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16/04/2015 | FRANCE | N°13/01033

France | France, Cour d'appel de Limoges, Chambre civile, 16 avril 2015, 13/01033


ARRET N.
RG N : 13/ 01033
AFFAIRE :
SASU BLOCFER, SASU PREVOST INDUSTRIES
C/
SAS POLYTECH

JCS/ MCM

CONCURRENCE DELOYALE

Grosse délivrée à Me GAILLARD, avocat

COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE--- = = oOo = =--- ARRET DU 16 AVRIL 2015--- = = = oOo = = =---

Le SEIZE AVRIL DEUX MILLE QUINZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
SASU BLOCFER dont le siège social est 13 Rue Pierre et Marie CURIE-19400 ARGENTAT

représentée par Me Philippe MAI

SONNEUVE, avocat au barreau de CORREZE, Me Jean-Claude SIMON, avocat au barreau de PARIS
SASU PREVOST INDUSTRIE...

ARRET N.
RG N : 13/ 01033
AFFAIRE :
SASU BLOCFER, SASU PREVOST INDUSTRIES
C/
SAS POLYTECH

JCS/ MCM

CONCURRENCE DELOYALE

Grosse délivrée à Me GAILLARD, avocat

COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE--- = = oOo = =--- ARRET DU 16 AVRIL 2015--- = = = oOo = = =---

Le SEIZE AVRIL DEUX MILLE QUINZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
SASU BLOCFER dont le siège social est 13 Rue Pierre et Marie CURIE-19400 ARGENTAT

représentée par Me Philippe MAISONNEUVE, avocat au barreau de CORREZE, Me Jean-Claude SIMON, avocat au barreau de PARIS
SASU PREVOST INDUSTRIES dont le siège social est ZI Les Grands Champs-79260 LA CRECHE

représentée par, Me Philippe MAISONNEUVE, avocat au barreau de CORREZE, Me Jean-Claude SIMON, avocat au barreau de PARIS

APPELANTES d'un jugement rendu le 1er JUILLET 2013 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE LIMOGES

ET :
SAS POLYTECH dont le siège social est ZAC la Montane Est 1, 3 Allée des Ajoncs-3 Allée des Ajoncs-19800 EYREIN

représentée par Me Luc GAILLARD, avocat au barreau de CORREZE
INTIMEE
--- = = oO § Oo = =---
Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 05 Mars 2015 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 2 Avril 2015. L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 janvier 2015.
A l'audience de plaidoirie du 05 Mars 2015, la Cour étant composée de Monsieur Jean-Claude SABRON, Président de chambre, de Monsieur Didier BALUZE et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers assistés de Madame Marie-Christine MANAUD, Greffier, Monsieur SABRON, Président de chambre, a été entendu en son rapport, les avocats des parties sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.

Puis Monsieur Jean-Claude SABRON, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 16 Avril 2015 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

