COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 09 DECEMBRE 2014
ARRET N.
RG N : 13/ 01301
AFFAIRE :
M. Pierre X..., Mme Colette Y... épouse X...
C/
SA BANQUE CIC OUEST
JCS-iB
réparation de préjudice
Grosse délivrée à maître CHABAUD, avocat
Le NEUF DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur Pierre X... de nationalité Française né le 02 Décembre 1954 à LIMOGES (87000) Profession : Président Directeur Général, demeurant...-87510 SAINT JOUVENT
représenté par Me Philippe CHABAUD, avocat au barreau de LIMOGES
Madame Colette Y... épouse X... de nationalité Française née le 02 Février 1952 à LIMOGES (87000), demeurant...-87510 SAINT JOUVENT
représentée par Me Philippe CHABAUD, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTS d'un jugement rendu le 19 SEPTEMBRE 2013 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIMOGES
ET :
SA BANQUE CIC OUEST 2, avenue Jean Claude Bonduelle-44040 NANTES CEDEX
représentée par Me Marie-Christine COUDAMY de la SELARL DAURIAC-COUDAMY-CIBOT SELARL, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEE
Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 04 Novembre 2014 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 02 Décembre 2014. L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 septembre 2014.
A l'audience de plaidoirie du 04 Novembre 2014, la Cour étant composée de Monsieur Jean-Claude SABRON, Président de chambre, de Monsieur Didier BALUZE et de Monsieur Luc SARRAZIN, Conseillers assistés de Madame Marie-Christine MANAUD, Greffier, Monsieur le Président a été entendu en son rapport, les avocats des parties sont intervenus au soutien des intérês de leurs clients.
Puis Monsieur Jean-Claude SABRON, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 09 Décembre 2014 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
LA COUR
Monsieur Pierre X... et son épouse, Madame Collette Y..., ont procédé courant 1999 dans le cadre d'une opération de défiscalisation s'inscrivant dans les dispositions de la loi dite PERISSOL à l'acquisition de deux appartements locatifs situés à LA ROCHELLE.
Cette acquisition a été financée, selon une offre de crédit du 28 mai 1999, au moyen d'un prêt immobilier de la société BANQUE CIC OUEST d'un montant de 698 000 F (106 409, 41 ¿), remboursable in fine à l'expiration d'une durée de 180 mois au cours de laquelle les emprunteurs devaient s'acquitter de mensualités représentant les intérêts.
Le capital était ainsi remboursable le 5 juillet 2015.
Ce prêt était adossé à deux contrats d'assurance vie HEREDIAL GESTION auxquels chaque époux a souscrit le 24 avril 1999.
Le capital de ces contrats était constitué de parts d'un fonds de gestion collective.
Les époux X... ont effectué, chacun, un premier versement de 1 500 F et il était prévu des versements programmés de 750 F par mois.
Le 26 juillet 2000, ils ont l'un et l'autre accepté la constitution d'un nantissement au profit de la banque sur ces deux contrats d'assurance vie à hauteur du montant du prêt, soit 106 409, 41 ¿.
Par courrier du 9 juin 2004, la société BANQUE CIC OUEST (Agence de Gestion Privée de LIMOGES) a rappelé aux époux X... sa proposition de procéder à des versements programmés supplémentaire de 175 ¿ par mois en prenant note de ce qu'ils ne souhaitaient pas actuellement procéder à de tels versements, M. X... envisageant de céder son entreprise.
Le 20 janvier 2010, les époux X... ont procédé au rachat intégral de leurs contrats d'assurance vie HEREDIAL GESTION et, concomitamment, ils ont placé les fonds (19 453 ¿ x 2) sur deux nouveaux contrats d'assurance vie AVANTAGE de la société SERENIS VIE, proposés par leur banque.
Il s'agissait cette fois, le cours du CAC 40 ayant subi de fortes baisses, de contrats dits multisupports.
Par courrier du 15 novembre 2011, la société BANQUE CIC a avisé ses clients de ce que, par suite d'un redéploiement de l'activité gestion de patrimoine, les comptes et services seraient, " sauf avis contraire de votre part ", transférés à l'agence de LIMOGES JEAN JAURES à compter du 5 décembre 2011.
A compter de cette date, les époux X... ont adressé à leur banque des courriels dans lesquels ils se plaignaient de ne pas recevoir de conseils d'arbitrage qui leur auraient permis de réorienter les supports de leurs contrats d'assurance-vie en fonction de l'évolution favorable du CAC 40.
Par acte du 5 juillet 2013, ils ont fait assigner la société BANQUE CIC devant le tribunal de grande instance de LIMOGES afin d'obtenir en réparation du préjudice causé par l'inexécution par cette banque de ses obligations de mise en garde et de conseil des dommages-intérêts de 36 626 ¿ représentant le manque à gagner qu'ils estimaient lui être imputable.
