une période de chômage de 4,5 mois, M. [P] a retrouvé un emploi à [Localité 1], pour un salaire brut de 3 000 € alors qu'il percevait une rémunération moyenne de 3 414,11 € au sein de la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4].

Il sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser la somme de 40 969,32 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement injustifié correspondant à 12 mois de salaire brut, en application des dispositions de l'article L 1235-1 du code du travail.

Les dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail fixent la fourchette d'indemnisation de ce chef de préjudice, pour l'ancienneté en question du salarié et la taille de l'entreprise, entre un minimum de 3 mois de salaire brut et un maximum de 12 mois.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération qu'il percevait, de son âge (42 ans), de son ancienneté, de son nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 20 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Il sera par ailleurs constaté qu'en cause d'appel ce n'est plus qu'à titre subsidiaire, dans la mesure où le licenciement économique aurait été justifié, que M. [P] présente sa demande d'indemnisation pour non respect de la procédure au titre des critères de choix. Effectivement et comme le faisait observer la société intimée, ces deux indemnités ne peuvent se cumuler.

2.2.2 Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral :

M. [P] expose qu'il a été profondément choqué et meurtri par les circonstances dans lesquelles il a été évincé de son poste de travail, considérant avoir été humilié publiquement dans des circonstances de nature à faire naître des doutes illégitimes dans l'esprit de ses collègues sur ses compétences professionnelles. Il sollicite une indemnisation à hauteur de 10 242,33 € correspondant à 3 mois de salaire brut.

Alors que M. [P] animait le marché du Cadran depuis plus de 14 ans, la décision prise par son employeur, le 19 février 2019, de lui interdire de prendre en charge cette activité prévue le jour même, afin qu'il se consacre à la prospection, alors que ses compétences professionnelles n'avaient jamais été contestées, est brutale et injustifiée. Elle est à l'origine de son arrêt de travail du 22 février 2019 au 5 avril 2019 et lui a causé un préjudice qui sera réparé par la condamnation de son employeur à lui verser une indemnité de 3 000 €.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

2.2.3 Sur l'absence de remise du bulletin de portabilité de la complémentaire santé :

C'est par de justes motifs, en fait et en droit, adoptés par la cour d'appel, que les premiers juges ont condamné la société intimée à verser à M. [P] la somme de 500 € en raison de la remise tardive du bulletin de portabilité de la mutuelle.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

3. Sur les demandes annexes :

La société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4], qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et l'équité commande de la condamner à verser à M. [P] une indemnité de 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Tulle rendu le 10 février 2021 en ce qu'il a :

- rejeté la demande de reclassification de son poste de travail, présentée par M. [N] [P] et l'a débouté de ses demandes en paiement qui en étaient la conséquence directe ;

- condamné la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à verser à M. [P] la somme de 500 € pour la remise tardive du bulletin de portabilité de la complémentaire santé ;

- debouté la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'INFIRME pour la surplus :

Statuant à nouveau ;

JUGE que la suppression de la prime mensuelle versée à M. [P] est une modification de son contrat de travail ;

CONDAMNE la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à verser à M. [N] [P] les sommes suivantes :

-5 494,63 € à titre de rappel de salaire sur la prime ;

- 549,46 € au titre des congés payés y afférents ;

- 1 569,58 € à titre de complément d'indemnité de licenciement sur la prime ;

JUGE que le licenciement de M. [P] est dénué de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à verser à M. [N] [P] les sommes suivantes :

- 20 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

DIT que les sommes auxquelles est condamnée la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par elle de la convocation en conciliation pour les créances salariales et de la présente décision pour les créances indemnitaires ;

CONDAMNE la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société CADRAN L'EMPEREUR D'[Localité 4] à verser à M. [N] [P] la somme de 3 000 € ;

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,

Claude FERLIN. Pierre-Louis PUGNET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00224
Date de la décision : 18/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-18;21.00224 ?
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