--- = = oO § Oo = =--- LA COUR--- = = oO § Oo = =---

La SAS BLOCFER exerce depuis 1977 une activité de fabrication de blocs portes standards ou « techniques » (isolation phonique, acoustique, résistance au feu, anti effraction), ces dernières nécessitant la délivrance préalable à leur commercialisation d'un procès verbal d'essai délivré par un organisme officiel accrédité tel que le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment).
L'établissement de la société BLOCFER est situé à ARGENTAT (Corrèze).
Elle emploie 180 salariés.
Son capital est entièrement détenu par la SAS PREVOST INDUSTRIES.
En mars 2007, M. Gilles X...qui exerçait depuis le mois de mai 2000, date de la signature de son contrat de travail avec la société BLOCFER, les fonctions de Directeur Administratif et financier, a proposé au dirigeant de cette dernière un projet de collaboration, dans le cadre d'une sous-traitance, avec une société POLYTECH qu'il se proposait de créer en vue de fabriquer des blocs portes standards.
La société BLOCFER ayant refusé cette proposition, M. X...n'a pas renoncé à créer sa société, création en vue de laquelle il a, courant décembre 2008, obtenu une aide de l'Etat (prime d'aménagement du territoire) et procédé au dépôt de fonds à la BANQUE TARNEAUD (3 000 ¿, montant du capital social).
M. X...a été licencié le 28 janvier 2009 au motif d'un désaccord avec la stratégie du groupe et de son refus d'un « nouveau positionnement dans l'organigramme ».
La lettre de licenciement l'a avisé de ce que son employeur le libérait de la clause de non concurrence qui ne serait dés lors pas rémunérée.
Les statuts de la société POLYTECH ont été signés le 4 février 2009, les associés étant, outre M. X..., deux autres cadres de la société BLOCFER, M. Y..., cadre qualité, et M. Z..., cadre recherche et développement, lesquels devaient démissionner à effet du 31 mai 2009.
La société POLYTECH a été immatriculée au registre du commerce de BRIVE le 17 février 2009 en vue de l'exploitation d'un fonds de commerce de production et vente de menuiseries industrielles.
Son siège était alors situé à TULLE, Hôtel des entreprises.
Le 13 avril 2009, M. X...a signé avec la SAS BLOCFER un procès verbal de transaction stipulant qu'il percevrait, outre l'indemnité de licenciement, une indemnité forfaitaire de 86 458 ¿.
Son employeur confirmait dans cette transaction sa décision de le libérer de la clause de non concurrence stipulée dans son contrat de travail.
Il a quitté l'entreprise le 30 avril 2009 (date de l'expiration du préavis).
Le 2 juin 2009, la société BLOCFER a fait constater par huissier que, sur l'ordinateur professionnel qu'avait restitué M. X..., avaient été effacés au préalable de nombreux fichiers qui s'étaient révélés, après analyse du disque de cet ordinateur, provenir de la copie, effectuée en mars 2009, des données contenues dans le disque « blocfer/ dfstroot » du serveur informatique de la société BLOCFER et relatives, notamment, aux procès verbaux d'essai obtenus par la société dans le cadre de son activité de fabrication de portes techniques.
Le 22 juin 2009 la société BLOCFER a adressé au parquet de BRIVE une plainte pour abus de confiance qui, au vu d'un rapport de police du 26 juillet 2010, a été classée sas suite début août 2010.
Le 23 février 2011, la société BLOCFER a déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction du tribunal de grande instance de BRIVE du chef d'abus de confiance.
A la fin de l'année 2011, la société POLYTECH qui avait obtenu en mai et juin 2009 des subventions du département de la Corrèze et de la région Limousin a ouvert dans la ZAC dite « La Montane », à EYREN (Corrèze), une unité de production qui est située à 38 km de celle de la société BLOCFER.
La production a débuté de manière effective en mars 2012.
Par acte du 12 mars 2012, la SAS BLOCFER et la SAS PREVOST INDUSTRIES qui détient le capital de cette dernière ont fait assigner en concurrence déloyale la SAS POLYTECH devant le tribunal de commerce de MEAUX qui, par jugement du 2 octobre 2012, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de BRIVE.
