ARRET N.
RG N : 10/ 00932
AFFAIRE :
Mme Anne Marie Léa X..., M. Pierre Germain Y...
C/
S. A. R. L. RESIDENCE DU CHATEAU DE COSNAC, M. Stanislas A..., M. Christian Y...
DB/ MCM
INDEMNISATION PREJUDICE
Grosse délivrée à grosse à SCP COUDAMY, avoué
COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE--- = = oOo = =--- ARRET DU 18 OCTOBRE 2011--- = = = oOo = = =---
Le DIX HUIT OCTOBRE DEUX MILLE ONZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Madame Anne Marie Léa X... de nationalité Française, née le 23 Juin 1933 à MEYRONNE (46200), Retraitée, demeurant...-46200 MEYRONNE
représentée par la SCP COUDAMY Marie Christine-LATCHER, avoués à la Cour, assistée de Me Elsa MARKARIAN, avocat au barreau de CORREZE
Monsieur Pierre Germain Y... de nationalité Française, né le 12 Avril 1957 à GRAMAT (46500), Agent comptable, demeurant Les Picadis-...-19600 SAINT PANTALEON DE LARCHE
représenté par la SCP COUDAMY Marie Christine-LATCHER, avoués à la Cour, assisté de Me Elsa MARKARIAN, avocat au barreau de CORREZE
APPELANTS d'un jugement rendu le 04 JUIN 2010 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BRIVE
ET :
S. A. R. L. RESIDENCE DU CHATEAU DE COSNAC dont le siège social est Avenue du 8 Mai 1945-19360 COSNAC
représentée par la SCP CHABAUD DURAND MARQUET, avoués à la Cour, assistée de Me Michel LABROUSSE, avocat au barreau de BRIVE-LA-GAILLARDE
Monsieur Stanislas A... de nationalité Française, né le 08 Avril 1952 à TULLE (19000), Médecin, demeurant...-19360 COSNAC
représenté par la SCP CHABAUD DURAND MARQUET, avoués à la Cour, assisté de Me Jean-Noël VIGIER, avocat au barreau de BRIVE-LA-GAILLARDE
Monsieur Christian Y... demeurant...-12200 VILLEFRANCHE DE ROUERGUE
N'AYANT PAS CONSTITUE AVOUE
INTIMES
--- = = oO § Oo = =---
Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 13 Septembre 2011 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 11 Octobre 2011. L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 août 2011.
A l'audience de plaidoirie du 13 Septembre 2011, la Cour étant composée de Monsieur Yves DUBOIS, Président de Chambre, de Monsieur Didier BALUZE et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers, assistés de Madame Pascale SEGUELA, Greffier, Monsieur le Conseiller BALUZE a été entendu en son rapport oral, Maître MARKARIAN, Maître LABROUSSE et Maître VIGIER, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie.
Puis Monsieur Yves DUBOIS, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 18 Octobre 2011 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
--- = = oO § Oo = =--- LA COUR--- = = oO § Oo = =---
RÉSUMÉ DU LITIGE
M. André Y..., né en 1931, est entré en février 2003 à l'EHPAD " les jardins de Cybèle " géré par la SARL Résidence du Château de Cosnac (ou SARL château de Cosnac). Il était atteint de la maladie d'Alzheimer. Son médecin traitant est devenu alors le Dr Stanislas A....
En mai 2005, suite à une chute, il était hospitalisé au Centre Hospitalier de Brive la Gaillarde où il a été découvert une fracture ancienne du col du fémur alors consolidée.
En avril 2006, il y a eu une nouvelle hospitalisation suite à une chute et M. Y... décédera le 20 avril 2006 en raison d'une décompensation cardio-respiratoire.
Sa veuve Anne Marie Z... et ses deux fils Pierre et Christian vont diligenter un référé expertise.
