ARRET N.
RG N : 12/ 00068
AFFAIRE :
Mme Delphine Madeleine Marie X... épouse Y...
C/
Me Henry De Z...
AM/ MCM
DEMANDE EN REPARATION DES DOMMAGES CAUSES PAR AUXILIAIRE DE JUSTICE
Grosse délivrée à Me POUYADOUX, avocat
COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE--- = = oOo = =--- ARRET DU 30 NOVEMBRE 2012--- = = = oOo = = =---
Le TRENTE NOVEMBRE DEUX MILLE DOUZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Madame Delphine Madeleine Marie X... épouse Y... de nationalité Française, née le 04 Juin 1974 à LIMOGES (87000), Cadre, demeurant...
représentée par Me Emmanuelle POUYADOUX, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d'un jugement rendu le 15 DECEMBRE 2011 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIMOGES
ET :
Maître Henry De Z... Notaire, demeurant...
représenté par la SELARL DAURIAC-COUDAMY-CIBOT, avocats au barreau de LIMOGES, Me Sarah PEYCLET, avocat au barreau de LIMOGES ;
INTIME
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Le dossier a été communiqué au Ministère Public le 17 septembre 2012 et visa de celui-ci a été donné le 24 septembre 2012.
Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 17 Octobre 2012 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 28 Novembre 2012. L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2012.
A l'audience de plaidoirie du 17 Octobre 2012, la Cour étant composée de Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président, de Monsieur Pierre-Louis PUGNET et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers, assistés de Madame Elysabeth AZEVEDO, Greffier, Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président a été entendu en son rapport, Maître POUYADOUX et Maître PEYCLET, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie et Monsieur Henri PERRET, Avocat Général en ses réquisitions.
Puis Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 30 Novembre 2012 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame Madeleine-Marie A... a consenti le 9 décembre 1995, par-devant Maître B..., notaire à AUBUSSON, une donation-partage à ses deux fils, Christian et Joël X..., le premier se voyant attribuer la nue-propriété d'un appartement sis à MONTLUÇON, 3 et 15, rue du Docteur Gagne et 114, avenue de la République ainsi que le mobilier le garnissant, Madame A... conservant l'usufruit des biens de l'appartement et meubles meublants objets de la donation.
Joël X... est décédé à LIMOGES le 8 juillet 2003 laissant pour lui succéder :
- Dominique C..., sa seconde épouse, avec laquelle il était marié sous le régime de la séparation de biens aux termes d'un contrat de mariage en date du 9 novembre 1999, usufruitière de l'universalité des biens composant la succession en vertu d'un acte notarié passé devant Maître D..., notaire à BRIVE, en date du 14 décembre 1999, aux termes duquel les époux s'étaient consentis réciproquement donation de l'usufruit de tous les biens meubles et immeubles qui composeraient leurs successions respectives.
- Delphine X... épouse Y..., sa fille unique, issue de son union avec sa première épouse.
Maître E..., notaire à DONZENAC, a été chargé de régler cette succession.
À l'actif de la succession, se trouvaient la nue-propriété de l'appartement de MONTLUÇON et du mobilier le garnissant.
Les 3 et 16 octobre 2008, un protocole transactionnel était passé entre Delphine Y... et Madame Dominique C... veuve X... " pour mettre fin à l'indivision existant entre elles, suite au décès de Monsieur Joël X... sur la nue-propriété des lots 19 et 197 de la copropriété dénommée Résidence le Bourbonnais, sise à MONTLUÇON (Allier), 3 et 15 rue du Docteur Gagne et 114, avenue de la République, Madame Delphine X...épouse Y... versera pour solde de tout compte à Madame Dominique C... veuve X... une somme forfaitaire et définitive de 27 000 € ".
Sur la base de cet accord transactionnel, le 20 novembre 2008, un acte a été passé entre les parties par-devant Maître De Z..., notaire, contenant cession par Dominique X... à Delphine Y..., à titre de licitation d'un quart en nue-propriété de l'appartement pour le prix de 27 000 €.
Le 17 janvier 2009, Madeleine-Marie A..., grand-mère paternelle de Delphine Y..., est décédée.
Les 1er et 5 juin 2010, un nouveau protocole d'accord est signé entre Delphine Y... et Dominique Veuve X... aux termes duquel " à titre de partage transactionnel forfaitaire et définitif, les parties ont convenu que la somme de 10 000 € serait versée par Madame Delphine Y... à Madame Dominique X... pour partage et paiement de l'intégralité de ses droits dans la succession de Joël X... au titre des meubles meublants et objets mobiliers de trouvant dans l'appartement et aux termes duquel le prix de vente de l'appartement de MONTLUÇON ".