Celui-ci dont le président avait statué dans le cadre de procédures en référé engagées par la société POLYTECH qui s'estimait victime de fait de dénigrement a usé du droit d'abstention, de telle sorte qu'une ordonnance du premier président de la cour d'appel de LIMOGES du 31 novembre 2012 a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de LIMOGES.
Ce tribunal a par jugement du 1er juillet 2013 :
- débouté les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES de l'intégralité de leurs demandes ;
- « constaté le préjudice subi par la SAS POLYTECH du fait des sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES, notamment son préjudice d'image et son préjudice moral désormais reconnu comme un préjudice indemnisable des personnes morales » ;
- désigné en la personne de M. Michel A... un expert chargé de chiffrer le préjudice commercial subi par la société POLYTECH par suite, notamment « de la répercussion industrielle du fait de la réticence des clients et fournisseurs à s'engager avec une société aussi fortement et durablement critiquée ».
Les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES ont relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 26 juillet 2013.
Le juge d'instruction du tribunal de grande instance de BRIVE saisi de la plainte avec constitution de partie civile déposée par les sociétés appelantes a rendu le 19 mai 2014 une ordonnance de non lieu.
M. A..., expert désigné par la décision entreprise qui était assortie de l'exécution provisoire, a déposé son rapport le 24 mai 2014.
**
Dans leurs dernières conclusions qui ont été déposées le 23 décembre 2014, les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES font valoir que la société POLYTECH s'est rendue coupable de concurrence déloyale par les moyens suivants :
. le détournement et l'utilisation du savoir-faire de la société BLOCFER, notamment constitué par les procès verbaux d'essai dont elle s'est servie pour faciliter la diffusion de ses produits à un coût moindre que celui de la concurrence ;
. l'utilisation des secrets de fabrication et des informations confidentielles acquises pendant l'exécution du contrat de travail de son dirigeant, M. X..., au sein de la société BLOCFER ;
. des faits de parasitisme, voire de contrefaçon ;
. l'utilisation du personnel à l'insu de la société BLOCFER pour travailler au projet POLYTECH ;
. le débauchage massif du personnel de la société BLOCFER ;
. le verrouillage des marchés publics et l'obtention abusives de subventions ;
Elles demandent en conséquence à la cour :
- de faire interdiction à la société POLYTECH d'entrer en relation contractuelle, directement ou indirectement, avec les clients, les fournisseurs et les salariés de la société BLOCFER sous astreinte de 10 000 ¿ par infraction constatée ;
- de lui faire interdiction de faire mention des procès verbaux du CSTB auprès de tous tiers, ce sous astreinte de 50 000 ¿ par infraction constatée ;
- de condamner la société POLYTECH à payer à la société BLOCFER à titre de dommages-intérêts la somme de 10 000 000 ¿ qui représente la valorisation du son savoir-faire détourné ;
- subsidiairement de désigner un expert chargé de constater la reproduction ou l'imitation des procès verbaux BLOCFER par POLYTECH et d'évaluer le montant du préjudice subi par les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES ;
- de dire que les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES n'ont commis à l'égard de la société POLYTECH aucune faute susceptible de causer à la société BLOCFER un préjudice indemnisable, absence de préjudice qu'a fait ressortir le rapport de l'expert désigné par la décision entreprise ;
- d'ordonner la publication de la décision à intervenir, aux frais de l'intimée, dans LA MONTAGNE, LE MONITEUR et L'USINE NOUVELLE ;
- de condamner la société POLYTECH à verser aux sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES, pour chacune, une indemnité de 20 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
**