Le Docteur F... a établi un rapport (ou RE), il y est indiqué notamment :
- la date approximative de la fracture se situe le 23 mai 2004,
- cette lésion n'a pas été diagnostiquée lorsqu'elle est survenue et n'a pas été prise en charge par la SARL Château de Cosnac et les médecins y intervenants selon les données acquises de la science,
- en définitive, M. Y... a été hospitalisé, mais le 16 juin 2004, en service neurologie d'où il est sorti le 22 juin, sans d'ailleurs qu'il y ait eu de radio et que la fracture ait été décelée.
L'expert fixe les conséquences corporelles dommageables ainsi : ITT 3 mois, IPP 10 %, souffrances endurées 2/ 7 et préjudice d'agrément retenu (privation ou gêne à la marche, la promenade).
* * *
Mme Y... et MM Pierre et Christian Y... ont engagé une action au fond contre la SARL Résidence du château de Cosnac et le Dr A... dont ils ont été déboutés par jugement du tribunal de grande instance de Brive la Gaillarde du 4 juin 2010.
Mme Y... et M. Pierre Y... ont interjeté appel.
Ils exposent que la fracture est survenue postérieurement à l'entrée de M. Y... aux jardins de Cybèle et qu'il importe peu qu'elle se soit éventuellement produite lors d'une sortie dans la famille.
Ils soutiennent qu'il y a fautes du Dr A... aux motifs qu'il n'a pas utilisé tous les moyens permettant de faire un bon diagnostic et qu'il n'a pas veillé lui-même à l'hospitalisation rapide de son patient pour la radio qu'il avait préconisée.
Ils font valoir aussi que la SARL du château de Cosnac a manqué de diligences pour faire hospitaliser M. Y... comme l'avait préconisé le Dr A....
Ils chiffrent le préjudice pour l'ITT, l'IPP, les souffrances et préjudice d'agrément à une somme globale de 15. 300 € en évoquant dans leurs dernières conclusions la notion de perte de chance. Ils évaluent leur préjudice moral à 3. 000 €.
Ils indiquent qu'ils réclament les 2/ 3 du total, se réservant d'agir pour l'autre tiers contre le centre hospitalier devant le tribunal administratif.
Ils sollicitent donc la réformation du jugement et la condamnation solidaire du Dr A... et de la SARL Château de Cosnac à leur payer " 13. 200 € " (étant observé que 2/ 3 de 18. 300 = 12. 200).
* * *
Le Dr A... conclut à la confirmation.
Il fait valoir qu'une erreur de diagnostic ne constitue pas une faute, d'autant qu'en l'espèce il y avait l'incidence de la maladie d'Alzheimer et que même à l'hôpital la fracture n'a pas été découverte.
Il soutient aussi qu'il n'est pas établi l'existence d'un préjudice car il n'est pas sûr que le diagnostic d'une fracture aurait conduit en l'espèce à une intervention chirurgicale et qu'il ne faut pas confondre comme le font l'expert et les appelants le préjudice né de la facture de celui qui résulterait des prétendues fautes alléguées.
* * *
La SARL résidence du château de Cosnac conclut aussi à la confirmation.
Elle soutient qu'il n'est pas établi que la fracture soit postérieure à l'admission de M. Y... dans son établissement, qu'en tout cas il y a eu une prise en charge normale du résident en fonction des directives du médecin et elle fait valoir également que l'existence d'un préjudice et de son lien avec son prétendu manque de diligence n'est pas établie.
* * *
M. Christian Y... n'a pas constitué avoué.
* * *
Il est renvoyé aux conclusions des parties déposées par les appelants le 24 juin 2011 (conclusions no2), par le Dr A... le 16 février 2011 et par la SARL le château de Cosnac le 16 février 2011 également.
Il a été observé à l'audience lors du rapport qu'aucun organisme social n'avait été mis en cause.
MOTIFS
Le dossier de placement en maison de retraite du 10 février 2003 mentionne notamment pour la rubrique " déplacements : autonome ". Le compte rendu du Dr A... relate qu'à son arrivée, M. Y... se déplaçait seul et sans aide (RE page 4).
