COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 23 JANVIER 2013 ARRET N. RG N : 12/ 00122
AFFAIRE :
M. Julien X..., M. Joël Louis Marie X...
C/
Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU CENTRE OUEST
MJ-iB remboursement de prêt
Grosse délivrée à Maître GERARDIN, avocat
Le VINGT TROIS JANVIER DEUX MILLE TREIZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur Julien X... de nationalité Française né le 28 Mars 1979 à CAVAILLON (84300) Profession : Inconnue, demeurant chez Y...-...
représenté par Me Alain CHARTIER-PREVOST, avocat au barreau de LIMOGES
Monsieur Joël Louis Marie X... de nationalité Française né le 25 Avril 1945 à LES VALENCES (26500) Profession : Gérant de société, demeurant Chez Y...-...
représenté par Me Alain CHARTIER-PREVOST, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTS d'un jugement rendu le 05 JANVIER 2012 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIMOGES
ET :
Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU CENT RE OUEST dont le siège social est 29 boulevard de Vanteaux-87000 LIMOGES
représentée par Me Paul GERARDIN, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEE
Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 14 Novembre 2012 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 12 Décembre 2013. L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2012.
A l'audience de plaidoirie du 14 Novembre 2012, la Cour étant composée de Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président, de Madame Martine JEAN, Président de chambre et de Madame Eliane RENON, Conseiller assistés de Madame Elysabeth AZEVEDO, Greffier, Madame Martine JEAN, Président a été entendue en son rapport, Maîtres CHARTIER-PREVOST et GERARDIN, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie.
Puis Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 23 Janvier 2013 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
LA COUR
Julien X..., né le 28 mars 1979, salarié de la SCEA HARAS de l'ISOP, société dirigée par son père Joël X..., a conçu le projet de s'installer sur une propriété de 159 hectares comprenant bâtiments et terres en vue de l'élevage d'équins et de bovins ainsi que de la production de céréales, de fourrage, d'aliments pour chevaux et bovins et d'engrais.
Le CREDIT AGRICOLE, à qui Julien X... s'était adressé pour obtenir les financements qui lui étaient nécessaires pour la mise en oeuvre de son projet, lui a ainsi consenti :- le 7 février 2002 un prêt de 42. 685, 72 € au taux de 4, 80 % remboursable en 5 échéances annuelles de 9. 804, 88 € pour financer une chargeuse pelleteuse,- le 15 mai 2002 un prêt d'un montant de 103. 000 € au taux de 5, 95 % remboursable en 120 mois avec la caution solidaire de son père Joël X...,- le 11 septembre 2002 un prêt d'un montant de 138. 000 € au taux de 5, 95 % remboursable en 120 mois avec la caution solidaire de Joël X...,- le 30 septembre 2002, un prêt de 94. 900 € au taux de 5, 95 % remboursable en 12 ans avec la caution solidaire de Joël X...,- le 3 septembre 2002 un prêt de 51. 400 €, qui sera débloqué à hauteur de 5. 140 € au taux de 5, 50 % remboursable en 7 ans avec la caution solidaire de Joël X... à hauteur de 66. 820 €- le 22 octobre 2002 un prêt de 16. 300 € au taux de 5, 50 % remboursable en 7 ans avec la caution solidaire de Joël X...,- le 9 novembre 2002, un prêt de 55. 000 € qui sera réalisé à hauteur de 49. 500 € au taux de 5, 60 % remboursable en 12 années avec la caution solidaire de Joël X..., à hauteur de 66. 000 €,- le 23 juillet 2003 un prêt de 92. 000 € au taux de 5, 90 % remboursable en 12 ans avec la caution solidaire de Joël X....