Dans ses dernières conclusions qui ont été déposées le 19 janvier 2015, la société POLYTECH demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés appelantes de l'intégralité de leurs demandes ;
- de confirmer le préjudice subi par la société POLYTECH par le fait des actions de dénigrement menées par ces dernières, notamment son préjudice d'image et son préjudice moral ;
- de condamner les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES à lui verser une indemnité de 5 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LES MOTIFS DE LA DECISION
L'action en concurrence déloyale engagée par les sociétés appelantes est principalement fondée sur l'accusation selon laquelle le dirigeant de la société POLYTECH aurait utilisé son savoir-faire et ses secrets de fabrication qu'il aurait détournés à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail au sein de la société BLOCFER dont il était le directeur administratif et financier dans le but de créer une entreprise concurrente.
Ces secrets de fabrication et savoir-faire seraient notamment renfermés dans les procès-verbaux d'essai que ce dirigeant, M. Gilles X..., a copiés depuis le système informatique de la société BLOCFER sur son ordinateur portable en mars 2009, alors qu'il effectuait son préavis (son licenciement lui ayant été notifié le 29 janvier 2009).
Par ailleurs la société POLYTECH aurait cherché à déstructurer sa concurrente qui bénéficie d'une expérience de plus de trente ans dans le secteur de la fabrication des blocs portes techniques en procédant de manière massive et méthodique au débauchage de son personnel d'encadrement, d'abord dans le domaine de la recherche et du développement, puis dans le domaine technique et commercial.
**
L'ordinateur sur lequel ont été copiées les données provenant du disque du serveur informatique de la société BLOCFER est en réalité l'ordinateur professionnel que M. X...a restitué lors de son départ.
Il est exact que cette restitution a été faite après que M. X...ait tenté d'effacer les téléchargements sus visés qui avaient été effectués en mars 2009, peu après la notification du licenciement et à une date à laquelle le projet de création de la société POLYTECH était en préparation puisqu'une aide de l'Etat avait été obtenue en décembre 2008 et que le capital de la future entité avait été déposé à la même époque (12 décembre 2008).
Toutefois, l'enquête de police qui a été effectuée à la suite du dépôt de plainte du 22 juin 2009, à une époque proche des faits considérés comme un détournement de secrets de fabrication, n'a pas permis d'établir que ces téléchargements avaient été utilisés par M. X...et par ses coassociés au sein de la société POLYTECH, MM Y...et Z..., eux aussi anciens cadres de la société BLOCFER qui avaient quitté cette dernière en mai 2009.
Le rapport de police qui est daté du 26 juillet 2010 conclut qu'aucun des procès verbaux d'essai ou rapports d'essai des blocs portes n'a été découvert dans l'entreprise POLYTECH ou dans les ordinateurs de MM X..., Z...et Y.... Selon l'enquêteur, « aucune infraction pénale n'a pu être relevée ».
Dés lors on ne comprend pas sur quelle base ce même enquêteur peut étayer l'observation selon laquelle « il est plus que probable que la société POLYTECH utilise le fruit des recherches de la société BLOCFER afin d'obtenir une certification propre et produire rapidement des blocs portes ».
Les statuts de la société POLYTECH ont été signés le 4 février 2009 et la société a été immatriculée le 17 février 2009, dates qui sont postérieures au licenciement (29 janvier 2009) mais précèdent la transaction du 13 avril 2009 et l'expiration du préavis de M. X...dont le départ effectif de la société BLOCFER a eu lieu le 30 avril 2009.
Toutefois, à la date de ce rapport, la société POLYTECH n'avait pas commencé sa production et elle venait d'obtenir ses premiers procès verbaux d'essai qui sont des documents propres à chaque entreprise.
Rien ne permet de dire que les caisses qui auraient été stockées chez le beau-père de M. X...selon l'audition de l'épouse de celui-ci, en instance de divorce, étaient en relation avec des documents confidentiels dérobés chez BLOCFER. Les propos tenus dans cette audition par Madame Marie Laure B...épouse X...qui reconnaît que ses relations avec son époux sont très conflictuelles sont sujettes à caution.
L'instruction qui a été menée à la suite du dépôt de plainte avec constitution de partie civile des sociétés appelantes, lequel a été effectué le 23 février 2011, après le classement sans suite de la plainte initiale, a débouché sur une décision de non lieu motivée par le fait que rien n'établissait que les informations prétendument détournées aient jamais été transférées depuis l'ordinateur professionnel restitué par M. X...à son départ de la société BLOCFER et qu'elles aient été utilisées par lui ou ses collaborateurs lors de la création de son entreprise.