Le médecin traitant de M. Y... avant son entrée à l'EHPAD certifie qu'il n'était atteint d'aucune lésion osseuse des membres inférieurs notamment localisée au fémur, ayant pu provoquer une impotence à la marche avant cette admission.
Le Dr F... a situé la fracture au 23 mai 2004 en fonction des constatations particulières du dossier sur une douleur du membre inférieur droit et une impotence fonctionnelle à la marche les 23, 24 et 25 mai 2004. Dans son compte-rendu le Dr A... relate une aggravation des troubles comportementaux et locomoteurs fin mai 2004 (RE p 4)
Ces éléments conjugués permettent de situer la fracture fin mai 2004.
Si M Y... a fait une chute le 21 mai 2004 lors d'une sortie en famille, cela n'exonère pas le Dr A... et la SARL château de Cosnac chargés des soins et du suivi de ce patient-résident. Il n'est pas reproché à telle ou telle partie (famille, EHPAD) la survenance même de la chute.
* * *
Sur le diagnostic, s'il apparaît que le Dr A... n'a pas utilisé la technique de cotation de la douleur chez le sujet âgé non communicant évoquée par l'expert (échelle Doloplus-2), il n'est pas certain que cela aurait permis pour autant de conduire nécessairement au bon diagnostic, le Dr A... n'avait pas connaissance d'une chute et il y avait des interférences avec la maladie d'Alzheimer dont était atteint M. Y... et qui pouvaient induire une erreur de diagnostic.
Une faute sur cet aspect n'est donc pas caractérisée.
Cela étant, en raison de la persistance de la douleur malgré un traitement de base (Dafalgan, Voltarène) et des signes d'impotence fonctionnelle (26 mai : marche impossible), le Dr A... a prescrit une radiographie. Si la prescription elle-même n'a pas été retrouvée, l'expert indique qu'elle figure au dossier et l'admet.
Le service des urgences n'aurait pas accepté de prendre en charge M. Y..., le Dr A... a prévu le 3 juin un bilan en service neurologique.
L'hospitalisation n'a eu lieu que le 16 juin 2004.
Quelle qu'en soit les raisons exactes, il convient donc de relever que la radiographie prescrite dès le 1er juin après plusieurs jours de souffrances importantes et une impotence fonctionnelle, n'a pas pourtant été mise en oeuvre pendant cette quinzaine de jours.
Si elle ne l'a pas été ensuite, cela relève de l'hôpital, mais avant le patient était sous la responsabilité du Dr A... et de la SARL château de Cosnac.
L'expert judiciaire considère de manière étayée par le contexte sus évoqué que M. Y... aurait pu être adressé au service des urgences " ou à un radiologue " et non attendre la libération d'une place en neurologie. Le Dr F... montre ainsi que cet examen était pressé, d'autant qu'elle précise aussi dans son compte rendu de réunion du 7 septembre 2007, que la douleur à la marche d'apparition brutale était évocatrice d'une symptomatologie traumatique. Cela justifiait effectivement une radio rapide.
En admettant qu'il y ait eu un refus des urgences, il n'est pas allégué ni justifié qu'une radio ne pouvait être faite sur Brive la Gaillarde qu'à l'hôpital.
Il apparaît ainsi qu'il y a eu dans ledit contexte et comme le relève l'expert, une négligence du médecin à ne pas s'être assuré de la réalisation rapide de la radio prescrite et de l'EHPAD à ne pas avoir fait diligenter avec célérité ladite prescription de radio.
L'éventuelle propre carence ultérieure de l'hôpital ne les exonère pas de ces manquements personnels.
* * *
Ceux-ci ont concouru de manière imbriquée à ne pas permettre le diagnostic de l'existence d'une fracture du col du fémur. Le Dr F... expose en effet qu'une simple radiographie de la hanche met en évidence une fracture du col du fémur et permet de classer la fracture et d'orienter le traitement (RE p 10).
