ARRET N.
RG N : 12/ 00533
AFFAIRE :
Mme Danielle Jeanne Victorine X..., M. Alain Y...
C/
Etablissement Public CENTRE HOSPITALIER DE SAINT JUNIEN ROLAND MAZOIN
MJ/ MCM
DEMANDE EN MATIERE DE SUCCESSION
Grosse délivrée à
Me GARNERIE, avocat
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 29 NOVEMBRE 2012
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Le VINGT NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE DOUZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Madame Danielle Jeanne Victorine X...
de nationalité Française, née le 13 Novembre 1946 à ORAN (ALGERIE), Retraitée, demeurant ...-87100 LIMOGES
représentée par Me Christophe DURAND-MARQUET, avocat au barreau de LIMOGES, Me Eric BRECY-TEYSSANDIER, avocat au barreau de LIMOGES
Monsieur Alain Y...
de nationalité Française, né le 03 Août 1958 à ORAN (ALGERIE), Entrepreneur, demeurant ...30360 SAINT ANDRE DE ROQUEPERTUIS
représenté par Me Christophe DURAND-MARQUET, avocat au barreau de LIMOGES, Me Eric BRECY-TEYSSANDIER, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTS d'un jugement rendu le 20 MAI 2010 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIMOGES
ET :
CENTRE HOSPITALIER DE SAINT JUNIEN ROLAND MAZOIN
12 rue Chateaubriand-87200 SAINT JUNIEN
représenté par Me Jean-Pierre GARNERIE, avocat au barreau de LIMOGES, Me Philippe CLERC, avocat au barreau de LIMOGES
INTIME
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Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 11 Octobre 2012 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 15 Novembre 2012. L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 août 2012.
A l'audience de plaidoirie du 11 Octobre 2012, la Cour étant composée de Madame Martine JEAN, Président de chambre, de Madame Christine MISSOUX-SARTRAND et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers assistés de Madame Marie-Christine MANAUD, Greffier, Madame JEAN, Président de chambre a été entendue en son rapport, Maître TEYSSANDIER et Maître CLERC, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie.
Puis Madame Martine JEAN, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 29 Novembre 2012 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
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Raoul X..., né le 30 novembre 1911, résident de la maison de retraite " Bellevue " à Saint Junien, est décédé à Saint Junien le 20 décembre 2008.
Raoul X... a laissé un testament manuscrit portant la date du 29 janvier 2006 au terme duquel il instituait pour légataire universel le Centre Hospitalier de Saint Junien à charge d'affecter le fonds lui revenant à la maison de retraite de Bellevue ; il léguait également dans ce même testament à Mme C...Berthe la somme de 3. 000 € nette de tous frais et droits.
Par acte du 11 mars 2009, Danielle X..., fille de Raoul X... et Alain Y..., son petit-fils, ont fait assigner le Centre Hospitalier de Saint Junien en nullité du testament.
Saisi le 25 juin 2009 par Danielle X... et Alain Y... d'une demande de communication de pièces, le juge de la Mise en Etat a, par ordonnance du 8 septembre 2009 :
- enjoint à la Banque Postale de communiquer au greffe l'ensemble des relevés retraçant les mouvements sur les comptes courants, comptes chèques et compte épargne ouverts au nom de M. Raoul X... ainsi que le contrat d'assurance-vie souscrit en septembre-octobre 2008,
- dit que le dossier de curatelle concernant Raoul X... sera communiqué au greffe par Mme le greffier du tribunal d'instance de Rochechouart,
- ordonné également la communication par le Centre Hospitalier de Saint Junien du dossier médical de Raoul X..., ce dernier ayant été hospitalisé notamment lors de sa dernière maladie,
Par jugement du 20 mai 2010, le tribunal, estimant que la preuve n'était pas apportée de l'insanité d'esprit de Raoul X... à la date du testament litigieux, a débouté Danielle X... et Alain Y... et les a condamnés à payer au centre Hospitalier la somme de 1. 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Danielle X... et Alain Y... ont interjeté appel de cette décision selon déclaration du 4 mai 2012.
Les dernières écritures des parties, auxquelles la Cour se réfère expressément, ont été transmises au greffe les 28 juin 2012 pour les appelants et 6 juillet 2012 pour le Centre Hospitalier de Saint-Junien.
Danielle X... et Alain Y... soutiennent que le testament est nul dès lors qu'il n'est pas établi qu'il soit de la main de Raoul X... et, en tout cas, qu'il n'a pas été autorisé par le représentant de l'Etat dans les termes des articles 910 et 937 du Code Civil.