Il ressort des pièces produites, et notamment du rapport d'expertise judiciaire de M. A... qui a été déposé le 24 mai 2014, que l'entreprise créée par M. X...et ses deux associés n'a commencé la fabrication de ses produits qu'à compter du mois de mars 2012, trois ans après la constitution et l'immatriculation de la société.
Au cours de ce délai de trois ans, époque à laquelle le siège de la société POLYTECH avait été provisoirement fixé à l'Hôtel des Entreprises, à Tulle, cette dernière a obtenu ses propres procès verbaux d'essai, à partir de produits conçus par elle, et elle a trouvé le financement qui lui a permis de créer son unité de production édifiée dans la ZAC de « La Montane », à EYREIN, lequel n'est devenu opérationnel qu'à la fin de l'année 2011.
Les sociétés appelantes admettent, tout en faisant une analyse tendancieuse de ces chiffres, que la société POLYTECH a effectué d'importants investissements en matière de recherche et développement, ce pour un total de 2 573 143 ¿ réparti comme suit :
-221 863 ¿ en 2009 ;
-708 807 ¿ en 2010 ;
-732 039 ¿ en 2011 ;
-910 434 ¿ en 2012.
Par ailleurs, les procès verbaux d'essai que les sociétés appelantes présentent comme contenant des secrets de fabrication ne confèrent en réalité aucune protection à l'entreprise à laquelle ils sont délivrés.
Ils ne peuvent pas être utilisés par les concurrents qui doivent soumettre leurs propres produits à des essais spécifiques pour en obtenir la certification.
Peu des informations qui s'y trouvent ont un caractère confidentiel et la confidentialité ne concerne pas les caractéristiques techniques des produites éprouvés qui sont principalement susceptibles d'intéresser la concurrence.
En effet, en réponse à une question du juge d'instruction, le représentant des appelantes a fourni les précisions suivantes :
« Dans un procès-verbal technique, il y a une partie publique qui est donnée au client qui prouve que les portes ont bien passé les tests. Dans cette partie publique, il y a le plan de la porte, des renseignements sur sa composition ».
« Ce document est souvent sur les sites internet des fabricants. Ce PV doit être obligatoirement donné au client pour lui permettre d'obtenir ses agréments administratifs ».
« Ensuite, vous avez le rapport d'essai qui, lui, est confidentiel, propre à l'entreprise qu'on réussisse ou qu'on rate l'essai on a toutes les données réalisées lors de l'essai feu ».
Les associés de la société POLYTECH ont certes bénéficié d'un avantage important, à lui seul susceptible d'expliquer la relative rapidité de la mise en fabrication de leurs produits, ayant consisté dans l'expérience qu'ils avaient acquise au cours de leur emploi au sein de société BLOCFER, spécialiste de la fabrication des blocs portes techniques.
Toutefois, cette expérience a été acquise de manière licite.
Il n'est pas démontré qu'ils aient utilisé pour élaborer leurs produits pendant la phase de conception de ces derniers des informations ayant un caractère confidentiel qu'ils auraient détournées à l'occasion de l'exécution de leur contrat de travail au sein de la société BLOCFER.
Il est constant, en l'espèce, que ce n'est pas la création d'une entreprise concurrente qui est constitutive de concurrence déloyale dans la mesure où la société BLOCFER savait, lorsqu'elle a licencié M. X..., que celui-ci avait le projet de créer une entreprise de fabrication de blocs portes dont il l'avait informée en mars 2007 en lui proposant une collaboration en sous-traitance qu'elle avait refusée.
M. X...qui n'avait pas renoncé à ce projet avait obtenu en décembre 2008 une subvention de l'Etat pour la création de son entreprise.
Or, dans la lettre de licenciement du 29 janvier 2009, la société BLOCFER avait délié M. X...de la clause de non concurrence insérée dans son contrat de travail, ce qui permettait à celui-ci de concrétiser son projet d'entreprise, non seulement dans le cadre de la fabrication de portes standards auquel était limité le projet présenté en mars 2007, mais également dans celui des blocs portes techniques qui présente l'avantage pour toute entreprise d'apporter une plus forte valeur ajoutée.
La société BLOCFER a confirmé sa volonté de libérer M. X...de la clause de non concurrence dans la transaction du 13 avril 2009 alors qu'à cette date la création de la société POLYTECH était devenue officielle, cette dernière ayant été immatriculée au registre du commerce le 17 février 2009 avec la mention de son activité, de son dirigeant et de son siège, situé dans le même département de la Corrèze.
La concurrence déloyale ne peut être constituée en l'espèce que par un détournement des moyens et secrets de fabrication de l'ancien employeur.