Le tribunal a par jugement du 19 septembre 2013 débouté M. et Madame X... de l'intégralité de leurs demandes et les a condamnés à verser à la société BANQUE CIC OUEST une indemnité de 1 500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. et Madame X... ont relevé appel de ce jugement par déclaration déposée au greffe le 1er octobre 2013.
Dans leurs dernières conclusions qui ont été remises au greffe par courriel le 16 septembre 2014, ils demandent à la cour :
- de constater au regard des mails adressés à leur banque que celle-ci, à compter du dernier trimestre 2011, n'a pas donné suite à leurs demandes d'arbitrage et cessé tout accompagnement dans la gestion des contrat d'assurance-vie souscrits par son intermédiaire ;
- de constater que le manque à gagner qui résulte de la progression du CAC 40 dont ils n'ont pas pu bénéficier, alors que l'amortissement du prêt immobilier adossé aux contrats d'assurance-vie dépendait du rendement de ces contrats, peut être évalué à 36 626 ¿ ;
- de condamner la société BANQUE CIC à leur payer des dommages-intérêts de ce montant, outre une somme de 3 500 ¿ en réparation de leur préjudice moral.
- de la condamner aux dépens et au versement d'une indemnité de 5 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions qui ont été remises par courriel le 5 août 2004, la société BANQUE CIC OUEST demande à la cour :
- de constater qu'en l'absence de caractère spéculatif, l'opération litigieuse ne lui imposait aucune obligation de mise en garde, M. X..., de par ses placements et sa qualité de chef d'entreprise, étant de surcroît une personne avertie ;
- de constater, comme l'a fait le premier juge, qu'il n'existe pas de lien entre les contrats d'assurance vie auxquels les appelants ont souscrit le 20 mai 2010 et le prêt contracté dix ans auparavant, en mai 1999 ;
- de constater en outre :
- qu'il est stipulé dans lesdits contrats que " le risque lié aux variations des marchés financiers et immobiliers est entièrement supporté par l'adhérent assuré " ;
- qu'en 2010, son agent a suggéré aux époux X... de prendre des positions plus sécuritaires en leur proposant la conversion de leurs contrats HEREDIAL GESTION en PLAN ASSURANCE VIE, solution qui permettait un repli sur un fond Euro, présentant l'avantage de ne pas rester exposé en cas de forte chute des marchés ;
- que cette conversion a eu lieu après entretien et examen des besoins des époux X... ;
- que ceux-ci n'ont jamais régularisé avec la banque une convention de gestion conseillée dans le cadre de laquelle, au demeurant, elle ne fait que des suggestions et les clients décident souverainement ;
- que les époux X... attendent de la banque des conseils qu'elle ne peut leur donner eu égard à l'imprévisibilité de l'évolution des cours boursiers ;
- qu'au surplus le préjudice allégué est hypothétique, les appelants ne démontrant pas qu'ils auraient remboursé le prêt et procédé au rachat des contrats d'assurance vie AVANTAGE.
La société intimée conclut en conséquence à la confirmation du jugement ; elle sollicite une indemnité de 3 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
L'action des époux X... ne peut pas être examinée au regard de l'obligation de mise en garde en l'absence de caractère spéculatif de l'opération qui consiste à adosser le remboursement d'un prêt immobilier remboursable in fine à la souscription d'un contrat d'assurance vie.
Le préjudice invoqué par les appelants ne réside pas dans un endettement excessif mais dans le fait de ne pas avoir pu bénéficier de la reprise à la hausse du cours du CAC 40 par la faute de leur banque qui n'aurait pas répondu à leurs demandes d'arbitrage.
Ce n'est par conséquent que sur la base de l'obligation de conseil que la responsabilité de la banque peut être recherchée en l'espèce.
En effet, les contrats multisupports que les appelants avaient souscrits en mai 2010 après avoir procédé au rachat des contrats initiaux qui, exclusivement constitués de parts d'un fonds de gestion collective, avaient souffert de l'effondrement des cours de la bourse, permettaient, en cas de redressement de ces cours, de procéder à une réorientation des nouveaux supports, essentiellement en fonds Euro.
La société BANQUE CIC OUEST ne peut pas soutenir qu'elle n'avait pas à l'égard des époux X... qui étaient ses clients une obligation de conseil.
Les contrats d'assurance vie avaient été souscrits par son intermédiaire et portaient sur des produits qu'elle proposait à ses clients.
Il s'agissait par ailleurs de contrats adossés à un prêt immobilier que les époux X... avaient également souscrit auprès d'elle et leur rendement devait permettre de constituer le capital emprunté comme la banque l'explique elle-même dans sa lettre du 9 juin 2004 rappelant à ses clients sa suggestion d'augmenter leurs versements mensuels.
La substitution de contrats multisupports aux contrats initiaux qui a été effectuée en mai 2010 ne visait qu'à préserver les emprunteurs d'un nouvel effondrement des cours de la bourse et c'est bien au titre de son obligation de conseil que la société intimée leur a proposé cette opération.
