ARRÊT N.
RG N : 16/ 00060
AFFAIRE :
MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DU LIMOUSIN
C/
Sefer X...
MINISTERE DE L'AGRICULTURE, DE L'AGROALIMENTAIRE ET DE LA FORET
JP/ MLM
ATMP
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE SOCIALE
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ARRÊT DU 6 FEVRIER 2017
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Le six février deux mille dix sept, la Chambre Sociale de la Cour d'Appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DU LIMOUSIN, dont le siège social est Impasse Sainte-Claire-87041 LIMOGES CEDEX
Représentée par Madame Nadège Y..., munie d'un pouvoir en date du 12 décembre 2016
APPELANTE d'un jugement rendu le 04 Janvier 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CREUSE
ET :
Sefer X..., demeurant ...-23400 BOURGANEUF
représenté par Me Pierrick TRICOT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME
EN PRESENCE DE
MINISTERE DE L'AGRICULTURE, DE L'AGROALIMENTAIRE ET DE LA FORET, dont le siège social est Service des affaires juridiques-251 rue de Vaugirard-75732 PARIS CEDEX 15
Régulièrement avisé
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A l'audience publique du 12 Décembre 2016, la Cour étant composée de Madame Johanne PERRIER, Présidente de chambre, de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller et de Monsieur François PERNOT, Conseiller, assistés de Madame Geneviève BOYER, Greffier, Madame Johanne PERRIER, Présidente de chambre a été entendue en son rapport oral, Madame Nadège Y...a été entendue en ses observations, Maître Pierrick TRICOT, avocat, en sa plaidoirie
Puis, Madame Johanne PERRIER, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 30 Janvier 2017, prorogée au 6 février 2017 par mise à disposition au greffe de la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
LA COUR
Monsieur Sefer X...a travaillé pendant trente années dans le secteur forestier en exerçant les fonctions de bûcheron.
Il a été victime de deux accidents du travail les 25 octobre 1999 et 21 novembre 2001, le premier lui ayant occasionné une coupure grave au pied gauche, et le second des fractures des membres inférieurs, lui laissant une incapacité permanente partielle de 10 % pour les traumatismes de la cheville et de la jambe gauche.
Le 03 novembre 2014, monsieur X... a déposé auprès de la Caisse de mutualité sociale agricole du Limousin une demande d'obtention de la retraite anticipée à soixante ans pour pénibilité.
Le 21 novembre 2014, la Caisse a notifié à monsieur X... une décision de rejet de sa demande au motif que son incapacité permanente résulte d'un accident du travail antérieur au 1er avril 2002, date de création du régime d'accident du travail des exploitants agricoles, et qu'en conséquence il ne peut prétendre à une retraite anticipée pour pénibilité.
Par courrier du 23 décembre 2014 monsieur X... a contesté ce refus devant la commission de recours amiable qui, par décision du 23 janvier 2015 notifiée le 4 février 2015, a rejeté sa réclamation.
Le 1er avril 2015, monsieur X... en a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Creuse qui, par jugement du 4 janvier 2016, en se fondant sur l'article 1er du protocole no1 et l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et en considérant qu'aucun élément ne permettait de justifier un refus d'application de dispositions plus protectrices pour des situations identiques et que la Caisse de mutualité sociale agricole a refusé à tort à Monsieur X... le bénéfice de la retraite anticipée à soixante ans pour pénibilité, a annulé la décision de la commission de recours amiable et a fait droit à la demande de monsieur X... aux fins d'ouverture de ses droits à la retraite anticipée pour pénibilité.
La Caisse de mutualité sociale agricole a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 14 janvier 2016.
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Par ses écritures déposées le 08 juin 2016, développées oralement et auxquelles il sera référé, la Caisse de mutualité sociale agricole demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la décision de la Commission de Recours Amiable et accordé à Monsieur X... le bénéfice de la retraite anticipée à soixante ans pour pénibilité.
Elle fait principalement valoir :
- que l'article L. 732-18-3 du Code rural et de la pêche maritime prévoit pour les non-salariés agricoles un abaissement de la condition d'âge de la retraite pour les assurés qui bénéficient d'une incapacité permanente au sens de l'article L. 752-6 au moins égale à un taux fixé par décret ;
- que l'article L. 752-6 du Code rural et de la pêche maritime est issu de la loi du 30 novembre 2011, entrée en vigueur le 1er avril 2002, qui a créé au sein de la protection sociale des personnes non-salariées agricoles, qui relevaient auparavant d'un régime purement assurantiel, la branche accident du travail-maladie professionnelle, dite ATEXA, et qu'en l'absence de dispositions particulières, ce dispositif n'a pas eu d'effet rétroactif ;
- que le dispositif de retraite anticipée au titre de la pénibilité n'a donc pas été étendu aux non-salariés agricoles, victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle antérieurs au 1er avril 2002, ce qui est le cas de monsieur X....