Invoquant le fait que Maître De Z..., notaire, a failli à ses obligations en lui délivrant à tort une attestation en date du 2 février 2009 selon laquelle les biens et droits immobiliers sis à MONTLUÇON lui appartenaient en pleine propriété, en ne publiant pas le protocole transactionnel du 20 novembre 2008 et en ne s'étant pas assuré que le protocole transactionnel passé devant lui pourrait produire les effets escomptés, étant observé que le notaire a un devoir de conseil pour les actes qu'il instrumente, même s'il se contente de donner forme authentique à une convention arrêtée par les parties en dehors de lui, Delphine Y... a fait assigner Maître Henry De Z... par acte d'huissier de justice en date du 5 novembre 2010 aux fins d'entendre le tribunal, par un jugement assorti de l'exécution provisoire, dire que la responsabilité du notaire est engagée en raison de la faute commise dans l'exécution de sa mission à l'origine du préjudice par elle subi sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Elle demandait en conséquence de le condamner à lui verser des dommages intérêts à hauteur de 45 000 € en réparation de son préjudice financier outre celle de 10 000 € en réparation de son préjudice moral, 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et sa condamnation aux dépens.
En réponse, Maître de Z... soutenait qu'aucun reproche ne pouvait lui être fait puisque les actes dont s'agit, et plus particulièrement celui reçu par lui le 20 novembre 2008 dont il est le rédacteur, ne font pas référence à autre chose qu'à la nue-propriété de l'ensemble immobilier, étant observé que le notaire n'est pas intervenu au protocole transactionnel des 3 et 16 octobre 2008 et n'a fait qu'entériner l'accord des parties.
Il faisait ensuite valoir que l'attestation qu'il avait délivrée n'était pas créatrice de droits, l'acte authentique du 20 novembre 2008 prévalant sur cette attestation. Il ajoutait qu'à supposer même que l'attestation du 2 février 2009 ait précipité la vente de l'ensemble immobilier, cette vente a permis de régler le sort de l'usufruit de Madame Veuve X... et si cette vente n'avait pas eu lieu, Delphine Y... ne devenait pleinement propriétaire qu'au décès de sa belle-mère, le notaire ne pouvant être tenu responsable d'une situation qui existait ou aurait existé nonobstant son intervention.
Le notaire concluait donc au débouté de l ‘ ensemble des demandes de Delphine Y... comme n'étant pas fondées et à sa condamnation à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par jugement du 15 décembre 2011 le tribunal de grande instance de Limoges, retenant qu'il y avait bien eu une faute du notaire mais que Madame Y... ne démontrait pas l'existence d'un préjudice, déboutait celle-ci de l'ensemble de ses demandes et Maître Henry De Z... de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Il disait enfin n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire du jugement et condamnait Madame Delphine Y... aux dépens de l'instance.
Le 23 janvier 2012 le greffe de la cour d'appel enregistrait la déclaration d'appel de Madame Delphine X... épouse Y...
En l'état de ses dernières écritures auxquelles il convient de se référer, Madame Y... demande de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que Me De Z... avait commis des fautes engageant sa responsabilité professionnelle et de l'infirmer en le condamnant à réparer son préjudice évalué à 45 000 €. Elle demande également sa condamnation à lui verser 10 000 € au titre de son préjudice moral, 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
A l'appui de ces prétentions Madame Y... verse au débat outre les actes de nombreux courriers dont elle considère qu'ils démontrent, comme l'a retenu le premier juge, que Me de Z... n'a pas accompli le devoir de conseil qui lui incombait en l'alertant sur le fait que le protocole qu'elle s'apprêtait à conclure ne résoudrait pas la question de l'usufruit dont sa belle-mère bénéficierait au décès de sa grand-mère et alors que dans son attestation du 2 février 2009 il indique que le bien se trouve lui appartenir en pleine propriété.
Quant à son préjudice, elle considère que si elle avait bien été conseillée et qu'on lui avait bien indiqué qu'elle ne serait toujours pas seule propriétaire de l'appartement de Montluçon, elle n'aurait pas accepté de verser 27 000 € à sa belle-mère.
En réponse Me de Z... demande de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame Y... de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens. Mais d'y ajouter en condamnant son adversaire à lui verser une indemnité de 3 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il soutient en effet en premier lieu que le protocole des 3 et 16 octobre 2008 passé entre Madame Y... et sa belle-mère est intervenu hors sa présence et que l'acte qu'il a reçu le 20 novembre ne faisait que référence à la cessation de l'indivision entre elle et Mme veuve X... s'agissant de l'acquisition du quart en nue-propriété de l'ensemble immobilier.