Ils font valoir par ailleurs qu'il conviendra d'ordonner le rapport à succession du placement effectué à l'aide du produit de la vente de l'appartement de M. X... ; ils estiment que, en effet, Mme E..., curatrice de Raoul X... ne pouvait, même avec l'autorisation du juge des tutelles, souscrire un placement en assurance-vie ; ils ajoutent que ce placement était au demeurant dépourvu d'aléa compte tenu de l'âge de Raoul X... à la date à laquelle il a été réalisé par la curatrice et qu'il ne saurait par conséquent s'analyser en un contrat d'assurance-vie, un tel placement se trouvant exclu des dispositions du Code des assurances régissant les assurances-vie et plus particulièrement les articles L 310-110 et R 321-1 du code des assurances ; ils font observer par ailleurs que, même à supposer que ce placement s'analyse en une assurance-vie, le rapport à succession s'imposerait en application de l'article L 132-13 du Code des assurances dès lors que les primes d'assurances égales au capital versé au moment de la souscription ont pour conséquence d'amputer la réserve héréditaire et de soustraire une part importante de la succession aux règles de la dévolution successorale.
Le Centre Hospitalier de Saint Junien conclut à la confirmation du jugement et forme appel incident pour obtenir paiement de la somme de 3. 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. Il sollicite encore une indemnité supplémentaire de 3. 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Le Centre Hospitalier fait valoir que l'insanité d'esprit de Raoul X... lors de la rédaction du testament litigieux n'est pas démontrée et que l'âge de celui-ci ne saurait suffire à justifier l'annulation de son testament d'autant que les difficultés relationnelles avec sa fille n'étaient pas récentes.
Sur la demande de rapport à succession du placement effectué par la curatrice, il observe que cette dernière n'a aucun lien avec le Centre Hospitalier, que le juge des tutelles a donné son accord au placement envisagé par la curatrice, que le patrimoine de Raoul X... était de 472. 243, 96 € en 2008 en sorte que la prime ne peut être considérée comme exagérée au regard de l'article L 130-13 des assurances, que la jurisprudence refuse en tout cas de requalifier les contrats d'assurance-vie, qu'enfin les contrats d'assurances dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte, selon la chambre mixte de la cour de cassation, un aléa au sens de l'article 1964 du Code Civil en sorte que l'âge de Raoul X... à la date de sa souscription est Inopérant.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande en nullité du testament
Attendu que Danielle X... et Alain Y..., qui rappellent dans leurs écritures d'appel les dispositions de l'article 970 du Code Civil, soutiennent que le Centre Hospitalier de Saint Junien n'apporte pas la preuve de ce que le testament litigieux a bien été écrit en entier, daté et signé de la main du testateur ;
Attendu toutefois que les appelants, dont l'argumentation est nouvelle à cet égard, versent eux-mêmes aux débats la photocopie d'un courrier adressé le 3 mars 2005 à M. Le procureur de la République par Raoul X... ; qu'il en ressort de façon certaine, par la comparaison des écritures, que celui-ci est bien l'auteur et le signataire du testament en date du 29 janvier 2006 ; qu'outre en effet que l'écriture est dans les deux cas penchée vers la gauche, de nombreuses lettres sont similaires (voir les f, les s, les j, les n notamment) tout comme est identique le graphisme ; que la signature est en tout point par ailleurs semblable sur l'un et l'autre de ces documents ; que, dans ces conditions, la nullité ne saurait être prononcée pour ce motif non fondée ;
Attendu par ailleurs que si les appelants reprennent devant la cour leur argumentation tendant à voir reconnaître l'état d'insanité d'esprit de Raoul X... à la date du testament litigieux, il n'a été produit de ce chef à l'occasion de l'appel, aucun élément nouveau qui n'ait été connu de la juridiction du premier degré ; que c'est à bon droit, après une exacte et complète analyse du dossier médical de Raoul X... que le tribunal a estimé qu'il n'existait pas d'élément objectif de nature à caractériser l'insanité d'esprit de l'auteur du testament ; que s'il est établi en effet que Raoul X... a connu des épisodes d'angoisse en 2005, force est de constater, d'une part, qu'il a été relevé par l'hôpital de Saint Junien le 17 octobre 2005, que celui-ci était orienté et cohérent et, d'autre part, que les tests effectués en septembre 2005 établissaient (score de 26 sur 30) que l'état intellectuel de ce patient n'était alors nullement dégradé ; que si l'état intellectuel de Raoul X... s'est certes dégradé par la suite, comme le démontrent de nouveaux tests réalisés en juin 2006, rien ne permet d'établir que cette dégradation était d'ores et déjà intervenue, voire que ce processus était enclenché en janvier 2006, date du testament, d'autant qu'il est établi que Raoul X... a fait l'objet en mai 2006, d'une décompensation cardiaque