Par ailleurs la preuve du lien existant entre la réorganisation de ces contrats et le prêt qui avait été souscrit dix ans auparavant mais venait à échéance en 2015, cinq ans plus tard, résulte de ce qu'ils sont restés la garantie du prêt, sous la forme d'un nantissement.
Les pièces produites par les appelants démontrent que jusqu'au mois d'octobre 2011, la banque a suivi l'évolution de leurs contrats et leur a fait des propositions d'arbitrage dans le cadre de l'obligation de conseil qui la liait, en sa qualité de banque spécialisée dans la gestion de patrimoine qu'elle évoque dans le courrier sus-visé du 15 novembre 2011, à des clients par ailleurs engagés auprès d'elle au titre d'un contrat de prêt adossé à ces contrats.
Or il est indéniable qu'à compter du mois de décembre 2011, date d'un courriel par lequel M. X... rappelle une demande de rendez-vous en vue d'examiner l'opportunité de procéder à des arbitrages au regard de la reprise de la hausse de l'indice du CAC 40, la banque s'est montrée défaillante dans l'exercice de l'accompagnement qu'elle avait jusqu'alors fourni à ses clients.
Peu importe que les époux X... aient été ou non en mesure d'effectuer eux-mêmes des arbitrages, en particulier avec l'aide du portail internet mis à leur dispositions par leur banque.
Peu importe également le fait que le contrat ait prévu, comme cela est normal, que seul l'adhérent assuré devait supporter le risque lié aux variations des marchés financier, de telle sorte que c'est à lui qu'incombait la décision.
Il demeure, en effet, que les époux X... ont été privés d'un conseil qu'ils étaient contractuellement en droit d'attendre de leur banque qui leur avait proposé ces contrats d'assurance-vie auxquels était adossé le prêt immobilier qu'elle leur avait accordé en vue d'une opération d'acquisition immobilière en défiscalisation.
La faute ainsi commise par la banque est nécessairement la cause d'un préjudice, lequel est constitué par la perte pour les époux X... de la chance de bénéficier d'une meilleure valorisation de leur contrat d'assurance vie qu'en l'absence de réponse de la banque à leurs demandes de conseil, ils ont, par prudence, laissé dans sa composition initiale qui ne leur a pas permis de bénéficier de la remontée de l'indice CAC 40.
Ce préjudice s'est concrétisé dans la mesure où, contrairement à ce que relève la société intimée, les époux X... justifient de ce qu'ils ont procédé le 30 mai 2013 au rachat de leurs deux contrats AVANTAGE et, également, selon une attestation délivrée par la banque établie le 2 octobre 2013, de ce qu'ils ont remboursé le prêt immobilier.
Il est incontestable que le rendement de l'opération aurait été supérieur si des arbitrages avaient été réalisés de manière à réorienter les contrats vers des supports en action.
Le fait que M. X..., informaticien, ait été le chef de son entreprise et qu'il ait détenu " de nombreux PEA " ne faisait pas de lui une personne avertie en matière de placements financiers qui pouvait se passer des conseils de l'agence de sa banque spécialisée dans la gestion de patrimoine.
Il reste que rien ne permettait, lorsque les époux X... ont sollicité les conseils de leur banque, de dire que l'évolution des cours de la bourse resterait favorable, nul ne pouvant faire de prévisions fiables en matière de conjoncture économique.
L'estimation de la chance perdue (celle de bénéficier de l'évolution de l'indice CAC 40 qui s'est révélée favorable) s'inscrit dans une probabilité relativement faible dans la mesure où l'on ignore quelle aurait été l'étendue des arbitrages auxquels les clients auraient été susceptibles de procéder au regard des conseils de leur banque et s'ils auraient en définitive assumé le risque.
Il y a lieu de fixer le préjudice en lien avec la faute commise par la banque à la somme, arrondie, de 11 000 ¿ représentant 30 % de 36 626 ¿, montant auquel les appelants chiffrent le résultat escompté (celui qui aurait permis de couvrir l'amortissement du capital du prêt auquel étaient adossés les contrats d'assurance vie).
Les époux X... ne justifient pas de l'existence d'un préjudice moral en rapport avec le défaut de conseil de leur banque.
Ils sont en droit de réclamer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais occasionnés par la procédure qui ne sont pas compris dans les dépens, une indemnité que la cour fixe à 4 000 ¿.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau.
Dit que la société BANQUE CIC OUEST a manqué à son obligation contractuelle de conseil dans ses relations avec ses clients, M. et Madame X....
Dit que le préjudice subi est constitué par une perte de chance.
Condamne la société BANQUE CIC OUEST à payer à M. Pierre X... et Madame Colette Y... épouse X... la somme de 11 000 ¿ à titre de dommages-intérêts.
Rejette la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Condamne la société BANQUE CIC OUEST à payer à M. et Madame X... une indemnité de 4 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.