Diverses échéances étant demeurées impayées, le CREDIT AGRICOLE, après déchéances et mises en demeure des débiteurs, les a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Limoges ; il sollicitait devant cette juridiction, au terme de ses conclusions récapitulatives :- la condamnation de Julien X... à lui payer la somme de 8. 126, 79 € assortie d'intérêts au taux légal à dater du 3 avril 2009 et 3. 912, 22 € outre les intérêts au taux légal à compter du 15 août 2009,- la condamnation solidaire de Julien et Joël X... à lui payer les sommes de : * 111. 109, 28 € outre intérêts au taux de 5, 95 % l'an, * 167. 972, 66 € outre intérêts au taux de 5, 95 % l'an, * 105. 259, 71 € outre intérêts au taux de 5, 95 % l'an * 4. 362, 11 € outre intérêts au taux de 5, 50 % l'an, * 13. 754, 70 € outre intérêts au taux de 5, 50 % l'an, * 54. 377, 16 € outre intérêts au taux de 5, 60 % l'an, * 109. 966, 73 € outre intérêts au taux de 5, 90 % l'an.
Par jugement du 5 janvier 2012, le tribunal a fait droit aux demandes qui lui étaient présentées par le CREDIT AGRICOLE, condamnant encore Julien et Joël X... solidairement à payer à la banque la somme de 2. 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ; le tribunal, qui a considéré que les débiteurs n'étaient pas des emprunteur et caution profanes, les a débouté de leur demande reconventionnelle tendant à obtenir des dommages et intérêts pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde.
Julien X... et Joël X... ont interjeté appel de cette décision selon déclaration du 3 février 2012.
Les dernières écritures des parties, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample information sur leurs demandes et moyens, ont été transmises à la cour les 15 octobre 2012 par Julien X... et Joël X... et 24 septembre 2012 par le CREDIT AGRICOLE.
Julien X... et Joël X... concluent à la réformation du jugement déféré et demandent à la cour de :- constater que les demandes formées par la caisse de CREDIT AGRICOLE sont insuffisamment établies, un certain nombre de discordances existant sur les demandes de condamnation qui sont formulées, et ce alors qu'il appartient à la banque de justifier de l'intégralité de sa créance,- constater que M. X... justifie avoir réglé au CREDIT AGRICOLE soit directement, soit par l'intermédiaire de son notaire, la somme de 846. 046, 81 € en règlements des différents prêts souscrits auprès de cet organisme,- en conséquence dire qu'il appartiendra au CREDIT AGRICOLE de produire l'affectation qu'il a réalisée pour chacune de ces sommes, au terme d'un décompte qui reprendra la totalité des prêts souscrits,- à défaut pour le CREDIT AGRICOLE de satisfaire à cette obligation, le débouter de toutes ses demandes,- faire droit à leur demande reconventionnelle pour dire que la banque a failli à son obligation de conseil et de mise en garde que ce soit à l'égard de l'emprunteur principal ou de la caution eu égard aux éléments dont elle disposait,- dire que cette attitude a eu pour conséquence la perte d'une chance pour les emprunteur et caution de ne pas contracter correspondant aux sommes qui leur sont réclamées,- dire y avoir lieu à compensation,- débouter la caisse de ses demandes au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,- condamner en revanche celle-ci à leur payer la somme de 2. 800 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La Caisse régionale de CREDIT AGRICOLE conclut à la confirmation de la décision déférée. Elle observe qu'elle justifie par les pièces qu'elle verse à son dossier de l'imputation des sommes versées et estime que c'est à bon droit que le tribunal a considéré que tant l'emprunteur principal que la caution étaient avertis en sorte qu'aucune faute et manquement au devoir de mise en garde ne pouvait être relevée à son encontre.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que les différents prêts, objet de l'assignation et des condamnations prononcées par le tribunal, ne sont pas contestés en leur principe ; que le CREDIT AGRICOLE verse d'ailleurs aux débats les actes de prêts régulièrement signés ainsi que les tableaux d'amortissement des prêts dont le remboursement du solde est sollicité suite à la déchéance du terme notifiée à Julien X..., pour l'ensemble des prêts visés dans l'assignation, par lettre recommandée du 27 septembre 2007 ; qu'il est établi, ce qui est admis par les appelants, qu'ils avaient pour objet le développement de l'exploitation agricole de Julien X..., laquelle exploitation avait été acquise par ce dernier au moyen d'un prêt qui lui avait été consenti préalablement en 2001 par le CREDIT AGRICOLE ;