qui a entraîné son hospitalisation en urgence et peut expliquer sa dégradation tant physique qu'intellectuel ; que la simple circonstance qu'il ait pu être noté des propos confus en mars 2006, non seulement ne permet pas d'affirmer que cette confusion existait en janvier 2006 mais encore ne suffit pas à caractériser un état d'insanité d'esprit au sens de l'article 901 du Code Civil, lequel suppose une affection mentale, serait-elle due à l'âge, suffisamment grave pour obnubiler l'intelligence du disposant ou anéantir ses facultés de discernement ; que la constatation par ailleurs que, à l'occasion du testament litigieux, Raoul X... a consenti à un tiers un legs particulier laisse au contraire penser que son discernement n'était, à cette date, nullement obéré ;
Attendu enfin, que sont sans conséquence sur la validité du testament les dispositions de l'article 910 du Code Civil selon lesquelles les dispositions entre vifs ou par testament au profit des établissements de santé, des établissements sociaux et médico-sociaux ou d'établissements d'utilité publique n'ont leurs effets qu'autant qu'elles sont autorisées par arrêté du représentant de l'Etat dans le département ; qu'à tort, en conséquence, les appelants soulèvent ces dispositions à l'appui de leur demande en nullité alors que l'absence d'autorisation du représentant l'Etat, au cas où elle serait refusée, ne pourrait que conduire le notaire à constater, alors même que la validité du testament n'est pas en cause, qu'il ne peut produire ses effets ;
Attendu que le jugement sera en définitive confirmé en ce que le tribunal n'a pas admis la demande en nullité qui lui avait été présentée par Danielle X... et Alain Y....
Sur la demande des consorts X...-Y...tendant au rapport à succession du placement effectué à l'aide du produit de la vente de l'appartement de Raoul X...
Attendu qu'il est établi que Mme la curatrice de Raoul X..., autorisée par ordonnances du juge des tutelles des 5 juin et 10 septembre 2008, a, suite notamment à la vente de l'immeuble appartenant à Raoul X..., elle-même autorisée par le juge des tutelles, fait un placement de 90. 000 € sur une assurance-vie postale " ASCENDO " avec pour désignation des bénéficiaires " comme indiqué sur le testament déposé chez Maître A... notaire à Saint Junien " ;
Attendu cependant qu'il résulte des articles 510 et 512 du Code Civil, dans leur rédaction applicable antérieure la loi du 5 mars 2007, que les pouvoirs de représentation du curateur, dans la curatelle renforcée se limitent à la perception des revenus et au paiement des dépenses du majeur protégé ainsi qu'à l'ouverture, s'il y a lieu, d'un compte ouvert chez un dépositaire agrée en vue d'y déposer l'excédent ; que la curatrice de Raoul X... ne pouvait en conséquence, sans le consentement de ce dernier, effectuer un placement en assurance-vie des fonds appartenant au majeur protégé ; qu'il importe peu à cet égard que le juge des tutelles ait pu autoriser un tel placement, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le majeur protégé avait préalablement donné son autorisation pour ce faire, éventuellement dans le cadre d'une audition par le juge des tutelles ; que l'autorisation du juge des tutelles ne saurait à cet égard pallier celle du majeur protégé ;
Attendu, dans ces conditions, que le placement en assurance-vie effectué par la curatrice de Raoul X... est inopposable aux héritiers qui sont fondés, pour ce seul motif, à solliciter le rapport à la succession de la somme de 90. 000 €, objet de ce placement, afin de déterminer la masse à partager et les attributions des parties selon les règles applicables à la réserve et la quotité disponible ;
Sur la demande en dommages et intérêts du Centre hospitalier de Saint Junien
Attendu que l'appel s'avérant en partie fondée, il n'y a pas lieu d'y faire droit ;
Sur les dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens
Attendu que l'issue de ce litige conduit à dire que les dépens seront partagés par moitié entre les parties ; qu'il n'y a pas lieu, pour le même motif, à application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant par décision Contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement déféré en ce que Danielle X... et Alain Y... ont été déboutés de leur demande en nullité du testament de Raoul X... en date du 29 janvier 2006 et le Centre hospitalier de Saint Junien débouté de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,
Le réformant pour le surplus et, statuant à nouveau,
ORDONNE le rapport à la succession de la somme de 90. 000 € correspondant au placement en assurance-vie " ASCENDO " effectué par la curatrice de Raoul X... aux fins de déterminer la masse à partager et les attributions respectives des parties au regard des règles applicables à la réserve et la quotité disponible,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
ORDONNE le partage des dépens par moitié entre les parties et dit qu'ils seront supportés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Marie-Christine MANAUD. Martine JEAN.