Par ses écritures déposées le 30 août 2016, développées oralement et auxquelles il sera référé, Monsieur X... demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de dire que la retraite anticipée pour pénibilité n'est pas réservée aux travailleurs non-salariés agricoles victimes d'un accident du travail après le 1er avril 2002, de lui en attribuer le bénéfice et de condamner la Caisse de mutualité sociale agricole à lui verser la somme de 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait principalement valoir :
1) à titre principal :
- que l'article L 732-18-3 du Code rural et de la pêche maritime ne conditionne pas le bénéfice d'une retraite anticipée à celui du versement de la rente accident du travail prévue par l'article L. 752-6, mais uniquement à l'attribution d'un taux d'incapacité permanente fixé par décret ;
- que la position de la Caisse de mutualité sociale agricole selon laquelle, pour que les non-salariés agricoles puissent bénéficier d'une retraite anticipée pour pénibilité, l'accident du travail doit être postérieur au 1er avril 2002 n'est nullement prévue par ce texte et est contraire à la volonté du législateur ; que la Caisse de mutualité sociale agricole fonde sa position sur une annexe 3 à une circulaire du 18 avril 2011 mais qui n'exclut nullement les non-salariés agricoles accidentés du travail avant le 1er avril 2002 du bénéfice de la retraite anticipée ;
- qu'atteint d'une incapacité permanente dont le taux de 10 % a été fixé selon les mêmes critères que ceux de l'ATEXA et ayant été exposé pendant plus de dix sept années à des facteurs de risques professionnels, il remplit les conditions pour prétendre au bénéfice d'une retraite anticipée ;
2) à titre subsidiaire, s'il devait être jugé que l'article L 732-18-3 du Code rural et de la pêche maritime pose comme condition au bénéfice de la retraite anticipée que l'accident du travail dont le non-salarié agricole est victime soit postérieur au 1er avril 2002, une telle disposition qui opère une différence de traitement entre les travailleurs non-salariés agricoles selon qu'ils ont été victimes d'un accident du travail avant ou après le 1er avril 2002, doit être écartée comme étant discriminatoire au sens de l'article 1er du protocole no1 et de l'article 14 la Convention européenne des droits de l'homme.
SUR CE,
Attendu que la loi no 2010-1330 du 09 novembre 2010 portant réforme des retraites a ouvert un droit de retraite anticipée à taux plein dès l'âge de soixante ans au lieu de soixante deux ans pour les personnes justifiant d'une incapacité permanente reconnue au titre d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail d'au moins 20 %, ainsi qu'après avis d'une commission pluridisciplinaire, pour celles justifiant d'un taux d'incapacité permanente compris entre 10 % et 20 %, sous réserve qu'elles aient été exposées pendant dix sept années à des facteurs de risques professionnels et que l'incapacité permanente soit directement liée à cette exposition ;
Attendu que l'article 83 de cette loi codifié sous l'article L. 732-18-3 du Code rural et de la pêche maritime relatif à l'assurance vieillesse des non-salariés agricoles, dispose que la condition d'âge de soixante deux ans prévue à l'article L. 161-17-2 du Code de la sécurité sociale pour être admis au bénéfice de cette assurance est abaissée, dans des conditions fixées par décret, pour les assurés qui justifient d'une incapacité permanente au sens de l'article L. 752-6 au moins égale à un taux déterminé par décret, lorsque cette incapacité est reconnue au titre d'une maladie professionnelle mentionnée au second alinéa de l'article L. 752-2 ou d'un accident du travail mentionné au premier alinéa du même article et ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle ;
Attendu que l'article L. 752-6 du Code rural et de la pêche maritime, issu de la loi no 2001-1128 du 30 novembre 2001 entrée en vigueur le 1er avril 2002 et ayant créé au sein de la protection sociale des personnes non-salariées agricoles la branche accident du travail-maladie professionnelle (dite ATEXA), prévoit que le taux d'incapacité permanente est déterminé par l'organisme assureur d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime, compte tenu du barème indicatif d'invalidité mentionné à l'article L. 434-2 du Code de la sécurité sociale relatif à l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles et sur avis conforme d'une commission des rentes des non-salariés agricoles dont le taux proposé ne peut être inférieur à celui proposé par le service du contrôle médical de la Caisse de mutualité sociale agricole ;
Attendu que dans des annexes 2 et 3 à une circulaire du 18 avril 2011 du ministère du travail, de l'emploi et de la santé portant sur la mise en oeuvre de la retraite à raison de la pénibilité, il est mentionné que le droit à retraite est apprécié par le régime-soit régime général, soit régime de protection sociale des professions agricoles-au titre duquel l'incapacité permanente a été reconnue et rappelé que le régime des non-salariés agricoles dit ATEXA ne couvre que les maladies professionnelles et les accidents du travail constatés ou survenus à compter du 1er avril 2002 ;