Attendu que les appelants, qui reprochent à la banque d'avoir manqué à son obligation de mise en garde, ce qui justifie selon eux sa condamnation à des dommages et intérêts d'un montant équivalent aux sommes qui leur sont réclamées, ce en indemnisation d'une perte de chance de ne pas contracter, soutiennent au préalable que la banque n'a pas pris en compte tous les versements qui ont été effectués en remboursement des prêts et n'est pas en mesure au demeurant de justifier des affectations qu'elle a réalisées en sorte que, à défaut de démontrer l'exactitude de ses décomptes alors que la charge lui en incombe en sa qualité de demandeur à l'action, elle devra être déboutée purement et simplement ;
Attendu toutefois, en premier lieu, que le CREDIT AGRICOLE verse aux débats les décomptes relatifs à chacun des prêts considérés ; qu'il en résulte que les versements opérés au titre de ces prêts représentent une somme globale de 186. 569, 06 €, laquelle a bien été prise en compte par le CREDIT AGRICOLE, comme il ressort des relevés précités ; que si les appelants font état de versements bien supérieurs (page 13 de leurs écritures) d'un montant de 846. 046, 81 € sur un total emprunté de 968. 382, 25 €, ce qui ne permettait pas selon eux au tribunal de prononcer une condamnation de Julien X... pour la somme de 566. 802, 35 € qui ne prend pas en compte notamment le règlement adressé par le notaire Z..., il convient de relever que la somme de 846. 046, 81 € équivaut à l'ensemble des versements effectués pour la totalité des prêts consentis par le CREDIT AGRICOLE à Julien X... dont plusieurs toutefois ne font pas l'objet de cette procédure ou concernent des prêts d'ores et déjà soldés ; qu'à cet égard les appelants ne peuvent sérieusement s'étonner de la non prise en compte de la somme versée par le notaire ensuite de la vente de la propriété agricole alors que cette somme (chèque du notaire de 438. 500 €) a normalement été affectée par la banque en remboursement du solde d'un prêt authentique, qui n'est pas visé par cette procédure, à l'occasion duquel l'exploitation avait été donnée en garantie hypothécaire ;
Attendu, en second lieu, que les règles relatives à l'imputation des paiements sont prévues par les dispositions des articles 1253 à 1256 du Code Civil ; que les dispositions de l'article 1256 du Code Civil, lesquelles sont supplétives de la volonté des parties, prévoient que " lorsque la quittance ne porte aucune imputation, le paiement doit être imputé sur la dette que le débiteur avait pour lors le plus d'intérêt d'acquitter entre celles qui sont pareillement échues ; sinon, sur la dette échue quoique moins onéreuse que celles qui ne le sont point. Si les dettes sont d'égale nature, l'imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement " ;
Or attendu en l'espèce que si ces dispositions sont applicables dès lors qu'aucun élément du dossier ne permet de caractériser une volonté autre des parties quant à l'imputation, force est de constater que les appelants, qui remettent en cause les affectations opérées par le CREDIT AGRICOLE, ne démontrent pas en quoi elles ne sont pas conformes aux dispositions susvisées ; que d'ailleurs Julien X..., qui n'a pas ignoré au fur et à mesure des paiements les affectations faites par le CREDIT AGRICOLE, n'a pas jugé utile d'en contester le bien fondé ; que les réclamations des appelants, en ce qu'elle sont tardives et ne reposent sur aucun fait précis qui établirait une affectation non conforme aux règles du droit civil, seront en conséquence écartées ;
Attendu que pour obtenir paiement de dommages et intérêts, les appelants imputent à la banque un manquement à son obligation de mise en garde ; que la juridiction du premier degré a écarté leurs demandes au motif principalement que tant l'emprunteur principal que la caution étaient des emprunteurs avisés ;