Or il résulte des observations ci-dessus que la réalité de ce détournement et du parasitisme allégués par les appelantes n'est pas démontrée, comme l'a relevé l'ordonnance de non lieu prononcée sur la plainte pour abus de confiance déposée contre le dirigeant de la société POLYTECH pris à titre personnel.

Les sociétés appelantes ne font état d'aucune comparaison objective des produits respectifs de nature à faire apparaître une imitation de ses modèles de portes techniques.
La société POLYTECH relève à bon droit que le fait pour un salarié de préparer l'exercice d'une activité concurrente de celle de son employeur n'est pas fautif dés lors qu'il n'a pas accompli d'acte effectif de concurrence avant le terme de son contrat de travail.
Ce n'est pas parce que MM. X..., Y...et Z..., qui ont conçu le projet de créer la société POLYTECH dans un contexte de restructuration du groupe PREVOST susceptible de dégrader leur position au sein de l'entreprise BLOCFER ont échangé, au cours de la durée du contrat de travail qui les liaient à cette dernière, des courriels dans lesquels ils évoquaient ce projet commun, qu'ils ont commis pour autant des actes déloyaux permettant de soutenir, comme le font les sociétés appelantes, qu'ils auraient utilisé le personnel de la société BLOCFER à l'insu de celle-ci pour travailler au projet POLYTECH.
A l'époque de la préparation de ce projet, il n'existait pas d'activité concurrente puisque la société POLYTECH n'a été immatriculée au registre du commerce qu'en février 2009 et que son commencement d'activité est postérieur au départ de M. X...(20 avril 2009) et des deux autres associés initiaux de la nouvelle structure (31 mai 2009).
La production à proprement parler n'a débuté, quant à elle, qu'en 2012.
L'activité concurrente des trois créateurs de la société POLYTECH n'a commencé qu'après qu'ils aient quitté la société BLOCFER et qu'ils aient été libérés des engagements qui les liaient à cette dernière.
Elle s'est exercée par les moyens propres qui ont été développés par la nouvelle société qui s'est implantée sur le marché des portes techniques suivant les règles de la libre concurrence, d'où il suit que l'accusation d'obtention abusive de subventions n'a pas elle-même de fondement.
Celle de verrouillage des marchés publics n'est pas sérieuse dans la mesure où elle se base uniquement sur un document d'appel d'offre émanant d'un opérateur privé dont rien ne démontre qu'il ait été sollicité par POLYTECH pour imposer ses produits.
Le principe de la libre concurrence empêche, en l'absence de preuve de ce que le concurrent ait usé de moyens déloyaux, de considérer la clientèle comme un élément qu'une entreprise pourrait s'approprier.
Ce n'est dés lors pas parce que des clients institutionnels de la société BLOCFER ont pu migrer vers la société POLYTECH que celle-ci qui a diffusé ses propres produits s'est livrée à des faits de parasitisme.
La perte de marge invoquée par les sociétés appelantes est en réalité la conséquence de la libre concurrence et non de faits susceptibles d'être qualifié de fautifs.
**
Outre les griefs de détournement du fruit des recherches de la société BLOCFER et de parasitisme qui ne peuvent pas être retenus pour les motifs sus exposés, les sociétés appelantes reprochent à la société POLYTECH un débauchage massif de son personnel.
Toutefois, il résulte des pièces produites que le départ des salariés qui ont fondé ou ont rejoint la société POLYTECH s'est déroulé spontanément, par démission, dans un contexte de restructuration opéré par le groupe PREVOST qui pouvait leur faire craindre une suppression de leur poste ou un repositionnement moins favorable dans l'organigramme de l'entreprise.
Outre MM X..., Y...et Z...qui sont les associés fondateurs de la société POLYTECH, seuls M. C...Arnaud, Etam informatique configurateur, et M. D..., Marc, technicien, ont quitté l'entreprise en octobre 2009 pour rejoindre POLYTECH.