En second lieu, Me de Z... soutient que son attestation n'est créatrice d'aucun droit et que l'acte authentique prévaut sur elle, que Mme Y... voulait mettre fin à toute indivision avec sa belle-mère et non attendre son décès pour devenir pleinement propriétaire d'où le versement de la somme de 27 000 €. Ainsi, comme l'a jugé le tribunal, elle ne justifie d'aucun préjudice.
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MOTIFS
I-Sur la responsabilité du notaire
Attendu que le notaire est tenu, à l'égard de son client, d'un devoir de conseil et d'information qui s'étend à la portée et à l'efficacité de l'acte pour lequel il instrumente, qu'il est notamment tenu de lui signaler tout élément de droit ou de fait porté à sa connaissance qui serait de nature à influer sur la décision de son client de contracter ou de ne pas contracter dans les termes envisagés ;
Que tout manquement à ces obligations engage la responsabilité du notaire sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code Civil ;
Attendu qu'au cas d'espèce c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens que le tribunal a retenu l'existence d'une faute du notaire,
Attendu en effet, que les correspondances entre Mme Y... et Me de Z... et le teneur même du protocole transactionnel démontrent que la volonté de Madame Y... était de sortir définitivement de l'indivision avec sa belle-mère et d'avoir la pleine propriété, éventuellement pour en disposer, de l'immeuble sis à MONTLUÇON, or l'acte notarié du 20 novembre 2008 porte sur la donation d'un quart en nue-propriété du bien dont Mme Veuve X... avait hérité au décès de son époux sans faire état de l'usufruit successif dont elle bénéficiait en application de l'article 757 du Code Civil en présence d'enfants qui ne sont pas issus des deux époux et qu'elle exercerait au décès de la donatrice usufruitière du bien.
Attendu, par ailleurs, que l'attestation en date du 2 février 2009 de Me de Z... faisant état de la pleine propriété du bien à Madame Y... alors qu'il demeurait au profit de sa belle-mère un usufruit constitue pour un notaire connaissant au surplus les voeux de son client une erreur et, à tout le moins, un défaut d'information, constitutifs d'une incontestable faute qui engage sa responsabilité ;
II-sur les préjudices matériel et moral
Attendu que pour débouter Madame Y... de sa demande de dommages et intérêts le tribunal a estimé qu'elle ne démontrait pas quels préjudices elle aurait subi du fait des fautes de Me de Z..., qu'elle n'a pas payé deux fois la valeur de l'usufruit, le deuxième protocole n'ayant porté que sur la valeur du mobilier ; qu'elle ne démontre pas non plus avoir subi un préjudice du fait de la non-réalisation ou du retard pris dans la réalisation de la vente de l'appartement en cause ;
Mais attendu, comme l'indique Mme Y... dans ses écritures, qu'il est évident que si elle avait été informée postérieurement à la signature du protocole du 20 novembre 2008 qu'elle ne serait pas pleinement propriétaire de l'appartement de Montluçon et que Madame C..., veuve X..., bénéficiait encore de l'usufruit successif, elle aurait été amenée à faire d'autres choix ; qu'il importe peu qu'elle justifie ou non des choix qu'elle aurait pu faire, que la seule privation de la possibilité de faire des choix constitue un préjudice réparable en soi ;
Que Madame Y..., a été victime d'une perte de chance qui mérite réparation ;
Attendu que la nature et l'importance des intérêts en jeu permettent à la cour d'arbitrer le montant du préjudice ainsi subi à la somme de 20 000 € ;
Attendu que la confiance mise dans un notaire qui doit présenter pour ses clients toutes les garanties quant aux conseils et informations qu'il lui donne conduit à retenir l'existence d'un véritable préjudice moral pour le client qui s'estime moralement trahi quelle que soit l'importance de la faute ;
Que, dès lors, la demande de réparation de son préjudice moral par Madame Y... est justifiée en son principe, que la cour estime devoir le fixer à 5000 € ;
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Attendu que Me de Z... qui succombe sera condamné à verser à Madame Delphine Y... une indemnité de 1 800 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que pour les mêmes raisons il sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
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LA COUR
Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu les articles 1382 et 1383 du Code Civil ;
CONFIRME le jugement du 15 décembre 2011 du tribunal de grande instance de Limoges en ce qu'il a retenu à l'encontre de Me Henry de Z... l'existence d'une faute ;
L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau :
CONDAMNE Me Henry de Z... à payer à Madame Delphine X... épouse Y... une somme de 20 000 € en réparation de son préjudice matériel et une somme de 5000 € en réparation de son préjudice moral ;
LE CONDAMNE également à lui verser une indemnité de 1 800 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
LE CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PREMIER PRESIDENT,
Elysabeth AZEVEDO. Alain MOMBEL.