Attendu que la banque, qui consent à un emprunteur un crédit adapté à ses capacités financières et au risque de l'endettement né de l'octroi du prêt à la date de conclusion du contrat, n'est pas, en l'absence de risque, tenue à une obligation de mise en garde ;
Or attendu que s'il est constant que Julien X..., ancien salarié de son père, ne pouvait, sur ses ressources propres telles que déclarées, rembourser les prêts qui lui ont été consentis, il ne saurait être fait abstraction, pour apprécier les obligations de la banque, de ce que les prêts en cause avaient pour objet le développement de son exploitation agricole ; que le projet de celui-ci, cautionné tant moralement que financièrement par son père, lui-même exploitant agricole et dirigeant de plusieurs sociétés de gestion en comptabilité et commercialisation de produits notamment, consistait en l'élevage d'équins et de bovins ainsi que la production de céréales, fourrages, aliments pour chevaux et bovins, engrais ; que ce projet avait été présenté à la banque par Julien X... ; que celle-ci, dont les représentants s'étaient déplacés sur l'exploitation, produit les notes prises en vue de l'obtention ou non des prêts sollicités ; qu'il y est mentionné que le projet de Julien X... " paraît ambitieux mais porteur car la partie commerciale est grandement assurée du fait que les produits fabriqués sont très demandés (de plus en plus d'agriculteurs se convertissent au bio). M. X... père a de nombreuses relations pour conforter la commercialisation. L'activité élevage et équestre est une activité bien connue de M. X... Julien pour l'avoir pratiquée de manière intense chez son père. Nous devons faire confiance et devons accompagner ce jeune bien encadré par son père, un homme très dynamique aux multiples " flèches " à son arc " ; qu'ainsi le projet exposé au CREDIT AGRICOLE n'est pas apparu utopique à la banque, d'autant d'une part, qu'il était accompagné de prévisionnels qui faisaient apparaître un résultat positif de 37. 800 € en 2002, 290. 070 € en 2003 et de 383. 639 € en 2004, ce qui constituait, comme l'a justement observé le premier juge, un gage de réussite et, d'autre part, que Julien X... avait précisé au CREDIT AGRICOLE qu'une grosse partie de son chiffre d'affaires résulterait de la vente d'engrais et d'aliments Bio qui seraient commercialisés par les sociétés appartenant à son père ;
Attendu, au regard de ces éléments, que la banque, qui n'a pas à s'immiscer dans les affaires de son client en appréciant en ses lieu et place la faisabilité de son projet, a pu légitiment penser, au regard des prévisionnels qui lui avaient été fournies, lesquels ne dénotent pas en eux-même leur caractère irréaliste et des explications qui lui avaient été fournies quant aux potentialités de développement de l'exploitation, que les prêts accordés n'étaient pas disproportionnés aux revenus escomptés suite aux investissements réalisés ; que dans ces conditions, la banque, en l'absence de risque avéré à la date de conclusion des contrats, ne peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement d'un manquement à son devoir de mise en garde au regard des risques des crédits consentis ;
Attendu que la décision du tribunal sera en conséquence confirmée par substitution de motifs ; que la banque sera déboutée en revanche de sa demande tendant à obtenir une indemnité supplémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, la somme allouée en première instance apparaissant de nature à l'indemniser équitablement des frais non inclus dans les dépens qu'elle a dû exposer tant en première instance qu'en appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME, par substitution de motifs, le jugement déféré,
DIT n'y avoir lieu à indemnité supplémentaire au profit de la Caisse régionale de CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU CENTRE OUEST fondée sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNE solidairement Julien X... et Joël X... aux dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PREMIER PRÉSIDENT, Elysabeth AZEVEDO. Alain MOMBEL.