Il est excessif de soutenir, alors que la société BLOCFER emploie près de 200 personnes, que la société POLYTECH se serait livrée à un débauchage massif de cadres de sa concurrente, et notamment de ceux qui occupaient des postes clés.
Le deuxième mouvement de départs se situe en 2011 et concerne six autres salariés, un Etam R et D, un commercial, un technicien maintenance, un deviseur, un technicien étude devis et un opérateur de production.
Enfin, deux autres salariés de BLOCFER, tous deux cadres chargés d'affaires, ont rejoint POLYTECH en janvier et septembre 2012.
Pour le reste, la société POLYTECH qui emploie une quarantaine de personnes a recruté son personnel en faisant appel à Pôle Emploi.
Il y a certes une logique dans cette succession de départ puisque l'unité de production de la société POLYTECH a été ouverte à la fin de l'année 2011, mais rien ne permet d'y voir une action délibérée et concertée ayant eu pour but de désorganiser le fonctionnement d'une entreprise concurrente.
Les salariés qui ont quitté BLOCFER n'ont pas été débauchés par des manoeuvres visant à déstabiliser cette dernière, telles que des propositions salariales plus avantageuses ou un appel exclusif au personnel de la société concurrente.
Le grief de débauchage massif du personnel de BLOCFER ne peut pas non plus être retenu.
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES de leurs demandes fondées sur la concurrence déloyale.
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La société POLYTECH demande à titre reconventionnel dans le dispositif de ses dernières conclusions, de « confirmer le préjudice subi du fait de la société BLOCFER et la société PREVOST INDUSTRIES, notamment son préjudice d'image et son préjudice moral ».
Cette demande n'est toutefois pas chiffrée.
L'expert qui a été désigné par le premier juge pour l'évaluer a déposé le 24 mai 2014 un rapport circonstancié dans lequel il retient que les faits considérés par la société POLYTECH comme relevant d'une volonté de dénigrement ne lui ont causé aucun préjudice de caractère économique, principalement parce qu'elle n'avait pas commencé sa production à l'époque où ces faits ont eu lieu.
Les préjudices qu'invoque la société intimée ne sont que la conséquence d'une procédure et de réactions défensives qui, en elles-mêmes, ne sont pas fautives, des circonstances apparentes, telles que le téléchargement opéré par M. X...peu avant son départ, ayant été de nature à la convaincre de bonne foi de ce que la concurrence de l'entreprise créée à proximité de son établissement était déloyale.
Il y a lieu d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives à la demande reconventionnelle de la société POLYTECH qui doit être rejetée.
En revanche, la société intimée est en droit de réclamer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais occasionnés par la procédure engagée contre elle qui ne sont pas compris dans les dépens, une indemnité de 5 000 ¿.

--- = = oO § Oo = =--- PAR CES MOTIFS--- = = oO § Oo = =---

LA COUR
Statuant par décision Contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES de l'intégralité de leurs demandes.
Le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau.
Déboute la société POLYTECH de sa demande reconventionnelle au titre d'un préjudice d'image et d'un préjudice moral causés par le dénigrement.
Condamne les sociétés BLOCFER et PREVOST INDUSTRIES à verser à la société POLYTECH une indemnité de 5 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les condamne aux dépens de première instance et d'appel, sauf en ce qui concerne les frais de l'expertise de M. A... qui resteront à la charge de la société POLYTECH.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Marie-Christine MANAUD. Jean-Claude SABRON.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 13/01033
Date de la décision : 16/04/2015
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.limoges;arret;2015-04-16;13.01033 ?
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