Un diagnostic exact permet quand même en général de mieux adapter le traitement.
Si le diagnostic, à l'époque, d'une fracture du col du fémur n'aurait pas nécessairement conduit à une opération eu égard notamment à l'état de santé par ailleurs de M. Y..., une telle intervention était cependant plausible. L'expert indique en effet : après 70 ans, l'indication " est chirurgicale " et souvent une prothèse... une telle fracture entraîne une hospitalisation avec généralement une intervention chirurgicale en urgence et le plus souvent la mise en place d'une prothèse suivie d'une rééducation fonctionnelle longue.
Le Dr F... décrit un autre type de traitement dit fonctionnel (nursing, mise en lit-fauteuil) qui correspond à ce qui en fait a été pratiqué, mais elle précise qu'il s'agit d'une thérapeutique maintenant abandonnée (RE p 14).
Le Dr F... conclut aussi que l'absence de traitement chirurgical a pu entraîner une limitation d'amplitude articulaire, un enraidissement et une attitude viciée du membre inférieur fracturé, la réduction de la mobilité (RE p 16), cela a dû aggraver les troubles de la marche (RE p 14). Elle note également que la fracture s'est consolidée d'elle-même entraînant probablement un raccourcissement du membre inférieur droit.
Si certaines de ces incidences peuvent apparaître après une fracture traitée chirurgicalement, cela n'est pas non plus systématique.
Compte tenu de ces diverses observations, il peut être retenu au moins l'existence certaine d'une perte de chance d'un meilleur traitement.
Il apparaît que l'évaluation du préjudice corporel proposé par le Dr F... est bien en lien avec, comme elle l'indique, les conséquences dommageables de fautes commises puisqu'elle note qu'il s'agit principalement d'une ITT supérieure à trois mois due à " l'allongement " de la durée de la rééducation.
Compte tenu des indications fournies dans son compte-rendu de réunion du 7 septembre 2007 (page 11) et le rapport d'expertise, du référentiel sur la réparation du préjudice corporel des Cours du grand sud-ouest (et quelques autres) habituellement utilisés, le préjudice résultant de la perte de chance ci-dessus considérée peut être évalué à la somme de 8. 000 €. Quant au préjudice moral de chaque appelant, il sera évalué à 1. 000 €.
Il sera donc alloué 10. 000 € aux appelants à la charge in solidum du Dr A... et de la SARL château de Cosnac qui ont concouru ensemble au dommage.
Suite à la situation procédurale évoquée par la Cour à l'audience, les appelants ont adressé une note le 14 septembre 2011 pour demander la réouverture des débats. Les consorts Y... ont diligenté ainsi leur procédure jusqu'à présent et en cause d'appel. Leur démarche maintenant apparaît tardive. Il est prévisible, eu égard aux circonstances de l'affaire (fracture non décelée n'ayant donc pas donné lieu à frais et acte médicaux de ce chef) qu'il n'y a pas eu de prise en charge par les organismes sociaux à ce titre. Par ailleurs, l'action est admise pour une perte de chance. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de réouverture de débats en cause d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la charge des appelants l'intégralité de leurs frais irrépétibles de telle sorte qu'il leur sera alloué une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
--- = = oO § Oo = =--- PAR CES MOTIFS--- = = oO § Oo = =---
LA COUR
Statuant par décision rendue par défaut mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement,
CONDAMNE in solidum le docteur Stanislas A... et la SARL Résidence du Château de Cosnac à payer à Mme Anna Marie Z... veuve Y... et M. Pierre Y... la somme de 10. 000 € de dommages intérêts et une indemnité de 1. 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne M. A... et la SARL Résidence du Château de Cosnac aux dépens de première instance et d'appel en accordant à la SCP COUDAMY, avoué, le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Pascale SEGUELA. Yves DUBOIS.