qu'en outre, dans une réponse du 01 janvier 2013 à une question écrite devant l'Assemblé Nationale portant sur la situation des non-salariés agricoles victimes d'un accident du travail survenu avant le 1er avril 2002, le ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt a retenu que seuls devaient être pris en compte pour le droit à retraite anticipée les maladies professionnelles constatées ou les accidents du travail survenus à compter du 1er avril 2002 puisque les personnes non-salariées agricoles, victimes d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail antérieurs au 1er avril 2002, en ont été indemnisées au titre de la loi no 66-950 du 22 décembre 1966 ayant institué une obligation d'assurance contre les maladies et les accidents professionnels et qu'elles ne relevaient pas d'un régime de protection sociale mais d'un régime purement assurantiel dans lequel les prestations étaient attribuées par l'organisme assureur selon des critères d'appréciation différents de ceux de l'ATEXA dont le dispositif, en l'absence de dispositions particulières, n'a pas eu d'effet rétroactif ;
Attendu que c'est en se fondant sur cette différenciation de prise en charge de l'accident ou de la maladie professionnelle par un régime de protection sociale ou par un régime assurantiel que l'administration retient, au visa de l'article L. 732-18-3 du Code rural et de la pêche maritime, que seuls peuvent être pris en compte, pour apprécier le droit à une retraite anticipée pour pénibilité, les maladies professionnelles ou les accidents du travail survenus à compter du 1er avril 2002 et pris en charge par le nouveau régime de protection sociale des non-salariés agricoles ;
que donc et selon l'administration, les non-salariés agricoles, victimes d'un accident du travail survenu ou d'une maladie professionnelle déclarée antérieurement au 1er avril 2002 et ayant été exposés à des facteurs de pénibilité pendant l'accomplissement de leur travail, ne se trouvent pas, à l'âge de soixante ans, dans la même situation que ceux victimes d'un accident du travail survenu ou d'une maladie professionnelle déclarée postérieurement au 1er avril 2012 pour l'ouverture d'un droit à une retraite anticipée pour pénibilité ;
que cette inégalité de traitement repose pour l'administration sur le seul critère de la prise en charge de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle par un régime de protection sociale, alors qu'ainsi elle ajoute au texte de l'article L. 732-18-3 du Code rural et de la pêche maritime qui, par sa référence à " une incapacité permanente au sens de l'article L. 752-6 " prévoit seulement que la détermination de l'incapacité permanente de l'assuré qui demande à être admis au bénéfice de la retraite anticipée pour pénibilité soit examinée par la Caisse de mutualité sociale agricole au regard des critères d'appréciation de cette incapacité posés par l'article L. 752-6, indépendamment de sa prise en charge antérieure sur le fondement de ce même texte par sa branche accident du travail-maladie professionnelle dite ATEXA ;
Attendu, lorsque comme en l'espèce l'incapacité permanente est consécutive à un accident du travail, que la demande d'être admis au bénéfice de la retraite anticipée pour pénibilité ne peut prospérer que sous les conditions posées par les articles L. 732-18-3 et L. 752-6 du Code rural et de la pêche maritime, à savoir :
- un taux d'incapacité permanente fixé en fonction du barème indicatif d'invalidité mentionné à l'article L. 434-2 du Code de la sécurité sociale relatif à l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles et sur avis conforme d'une commission des rentes des non-salariés agricoles ;
- un taux d'incapacité permanente au moins égal à un taux déterminé par décret, reconnu au titre d'un accident du travail mentionné au premier alinéa de l'article L. 752-2 du Code rural et de la pêche maritime et ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle ;
Attendu qu'il convient en conséquence, sans qu'il n'ay ait lieu à se prononcer sur le moyen pris de l'inconventionnalité de l'article L. 732-18-3 du Code rural et de la pêche maritime mais en écartant l'analyse qui en est faite par l'administration, d'annuler la décision de la commission de recours amiable du 29 janvier 2015 et de renvoyer la Caisse de mutualité sociale agricole à apprécier le droit de monsieur X... à être admis au bénéfice d'une retraite anticipée pour pénibilité au regard des seules conditions ci-dessus énoncées ;
Attendu qu'il est de l'équité de condamner la Caisse de mutualité sociale agricole à payer à monsieur X... la somme de 1. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme, par substitution de motifs, le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Creuse en ce qu'il a annulé la décision de la commission de recours amiable du 23 janvier 2015 ;
L'infirme pour le surplus,
Renvoie la Caisse de mutualité sociale agricole du Limousin à procéder à l'examen du droit de monsieur X... à être admis au bénéfice d'une retraite anticipée pour pénibilité au regard des seules conditions suivantes posées par les articles L. 732-18-3 et L. 752-6 du Code rural et de la pêche maritime, à savoir :
- un taux d'incapacité permanente fixé en fonction du barème indicatif d'invalidité mentionné à l'article L. 434-2 du Code de la sécurité sociale relatif à l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles et sur avis conforme d'une commission des rentes des non-salariés agricoles ;
- un taux d'incapacité permanente au moins égal à un taux déterminé par décret, reconnu au titre d'un accident du travail mentionné au premier alinéa de l'article L. 752-2 du Code rural et de la pêche maritime et ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle,
et sans que puisse lui être opposé un fait générateur de l'incapacité permanente antérieur au 1er avril 2002 ;
Condamne la Caisse de mutualité sociale agricole du Limousin à payer à monsieur X... la somme de 1. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Geneviève BOYER. Johanne PERRIER